Le couple princier en ses résidences (Bourbon-Bourgogne, XIVe-XVIe siècle)
Résumés
La vie conjugale princière oscille entre cohabitation et séparation en raison des obligations politiques et sociales. Les résidences des ducs et duchesses de Bourgogne et de Bourbon sont structurées autour d’une distinction entre espaces masculins et féminins, limitant la vie commune à des circulations internes et des rencontres épisodiques. La mobilité imposée par leur mode de vie itinérant limite d’autant plus ces entrevues en fonction des impératifs politiques. À la fin du Moyen Âge, les réaménagements de ces demeures, selon une hiérarchie verticale, traduisent une hiérarchie de genre et favorisent la mise en scène du pouvoir ducal. L’organisation des résidences répond avant tout aux impératifs du pouvoir, reléguant la vie conjugale à une place secondaire. Loin d’être un espace d’intimité, la maison princière est un cadre politique et cérémoniel, où le genre influence l’aménagement sans en être le facteur premier, et ce à toutes les échelles.
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- 1 Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO), B 320, fol. 18r.
- 2 ADCO, B 320, non folioté, pour le 13 août 1372.
« Mercredi IIIe jour monseigneur et madame à Rouvres1 ».
« […] après diner se parti madame de monseigneur2 ».
- 3 C’est déjà ce qui a été proposé auparavant par Monique Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bou (...)
- 4 Emmanuelle Santinelli-Foltz, Couples et conjugalités au haut Moyen Âge (VI-XIIe siècles), Turnhout, (...)
- 5 Philippe Contamine écrit à ce propos : « […] par la force des choses, dans ce milieu [princier] à l (...)
- 6 Cela est particulièrement vrai pour les aristocrates dont les logis sont suffisamment grands pour d (...)
- 7 Guillaume (dir.), Architecture et vie sociale…, op. cit., p. 8.
- 8 Christopher Dyer, « Households Great and Small. Aristocratic Styles of Life Across the Social Spect (...)
1Ces deux mentions tirées des comptes de la Chambre aux deniers de Philippe le Hardi illustrent la réalité de la vie conjugale princière qui oscille entre séparation et cohabitation ponctuelle. Les comptabilités et les chartes ducales conservées pour les maisons bourguignonnes et bourbonnaises de la fin du Moyen Âge sont de précieux outils pour apprécier le temps partagé et identifier les lieux de rencontre des époux3. Si, dès l’époque mérovingienne, la cohabitation et la copulation définissent la vie conjugale4, les mariages des aristocrates médiévaux se heurtent très rapidement à leurs obligations sociales et politiques. Leurs statuts et leurs fonctions contraignent les princes comme leurs épouses à être mobiles, réduisant ainsi les temps de vie partagée, et infléchissent l’organisation résidentielle. Les maisons princières distinguent les espaces féminins et masculins. Elles sont caractéristiques de la conception des résidences aristocratiques, entendues ici comme un espace clos, un bâtiment où le prince et la princesse séjournent. Les couples princiers vivent ainsi ensemble et séparément. Ensemble, car ils fréquentent les mêmes résidences de manière très ponctuelle au gré de leurs itinéraires, et séparément, car même lorsqu’ils cohabitent, ils occupent des appartements distincts5. Ainsi, en dépit de l’impératif de vie commune qui incombe aux couples princiers médiévaux, celle-ci est très limitée et leur intimité n’a pas d’espace précis où se déployer6. Ils ne partagent pas de lit commun. Aussi, il convient pour les élites de parler de chambres à coucher au pluriel, car chaque époux possède la sienne7. L’intimité créée lors de la nuit de noces, puis prolongée par des relations sexuelles régulières, se tient dans la chambre à coucher du duc ou dans celle de la duchesse sans que les sources ne permettent toujours de définir laquelle. L’extraction aristocratique des princes et princesses accentue cette réalité, la séparation entre logis féminins et masculins ne se limite pas à leurs seules maisons8. La maison médiévale, au sens spatial du terme, est le support du lien conjugal, mais les couples princiers ne partagent qu’une portion congrue de celle-ci.
2Les résidences princières sont avant tout conçues pour répondre au mode de vie ducal. Les travaux d’aménagement, entrepris à la fin du Moyen Âge notamment par les ducs de Bourgogne et de Bourbon, trahissent la hiérarchie de genre établie entre les époux selon une organisation verticale. La complexification du cérémonial princier et la croissance des cours ducales aboutissent à un allongement des appartements pour permettre la mise en scène croissante de la vie publique. Les pièces s’articulent donc autour d’un gradient public-privé et se succèdent, tandis que les logis masculins et féminins sont dupliqués et superposés sur deux étages. Puis, au début du XVIe siècle, ce parallélisme vertical devient horizontal. La construction des palais en dehors des villes permet aux princes de disposer d’une plus grande emprise au sol. Les appartements masculins et féminins sont alors construits de manière symétrique sur un même plan. Les résidences habsbourgeoises espagnoles des derniers ducs de Bourgogne adoptent une telle organisation.
3Il s’agit ici de questionner la manière dont le mode de vie ducal affecte l’organisation spatiale des résidences princières. De quelle manière l’aménagement des résidences princières révèle-t-il les rapports de genre et de pouvoir au sein des couples princiers ? Comment ces demeures sont-elles modelées par les impératifs aristocratiques ? Dans quelle mesure le genre est-il un élément qui influence leur organisation ?
4Les résidences princières bourguignonnes et bourbonnaises sont un terrain d’observation propice pour mener cette analyse. Celle-ci couvre une période relativement large allant, d’une part, du mariage de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre en 1369, matérialisé par le don du château de Germolles par le duc à son épouse, au réaménagement des résidences de Charles Quint au milieu du XVIe siècle, et, d’autre part, de 1375, avec les travaux entrepris au château de Moulins par Louis II, à 1514 avec les chantiers des résidences de Chantelle et Beaumanoir menés par Pierre de Beaujeu et Anne de France. Ces nombreuses maisons permettent de mener une réflexion multiscalaire, montrant que le genre influence l’aménagement de ces espaces sans en être le facteur premier. À partir du réseau des résidences princières à l’échelle des principautés étudiées (I), des travaux de réaménagements entrepris au niveau local (II), et enfin de l’organisation interne des espaces privés et publics (III), il apparaît que les maisons médiévales aristocratiques sont profondément modelées par les impératifs politiques.
L’organisation des résidences princières à l’échelle des principautés bourguignonne et bourbonnaise
- 9 Patrick Boucheron, Denis Menjot et Pierre Monnet, « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin (...)
- 10 Élodie Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies : essai sur la communication politique dans les (...)
5Les duchesses et les ducs du Moyen Âge sont itinérants. Ce mode de vie influe nécessairement sur la géographie des résidences princières, et les travaux qui y sont entrepris. Cette mobilité est plus ou moins importante en fonction du contexte territorial de leurs principautés9. Elle est particulièrement développée dans le cas des princes bourguignons qui gouvernent un ensemble croissant et discontinu de territoires entre le XIVe et le XVIe siècle10. Les comptabilités ou les mentions de lieu dans les chartes permettent de retracer les circulations des époux princiers. Elles révèlent des itinéraires souvent distincts, et dictés par les impératifs politiques. Ces sources sont aussi de précieux outils pour quantifier le temps partagé par les couples. Retracer les mobilités est l’occasion ici d’identifier la hiérarchie politique des maisons médiévales, interroger la place du genre comme facteur d’aménagement, et ainsi appréhender l’organisation résidentielle des principautés étudiées.
- 11 En effet, très peu de sources comptables ont été retrouvées pour les princes bourbonnais. Les archi (...)
- 12 Les mentions hors teneur suivantes : « Par le duc », « Par le duc, vous présent », « Par la duchess (...)
- 13 Les deux premiers mariages noués par Louis II de Bourbon et Jean Ier sont particulièrement fructueu (...)
- 14 Du reste ses résidences régulières sont Souvigny (12,5 %), Sury-le-Comtal (8,3 %), Villefranche-sur (...)
- 15 Les résidences régulières fréquentées par Louis II sont plus nombreuses que celles de son épouse : (...)
6Dans le cas des princes bourbonnais, ce travail doit se faire au moyen des lettres patentes et mandements laissés par les ducs et duchesses afin de pallier l’absence de comptabilités11. L’abondance documentaire pour le principat de Louis II (1356-1410) et de Charles Ier (1434-1456) permet de dessiner à grands traits la géographie résidentielle ducale. Au moyen des mentions hors-teneur de près de 210 chartes, il est possible de déduire la localisation du duc Louis II de Bourbonnais12. C’est alors une organisation résidentielle caractéristique d’un prince apanagé impliqué dans de nombreuses affaires du royaume qui transparaît. En effet, le poids de la capitale parisienne, qui concentre 35,2 % de ses séjours, dévoile un prince impliqué dans les affaires du royaume tout comme le duc de Bourgogne contemporain, Philippe le Hardi (1363-1404). Du reste, Louis II fréquente les centres de sa principauté. Il séjourne régulièrement à Moulins (14,3 %) dans le duché de Bourbonnais, et à Montbrison dans le comté de Forez (16,2 %). Il ne faut toutefois pas s’y tromper, la prééminence de sa résidence forézienne tient à la nature des sources documentaires conservées. Le cœur politique de son ensemble est à n’en pas douter Moulins, où il fait entreprendre de nombreux travaux de réaménagement du château. Ses séjours réguliers à Montbrison lui permettent, en revanche, d’installer son pouvoir sur un comté récemment acquis grâce à son épouse. Son intégration dans l’ensemble bourbonnais eut lieu entre 1368 et 1372 selon un processus complexe de tractations politiques et matrimoniales13. Il est d’abord légué à Anne Dauphine, ce qui explique qu’elle y passe la moitié de son temps (50 %). Son quotidien est partagé avec la ville de Moulins (16,7 %), où elle réside majoritairement aux côtés de son époux. Là aussi ses résidences régulières se concentrent dans les principales villes du duché14. Cependant, le duc apparaît bien plus mobile qu’Anne Dauphine dont les lieux de séjours sont quasi systématiquement les mêmes15.
- 16 Dans un article, Jean-Damien Genero retrace entre autres à partir des actes, comme nous le faisons (...)
- 17 Ce dernier le dépeint en « martir doloreux tout impotent de goutes ». Voir Georges Chastellain, Œuv (...)
- 18 AN, P 13591, pièce 641 (29 novembre 1448), signalé par Genero, « Sceaux et armes de Charles Ier de (...)
- 19 AN, P 13802, pièce 3274.
- 20 AN, P 13661, pièce 1479 ; P 13971, pièce 485 ; P 13912, pièce 628ter ; P 13962, pièce 455.
- 21 Olivier Mattéoni, Un prince face à Louis XI. Jean II de Bourbon, une politique en procès, Paris, Pr (...)
7Le principat de Charles Ier de Bourbon (1434-1456) et d’Agnès de Bourgogne dessine une géographie résidentielle quelque peu différente. Comme leurs homologues bourguignons au même moment, la troisième génération ducale semble délaisser progressivement la ville de Paris. Seuls cinq documents font mention de la capitale, ce qui représente 2,7 % des lieux de séjours du duc. Du reste, sa présence est concentrée à Moulins, centre politique de son duché, ainsi qu’à Montluçon. Cette résidence, reconstruite à l’initiative de Louis II à partir de la fin du XIVe siècle, reçoit une attention toute particulière de la part de Charles Ier. Le chantier reprend entre 1450 et 1456, c’est-à-dire à la période au cours de laquelle le duc y séjourne. La chronologie des actes démontre ici qu’après un ultime séjour parisien en 1451, le duc ne quitte plus son duché de Bourbon. Il effectue un premier long séjour à Moulins de mai 1452 à août 1453, puis à Montluçon de septembre 1453 à août 1454 avant de revenir dans la capitale ducale où il meurt en 145616. Cette mobilité restreinte reflète la maladie du prince – décrite par le chroniqueur Georges Chastellain17 – dont la première crise de goutte est signalée en 144818. Les résidences régulières que sont celles de Villefranche-sur-Saône (3,8 %), Riom (3,8 %) ou Montbrison (1,6 %) dessinent en creux la géographie des territoires ducaux réunis par ses prédécesseurs. Le duc réside ainsi dans la seigneurie de Beaujolais, le duché d’Auvergne et de manière très marginale dans le comté de Forez. La présence avérée de Charles Ier à Villefranche-sur-Saône, en 1433-143419, lorsqu’il est comte de Clermont, puis en 144120, témoigne entre autres de la nécessité de se rendre présent dans une zone disputée par la maison de Savoie et conflictuelle depuis 140921. Les documents d’Agnès de Bourgogne, son épouse, répartis de 1438 à 1473, la localisent tous à Moulins, qui demeure incontestablement l’épicentre du pouvoir.
8Les actes de Jean II et du couple formé par Pierre II de Bourbon et Anne de France témoignent d’une diminution stricte de leur mobilité au sein de leur principauté. Dans le cas du premier, la capitale bourbonnaise concentre 58,3 % des séjours déduits contre seulement 13,9 % pour Montbrison. Il reste 27,8 % de gîtes occasionnels avec une seule mention de Villefranche-sur-Saône, de Riom et de Lyon. Les villes étapes sont extérieures à sa principauté à l’image d’Orléans ou de Paris. Pierre II de Bourbon réside pour sa part principalement à Moulins (46,7 %), Amboise (20 %) et Montbrison (13,3 %). Les gîtes occasionnels que sont Riom, Lyon et Montluçon tracent les contours de la principauté et laissent deviner l’implication du prince dans les affaires du duché. Pour Anne de France, son épouse, tous ses actes localisés le sont à Moulins. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, le faible nombre d’occurrences ne permet pas de tirer des conclusions précises sur la géographie ducale. Il permet en revanche de comprendre l’attention particulière dont certaines résidences ont bénéficié de la part des ducs et duchesses.
- 22 Javier-Vales Failde, La Emperatriz Isabel, Madrid, Revista, 1917, p. 82.
- 23 ADCO, B 320.
- 24 Il s’agit de la sage-femme ordinaire de la duchesse. Voir Prost, Inventaire mobiliers…, op. cit., a (...)
- 25 Raymond Flagel, « Joanna of Castile’s first residence in the Low Countries (1496-1501). The transfo (...)
9À l’inverse, la documentation comptable, pour les ducs et duchesses de Bourgogne, permet de dresser une liste des lieux et des résidences fréquentés au cours de leurs principats. Elle permet d’identifier une stratégie territoriale bien établie entre les époux. Ils sont solidaires dans les déplacements. La circulation ducale répond en grande partie à des impératifs politiques, mais aussi à des sollicitations urbaines, voire à la demande des sujets et des élites aristocratiques. Dans le cas de l’ensemble bourguignon, la requête formulée par les Quatre Membres de Flandre à Jean sans Peur en 1405 est claire : il doit résider autant que possible dans le comté et, en cas d’absence, ce devoir incombera à un membre de la famille ducale, notamment son épouse Marguerite de Bavière. L’injonction est semblable à celle exprimée un siècle plus tard par les Cortes de Castille à Charles Quint. Les élites castillanes requièrent la présence d’Isabelle de Portugal lorsque Charles Quint quitte la péninsule ibérique22. La structure des itinéraires répond aussi à des objectifs dynastiques. Les accouchements de Marguerite de Flandre en Bourgogne en témoignent. Il s’agit pour le duc d’ancrer la dynastie, par la naissance des enfants ducaux, dans le duché. Ainsi, le 21 avril 1373, leur fils Charles naît à Dijon23. Les comptabilités précisent comment, avant d’accoucher, Marguerite ordonne le déplacement d’une sage-femme en provenance de Paris pour la naissance de sa fille Catherine de Bourgogne en 1379. Il est écrit : « Madame la duchesse fit venir devers elle à Montbard de Paris, Asseline la ventriere pour la servir en cette occasion24 ». De la même manière, l’ambassadeur Juan Fuensalida décrit comment la princesse Jeanne de Castille se hâta d’arriver à Bruxelles avant que l’accouchement ne commence, dans la mesure où la ville avait payé pour que la naissance de l’enfant se fasse dans son enceinte25. Cette mention prouve l’importance du lieu retenu pour la naissance des enfants princiers, et l’influence que ce critère a sur les trajectoires résidentielles des duchesses.
10Une étude fine des itinéraires princiers permet de déceler une attribution plus ou moins formelle d’un espace distinct à chaque époux au sein de la principauté. C’est l’une des premières traductions spatiales de la collaboration conjugale. Ce principe de distribution est formalisé dans un premier temps par les délégations de pouvoir données aux duchesses. Les séjours des épouses permettent de pallier l’absence de leurs époux, et de manifester la présence princière dans un ensemble ou l’autre. Cette répartition peut également être plus informelle, et se faire en dehors du cadre circonscrit de la lieutenance générale, c’est-à-dire à travers une délégation du pouvoir officielle lorsque le duc s’absente. Ce va-et-vient permanent entre la Flandre et la Bourgogne est notamment perceptible lors des premières décennies du principat de Philippe le Hardi et Marguerite de Flandre. La nécessité d’asseoir, d’une part, la nouvelle dynastie ducale de la maison de Valois dans le duché de Bourgogne et, d’autre part, de prendre en main le comté de Flandre récupéré par la princesse, explique cette mobilité incessante. Sur l’intervalle entre 1371 et 1375, et en dépit du fait qu’ils n’aient pas encore reçu l’héritage de Louis II de Male, les époux circulent entre les deux ensembles. Par exemple, en mars 1372, Philippe le Hardi demeure dans le duché de Bourgogne et à Paris, tandis que son épouse réside dans le comté de Flandre. Lors des années 1374 et 1375, le processus inverse est très nettement observable. En juin 1375, par exemple, la présence de Marguerite de Flandre est attestée à Jaucourt, tandis que son époux est à Ypres et à Bruges. Il retrouve sa femme à partir d’août et séjourne avec elle à Argilly puis à Rouvres. Le duc repart en décembre à Saint-Omer alors que Marguerite de Flandre reste, avec leurs enfants Jean et Marguerite, dans le duché. L’analyse des itinéraires mois par mois met en évidence la répartition pratiquée par le couple princier dans le duché. Il faut toutefois signaler qu’il s’agit d’une relative exception. Cette organisation territoriale est poussée à son paroxysme sous leur règne. Si leurs successeurs continuent à être itinérants, le déplacement du centre de gravité de la principauté au profit du Nord met rapidement fin à la nécessité de mailler l’ensemble du territoire de manière permanente. La mobilité change alors d’échelle au profit d’une dimension plus locale. La fréquentation des résidences princières s’explique donc en grande partie par les impératifs liés à leurs statuts et au contexte. Néanmoins, l’étude des maisons médiévales à l’échelle des principautés démontre l’importance de comparer les itinéraires entre princes et princesses. Ils sont un premier facteur d’explication quant au soin apporté à certaines demeures.
Aménager les résidences princières
11Le mode de vie ducal influence la fréquentation des résidences, et nécessairement leurs aménagements. L’attention des princes et princesses fluctue selon la fonction attribuée à celles-ci, et leur localisation. Les maisons médiévales aristocratiques n’ont donc pas toutes été l’objet du même soin. Certaines d’entre elles ont une vocation politique ou administrative, tandis qu’à l’inverse d’autres sont liées à des occupations saisonnières ou à des pratiques de loisirs. Les enjeux des travaux entrepris ne sont donc pas similaires, puisqu’ils ne répondent pas aux mêmes contraintes de la vie princière. En outre, les réaménagements peuvent résulter aussi bien de la volonté du duc, de la duchesse ou du couple, sans que le genre semble être une variable.
- 26 Célia Condello, « Le château de Moulins vers 1400 : les aménagements pour Anne Dauphine », in Matté (...)
- 27 Célia Condello précise que Louis II n’attend pas la fin des travaux pour s’y installer. Des actes p (...)
- 28 Archives départementales de la Loire, B 1927, fol. 10 ; cité aussi par Séverine Mayère, « Anne Daup (...)
12Le château de Moulins, dans le duché bourbonnais, fait l’objet de nombreux travaux de la part de Louis II de Bourbon26. Inspiré par les chantiers parisiens, le duc entreprend d’importants réaménagements afin que sa résidence soit en adéquation avec le statut de capitale ducale qu’il confère à Moulins. Il rompt avec ses prédécesseurs en ordonnant la destruction quasi complète des restes antérieurs du bâti du castrum Molinis du XIe siècle. Si l’on suit Célia Condello, le chantier s’est étendu de 1375 à 1406, voire 1410, année de la mort du duc. Il s’installe au sein du château de Moulins, dans la zone orientale de la résidence, avant la fin des travaux, comme l’attestent les actes réalisés au « château de Moulins » entre 1393 et 139927. Dans cette phase importante de travaux, aucune initiative de la part d’Anne Dauphine, son épouse, n’est avérée. Pourtant, elle y réside aux côtés de son époux, notamment du 5 au 9 avril 1383. Le 24 juillet 1390, Anne Dauphine ordonne de délivrer 6 livres tournois « au bailli de Fourez […] pour aidier à sa despense faicte pour estre aller par devans elle de Montbrison à Molins pour estre à son conseils », tout comme le 30 juillet où elle fait remettre au trésorier du comté 100 livres tournois « pour cause semblable28 », preuve s’il en est qu’elle demeure régulièrement à Moulins.
- 29 Dominique Laurent, « Anne Dauphine, duchesse de Bourbon, comtesse de Forez et dame de Beaujeu », in(...)
13La duchesse et comtesse héritière du Forez s’occupe, quant à elle, de prendre en charge les travaux de sa résidence de Cleppé. Ces derniers visent avant tout à améliorer le confort de ses résident·es et plus précisément de « messeigneurs les enfens29 ». Les réaménagements entrepris par chaque époux sont représentatifs de l’espace géographique sur lequel chacun détient une autorité légitime. Ils reflètent aussi leurs trajectoires résidentielles. Leur ampleur n’est toutefois pas comparable. Louis II procède à un remaniement complet du château de Moulins, tandis qu’Anne Dauphine ordonne des améliorations du confort de sa résidence entre autres en lien avec son rôle de mère.
- 30 Jean-Baptiste Santamaria, Marguerite de France, comtesse d’Artois et de Bourgogne : une vie de prin (...)
- 31 Bruno Danvin, Vicissitudes, heur et malheur du Vieil-Hesdin, Saint-Pol, Bécart-Renard, 1866, p. 374 (...)
- 32 Pour cette résidence, et notamment l’aménagement des parcs et jardins, voir l’article de Corinne Be (...)
14Il reste que le facteur politique ne peut expliquer à lui seul les choix résidentiels ducaux. Le goût manifeste des princes et des princesses pour certaines maisons intervient également. Hesdin est par exemple un lieu de séjour estival pour les ducs et duchesses de Bourgogne. C’était déjà le cas sous le principat de la précédente comtesse de Flandre, Marguerite de France (1322-1346), qui en fait l’une de ses principales résidences artésiennes30. Isabelle de Portugal (1430-1467), la troisième épouse de Philippe le Bon, s’installe au même endroit l’été. Elle y réside en 1448 du 6 juillet au 28 septembre, en 1451 du 7 au 15 août. Le troisième duc de Bourgogne témoigne d’ailleurs une attention particulière à ce lieu. Bâti par Baudouin VI de Mons en 1068, il fait l’objet de nombreux aménagements de la part de Philippe le Hardi en 1395 puis de Philippe le Bon31. Ce dernier fait installer des fontaines et une machinerie qui avait pour vocation d’émerveiller les hôtes reçus à Hesdin32.
- 33 Le 17 août 1509, la duchesse acquiert une maison à l’entrée de la grande rue de Moulins, AN, P 1369(...)
- 34 Par exemple le 16 juillet 1507, la duchesse Anne acquiert auprès d’Antoine, Gabriel, Jacques et Cha (...)
- 35 AN, P 13761, pièce 2975.
- 36 Par exemple « […] a tres hault et tres puissant prince et princesses monseigneur Pierre et madame A (...)
- 37 AN, P 13562, cote 244, acte du 21 octobre 1499.
- 38 AN, P 13741, cote 2375, acte du 15 septembre 1500.
- 39 Par exemple par l’achat de six boisselées de bruyères le 5 septembre 1493 (AN, P 13691, cote 1721), (...)
- 40 AN, P 13691, cote 1706, acte du 11 décembre 1507.
- 41 AN, P 13562, cote 263, acte du 7 septembre 1514 par lequel Anne de France acquiert, pour douze livr (...)
15Sous le principat des Bourbonnais Anne de France (1488-1526) et Pierre II de Bourbon (1488-1503), une attention soutenue est portée au château de Moulins où ils résident une grande partie du temps et procèdent à des travaux d’agrandissement. Les lettres patentes et mandements en témoignent33. La documentation met en relief un goût personnel de la duchesse pour Chantelle, bien qu’il ne soit pas possible d’attester réellement sa présence sur place34. Elle entreprend de nombreux aménagements de la résidence. Le 5 avril 1506, Anne de France fonde une messe des trépassés dans l’église de Chantelle, car des ossements humains avaient été retrouvés sur une place où elle faisait bâtir35. Toutefois, elle n’œuvre pas seule. Son époux, Pierre II, s’implique également dans le chantier en achetant des terres et des maisons environnantes en l’absence de la duchesse36. Ainsi, le 21 octobre 1499, le duc acquiert pour trente livres tournois une vigne sise à Chantelle attenante au chemin qui va de l’orme du Vergier à l’église Saint-Nicolas, et il transporte la vigne aux religieux et curé de Chantelle pour y bâtir un nouveau presbytère au lieu de l’ancien qui avait été retenu à la fortification du château de Chantelle37. Un peu plus tard, le 15 septembre 1500, Pierre et Anne acquièrent une maison sise dans la basse-cour du château de Chantelle, moyennant 417 livres tournois38. Cette manière de procéder n’est pas nouvelle pour le couple ducal puisqu’entre 1493 et 1499, il s’était chargé des travaux du parc et du château de Beaumanoir, en achetant les biens environnants39. Ce sont donc deux chantiers qui ont suscité l’intérêt du couple ducal, bien qu’il réside en grande partie à Moulins. À la mort de son mari en 1503, Anne de France poursuit les travaux commencés à Beaumanoir et Chantelle. En 1507, elle achète à nouveau des terres pour le premier40, puis en 1514 pour le second41. Dans tous les cas, que ce soit pour la duchesse seule ou le couple, les rachats se font par vague avec des actes qui sont très concentrés à la fin de l’année sur les mois d’octobre à décembre.
- 42 Monique Sommé, « Vie itinérante et résidences d’Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne (1430-1 (...)
- 43 Ibid., p. 189.
16Enfin, si le mode de vie ducal influence le choix des résidences et les travaux qui y sont faits, l’inverse est vrai aussi. L’absence de confort oriente les itinéraires. Ainsi la relégation progressive de la ville de Lille dans la géographie résidentielle bourguignonne s’explique par le manque de confort de la Salle, ancien château des comtes de Flandre, en dépit des travaux menés par les deux premiers ducs. Le lieu n’offrait pas tous les agréments attendus, contrairement au château du Coudenberg à Bruxelles42. Pour y remédier, Philippe le Bon acquiert un nouveau terrain à Lille en 1450 afin d’y faire bâtir le palais Rihour, qui ne sera habitable que douze ans après, en 146243. Les aménités dont disposent les demeures princières invitent ainsi à nuancer la seule lecture politique des itinéraires princiers.
- 44 C’est le cas par exemple des étrennes. D’ailleurs cette pratique conditionne les itinéraires ducaux (...)
- 45 Ibid., p. 147-148.
17Enfin, certaines résidences témoignent de la vie conjugale des époux ducaux. Les échanges de cadeaux entre eux sont réguliers et souvent ritualisés44, quoique les plus exceptionnels restent les demeures. Philippe le Hardi offre à Marguerite de Flandre le château de Germolles sis dans le duché de Bourgogne, afin que la princesse flamande puisse se sentir bien dans cette partie de la principauté. Il lui concède tout le loisir et les crédits nécessaires pour les aménagements qu’elle souhaitera y entreprendre. La dendrochronologie atteste de plusieurs campagnes de travaux menés par la duchesse en 1384-1385, puis entre 1385 et 1405, pour un coût total de 25 000 livres. Elle fait appel aux artistes les plus renommés du duché de Bourgogne, notamment ceux employés pour le chantier de la chartreuse de Champmol, parmi lesquels l’architecte et maître maçon Drouet de Dammartin, les peintres Jean de Beaumetz et Arnoul Picornet, les sculpteurs Jean de Marville et Claus Sluter45. De la même manière, Jean II de Bourbon offre à sa femme, Jeanne de France, le château de la Chaussière dans le duché de Bourbon. L’acte de concession affiche clairement l’affection conjugale que le duc éprouve envers son épouse. Il est écrit qu’il le fait pour :
- 46 AN, P 13741, cote 2334 ; c’est moi qui souligne.
la singuliere amour et affection qu’il [Jean II] a a ma tres redoubtee dame madame Jehanne de France la duchesse sa femme et pour consideration et recongnoissance de la grant dilection, obeïssance et vraye integrité damoiselle quil a congneu avoir envers lui par madicte dame, aussi eu regart aux autres grans singuliers honorables et prouffitables services que madicte dame lui a faiz depuis le temps qu’ilz ont esté ensemble conjoings par mariage, fait chascun jour continuellement et espere que encore face le temps advenir de bien en mieulx, mondit seigneur le duc pour ces causes et autres a ce le mouaians a donné, cedé, octroyé, baillé et transporté des maintenant a icelle madicte dame Jehanne de France sa femme presente a ce et stipulant, et oultre et par dessus le douhaire a elle constitué par le contrat de sondit mariaige et autres donnacions et biensfaiz par mondit seigneur a madicte dame, c’est assavoir le lieu, chastel, place, maison, parc, terre, seigneurie et chastellenie de la Chauciere avecques toutes ses appartenances quelzconques ensemble tout le revenu de rentes d’argent, de blez, de bois (…)46.
- 47 Nous reprenons à dessein le terme de politique sacrale tel qu’il est employé par Olivier Mattéoni, (...)
18En d’autres termes, c’est au nom de son amour, et pour la remercier des services accomplis depuis leur mariage, qu’il lui offre cette résidence. Ce don intervient le 8 janvier 1481, soit trente-cinq ans après leur mariage. Si les sources documentaires conservées au sujet de Jeanne de France sont peu abondantes et ne permettent pas toujours de cerner le rôle qu’elle a joué dans le gouvernement ducal, la fondation d’une messe en l’honneur de l’Immaculée Conception en la collégiale Notre-Dame de Moulins en mars 1475 démontre en revanche la solidarité dont fait preuve le couple dans la politique sacrale47.
- 48 Krista De Jonge, « Le palais de Charles Quint à Bruxelles. Ses dispositions intérieures aux XVe et (...)
- 49 L’art à la cour de Bourgogne : le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, exposition du (...)
19En somme, l’aménagement des résidences ducales peut être le fait d’un prince, d’une princesse ou du couple princier, et répond à des objectifs très divers. S’il existe des lieux politiques et des maisons d’agrément, leur fonction ne présume pas de la personne qui prendra en charge les travaux. La dimension genrée n’intervient pas ici. Bien que, dans le cas de Louis II et Anne Dauphine, le duc s’occupe de la capitale de Moulins, et son épouse de sa résidence forézienne où elle demeure avec ses enfants, la comparaison menée avec les princes de Bourgogne ne permet pas de généraliser cette analyse. Isabelle de Portugal, troisième épouse de Philippe le Bon, reconstruit le palais des comtes de Flandre à Bruges, lieu hautement symbolique et politique, à partir de 144548. À l’inverse Philippe le Hardi (1369-1404) concentre ses attentions sur le château d’Argilly qui est pourtant dénué de toutes fonctions politiques49.
La séparation des logis : la vie conjugale ducale à l’échelle des résidences
- 50 Dans le cas du Prisenhof, la multiplication des pièces autour de la chambre de la duchesse justifie (...)
- 51 Krista De Jonge, « Het paleis op de Coudenberg te Brussel in de vijftiende eeuw. De verdwenen herto (...)
20À l’échelle même des résidences, le mode de vie aristocratique influence l’organisation des pièces. Dans ce cas, la séparation des logis est un trait partagé par les résidences des élites médiévales. Ainsi roi et reine, duc et duchesse, dorment séparément tout en partageant une vie conjugale. Cette distinction, pensée et assignée en fonction du genre des occupants, se lit dans l’ensemble des résidences déjà évoquées. Les travaux entrepris par Louis II au château de Moulins réorganisent le bâtiment autour d’une distribution verticale : le deuxième étage est dévolu au duc, avec notamment la chapelle, une grande salle et une grande chambre suivie d’un oratoire privé dans la Tour dite de la Mal-Coiffée, tandis que le premier étage accueille les logis de la duchesse Anne Dauphine. Une partie des deux étages suit un plan analogue puisque les deux chambres et garde-robes sont superposées. En revanche, la duchesse n’avait pas d’accès direct à la grande salle, à l’inverse de son époux. Dans le prolongement de cette salle se trouvait la bibliothèque. L’accessibilité à ces deux pièces aux fonctions politiques permet d’attribuer le deuxième étage au duc50. Cette prééminence verticale et fonctionnelle incarne la domination symbolique exercée par celui-ci. Elle s’explique aussi par la faible emprise spatiale au sol du bâtiment. Le château de Moulins, comme celui du Prisenhof à Gand, ou l’hôtel de Pontoise de Louis IX, ont été organisés selon un axe vertical avec l’étage le plus élevé dévolu aux ducs ou au roi. Seul le palais du Coudenberg de Bruxelles présente une configuration inverse avec le deuxième étage occupé par la duchesse, notamment Isabelle de Portugal puis plus tard Margaret d’York, tandis que les ducs résident au premier51.
- 52 Véronique Gerard Powell, De Castillo a palacio : El Alcázar de Madrid en el siglo XVI, Bilbao, Xara (...)
- 53 « Apposento… : « apposento en que su Magestad duerme de ordinario junto al apposento de la Reyna », (...)
21La mise en place progressive d’une symétrie horizontale marque un tournant important au début de l’époque moderne. Construits en dehors des villes, les ensembles palatiaux disposent dorénavant d’une emprise au sol bien plus importante, permettant aux architectes de penser une nouvelle forme d’aménagement conforme aux canons esthétiques de l’époque. Ces changements apparaissent avant tout dans les palais espagnols habsbourgeois du XVIe siècle. Ainsi à l’Alcázar de Madrid, lorsque Charles Quint fait ajouter les quartiers de la reine en 1537. Il en résulte deux logis relativement équivalents qui se rejoignent dans l’axe de l’entrée principale, de la chapelle royale commune et de l’escalier monumental52. Bien que Léon Battista Alberti encourage dans cette configuration l’édification d’une chambre matrimoniale commune reliée à celle du roi et de la reine, assez peu d’ensembles palatiaux présentent une telle pièce. À l’Alcázar de Madrid, le roi avait sa propre chambre à coucher qui était adjacente à celle de la reine, c’est-à-dire « la chambre dans laquelle Sa Majesté dort habituellement est à côté de la chambre du roi53 ». La question de la symétrie, bien qu’elle soit dorénavant horizontale, maintient tout de même une séparation nette des espaces de la vie domestique.
- 54 Jean Lefebvre écrit ainsi au sujet de l’organisation des tentes dans la forêt d’Argilly tout au lon (...)
- 55 Condello, « Le château de Moulins vers 1400 », art. cit.
- 56 De Jonge, « Le palais de Charles Quint à Bruxelles », art. cit., p. 109. On sait de la même manière (...)
- 57 Pour l’importance de la peinture murale figurative dans l’habitant médiéval, voir Térence Le Descha (...)
- 58 Ibid. ; voir également Prost, Inventaires mobiliers…, op. cit., vol. 2, « art 1492, 1386 pour 60 le (...)
22Cette manière d’habiter des logis distincts diffère de l’habitat communautaire répandu au Moyen Âge avec des chambres partagées. Dans le cadre aristocratique, aucun espace commun n’est attesté dans les résidences ni même dans les camps établis au gré des voyages princiers54. Les relations conjugales se nouent grâce aux circulations intérieures dans les demeures. L’escalier, qui permet le plus souvent de relier les deux chambres, devient à ce titre un puissant connecteur entre les époux. Dans le cas de la Tour de la Mal-Coiffée à Moulins, il est probable que la vis du logis était exclusivement réservée au couple princier, permettant au duc de rejoindre son épouse. D’ailleurs, sur l’arc en tiers-point de celui-ci, des fleurs de lys étaient sculptées comportant une bande héraldique du blason de la famille de Bourbon ainsi que la devise Allen, preuve s’il en est de son utilisation par le duc55. De la même manière la voûte de l’escalier de l’hôtel d’Artois qui menait à la chambre de retrait du duc de Bourgogne associait les devises bourguignonnes avec le chêne de Philippe le Hardi, l’aubépine de Marguerite de Flandre et le houblon de leur fils Jean, futur sans Peur. Le palais de Bruxelles du Coudenberg, occupé successivement par les ducs de Bourgogne, suivait une organisation similaire. Charles le Téméraire (1467-1477) empruntait un escalier pour rejoindre les appartements de la duchesse56. La configuration du Prisenhof à Gand est quelque peu différente, puisque le duc et la duchesse de Bourgogne possèdent chacun leur maison, mais elles demeurent proches, sinon contiguës, reliées par un escalier qui faisait communiquer les deux chambres. Tout semble indiquer que les circulations se faisaient avant tout à l’initiative du duc vers les appartements de la duchesse, ce qui impliquerait que le lieu de l’intimité était avant tout celui des appartements féminins. Cette hypothèse est en adéquation avec la conception de la vertu domestique assignée aux femmes. Les décors retrouvés dans certains de ces espaces permettent d’ailleurs d’identifier ces lieux d’intimité57. À Germolles, le décor commandé par Marguerite de Flandre à Arnoul Picornet pour la chambre de la comtesse de Nevers, sa belle-fille, le démontre. L’ensemble du programme iconographique est tourné vers un idéal pastoral et exalte l’amour conjugal. Ainsi on y voit une alternance de monogrammes P et M, pour Philippe et Marguerite, sur un fond vert clair avec des chardons58.
- 59 Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex 2583, fol. 13, Miniature du Maître des privilèges (...)
- 60 Vienne, ÖNB, Codex 2583, fol. 200v. Reproduite dans Lorne Campbell, National Gallery catalogues: th (...)
- 61 Wilkinson-Zerner, « Living Arrangements of the Spanish Habsburgs… », art. cit., p. 133.
23Le palais n’a pas pour seul objectif d’accueillir le prince. C’est aussi un espace créateur de lien, entre les époux, mais aussi entre les souverains et leurs sujets. Ducs et duchesses occupent conjointement des pièces d’apparat et siègent ensemble dans les grandes salles. Ils ont une occupation conjugale des espaces ouverts. Une miniature figure ainsi Isabelle de Portugal siégeant sur un banc à baldaquin à côté de son époux, en présence de conseillers et de dames d’honneur debout pour accorder des privilèges aux Gantois agenouillés59. Cette image fait écho à une représentation semblable où Philippe le Hardi et Marguerite de Flandre reçoivent des bourgeois de la même ville60. De la même manière, les époux se donnaient à voir par les fêtes qu’ils organisaient. Dans les résidences flamandes princières, une grande salle permettait d’accueillir les femmes et les hommes des deux ménages. En Espagne, dans les palais médiévaux castillans réemployés par les Habsbourg, les fêtes se tenaient dans d’imposantes salles centrales situées à proximité des quartiers du roi et de la reine tout en demeurant faciles d’accès. Ainsi à l’Alcázar de Madrid, construit à l’origine pour le roi de Castille Henri IV entre 1454 et 1474, le grand salon remplissait cette fonction. Il jouxtait à l’étage principal les chambres à coucher du roi et de la reine, puis de l’empereur et de l’impératrice61. Les espaces ouverts aux sujets sont aussi des lieux de mise en scène du couple princier et donc d’interactions conjugales. Régner ensemble, ou donner audience conjointement, fait définitivement partie du temps partagé par les couples princiers. En somme, l’ensemble des espaces donnent à voir la dichotomie dans laquelle les couples s’inscrivent : entre temps partagé relatif, intimité distincte et idéal de gouvernement solidaire.
24Les impératifs politiques ont modelé les résidences princières médiévales. Les itinéraires ou encore l’organisation interne des ensembles démontrent que l’organisation spatiale domestique des ducs et duchesses dépend de leurs rôles, bien plus que de leur genre. Les circulations, à l’échelle des principautés, ne sont pas fondamentalement différentes : les épouses sont tout aussi mobiles, quoique les gîtes occasionnels soient plus rares, et que la rapidité de leurs déplacements soit moindre. Les campagnes de travaux entreprises répondent partiellement à des obligations politiques. Certaines résidences font l’objet d’un soin particulier pour être en adéquation avec leurs fonctions. La prise en charge par l’époux ou l’épouse peut d’ailleurs refléter les dynamiques de pouvoirs internes au couple princier. Néanmoins, cette lecture ne peut suffire. Le goût ou les saisons peuvent expliquer l’intervention du duc ou de la duchesse pour réaménager une demeure. Les différences de genre ne se lisent qu’à l’échelle micro-locale, c’est-à-dire dans l’agencement des résidences. L’attribution spécifique des appartements aux personnes qui représentent le pouvoir seigneurial, masculin ou féminin, est tellement codifiée que les archéologues et les historiens peuvent reconnaître les étages dévolus au duc et à la duchesse à partir des vestiges archéologiques. La hiérarchie verticale, l’accès facilité aux salles d’apparat et aux lieux du pouvoir sont autant d’indices qui permettent d’identifier les espaces masculins, davantage liés au gouvernement. Cela ne signifie pas pour autant que les femmes en sont complètement exclues. Bien que distincts, ces logis sont reliés par des espaces intermédiaires qui assurent le lien entre les époux. Les demeures princières sont à cet égard révélatrices de l’organisation de la vie conjugale aristocratique. Elle est restreinte par les nombreuses obligations qui pèsent sur ces couples. Leur lien conjugal est avant tout d’ordre politique. Il prend la forme d’une solidarité dans les itinéraires, de cadeaux ponctuels, ou encore de circulations internes. La maison médiévale de la haute aristocratie traduit les impératifs politiques et les rapports de genre des couples princiers de la fin du Moyen Âge. Le début de l’époque moderne apparaît finalement comme un moment décisif dans l’organisation genrée de l’espace domestique aristocratique. Il participe d’une assignation des rôles politiques.
Notes
1 Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO), B 320, fol. 18r.
2 ADCO, B 320, non folioté, pour le 13 août 1372.
3 C’est déjà ce qui a été proposé auparavant par Monique Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne : une femme de pouvoir au XVe siècle, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaire du Septentrion, 1998, p. 47-50. Cette méthode a également été reprise par Stéphanie Richard, Vies et morts des couples princiers. Les séparations conjugales dans la Maison d’Orléans, Paris, Classiques Garnier, 2019.
4 Emmanuelle Santinelli-Foltz, Couples et conjugalités au haut Moyen Âge (VI-XIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2022 ; Jean-Claude Bologne, Histoire du mariage en Occident, Paris, Lattès, 1995.
5 Philippe Contamine écrit à ce propos : « […] par la force des choses, dans ce milieu [princier] à la fois privilégié et soumis à d’étroites contraintes, les hommes et les femmes menaient fréquemment, voire le plus souvent, deux existences parallèles, qui, à l’occasion, se rejoignaient ». Voir Philippe Contamine, « Présentation », in Geneviève et Philippe Contamine (dir.), Autour de Marguerite d’Écosse : Reines, princesses et dames du XVe siècle. Actes du colloque de Thouars (23-24 mai 1997), Paris, Honoré Champion, 1999, p. 7-18, p. 13.
6 Cela est particulièrement vrai pour les aristocrates dont les logis sont suffisamment grands pour dissocier deux espaces individuels. La distinction des logis est commune à toutes les résidences aristocratiques médiévales. Voir Jean Guillaume (dir.), Architecture et vie sociale à la Renaissance. L’organisation intérieure des grandes demeures à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Actes du colloque tenu à Tours du 6 au 10 juin 1988, Paris, Picard, 1994, p. 8.
7 Guillaume (dir.), Architecture et vie sociale…, op. cit., p. 8.
8 Christopher Dyer, « Households Great and Small. Aristocratic Styles of Life Across the Social Spectrum in England, 1200-1500 », in Christopher M. Woolgar (dir.), The Elite Household in England, 1100-1550, Donnington, Shaun Tyas, 2018, p. 5-28.
9 Patrick Boucheron, Denis Menjot et Pierre Monnet, « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport introductif », in Les villes capitales au Moyen Âge : XXXVIe Congrès de la SHMESP (Istanbul, 1er-6 juin 2005), Paris, Éditions de la Sorbonne [En ligne], 2006, p. 13-56, § 48, consulté le 30 octobre 2024, DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.33361.
10 Élodie Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies : essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Turnhout, Brepols, 2004, p. 37. Comme signalé dans la contribution de Boucheron, Menjot et Monnet, « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales », art. cit., elle considère à la suite de Werner Paravicini que cette migration incessante est un mode de gouvernement. Voir Werner Paravicini, « Die Residenzen der Herzöge von Burgund (1362-1477) », in Hans Patze et Werner Paravicini (dir.), Fürstliche Residenzen im spätmittelalterlichen Europa, Sigmaringen, J. Thorbecke, 1991, p. 69-102.
11 En effet, très peu de sources comptables ont été retrouvées pour les princes bourbonnais. Les archives départementales de la Loire conservent une trentaine de registres de comptes. Ce sont principalement les comptes de l’hôtel d’Anne Dauphine, mais aussi ceux des châtellenies qui lui avaient été attribuées en douaire et ceux de ses domaines foréziens : tous étaient vérifiés par la Chambre des comptes de Montbrison. Voir Dominique Laurent, « “L’hôtel” d’Anne Dauphine d’Auvergne, duchesse de Bourbonnais, comtesse de Forez et dame de Beaujeu », in Olivier Mattéoni (dir.), Anne Dauphine, dernière comtesse de Forez. Actes du colloque de Montbrison du 29 septembre 2017, Montbrison, La Diana, 2019, p. 65-92, p. 65. Vingt comptes sont relatifs à la maison de la duchesse Anne Dauphine, épouse de Louis II. Parmi eux, des comptes de l’hôtel pour les années 1409 à 1413, ainsi que quelques comptes mensuels. Ces documents sont des exceptions dans le paysage documentaire bourbonnais. Aucun compte n’a été retrouvé pour son époux Louis II ou pour les ducs et les duchesses suivants. Pour ceux d’Anne Dauphine : Archives départementales de la Loire : B 1943 pour l’année 1409-1410 ; B 1945 pour l’année 1411-1412 ; B 1946 pour l’année 1412-1413 ; B 1947 pour le mois de mai 1415 ; B 1948 pour la période allant du 1er juillet au 30 septembre 1417, date du décès de la duchesse ; B 1949 pour le mois de septembre 1417.
12 Les mentions hors teneur suivantes : « Par le duc », « Par le duc, vous présent », « Par la duchesse » ou « Par la duchesse, vous présente » laissent deviner la présence effective de ces derniers au lieu mentionné dans l’eschatocole. Il devient alors possible de se référer au lieu indiqué pour la réalisation de l’acte pour localiser le prince ou la princesse. Cette méthode, employée par Olivier Troubat pour Louis II de Bourbon, permet de connaître en partie la répartition géographique de ces princes et princesses. Par exemple, pour Louis II sur les 260 actes qui précisent le lieu de production, 210 présentent une mention hors teneur qui permet de déduire la présence du prince. Les résultats ici produits sont tous issus de cette méthode. Nous procédons ici de la même manière. Voir à cet égard Olivier Troubat, La guerre de Cent Ans et le prince chevalier, le « Bon Duc » Louis II de Bourbon (1337-1410), tome 2, Règne de Charles VI, Montluçon, Cercle d’archéologie de Montluçon et de la région, 2001-2003.
13 Les deux premiers mariages noués par Louis II de Bourbon et Jean Ier sont particulièrement fructueux car ils permettent aux ducs d’augmenter leur territoire de manière considérable. Celui noué entre Louis II et Anne Dauphine est célébré le 19 août 1371. Il permet au duc d’ajouter le titre de comte de Forez à sa titulature dès 1373. En effet, bien que Jeanne de Bourbon, comtesse douairière, ne cède pas le comté de Forez à sa petite-fille avant le 8 février 1382, Louis II de Bourbon exerçait la réalité du pouvoir dès son mariage (Archives nationales, désormais AN, P 13942, pièce 70 bis). Le don individuel fait à destination d’Anne en février 1382 se transforme en une donation conjugale en juillet 1382 puisque c’est le couple qui est désigné comme dédicataire. Dans le même mouvement, Édouard II, sire de Beaujeu, confère au couple ducal la seigneurie de Beaujolais par voie de testament (AN, P 13711, pièce 1956). Olivier Mattéoni, « Introduction », in idem (dir.), Anne Dauphine, dernière comtesse de Forez. Actes du colloque de Montbrison du 29 septembre 2017, Montbrison, La Diana, 2019, p. 5-33.
14 Du reste ses résidences régulières sont Souvigny (12,5 %), Sury-le-Comtal (8,3 %), Villefranche-sur-Saône (8,3 %) et Feurs (4,2 %).
15 Les résidences régulières fréquentées par Louis II sont plus nombreuses que celles de son épouse : il réside à Souvigny (7,1 %), Bourbon-l’Archambault (1,9 %), Saint-Pourçain-sur-Sioule (1,9 %), Montluçon (1,9 %), Saint-Galmier (1,9 %), Chevagnes (1,4 %), Thizy (1,4 %), Villefranche-sur-Saône (1 %) et Aigueperse (1 %). Il reste des gîtes très occasionnels qui représentent 15,2 %, et sont fréquentés comme lieux d’étape au cours de ses déplacements.
16 Dans un article, Jean-Damien Genero retrace entre autres à partir des actes, comme nous le faisons ici, les itinéraires du duc Charles Ier. Voir à cet égard Jean-Damien Genero, « Sceaux et armes de Charles Ier de Bourbon et d’Agnès de Bourgogne », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 92, 2022, p. 31-51, p. 41.
17 Ce dernier le dépeint en « martir doloreux tout impotent de goutes ». Voir Georges Chastellain, Œuvres de Georges Chastellain : Chroniques 1430-1431, 1452-1453, éd. Joseph Kervyn de Lettenhove, tome 2, Bruxelles, 1863, p. 165.
18 AN, P 13591, pièce 641 (29 novembre 1448), signalé par Genero, « Sceaux et armes de Charles Ier de Bourbon et d’Agnès de Bourgogne… », art. cit., p. 41.
19 AN, P 13802, pièce 3274.
20 AN, P 13661, pièce 1479 ; P 13971, pièce 485 ; P 13912, pièce 628ter ; P 13962, pièce 455.
21 Olivier Mattéoni, Un prince face à Louis XI. Jean II de Bourbon, une politique en procès, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 25.
22 Javier-Vales Failde, La Emperatriz Isabel, Madrid, Revista, 1917, p. 82.
23 ADCO, B 320.
24 Il s’agit de la sage-femme ordinaire de la duchesse. Voir Prost, Inventaire mobiliers…, op. cit., article 350, p. 56.
25 Raymond Flagel, « Joanna of Castile’s first residence in the Low Countries (1496-1501). The transformation of a Trastámara Princess », in Dagmar Eichberger (dir.), A spectacle for a Spanish Princess. The Festive Entry of Joanna of Castile into Brussels (1496), Turnhout, Brepols, p. 39-52, p. 49. Voir également Gutierre Gomez de Fuensalida, Correspondencia, embajador en Alemania, Flandes é Inglaterra (1496-1509), éd. Duque de Berwick y Alba, Madrid, Legare, 1907, p. 139.
26 Célia Condello, « Le château de Moulins vers 1400 : les aménagements pour Anne Dauphine », in Mattéoni (dir.), Anne Dauphine…, op. cit., p. 93-114, p. 94.
27 Célia Condello précise que Louis II n’attend pas la fin des travaux pour s’y installer. Des actes passés au « château de Moulins » entre 1393 et 1399 le prouvent. Il semblerait qu’il ait pu résider dans la zone orientale de la résidence qui était alors habitable. D’ailleurs, en 1406 Charles III roi de Navarre récompense les maçons et peintres du château lors de son passage à Moulins. Par exemple, celui du 15 décembre 1394 (AN, P 13571, pièce 341) ; ou le 14 août 1396 (AN, P 13732, pièce 2250).
28 Archives départementales de la Loire, B 1927, fol. 10 ; cité aussi par Séverine Mayère, « Anne Dauphine, duchesse de Bourbon, comtesse de Forez et dame de Beaujeu (1358-1417). Le gouvernement et l’action politique d’une princesse à la fin du Moyen Âge », in Éric Bousmar, Jonathan Dumont et Alain Marchandisse (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, De Boeck, 2012, p. 493-506, p. 494.
29 Dominique Laurent, « Anne Dauphine, duchesse de Bourbon, comtesse de Forez et dame de Beaujeu », in Christophe Mathevot et Olivier Troubat (dir.), Forez et Bourbon. Les ducs de Bourbon maîtres du Forez à la fin du Moyen Âge. Actes du colloque de Montbrison du 23 octobre 2010, Montbrison, La Diana, 2010, p. 25-39.
30 Jean-Baptiste Santamaria, Marguerite de France, comtesse d’Artois et de Bourgogne : une vie de princesse capétienne au temps des Valois (1312-1382), Turnhout, Brepols, 2022, p. 231.
31 Bruno Danvin, Vicissitudes, heur et malheur du Vieil-Hesdin, Saint-Pol, Bécart-Renard, 1866, p. 374-382.
32 Pour cette résidence, et notamment l’aménagement des parcs et jardins, voir l’article de Corinne Beck, Patrice Beck et François Duceppe-Lamarre, « Les parcs et jardins des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations », in « Aux marches du Palais ». Qu’est-ce qu’un palais médiéval ? Données historiques et archéologiques. Actes du VIIe Congrès international d’archéologie médiévale (Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999), Caen, Société d’archéologie médiévale, 2001, p. 97-111.
33 Le 17 août 1509, la duchesse acquiert une maison à l’entrée de la grande rue de Moulins, AN, P 13691, pièce 1732.
34 Par exemple le 16 juillet 1507, la duchesse Anne acquiert auprès d’Antoine, Gabriel, Jacques et Charles Barbier, pour 160 livres tournois, une maison située dans la basse-cour du château de Chantelle, AN, P 13562, pièce 248.
35 AN, P 13761, pièce 2975.
36 Par exemple « […] a tres hault et tres puissant prince et princesses monseigneur Pierre et madame Anne de France sa femme, duc et duchesse de Bourbonnois, et d’Auvergne absens », AN, P 13741, cote 2375.
37 AN, P 13562, cote 244, acte du 21 octobre 1499.
38 AN, P 13741, cote 2375, acte du 15 septembre 1500.
39 Par exemple par l’achat de six boisselées de bruyères le 5 septembre 1493 (AN, P 13691, cote 1721), de trois pièces de terres à la même date (AN, P 13691, cote 1726).
40 AN, P 13691, cote 1706, acte du 11 décembre 1507.
41 AN, P 13562, cote 263, acte du 7 septembre 1514 par lequel Anne de France acquiert, pour douze livres tournois, une étable sise en la basse-cour du château de Chantelle, attenante à l’étable de l’infirmerie par exemple.
42 Monique Sommé, « Vie itinérante et résidences d’Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne (1430-1471) », Revue du Nord, 319, 1997, p. 7-43, p. 33-34. Voir également pour le Coudenberg : Vincent Heymans (dir.), Le palais du Coudenberg à Bruxelles : du château médiéval au site archéologique, Bruxelles, 2014.
43 Ibid., p. 189.
44 C’est le cas par exemple des étrennes. D’ailleurs cette pratique conditionne les itinéraires ducaux. Dans le cas de Charles le Téméraire, il se rend là où Marie de Bourgogne, sa fille, et Margaret d’York, sa troisième épouse, résident. Pour Noël 1467, il rentre in extremis de sa campagne pour gagner Bruxelles où sa fille séjourne alors. En 1469, alors qu’il gîte à Bruxelles, il rejoint le 20 décembre Gand où sa nouvelle épouse et Marie de Bourgogne sont établies. Chaque année le prince se rend à la résidence où se trouve sa famille. C’est l’occasion d’échanger des étrennes. Dans les comptabilités bourguignonnes, ces étrennes sont bien renseignées : exemple ici Philippe le Hardi, voir Bernard Prost, Inventaires mobiliers de Philippe le Hardi, 2 vol., Paris, 1908, vol. 2. De cette manière « le jour de l’an 1379 (1380, n. st.), le duc donna 1 000 francs d’or en bonne étrenne à la duchesse » (article 417, p. 69). De la même manière au début de l’année 1383 la duchesse « reçut, comme de coutume, mil florins d’or francs, pour ses étrennes du duc, son mari », vol. 2, art. 754, p. 125.
45 Ibid., p. 147-148.
46 AN, P 13741, cote 2334 ; c’est moi qui souligne.
47 Nous reprenons à dessein le terme de politique sacrale tel qu’il est employé par Olivier Mattéoni, « La messe en l’honneur de l’Immaculée Conception en la collégiale Notre-Dame de Moulins (mars 1475) : les enjeux d’une fondation », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, à paraître.
48 Krista De Jonge, « Le palais de Charles Quint à Bruxelles. Ses dispositions intérieures aux XVe et XVIe siècles et le cérémonial de Bourgogne », in Guillaume (dir.), Architecture et vie sociale…, op. cit., p. 107-125, p. 109.
49 L’art à la cour de Bourgogne : le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, exposition du Musée des Beaux-Arts de Dijon (28 mai-15 septembre 2004), The Cleveland Museum of Art (24 octobre 2004-9 janvier 2005), Dijon, Cleveland, Musée des Beaux-Arts, The Cleveland Museum of Art, 2004, p. 155.
50 Dans le cas du Prisenhof, la multiplication des pièces autour de la chambre de la duchesse justifie son attribution, notamment les salles de retrait et les pièces qui étaient attribuées aux demoiselles à l’étage supérieur et qui communiquaient directement avec le logis de la princesse. Pour plus de précisions, voir Éric Bousmar et Monique Sommé, « Femmes et espaces féminins à la cour de Bourgogne au temps d’Isabelle de Portugal (1430-1471) », in Werner Paravicini (dir.), Das Frauenzimmer. Die Frau bei Hofe in Spätmittelalter und früher Neuzeit, 6. Symposium der Residenzen-Kommission der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, 26. bis 29. September 1998, Sigmaringen, Thorbecke, 2000, p. 49‑78, notamment p. 62-64.
51 Krista De Jonge, « Het paleis op de Coudenberg te Brussel in de vijftiende eeuw. De verdwenen hertogelike residenties in de Zuidelijke Nederlanden in een nieuw licht geplaatst », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, 60, 1991, p. 5-38.
52 Véronique Gerard Powell, De Castillo a palacio : El Alcázar de Madrid en el siglo XVI, Bilbao, Xarait, 1984.
53 « Apposento… : « apposento en que su Magestad duerme de ordinario junto al apposento de la Reyna », cité dans Catherine Wilkinson-Zerner, « Living Arrangements of the Spanish Habsburgs from Charles V to Philip IV », in Monique Chatenet et Krista De Jonge (dir.), Le prince, la princesse et leurs logis. Manières d’habiter dans l’élite aristocratique européenne (1400-1700), Paris, Le Picard, 2014, p. 125-140, p. 133.
54 Jean Lefebvre écrit ainsi au sujet de l’organisation des tentes dans la forêt d’Argilly tout au long du mois de l’année 1414 pour le duc Jean sans Peur et son épouse Marguerite de Bavière : « Sy fist tenir et ordonner ses tentes et pavillons ou milieu de ladicte forestz en grans plains qui la sont, et dedens icelles tentes s’alla logier, et aussi la ducesse dame Marguerite de Baviere, sa femme, et deux de ses filles avec leurs dames et damoiselles. Et y avoit dedans lesdictes tentes la salle, la chapelle, chambres a parer et a couchier et tout l’estat du duc, de la ducesse autant que fussent logiez en l’une de leurs bonnes villes », in Jean Lefevre, Chroniques de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy, éd. François Morand, I, Paris, 1876, p. 202.
55 Condello, « Le château de Moulins vers 1400 », art. cit.
56 De Jonge, « Le palais de Charles Quint à Bruxelles », art. cit., p. 109. On sait de la même manière que Louis IX (1226-1270) descendait les marches qui le séparaient de son épouse à l’hôtel de Pontoise. Joinville écrit ainsi : « […] la reine Blanche ne voulait pas supporter, autant qu’elle pouvait, que son fils soit en compagnie de sa femme, si ce n’est le soir quand il allait coucher avec elle. La résidence où il plaisait le mieux séjourner, aussi bien au roi qu’à la reine, était Pontoise, parce que la chambre du roi était au-dessus, et la chambre de la reine était au-dessous. Et ils avaient ainsi réglé leur affaire qu’ils s’entretenaient dans un escalier à vis qui descendait d’une chambre à l’autre ; et ils avaient arrangé leur affaire de telle façon que, quand les huissiers voyaient venir la reine dans la chambre du roi son fils, ils frappaient les portes de leurs verges, et le roi venait en courant dans sa chambre pour que sa mère l’y trouve ; et à leur tour les refesoient les huissiers de la chambre la royne Marguerite, quant la royne Blanche y venoit, pour ce qu’elle y trouvast la royne Marguerite. Une foiz estoit le roy decoste la royne sa femme, et estoit en trop grant peril de mort pour ce qu’elle estoit bleciee d’un enfant qu’elle avoit eu. La vint la royne Blanche, et prist son filz par la main et li dit : “Venés vous en, vous ne fetes riens ci” », Jean de Joinville, Vie de saint Louis, éd. Jacques Monfrin, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 301-302.
57 Pour l’importance de la peinture murale figurative dans l’habitant médiéval, voir Térence Le Deschault de Monredon, Le décor peint de la maison médiévale : orner pour signifier en France avant 1350, Paris, Picard, 2015.
58 Ibid. ; voir également Prost, Inventaires mobiliers…, op. cit., vol. 2, « art 1492, 1386 pour 60 lettres d’or, c’est assavoir un P et une M ensamble, pour la sainture d’une jaque pour Mgr… », Art 3394, janvier 1390 : « à Estienne Bievre, brodeur… pour Mgr… une chambre de drap d’or de damaz… ouvres de brodure à ses armes et à ses deux devises, c’est assavoir ung P et une marguerite… », Art 3398, janvier 1390 : « pour 6 quarreaux de tapisserie semez de P et M entrelacés, pour le coeurre de Mme… », Art 3571, octobre 1390 : « Jehan de Troyes sellier du roy… une autre seelle de veluyau vermeil pour Mme… semé de PP et MM… », Art 3792 et suiv, novembre 1390 – juillet 1390, peintures réalisées au château de Germolles sous la direction de Jehan de Beaumetz… : « Pour 200 roleaux d’or, sur quoy est escript : Y me tarde… avec les P et marguerites de la chambre de Madame… pour 300 de P et M blainches mis avec les chardons en la chambre de madamoiselle la contesse de Nevers… pour demi cent de chardons mis en ladicte chambre… lesquels marguerites, P, chardons, berbiz et roses il a faictes et assises es limandes de la sale, chambre et garderobe du chastel de Germolles ». Il est à noter que le vert est la couleur par excellence de l’amour, de la loyauté mais surtout de la perpétuité. Le chardon est parmi les emblèmes végétaux les plus diffusés au Moyen Âge. Il revêt une signification mariale puissante puisqu’il est mentionné dans le Cantique des Cantiques « Comme le lis entre les chardons, telle est ma bien-aimée entre les jeunes filles ». Voir Margaret B. Freeman, La chasse à la licorne : prestigieuse tenture française des Cloisters, Lausanne, Edita/Paris, Bibliothèque des arts, 1983, p. 151. Plus encore, les médiévaux ayant un certain goût pour les emblèmes polysémiques, le jeu de mots : cher don possible avec ce nom de la fleur, renforce à nouveau sa valeur amoureuse : Laurent Hablot, « Ordres et devises des ducs de Bourgogne », in L’art à la cour de Bourgogne, op. cit., p. 81-83.
59 Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex 2583, fol. 13, Miniature du Maître des privilèges de Flandre, vers 1454-1467. Reproduite dans Wim Blockmans et Walter Prevenier, Les Pays-Bas bourguignons, Paris, Albin Michel, 1983, p. 254, ill. 216.
60 Vienne, ÖNB, Codex 2583, fol. 200v. Reproduite dans Lorne Campbell, National Gallery catalogues: the fifteenth century Netherlandish schools, New Haven NJ, Yale University Press, 1998, p. 190, fig. 21.
61 Wilkinson-Zerner, « Living Arrangements of the Spanish Habsburgs… », art. cit., p. 133.
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Référence électronique
Lucie Jardot, « Le couple princier en ses résidences (Bourbon-Bourgogne, XIVe-XVIe siècle) », Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/10606 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149uk
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