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1Deux groupes d’Action catholique féminins belges, la Ligue ouvrière féminine chrétienne (LOFC)/Vie féminine et l’Action catholique rurale féminine (ACRF) constituent le cœur de ce livre, issu de la thèse d’histoire de Juliette Masquelier sur les mouvements de femmes catholiques entre 1955 et 1990. En s’intéressant au positionnement de la LOFC/Vie féminine, implantée dans les milieux ouvriers, et de l’ACRF en milieu rural, sur l’émancipation puis l’autonomie des femmes, l’autrice éclaire les échanges entre les deux groupes, les différents partis politiques et les féministes. Avec comme sources principales les archives de la LOFC (renommée Vie féminine en 1969) – comptes-rendus de réunion, correspondances, publications internes aux dirigeantes –, cette recherche éclaire plus largement ses activités et discours que ceux de l’ACRF, dont les archives sont plus lacunaires. Néanmoins, les revues des deux groupes, respectivement Vie féminine et Plein soleil, permettent de confronter les discours des deux associations. Cinq chapitres, chrono-thématiques, donnent à voir les activités multiples des groupes et leurs évolutions. Le premier s’intéresse aux modalités de l’engagement. Les chapitres suivants s’articulent autour des positions et des revendications des associations relativement à l’épanouissement des femmes dans le couple, à la maternité et au travail (2), à la parenté, la contraception et l’avortement, (3) et à l’entrée des femmes dans la citoyenneté et la professionnalisation de l’engagement (4). Le chapitre 5 clôt la chronologie en revenant sur les années 1975-1990 et l’affirmation d’une autonomie des associations vis-à-vis des positions ecclésiales.

2Dans le premier chapitre, Juliette Masquelier analyse les « transferts de priorité » qui s’opèrent entre « objectif apostoliques et objectifs sociaux » (p. 73) des associations. Leur rôle de fournir un espace de sociabilité et de solidarité aux femmes issues des milieux populaires puis un espace de formation et d’éducation permanente est finement observé, au regard des mutations de la place des femmes dans le monde professionnel et le discours ecclésiastique. Traduisant différentes raisons de l’engagement, militantes ou tournées vers l’apprentissage personnel (cours de cuisine, de couture, de gymnastique), les entretiens mobilisés permettent de dresser des portraits et trajectoires de militantes, animatrices ou participantes. En opposition aux féministes des années 1970, perçues comme trop « radicales », la LOFC/Vie féminine et l’ACRF se revendiquent d’un militantisme de « réformistes réalistes » (p. 67), proche des femmes. L’accent mis sur l’action sociale transpose des activités traditionnellement assurées par les femmes à l’extérieur du foyer. Par ailleurs, le caractère bénévole de l’engagement associatif est valorisé pour ses caractéristiques dites féminines, alors que les discours sur la participation active des femmes au monde social s’appuient sur une posture essentialisante et différentialiste. Ces transformations s’inscrivent dans un processus de sécularisation des groupes qui définissent l’action sociale comme prioritaire. Aussi, l’éducation permanente proposée par les associations s’intensifie et s’organise autour de thématiques comme la consommation, la pauvreté, la lutte contre les inégalités.

3La période étudiée dans le chapitre 2, 1955-80, est marquée par le travail des associations sur la « redéfinition des normes » (p. 80), en cohérence avec l’idéal familial : « les rôles de mère et d’épouse restent incontournables pour les deux organisations en raison de “prédispositions naturelles” » (p. 82). Si l’épanouissement trouve son ancrage dans le couple et la famille, il s’exprime aussi dans l’action sociale. Néanmoins, le travail au foyer est toujours présenté comme le meilleur choix. L’image du couple véhiculée est celle d’un « partenariat » (p. 87), les associations militant pour l’égalité matrimoniale. Le divorce n’est, en revanche, jamais encouragé et les femmes divorcées sont même exclues des fonctions d’animatrice. En lien avec les travaux psychologiques du début des années 1970, qui accentuent le rôle des mères dans le bon développement des jeunes enfants, les associations « se font ainsi les relais d’une éthique de la disponibilité maternelle et de la culpabilisation des mères » (p. 91). Par exemple, la LOFC/Vie féminine milite pour l’augmentation des allocations familiales et pour des allocations aux mères au foyer. À la LOFC/Vie féminine, le travail est présenté comme une contrainte économique, difficilement conciliable avec une vie familiale heureuse au début des années 1950. Par ailleurs, le contexte rural et la porosité entre travail agricole et travail domestique conduit l’ACRF à œuvrer pour un encadrement du travail féminin, en restant malgré tout favorable à un modèle traditionnel. Les années 1970 marquent un tournant dans le discours de la LOFC/Vie féminine : le travail est désormais présenté comme une source d’épanouissement des femmes mariées, correspondant à l’augmentation du nombre de jeunes femmes et de travailleuses parmi les adhérentes. Le clivage entre les deux groupes se cristallise alors autour du travail et se conforte dans les questions relatives à la sexualité et à la parenté, développées dans le chapitre 3.

4La LOFC/Vie féminine écrit sur la sexualité harmonieuse, l’estimant contributaire de l’équilibre du couple. L’absence de discours sur la contraception est notable dans les deux groupes jusqu’à la fin des années 1960, bien que la LOFC/Vie féminine organise des réunions d’information sur la méthode Ogino à destination des couples. En 1965, la création d’une commission « Sexualité » par la LOFC/Vie féminine marque un premier tournant, suivi par la publication d’articles qui contournent l’encyclique Humanae Vitae publiée en 1968, ouvrant un débat public sur la contraception, tandis que l’ACRF ne se prononce pas, laissant ouvertes les interprétations de la lettre. La réception du texte est analysée comme la première manifestation de « la perte d’emprise du clergé sur les orientations de l’Action catholique féminine » (p. 128). La levée du tabou sur la contraception à la LOFC/Vie féminine s’accompagne d’un impératif d’éducation à la sexualité, qui « doit aller bien plus loin qu’une information technique et recouvrir toute une éducation à la sexualité et à l’amour » (p. 133), tout en restant inscrit dans le cadre conjugal, en rupture avec les revendications féministes. Une rupture qui se renforce autour de l’avortement : la LOFC/Vie féminine et l’ACRF s’opposent, à l’instar d’autres mouvements féminins d’Action catholique, à la proposition du sénateur socialiste belge Willy Calewaert en faveur de sa dépénalisation en 1971. Vie féminine entre néanmoins timidement dans le débat, en adhérant à l’idée de « parenté responsable » et en se positionnant comme compréhensive des situations individuelles.

6Les orientations prises par les associations au début des années 1980 vis-à-vis des mouvements féministes et de l’avortement sont développées dans le chapitre 5. Tandis qu’à la LOFC/Vie féminine, les dirigeantes se détachent des positions conservatrices et valorisent l’autonomie des femmes, l’ACRF maintient son « objectif d’éducation permanente humaniste » et ses pratiques religieuses (p. 189). Le public visé par la LOFC/Vie féminine évolue en s’ouvrant notamment aux femmes divorcées, « le modèle maternaliste [est] progressivement remis en cause au profit d’un modèle égalitariste » (p. 198), et la maternité est évoquée dans ses difficultés. La LOFC/Vie féminine fait évoluer son discours en faveur de la dépénalisation de l’avortement au nom de valeurs chrétiennes de tolérance, malgré un nombre important d’opposantes parmi les adhérentes. Partagée plus tard par l’ACRF, cette position, qui va à l’encontre du discours de l’Église, est officialisée en 1986.

7Comme le précise Juliette Masquelier dès l’introduction, on regrettera le fait que l’enquête ne saisisse pas les voix des dissidentes. Aussi, les conflits générationnels gagneraient à être nourris d’informations biographiques sur les adhérentes, parfois effacées dans le collectif, malgré des portraits et de très riches témoignages qui ponctuent la démonstration et composent une histoire incarnée des luttes menées. En filigrane se lit l’action de mouvements qui, contre l’idée d’un catholicisme freinant l’émancipation, ouvrent des espaces féminins de sociabilité et de solidarité pour le plus grand nombre.