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1Dans ce deuxième numéro de la revue pluridisciplinaire Football(s). Histoire, culture, économie, société (Presses universitaires de Franche-Comté), intitulé « Le football anglais entre people’s game et global game », le collectif d’auteur·es encadré par Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste d’histoire du sport, revient sur l’évolution historique du football anglais. De son émergence dans les années 1850 au sein de la working class britannique à l’hégémonie de la Premier League sur le football mondial depuis quelques décennies, l’histoire du ballon rond au pays de la Reine nous est présentée à travers huit articles, qui évoquent aussi bien le développement économique de ce phénomène que sa croissance, notamment depuis une trentaine d’années. En 1992, la First Division, première division professionnelle de football en Angleterre, devenait Premier League et progressivement, s’est construit un véritable empire économique et financier, amorçant ainsi l’établissement d’un sport-business extrêmement lucratif pour ses acteurs (clubs, diffuseurs TV, joueurs, sponsors, etc.) : ceux-ci reposent notamment sur l’attribution des droits télévisés qui rapportent chaque saison jusqu’à plusieurs centaines de millions de livres sterling. Dans cette histoire du temps présent, l’identité du football s’est en apparence éloignée du people’s game, du sport emblématique de la classe ouvrière britannique.

2Au sein de cette très riche histoire du football anglais, longue de plus de 150 ans, le numéro évoque en particulier un volet de ce sport généralement étudié ou mentionné avec peu de précisions, quand il n’est pas tout simplement oublié : le football féminin. Deux articles y sont consacrés qui mettent en lumière des aspects peu connus. Car si l’on connaît mieux son développement récent, davantage documenté et médiatisé, l’histoire du football féminin en Angleterre est en réalité tout aussi riche que son pendant masculin. Entre institutionnalisation un temps freinée par des instances dirigeantes conservatrices, médiatisation progressive du phénomène et évolution du jeu proposée, le football proposé par les équipes féminines anglaises a fini par devenir un global game, regardé dans le monde entier.

3On lira donc en particulier la contribution d’Audrey Gozillon, maîtresse de conférences à l’UFR STAPS de l’université de Rouen-Normandie, qui revient sur l’éclosion puis le développement semé d’embûches qu’a connu le football féminin de l’autre côté de la Manche. On voit apparaître les premières joueuses anglaises dans les années 1880 et des figures mythiques, comme Nettie Honeyball, journaliste et écrivaine londonienne, fondatrice du British Ladies’ Football Club, incarnent alors la naissance du football féminin. Bien qu’initialement proscrite pour les femmes, la pratique du football attire de plus en plus. Le 23 mars 1895 se déroule la première rencontre féminine officielle en Angleterre, plus précisément à Newcastle. Devant 8 000 spectateurs et quelques journalistes présents ce jour-là, s’écrivent les premières lignes du football féminin anglais. Cependant, l’évolution du phénomène ne connaît pas une trajectoire linéaire. Longtemps freiné par des instances dirigeantes conservatrices telles que la Football Association (la fédération anglaise de football, communément appelée FA), le football féminin ne progresse finalement de manière pérenne qu’à partir des années 1960. Une hypothèse est ici formulée : si le football pratiqué par les joueuses anglaises a davantage été pris en considération, c’est parce que la situation sociale et genrée des Anglaises au sein de la société britannique s’était globalement améliorée (p. 15). Celles-ci ont été davantage considérées comme les égales des hommes, et les lois relatives à l’interruption volontaire de grossesse et au divorce, respectivement votées en 1967 et 1969, leur accordant plus de liberté, allaient dans ce sens.

4La consolidation du football féminin anglais, si elle constitue une lutte sociale, passe également par les résultats ainsi que les projets sportifs et institutionnels mis en place à la fin du xx^e siècle et au début du xxi^e siècle. En 1991, la première compétition féminine, la WFA Cup (portée par la Womens’ Football Association) voit officiellement le jour. Deux ans plus tard, la Football Association crée en son sein un Comité du football pour les femmes, qui rallie ainsi la fédération féminine à la FA. Ce dernier aspect signifie également que le football féminin anglais bénéficie désormais de subventions, de meilleures infrastructures et, à terme, d’une visibilité potentiellement accrue. La fondation du Comité du football pour les femmes participe de surcroît à une augmentation sans précédent du nombre de licenciées. En 1990, on dénombrait 7 000 joueuses licenciées, réparties dans 251 clubs. Dix ans plus tard, elles étaient 35 000, réparties dans plus de 700 clubs. Par ailleurs, le championnat local se structure également à cette période. En septembre 2010, l’équivalent féminin de la célébrissime Premier League (première division masculine au niveau professionnel, considérée par de nombreux observateurs comme le meilleur championnat au monde) est créé : il prend le nom de FA Women’s Super League. Aujourd’hui, cette dernière comprend douze équipes féminines professionnelles et ce, depuis le début de la saison 2019-2020, et les matchs sont diffusés sur les chaînes télévisées Sky Sports ainsi que BBC.

5Dans sa contribution, Laurent Grün, docteur en STAPS et enseignant à l’université de Lorraine, revient sur le dernier événement majeur du football féminin anglais, qui a contribué à faire de l’Angleterre l’un des acteurs les plus influents et les plus importants du football féminin mondial : l’Euro 2022. La capacité du pays à organiser une telle compétition est une énième manifestation de la transformation du football féminin anglais en un global game. Quand on regarde de plus près les chiffres et le déroulé global de la compétition, le succès a été au rendez-vous pour le football féminin outre-Manche. Le tournoi, organisé du 6 au 31 juillet 2022 a battu de nombreux records, dont ceux d’affluence et d’audience. On a ainsi compté 574 865 spectateur·ices ayant assisté aux 31 rencontres, soit une moyenne de 18 544 par match (contre 7 969 en 2017, lors de l’édition précédente aux Pays-Bas). De plus, ces championnats d’Europe, diffusés en Angleterre sur la prestigieuse chaîne BBC, ont réuni 365 millions de téléspectateur·ices, dont 17 millions de Britanniques pour la finale entre l’Angleterre et l’Allemagne.

6La finale de l’Euro 2022 constitue d’ailleurs la plus belle victoire du football féminin anglais. Elle a eu lieu le dimanche 31 juillet 2022 dans l’emblématique enceinte de Wembley, où étaient rassemblées 87 192 personnes, un record pour une rencontre de football féminin. Harry Kane, meilleur buteur de l’histoire de la sélection anglaise, et Gary Lineker, légende du football européen et ancien attaquant-vedette des Three Lions (surnom de la sélection masculine) assistaient à la rencontre. Dans un stade à l’ambiance surchauffée, les Three Lionesses (surnom de la sélection féminine) ont remporté le premier Euro de leur histoire par 2 buts à 1 (après prolongations) face à l’Allemagne huit fois championne d’Europe. Le but de l’attaquante de Manchester City, Chloe Kelly, à la 110^ème minute a été vécu et retransmis comme un moment historique pour le football anglais, féminin et masculin.

7Cette victoire, si elle est d’abord sportive, a très largement dépassé le cadre du football : c’est ce que montre le numéro dans son ensemble. Le développement du football féminin en Angleterre est certes une conséquence de l’émancipation des femmes au sein de la société britannique, mais elle y contribue aussi. On constate ainsi que les phases de croissance du football féminin correspondent à des moments d’évolution du statut des femmes anglaises, joueuses ou non. Inversement, et comme le montre l’exemple des années 1960, les bouleversements sociétaux attribuant davantage de libertés aux femmes ont accru la considération accordée aux joueuses de l’époque. De Nettie Honeyball à Chloe Kelly, en passant par Ellen White (meilleure buteuse de l’histoire de la sélection, décorée de l’Ordre de l’Empire britannique), des années 1880 à 2022 en passant par 1895 ou 1993, le Ladies’ Football s’est progressivement institutionnalisé, pour finalement devenir un produit marketing qui s’exporte mondialement, regardé par des dizaines de millions de personnes à travers le monde et capable de remplir un stade comme Wembley, ce qui était encore inimaginable au début de ce siècle (p. 105 sq.). De nos jours, le football féminin anglais se porte extrêmement bien. Des clubs de Womens’ Super League tels que Chelsea, Arsenal ou Manchester City comptent parmi les meilleures équipes au monde tandis que la sélection nationale s’est imposée comme l’une des pointures du football international féminin. De plus, les footballeuses anglaises disposent désormais d’infrastructures performantes, permettant leur développement et leur formation d’excellence. Comme le souligne Paul Dietschy dans son éditorial : « Féministes ou pragmatiques, les grands clubs et la fédération anglais ont (…) beaucoup investi dans le football féminin vu comme une réserve de croissance en termes de licenciées et de revenus » (p. 12). Voici comment en plus de 150 ans, le football pratiqué par les Anglaises est devenu un Global Game.