Violer la femme, violer la maison : une reconfiguration des rapports de genre dans l’espace urbain français de la fin du Moyen Âge
Résumés
En rupture des imaginaires littéraires, la maison apparaît comme l’espace le plus fréquent du viol dans les archives judiciaires urbaines de la fin du Moyen Âge. Son exécution passe par le déploiement d’une violence matérielle illimitée envers l’habitation, annonçant et relayant la violence sexuelle : la porte de la maison que brisent les assaillants renvoie par métonymie au viol de son habitante, que ce seul acte suffit à déshonorer. Les mécanismes de défense et de protection du foyer urbain et de ses membres, qui tentent d’enrayer cette violence à la fois sexuelle et symbolique, tendent à produire une délégitimation croissante des mobilités féminines hors de la maison, renvoyée par analogie au corps féminin. Associé à la sécurité, le domicile se mue en lieu d’assignation pour des femmes qui risquent d’être tenues responsables du viol subi si elles venaient à sortir de nuit non-accompagnées, amorçant un processus de ségrégation spatiale fondé sur le genre dans l’espace urbain français des XIVe-XVe siècles.
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- 1 Chrétien de Troyes, Romans de la Table ronde. Érec et Énide, éd. et trad. Jean-Pierre Foucher, Pari (...)
- 2 La fille du comte de Ponthieu, éd. et trad. Roger Dubuis, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 33-36.
- 3 De Troyes, Romans…, op. cit, Le chevalier à la charrette, p. 178 sq. ; Manessier, La Troisième cont (...)
- 4 Marie-Luce Chênerie, Le chevalier errant dans les romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècl (...)
- 5 Il s’agit en effet d’une maison et non de l’étable évoquée par Les Métamorphoses, voir l’Ovide mora (...)
- 6 Ce miracle est rapporté comme la 46e intercession du ms Fr 9198, fol. 135-136 (BnF) [En ligne], con (...)
- 7 Comme Jacques Le Goff l’avait suggéré, l’imaginaire médiéval oppose moins la ville à la campagne qu (...)
1Il est rare de voir la violence sexuelle associée à l’espace domestique dans les imaginaires médiévaux. Loin de la tranquillité du domicile familial, c’est en s’aventurant dans les bois qu’il faut chercher les viols de fiction : d’Énide, menacée par les brigands en y suivant Érec1, à l’agression consommée de la fille du comte de Ponthieu2, en passant par la « pucelle entreprenante » défendue par Lancelot, ou par Sagremor volant au secours de la vierge du gué3, la forêt plante le décor du danger pesant sur les demoiselles en détresse. Pour cause, l’univers sylvestre, symbole de désordre, est perçu comme un « monde à l’envers4 » dans les romans de chevalerie, où les lois humaines n’ont plus cours face aux forces maléfiques. Quand bien même le lieu du crime se trouverait être une maison, à l’image de la masure abritant la Philomena de L’Ovide moralisé, celle-ci siège au milieu des bois5. Cet imaginaire inquiétant que transmet le cycle arthurien des XIIe-XIIIe siècles n’a pas tout à fait disparu vers 1450, lorsque Philippe le Bon commande à Jean Miélot La Vie et miracles de Notre Dame, compilation d’intercessions illustrées mettant en récit le viol d’une pélerine dans une forêt se trouvant sur le chemin de Notre-Dame de Rocamadour6. Guidés par son mari parti chercher secours dans une localité voisine, bailli et sergents accourent depuis la représentation archétypale d’une bonne ville dont les hautes tours laissent deviner, par opposition, le toit des maisons sereines gardées par l’enceinte. L’iconographie, faisant s’affronter la civilité citadine et la sauvagerie des bois que trois arbres séparent symboliquement au centre de la miniature, rejette le viol derrière les frondaisons, ne pouvant appartenir qu’à cet ailleurs situé au-delà du territoire humanisé7.
Le viol, un crime dans la maison, un crime contre la maison
- 8 Ces pièces d’instruction sont conservées dans le fonds B II 360 des Archives départementales de la (...)
- 9 Julie Pilorget, « Circulations féminines et encadrement de l’espace urbain à la fin du Moyen Âge. L (...)
2Les représentations littéraires apparaissent en complet décalage des violences sexuelles que nous font connaître les archives judiciaires françaises contemporaines du manuscrit. À Dijon, l’enregistrement minutieux (bien que partiel) des affaires traitées par l’échevinage de la ville à partir de 1386 permet d’étudier, jusqu’en 1515, 157 actes d’instruction pour faits de « rapt », qui désignent à la fois les viols et les enlèvements de femmes matérialisant une telle intention8. Les lettres de rémission, par lesquelles le roi de France gracie les criminels de toute nature, représentent un fonds complémentaire dont l’intérêt majeur est de former une série continue pour les XIVe et XVe siècles. Étant donné son ampleur, la documentation conservée au sein du Trésor des Chartes a toutefois été dépouillée par sondage afin de réunir un corpus de 212 lettres de rémission témoignant d’un viol entre 1330 et 1483. Ces affaires criminelles, associées à la lecture de coutumiers, chroniques, traités et paroliers anciens, nous permettront de croiser imaginaires et expériences des espaces de vie pour comprendre comment leurs interactions ont pu transformer les représentations du viol à la fin du Moyen Âge et, par extension, les mobilités quotidiennes des femmes vivant à la ville, qui restent très mal connues en dehors du cas d’Amiens étudié par Julie Pilorget9.
- 10 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, état et société en France à la fin du Moyen Âge, Pari (...)
- 11 Gauvard, « De grace especial ». Crime…, op. cit., p. 285-287.
3Confrontée aux violences sexuelles que documentent ces archives, l’appréhension d’un espace forestier criminogène semble tenir du fantasme : seuls 10 % des viols faisant l’objet d’une lettre de rémission sont commis dans une nature sauvage (forêt, bois, prairie, lande). Si ces scènes sont loin d’être exceptionnelles, elles ne sont pas le fait de brigands de grand chemin mais d’hommes exerçant/travaillant en milieu forestier ou d’accompagnateurs masculins désignés pour escorter une femme sur sa route10. Comme l’a déjà constaté Claude Gauvard, la maison constitue, à l’inverse, le haut lieu du viol11 : 57 % des suppliants obtenant la grâce du roi de France avouent ainsi avoir commis leur crime au sein d’une habitation, le domicile de leur victime en tête (figure 1). Le lien qu’entretient la violence sexuelle à l’espace domestique est pourtant sous-estimé par ce chiffre : dans 25 % des cas de viols commis en dehors des maisons, les faits ont débuté au domicile des victimes qui y ont été enlevées pour être menées dans un champ ou un bois, sans compter les agressions commises dans les espaces péri-domestiques (étables et granges).
- 12 Entre 2012 et 2017, 53 % des victimes interrogées affirmaient avoir subi un viol ou une tentative à (...)
4Le constat est d’autant plus vrai dans le seul territoire urbain. Selon la centaine d’informations judiciaires ouvertes pour viol et tentative entre 1386 et 1486 par la juridiction municipale de Dijon, 60 % des plaignantes déclarent que les faits dénoncés se sont déroulés dans une maison (figure 2), malgré une présence notable d’agressions commises au sein d’espaces naturels cultivés (champs, prés, vignes) qui constituent souvent le lieu de travail des victimes. 29 % des agressions commises hors des habitations ont également débuté dans une maison dijonnaise. En résumé, plus de quatre viols sur cinq supposent une interaction avec l’espace domestique, en milieu rural comme urbain, alors même que les violences intrafamiliales apparaissent très rarement dans les archives de la justice médiévale, laissant supposer le faible taux de dénonciation des viols commis par des protagonistes vivant sous le même toit que leur victime. Aux antipodes des imaginaires criminels, l’« hostel » est donc le théâtre privilégié des violences sexuelles telles qu’elles apparaissent dans cette documentation judiciaire, un constat comparable aux ordres de grandeur dégagés pour la France contemporaine par les enquêtes « cadre de vie et sécurité » (ministère de l’Intérieur)12.
- 13 AN, JJ 66-JJ 211. Parmi les viols dont la lettre de rémission indique où se sont déroulés les faits (...)
Figure 1. Espace du viol dans les lettres de rémission des rois de France (1330-1483, n = 212)13

- 14 ADCO, B II 360/1-14. L’espace du viol n’est pas indiqué dans 7 % des informations de Dijon (dépouil (...)
Figure 2. Espace du viol dans les informations judiciaires de Dijon (1386-1486, n = 121)14

- 15 Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988, p. 27 sq.
- 16 Des viols ont couramment lieu dans ce contexte, voir par ex. ADCO, B II 360/4, IV-1, 368, 15 août 1 (...)
- 17 Par ex. ADCO, B II 360/5, 30, 548, 16 février 1453 ; B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454 ; B II 360/1 (...)
- 18 Voir notamment Allez lui dire… (no 54) et Puisqu’elle m’a fermé son huis (no 743), Alice Tacaille, (...)
5Dans la plupart des récits de suppliants et de plaignantes, l’action suit un schéma identique mis en exergue par Jacques Rossiaud à Dijon15 : un homme seul ou plusieurs arrivent à la nuit tombée devant la demeure d’une femme dont ils ont prémédité l’agression et s’introduisent à l’intérieur dans l’intention de la violer chez elle ou de l’enlever pour l’entraîner dans un espace leur permettant de commettre leur crime hors de portée de la parenté masculine de la victime. Afin d’entrer dans les maisons urbaines, nombreux sont les groupes de jeunes hommes à abuser de leur autorité comme membres du guet (patrouille civique nocturne), ou à se faire passer pour tels, ordonnant à une femme de leur ouvrir sa porte le soir venu au prétexte de contrôler la potentielle présence d’un galant16. En cas de refus, d’autres menacent de la fracturer, encourageant les femmes à lever leur verrou pour éviter le tapage17. Le passage négocié du seuil de l’habitation par usage de la ruse ou de l’intimidation permet alors d’assurer leur future défense judiciaire, plaidant le « bon gré » d’une plaignante qui les aurait volontairement laissés entrer. L’ouverture de la porte apparaît en effet comme une métaphore courante du consentement sexuel dans les chansons du XVe siècle, l’amante promettant à son bien aimé la jouissance de son corps en venant « au soir jouer à l’huys », tandis que l’amant éconduit énonce sa complainte devant la porte de sa belle, qu’elle lui tient close, lui demandant « si elle a pour luy son huys fermé18 ».
- 19 ADCO, B II 360/10, 8 juin 1466. Pour un autre cas, B II 360/17, 7 décembre 1503.
- 20 ADCO, B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454.
- 21 ADCO, B II 360/8, 39, 55, 21 octobre 1461.
- 22 ADCO, B II 360/1, 4, 11, 27 août 1422.
- 23 Pour les violences sur les animaux, voir AN, JJ 131, 161, fol. 99, octobre 1387 ; ADCO, B II 360/4, (...)
- 24 ADCO, B II 360/12, 27 décembre 1475.
6Les habitantes refusant d’ouvrir dans de nombreux cas, la porte de la maison est fréquemment enfoncée à coups de pied et d’épaule, la serrure attaquée par la lame de la dague, dans un vacarme délibéré devant subjuguer la cible de l’attaque et paralyser toute riposte du voisinage. Lorsque l’assaut est donné au domicile des victimes, la porte est en effet brisée dans 50 % des lettres de rémission et 28 % des plaintes dijonnaises. En 1466, non contents d’être entrés chez Henriote Amery en pleine nuit pour l’emmener contre son gré au bordel municipal de Dijon, Oudot l’Oncle et ses complices « si osterent ilz ledit huyz hors des gons19 ». Lorsque la porte refuse de céder, c’est alors à la fenêtre qu’on s’en prend. Il faut dire que les aménagements occlusifs ne sont guère résistants : à la ville comme au village, les maisons ne sont fermées que de minces « huys », rarement entravés de véritables verrous mais de simples chevilles de bois20. Au rez-de-chaussée, les embrasures perçant les murs sont quant à elles couvertes de papier huilé fixé à un châssis ou garnies d’un treillis d’osier, à défaut de barreaux de métal, qu’il n’est pas difficile de déchirer ou d’arracher21. Certaines plaignantes expliquent pourtant avoir pris de sérieuses précautions pour assurer la solidité du dispositif de clôture de leur habitat. Catherine la Couturière, veuve vivant seule dans la chambre d’un immeuble d’habitation de Dijon, a fait preuve de prudence en verrouillant solidement sa porte. C’était sans compter sur la détermination de ses assaillants qui, face à l’impossibilité de la briser, attaquent le mur de torchis à coups de bélier improvisés dans la nuit du 27 août 1422 et parviennent à rompre la paroi22. Ajoutons que les bris de portes et de fenêtres sont fréquemment accompagnés de jets de pierres sur la maison de la victime ou de ses voisins, de vols, de destruction de mobilier et d’ustensiles, d’abattage d’animaux de compagnie, voire d’incendie23. Chez Pierre Bonnot, où la troupe de Jean Monnin fait irruption le matin du 24 décembre 1475 pour y enlever une fille, on bat les défenseurs de la victime avant de se mettre à briser « tables, verres, chandoilles, poz et escuelles24 ». En ville comme à la campagne, les crimes sexuels commis au domicile des plaignantes donnent ainsi lieu à un véritable déchaînement de violences ayant pour but de porter atteinte au corps féminin autant qu’à la maison qui le protège.
Violer la maison : une métaphore du corps féminin
- 25 Rossiaud, La prostitution…, op. cit., p. 236, note 4.
- 26 AN, JJ 136, 94, fol. 50v, août 1389.
- 27 Archives départementales des Landes, E DÉPÔT 88 AA 4, fol. 8, XVe siècle.
7Une telle constance dans l’usage de l’extrême violence à l’égard de l’habitat de la victime et des biens qu’il renferme interdit de la réduire à une brutalité gratuite, arbitraire ou irrationnelle. Ces assauts, qui avaient déjà frappé Jacques Rossiaud lors de ses recherches sur la prostitution médiévale, confinent aux violences de guerre, dont ils reprennent les codes quand bien même ils s’exercent en temps de paix au sein d’une même population civile25. Ces actes délibérés de destruction matérielle, que l’on retrouve d’une affaire à l’autre dans une trame quasiment inchangée, prennent ainsi l’apparence d’un rituel : leur caractère systématique, décrit par l’historiographie sans être interprété pour autant, pourrait signifier autant qu’engendrer la mise en interaction du corps et du lieu, une hypothèse qu’il est possible d’explorer dans le cas d’étude que constituera la maison urbaine. Au-delà de la nécessité prosaïque d’accéder au corps de la femme convoitée, la répétition de ce scénario dans les archives judiciaires de la fin du Moyen Âge finit en effet par produire une mise en équivalence de l’effraction du domicile et du corps féminin qu’exprime la désignation même des violences exercées. En 1389, Jean Cholet, meurtrier d’un certain Turpelin, lie effectivement les deux accusations dans la litanie de stéréotypes de la grande criminalité qu’il attribue à sa victime, « pillart, larron, robeur, rompeur de huyz, efforceur de femmes, alant de nuit et de jour pour grever et endommagier autrui26 ». Cette assimilation peut transparaître jusque dans les documents normatifs. Alors que le viol est d’ordinaire mentionné dans les coutumiers français parmi les crimes de haute justice (meurtre, trahison, etc.), nettement séparé de l’effraction de domicile rangée du côté des atteintes aux biens, le cartulaire de la ville de Dax tient compte, dans une copie datant du XVe siècle, de cette parenté des violences sexuelles et des dommages domestiques en rassemblant dans la même rubrique les prescriptions concernant le « forssement de femme et combatement d’ostau27 ».
- 28 Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin-français, Paris, Hachette, 1934, p. 1680.
- 29 Jean Froissart, Chroniques, éd. Jean-Antoine Buchon, Collection des chroniques nationales française (...)
- 30 Jean de Haynin, Mémoires de Jean, Sire de Haynin et de Louvignies 1465-1477, éd. Renier Hubert G. (...)
- 31 Olivier de la Marche, Mémoires, éd. Henri Beaune et Jean d’Arbaumont, Paris, Renouard, 1884, vol. (...)
- 32 Froissart, Chroniques…, op. cit., 1838, vol. 2, p. 208.
- 33 Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au X (...)
- 34 Froissart, Chroniques…, op. cit., 1838, vol. 2, p. 197, 209 et 357 ; Chroniques de Jean Froissart, (...)
- 35 AN, JJ 123, 39, fol. 21, juillet 1383.
- 36 AN, JJ 150, 142, fol. 72v, septembre 1396.
- 37 Voir Christophe Furon, « “Et libido precipitare consuevit” : viols de guerre à Soissons en 1414 », (...)
- 38 Françoise Héritier (dir.), De la violence, vol. 1, Paris, 1996, p. 19.
8Le seul usage du verbe violer, dérivé du latin violare qui désigne la profanation d’un territoire et, par extension, l’outrage sexuel, exprime l’appréhension du corps comme lieu28. Employée au regard des églises mises à sac à la suite de sièges, « arses et violées29 » chez Froissart, « pillées et violées30 » chez Jean de Haynin et Olivier de la Marche31, la métaphore peut qualifier les bris de simples maisons lorsque le premier évoque les exactions commises en 1383 par les révoltés gantois à Bruges où furent « moult de maisons et de femmes robées et pillées, violées et détruites32 ». Le chroniqueur hainuyer applique également le verbe « efforcer », synonyme de violer lorsqu’il s’applique à une femme33, aux maisons et aux portes des cités34. Le parallèle dépasse les seuls milieux curiaux. Dans les lettres de rémission, on croise la même année un suppliant se vengeant d’un malfaiteur venu « prendre et violer ladite maison35 », un autre s’appliquant à « efforcier36 » un château au service des Anglais en 1396. La superposition symbolique des violences faites aux corps et aux édifices, perçues comme équivalentes, justifie la systématisation de la paire femmes-églises dans les litanies de déploration des violences de guerre au XVe siècle37. Françoise Héritier présentait en fait cette équation comme intrinsèque au concept même de violence, celle « de l’effraction tantôt du corps conçu comme un territoire clos, tantôt du territoire physique ou moral conçu comme un corps dépeçable38 ». La demeure assaillie que décrivent les plaintes des victimes reproduit ainsi par métonymie l’image de leur corps assiégé.
- 39 Mary Douglas en propose une compréhension stimulante dans « Modèles corps/maison du monde : le micr (...)
- 40 Par ex. ADCO, B II 360/20, 24 avril 1509 ; B II 360/20, 18 août 1510 ; B II 360/22, 18 avril 1513.
- 41 ADCO, B II 360/12, 21 février 1473 ; B II 360/12, 17 mars 1473.
9La métaphore pourrait paraître éculée. Elle fonctionne en effet sur le rapport du microcosme à son macrocosme. Ce système de correspondances fondé sur la ressemblance, hérité de l’Antiquité et constitutif de l’analogisme médiéval, traverse l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’image de la célèbre parabole du Christ désignant son corps à travers la figure du temple (Jn, 2, 18-21)39. Ce témoignage d’une compréhension analogique du monde dans une société tardo-médiévale où elle a été propagée et généralisée par la patristique de longue date n’a donc rien d’étonnant. Une forme d’anthropomorphisme machinal s’exprime encore au début du XVIe siècle dans les descriptions conventionnelles des maisons qui semblent prendre corps dans les archives judiciaires, « assises » sur une voie comme si leurs murs formaient des membres, « regardant » tantôt vers la rue, tantôt vers le jardin, comme si leurs fenêtres figuraient des yeux40. Il s’agit moins, toutefois, de tracer ici le parallèle ordinaire entre corps humain et architecture que de renvoyer spécifiquement la maison au corps féminin, dont le sexe a pour caractéristique de prendre la forme d’une porte. Si la maison représente le corps de la femme, son huis en devient métaphoriquement la vulve, et inversement, la vulve un huis. Une telle assimilation est en effet assumée par certaines victimes dijonnaises qui désignent littéralement leur sexe comme « la porte du ventre41 ». En ce sens, la porte du domicile frappée, percée, fracassée, voire dégondée dans les récits des plaignantes, tient une fonction symbolique d’amorce de l’effraction sexuelle. Le viol de la maison annonce celui de la femme à venir.
- 42 Bernard Chevalier, « Bonnes villes, villes closes », in idem, Les bonnes villes de France, Paris, A (...)
- 43 Élodie Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les a (...)
- 44 Mireille Vincent-Cassy, « Viol des jeunes filles et propagande politique en France à la fin du Moye (...)
10L’identification de l’analogisme à l’œuvre permet alors de dérouler toute la chaîne associative qu’il convoque. Si la porte de la demeure reproduit celle du ventre féminin, la porte de la ville reproduit à son tour celle de la maison et n’est elle-même que la figuration miniature des frontières et des marches défendant le royaume. Le phénomène est d’autant plus vrai après 1346, point de départ du processus de mise en défense des bonnes villes de France qui se mettent à financer des travaux d’édification d’enceintes inédits afin de se protéger des chevauchées anglaises provoquées par la guerre de Cent Ans42. Tandis que la cité peut être représentée par une femme lors des festivités qui entourent la Joyeuse Entrée des princes43, la France apparaît couramment incarnée par la femme déshonorée, violée par ses propres enfants, sous la plume des rhétoriqueurs des années dramatiques de la guerre civile44. Jusqu’au XVIe siècle, le terme de « porte » est d’ailleurs réservé aux éléments d’architecture monumentale, le seuil des maisons étant seulement fermé de « l’huys », que le français moderne a fini par assimiler aux fortifications urbaines, comme il a assimilé les « parois » délimitant l’architecture domestique aux « murs » dont seule la ville est ceinte au Moyen Âge. La porte de la maison, clôture parmi d’autres, se trouve ainsi prise dans un complexe système d’huisseries enchâssées renvoyant le corps féminin aux territoires qui le protègent.
- 45 ADCO, B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454. ADCO, B II 360/11, 29 juillet 1468.
- 46 ADCO, B II 360/4, 452, 19 avril 1450 ; B II 360/14, 14 novembre 1480.
- 47 La première mention d’une telle ceinture, qui apparaît dans le Belli Fortis de Konrad Kyeser en 140 (...)
- 48 Pascal Dibie plaide également pour cette interprétation. Voir son Ethnologie de la porte, Paris, Mé (...)
11Lorsque le danger du viol ne peut être arrêté ni par la porte de la ville (qui n’empêche que les violences de guerre), ni par celle des maisons (dont on a constaté la fragilité), le réflexe consiste alors à multiplier les barrières susceptibles d’interdire l’accès au corps féminin en en inventant de nouvelles à l’intérieur des habitations. Si la porte d’entrée vient à céder, certaines pièces sont ainsi dotées de verrous, en particulier lorsque l’« hostel » citadin constitue un immeuble de rapport abritant plusieurs entités familiales qui louent chacune une portion de bâtiment45. Lorsque la victime n’en dispose pas, demeure la possibilité de s’enfermer dans un meuble volumineux – huche ou vaisseau à grain – disposant d’un fermoir, que les agresseurs n’hésitent alors pas à briser46. Face au risque persistant du viol, il n’est pas indifférent de constater l’apparition de la ceinture de chasteté comme nouvelle allégorie de l’imaginaire sexuel au tout début du XVe siècle. Si l’objet n’a jamais été en usage durant la période médiévale (les spécimens de musée étant en réalité des artefacts rarement antérieurs au XIXe siècle)47, sa conjecture, fût-elle fantaisiste ou grivoise, n’en signifie pas moins l’émergence d’une appréhension technique de la clôture du sexe48. Les traités de poliorcétique se plaisent à fantasmer l’invention d’un mécanisme qui interdirait toute possibilité de pénétration du sexe féminin, expression d’une angoisse bien réelle face à l’impossibilité d’en garder l’entrée. Cette image mentale viendrait ainsi combler la hantise découlant du constat de la porosité des enceintes maçonnées, en suggérant l’esquisse d’une ultime paroi, capable de résister au siège lorsque les portes de la ville, de la maison, de la chambre et du coffre sont déjà tombées aux mains de l’assaillant. La ceinture de chasteté apparaît dans cette perspective comme l’infaillible verrou, cadenassé au plus près de la porte sexuelle, un vêtement-porte pour ainsi dire, avec lequel corps et clôture ne formeraient plus qu’un.
Défendre la femme, défendre la maison : un devoir masculin
- 49 ADCO, B II 360/5, 30, 538, 7 janvier 1453 ; 30, 548, 16 février 1453.
- 50 Jean-Luc Dufresne, « Les comportements amoureux d’après les registres de l’officialité de Cerisy (X (...)
12De cette métonymie découle une double interaction symbolique. En premier lieu, la seule effraction du domicile suffit à déshonorer la femme qui y vit, en s’en prenant à la porte-sexe de la maison. Le simple fait de subir un bris d’huis s’assimile souvent à une tentative de viol, manière de flétrir la renommée d’une femme en vue d’une future agression, ou de manifester la disponibilité sexuelle de celles en ayant déjà été victimes. Marie, veuve de Perrinet de la Fosse, échappe à un enlèvement mené par une douzaine d’hommes venus la ravir lorsqu’elle soupait chez un couple dijonnais le 7 janvier 1453. Un mois plus tard, sa porte est brisée par le prévôt de Dijon accompagné de deux complices, lui signifiant ainsi qu’elle se trouve à disposition des compagnons49. Respectivement, le viol d’une femme à son domicile déshonore sa maison, prise au sens matériel du bâti et métaphorique de la lignée familiale. À Cerisy (Normandie), en 1339, la demeure d’une femme est dénoncée comme lupanar alors que sa fille venait d’y subir une tentative de viol50. Dans la cité des ducs de Bourgogne, l’interaction entre déshonneur sexuel et déshonneur domestique dépasse la seule dimension symbolique en pouvant provoquer la chute de la valeur monétaire d’un bien immobilier, comme le suggère un couple interrogé lors de l’ouverture d’une ample information judiciaire à l’encontre de maquerelle Jeanne Saignant au début des années 1460. L’épouse dénonce le fait d’avoir été constamment visitée par le guet que menait chaque soir Ogier Fremiot, échevin, au service de cette maîtresse d’étuves :
- 51 ADCO, B II 360/8, 39, 37, 1461-1465.
faisoit souvent le guet et a chacune fois aloit frapper et faisoit ouvrir l’uyz d’elle qui parle, disant ledit Ogier et ses varletz qu’elle avoit des ribauldz en son hostel et pour visiter se faisoit ouvrir l’uyz, mais il ne trouvoit en sondit hostel que sondit mary et elle, couchiés ensemble, lequel son mari print si grant desplaisir sur ce que luy faisoient lesdits Ogier et ses varletz, que faisoient fere ladite Jehannote, qu’ilz vendirent leur maison assize en la rue desdits estuves et la baillerent (vendirent) pour mains qu’elle ne valoit, et dont ilz furent et sont dommaigiés grandement51.
13Face au soupçon d’une débauche suggérée par l’inspection répétée de la maison, censée diffamer l’habitante et la contraindre à louer ses services sexuels au profit de Jeanne Saignant, l’époux qui refuse de céder au chantage n’a d’autre choix que d’abandonner la demeure avilie en en bradant le prix.
- 52 Myriam Soria, « Violences sexuelles à la fin du Moyen Âge : des femmes à l’épreuve de leur conjugal (...)
- 53 Le Ménagier de Paris, ms Fr 12477, BnF, XVe siècle, fol. 20.
- 54 AN, JJ 118, 99, fol. 53, novembre 1380.
- 55 AN, JJ 121, 192, fol. 102, octobre 1382. Lucie Laumonier observe en effet l’émergence d’une spécial (...)
14C’est l’honneur de toute la famille vivant sous le toit de la maison, et en premier lieu du mari, qui s’en trouve effectivement offensé. Au sein de sa demeure, l’épouse fait figure de « bien précieux », pour reprendre l’expression par laquelle Myriam Soria notait l’usage fréquent d’un champ lexical de l’appropriation matérielle dans les lettres de rémission évoquant les viols de femmes mariées52. L’allégorie est en effet caractéristique des traités moraux consacrés à l’économie domestique. L’auteur du Ménagier de Paris n’hésite pas, à la fin du xive siècle, à extrapoler de la parole christique un parallèle faisant de la dame le vrai « trésor » du mari, qui agirait sagement en vendant tous ses biens pour acquérir l’union d’une prude femme à l’image d’une pierre précieuse (Mt 13, 44-46)53. Le bris d’huis représente donc plus qu’une violence métaphoriquement infligée au corps féminin : il déshonore, au même titre que le viol, le plus estimé des biens de l’époux. Au-delà du passage de la porte, la progression de l’agresseur au sein des pièces de l’habitation, tentant d’arracher la femme à sa demeure à l’image du joyau blotti dans l’écrin, ne fait qu’aggraver l’injure qui lui est faite. En novembre 1380, Jean du Parc obtient ainsi la rémission du meurtre commis sur l’agresseur de Mahaut, sa femme, qui était entré de nuit dans sa maison par une fenêtre atteinte à l’aide d’une échelle et qui, « perseverant en son oultraige, vint a l’uis de la chambre ou gisoit la dicte Mahaut qui estoit endormie54 ». La violation de l’intimité domestique est décrite comme une forme d’acharnement dès que l’intrus pénètre la chambre à coucher, un espace marqué par une privatisation croissante qui justifie, en 1392, qu’une orfèvre de La Rochelle puisse tuer un homme à coups de burin parce qu’il avait cherché, après être entré chez elle en l’absence de son époux, à pénétrer dans cet espace réservé, « disant faintement que ès chambres privees d’icelle avoit cheu un chat qu’il vouloit aler querir55 ».
15Pour le mari risquant d’être discrédité par son incapacité à protéger l’intégrité de la maison, il faut donc à tout prix empêcher l’entrée du violeur. Tous les membres du foyer bénéficient à ce titre de sa protection, le devoir du mari envers son épouse s’étendant à celui du maître à l’égard de la simple domestique. À Dijon, en 1468, Olivier Huz est aux prises avec un certain Drehue d’Échenon, notable de la cité. Ce dernier, accompagné de soldats armés, lui réclame sa servante afin de la traîner au bordel, mais le maître s’oppose. Elle rapporte dans sa plainte qu’elle
- 56 ADCO, B II 360/11, 25 juillet 1468.
oït qu’il [Drehue d’Échenon] leur dist qu’ilz gectassent dehors leur chambelliere, qu’il appelloit ribaulde […], auquel Deschenon fut respondu par ledit Olivier qu’il ne la gecteroit point dehors. Lors ledit Deschenon iniuria ledit Olivier et luy dist qu’il estoit ruffien et tenoit ladite ribaulde avec sa femme, faisant commandement esdits compaignons, ses complices, qu’ilz entrassent dedans l’ostel dudit Olivier et qu’ilz prinrent et emmenassent ladite servante, laquelle il appelloit tousiours ribaulde, et de fait se traveillerent de vouloir entrer dedans ledit hostel, mais ladite servante ferma l’uyz et se enferma dedans, et ledit Olivier se mist au devant d’eulx a son huiz56.
16L’affaire est tout à fait significative des enjeux que nous soulevions : en qualifiant de « ribaude » (femme de mauvaise vie) la servante de la maison, l’assaillant qualifie explicitement le maître qui refuse de la mettre dehors de « ruffian » (proxénète) et implicitement la maison de bordel, l’épouse risquant dès lors d’être elle aussi assimilée à une prostituée du fait du déshonneur encouru par sa maisonnée, et d’être violée à son tour.
Effets de seuil et rapports de genre : quand l’intérieur devient féminin
- 57 La selle peut d’ailleurs servir d’arme de fortune aux victimes, voir ADCO, B II 360/14, 8 décembre (...)
- 58 ADCO, B II 360/6, 34, 772, 25 avril 1467.
- 59 ADCO, B II 360/8, 25 avril 1463.
- 60 Stéphanie Chapuis-Després, « Sorties sous contrôle : les femmes bourgeoises dans l’espace urbain du (...)
17Lorsque territorialité du corps féminin et corporéité du territoire domestique s’articulent pour signifier l’honneur des habitants, les archives judiciaires laissent transparaître des modes de défense reposant sur des rôles de genre fortement marqués : tandis que la servante entre dans la maison et referme la porte derrière elle, depuis l’intérieur, son maître se positionne pour en empêcher l’accès depuis l’extérieur. On attend donc de la victime féminine qu’elle reste dans l’habitation ou qu’elle s’y réfugie, pendant que l’homme du foyer doit, au contraire, aller au-devant du danger. Au XVe siècle, la porte ne représente pourtant pas une clôture indépassable pour les citadines : durant la journée, elle est d’ordinaire tenue ouverte sur la rue par la selle (petit banc de bois) sur laquelle on reste assis pour profiter des rayons du jour qui pénètrent à peine l’obscurité des maisons percées de baies étroites57. En journée, les femmes travaillent, discutent, se délassent ainsi en pleine rue tandis que les hommes travaillent dans les ouvroirs. En avril 1467, vers une heure de l’après-midi, Perette Pochelle de Saint Pol est assise dans sa rue d’habitation, où elle « filloit ou soleil58 » avec ses voisines, tandis que Guillote Colin est encore dehors en leur compagnie vers six heures du soir. Cinq ans plus tôt, une nommée la Sauvageote faisait la sieste en plein jour devant chez elle, son chaperon sur les yeux59. La rue, loin d’être le lieu réservé à la circulation qu’elle commence à devenir à partir de l’époque moderne60, représente un prolongement du rez-de-chaussée de la maison où se nouent les mêmes sociabilités vicinales.
- 61 AN, JJ 98, n. 306, fol. 95, mai 1365.
- 62 Pour le siècle suivant, Diane Roussel note bien cette dichotomie diurne/nocturne, la porte incarnan (...)
- 63 Jean-Claude Kaufmann, « Portes, verrous et clés : le rituel de fermeture du chez-soi », Ethnologie (...)
- 64 Chanson XXIV, éd. Gaston Paris et Auguste Gevaert, Chansons du XVe siècle d’après le manuscrit de l (...)
18La nuit, en revanche, les perceptions spatiales ne sont plus les mêmes. À Sens, en 1365, un sergent du guet, apercevant plusieurs habitantes « dont les unes faisoient leurs aisemens et les autres estoient a leurs huys » un peu avant minuit, rue de la Halle, bouscule l’une d’elles pour les encourager à regagner leurs habitations, jugeant qu’elles ont été « trouvees oustre l’eure que bonnes femmes se doivent retraire61 ». Une fois le soleil couché, les épouses de bonne renommée n’ont plus rien à faire hors des maisons, qui doivent être soigneusement verrouillées pour éviter toute intrusion extérieure62. La porte d’entrée prend alors la fonction que nous lui associons dans notre spatialité contemporaine : elle « ne ferme pas seulement matériellement le logement », explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann, mais « le chez-soi, le délimitant et renforçant sa réalité homogène, signifiant par cette fermeture qu’entre l’intérieur et l’extérieur les deux mondes ainsi séparés sont totalement différents63 ». La porte, qui opérait la transition entre la maison et la rue durant la journée, trace désormais une frontière entre l’extérieur, source de danger, et l’intérieur, qui doit en être protégé. « Il fait bon fermer son huys / Quant la nuyt est venue », dit le refrain d’une chanson du XVe siècle contant la mésaventure d’une épouse violée dans son lit par un inconnu entré dans sa maison64.
- 65 Thierry Dutour, Sous l’empire du bien. « Bonnes gens » et pacte social (XIIIe-XVe siècle), Paris, C (...)
- 66 Les latrines sont encore loin d’être courantes en ville à la fin du Moyen Âge. En 1451, à Dijon, la (...)
- 67 À propos de la relation entre bâti urbain, hiérarchie sociale et rapports de genre, Christopher Fle (...)
- 68 À Dijon, même la nièce du maire, qui était sortie seule en journée, subit une tentative de viol en (...)
19À plus long terme, la cristallisation des protagonistes de ces affaires dans des positions dépendant de leur sexe – homme dehors/femme dedans – pose donc la question de la construction d’un rapport de genre plus rigide au sein de l’espace urbain à l’aube de l’époque moderne. Certes, intérieur domestique et caractère privé sont encore loin de se superposer : alors qu’au rez-de-chaussée, où l’artisan tient boutique, les activités productives et commerciales continuent de cohabiter avec la fonction domestique du bâti, l’espace extérieur du jardin doit être protégé des regards indiscrets65. Les mobilités journalières opérées par les femmes peuvent néanmoins faire l’objet d’une limitation croissante au sein du foyer dès que ce dernier se trouve équipé d’un « retrait » et d’une baignoire, qui plus est lorsqu’il est entretenu par une domesticité nombreuse, comme on l’observe au sein des maisons bourgeoises. Les épouses fortunées se trouvent ainsi dispensées d’aller faire leurs besoins dehors, se laver aux étuves, blanchir leur linge au lavoir ou chercher l’eau nécessaire au ménage jusqu’à la fontaine66. Élément de distinction sociale, le resserrement des activités féminines au sein de l’espace domestique reflète un nouveau système de valeurs citadin qu’il est bon d’imiter67. Pour le dire en d’autres termes, il devient suspect de trop sortir de chez soi, même de jour, quand on est une femme seule dans la cité, de fréquentes mobilités quotidiennes impliquant une identité sociale dépréciée, qu’on appartienne à la population laborieuse comme à la notabilité68.
- 69 Christiane Klapisch-Zuber, « Les femmes dans les espaces publics de la ville italienne (XIVe-XVe si (...)
20S’il serait abusif de parler d’enfermement des femmes dans la maison pour la France du XVe siècle, comme il est possible de le faire au regard de la situation florentine69, ce glissement est sensible à plusieurs égards au sein des dossiers d’instruction dijonnais. C’est en effet ce que connote la défense de beaucoup de victimes de viol, insistant sur le fait qu’elles étaient paisiblement couchées chez elles au moment des faits. En 1467, Jeanne, nièce d’un couturier dijonnais venue de Troyes, fragilisée par une séparation de corps avec son mari, débute ainsi sa plainte pour viol collectif par une stratégie de présentation de soi destinée à prévenir la légitimation de son agression :
- 70 ADCO, B II 360/10, 24 juillet 1467.
a chacune journee que elle va ouvrer (travailler) en la ville, elle a acoustumé de aler dire devers matin audit Perrenet Petit Bourgeois, son oncle, l’on la trouvera la ou elle dit qu’elle va ouvrer et fere sa journee, et chacun soir elle s’en va couchier avec sadite servante en sadite chambre paisiblement sans fere aulcun mal […] or est ainsi que le jeudi au soir XXIIIe jour de juillet de cest an mil IIIIC LXVII, a l’eure que l’on chantoit a Nostre Dame salue, ladite Jehanne venoit de ouvrer de sondit mestier de l’ostel dudit maistre Moingin la Corne et s’en aloit avec sadite servante en sadite chambre […] et se bouta (mis) ladite Jehanne en son hostel, refferma son huiz et aluma du feu, et environ l’eure de IX heures que elle se vouloit couchier, l’on frappa tresfort a sondit huiz, elle demanda qui c’estoit, l’on luy dist que elle ouvrast, elle dit que elle estoit femme seule et ne ouvreroit point sondit huiz70.
- 71 Le Ménagier de Paris…, op. cit., fol. 4v-5.
21Décrivant des mobilités quotidiennes fonctionnelles limitées à l’espace d’interconnaissance, qu’elle va en sus signaler à son parent masculin référent en l’absence de mari, Jeanne tente ici de se conformer à un rôle de genre afin de couper court à une forme de culpabilisation rampante. Nous ne sommes pas très éloignés des prescriptions du Ménagier de Paris, recommandant à la digne épouse de ne sortir en ville qu’accompagnée d’honnêtes femmes, fixant le sol d’un regard arrêté sans porter la vue sur le moindre passant ni lui adresser la parole dans la rue71. Les plaignantes dressent ainsi l’autoportrait type de la bonne victime, ne sortant de jour que pour accomplir sa besogne, en compagnie d’autres femmes, rentrant chez elle avant la nuit et refusant d’ouvrir sa porte aux hommes qui viennent y frapper.
- 72 Rossiaud, La prostitution…, op. cit., p. 240, note 1.
- 73 Mireille Vincent-Cassy, « Dedans et dehors : les domestiques à la fin du Moyen Âge », in Gert Melvi (...)
- 74 ADCO, B II 360/1, 8, 3, 22 avril 1431.
- 75 Anita Guerreau-Jalabert, « Occident médiéval et pensée analogique : le sens de spiritus et caro », (...)
- 76 ADCO, B II 360/6, 33, 729, 13 juin 1456.
22À l’inverse, le franchissement du seuil domestique devient un danger à la nuit tombée. La violation du couvre-feu annoncé par le son de la cloche, qui est punie d’une petite amende, justifie en effet la surveillance zélée des femmes par les bandes masculines72. Tout déplacement extra-domestique une fois le soir venu peut dès lors se muer en faute, ne serait-ce que pour mieux verrouiller la porte. Les servantes, dont l’activité est caractérisée par de fréquents allers-retours entre l’intérieur et l’extérieur de la maison, sont rendues particulièrement vulnérables par ce type d’assignation73. C’est ainsi qu’est enlevée la fille de Marguerite de Vaux, âgée de 19 ans, alors qu’elle s’éclipse momentanément de la maison, le 22 avril 1431 vers dix heures du soir, pour aller fermer la porte du cellier sur ordre de son maître74. Pour sa défense, l’un des accusés stigmatise explicitement le comportement de la plaignante, expliquant qu’« ilz s’arresterent illec (là) et assés tost apres virent en la rue devant l’ostel de Jehan Joseps une femme, parquoy ledit seigneur qui la vit entrer et yssir (sortir) par pluseurs fois dist que c’estoit une femme qui ne queroit que l’emmeneretence (sic) », c’est-à-dire le fait d’être emmenée. Dans une société où la « représentation de l’espace [est] polarisée par l’opposition d’une valence positive – l’intérieur – et d’une valence négative – l’extérieur75 », la femme qui franchirait la porte du foyer à l’heure interdite peut ainsi se trouver accusée de provoquer l’agression : traverser le seuil-sexe de la maison constitue en ce sens une atteinte portée à sa propre chasteté. Le fil de la métaphore peut également être tiré par la porte fortifiée : lorsqu’Agnès Noirot est violée en 1456 après être sortie seule de chez elle au matin dans le but de s’employer, le procureur prenant sa plainte ne lui reproche pas d’avoir quitté la maison de son frère sans sa compagnie, mais d’avoir passé la porte de la ville, s’aventurant seule à l’extérieur de la cité76.
Hors de la maison : l’invention de la mauvaise victime
- 77 ADCO, B II 360/5, 30, 607, 18 décembre 1453.
- 78 ADCO, B II 360/12, 13 novembre 1474.
- 79 ADCO, B II 360/2, 11, 105, 30 mars 1434.
- 80 ADCO, B II 360/3, 22, 308, 29 juillet 1447.
- 81 ADCO, B II 360/6, 32, 688, 28 avril 1455 ; B II 360/6, 32, 715, 1er décembre 1455 ; B II 360/7, 38, (...)
23Découle de ces jeux d’association un contrôle des mobilités féminines, plus particulièrement à la charnière du jour et de la nuit. En l’espace d’un siècle, vingt-deux viols ou tentatives dénoncées à Dijon débutent dans des rues ou sur des chemins. Certaines plaignantes étaient sorties dans le cadre de leurs occupations légitimes, prendre de l’eau au puits77, du vin au cellier78, cueillir des choux à l’orée des vignes79, ou porter des détritus jusqu’aux vieux terreaux80. D’autres fréquentaient les rues au motif de bénins loisirs, allant ou revenant d’un souper dans le voisinage, se rendant au marché pour leurs provisions, rentrant à leur domicile après une danse ou une noce81. Parmi elles, neuf n’étaient pas accompagnées, six étaient escortées d’un homme, cinq d’une ou de plusieurs femmes, deux d’individus des deux sexes. La majorité des attaques sont bien menées le soir : quatorze cas contre huit en journée. Lorsque les plaintes permettent de connaître l’heure exacte de ces faits, l’on constate un pic d’agressions au moment jugé le plus propice : seules deux victimes sont prises pour cible entre six et sept heures du soir, aucune entre sept et huit heures (heure du souper), trois entre huit et neuf heures, cinq entre neuf et dix heures (heure du couvre-feu), deux entre dix et onze heures, les femmes cessant de circuler au-delà. Les agresseurs choisissent donc délibérément de passer à l’action au moment des déplacements engendrés par les repas partagés. Les femmes de sortie ont alors tout intérêt à être solidement escortées : seules deux victimes dijonnaises ne le sont pas une fois les sept heures sonnées.
- 82 AN, JJ 145, 61, fol. 29, octobre 1393.
- 83 Jeremy Goldberg, « Pigs and prostitues: streetwalking in comparative perspective », in Katherine J. (...)
- 84 AN, JJ 144, 337, fol. 200, juin 1393.
- 85 Archives départementales du Nord, B 655 et B 1276, 2 janvier 1394 (le rôle est déchiré en deux).
24Il en va de même à Paris où, à la fin du XIVe siècle déjà, l’on n’imagine plus laisser une femme, soupant chez son frère pour ses noces, rentrer seule à son domicile : quittant sa maison entre dix et onze heures un soir d’octobre 1393, une certaine Asselot demande à ce qu’il la raccompagne jusqu’à chez elle par crainte d’une tentative de viol82, dont elle est effectivement la victime, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs, où la présence de bordels est légalisée rue Chapon depuis 136783. Même de jour, les Parisiennes ne sont pas en paix. Rentrant ensemble, la même année, Katherine la Tanerée, Mathée Petit, sa sœur, et Ysabelle la Renouarde doivent affronter les cris de « aux putains, aux ribaudes » que leur lancent des tailleurs de pierre travaillant devant le couvent des Célestins84. L’année suivante, Isabelle des Champions, veuve partie faire une course pour sa mère alitée, est interpellée un soir de janvier par un inconnu rue de la Huchette, proche du bordel de l’Abreuvoir-Mâcon : « ledit Colin, prisonnier, la print par le bras en lui disant “Parles a moy”, et elle lui respondi “Je n’ay que parler a vous, je ne vous congnois et ne say qui vous estez. Lessez moy aller, je suy mariee et femme de mesnage85” ». La ménagère, synonyme de femme honnête, s’oppose à la fille des rues, et le prévenu de rétorquer : « “Maulgré Dieu, fectes-vous sy la precieuse ? Nous vous maineronz au bordeau en bonne brigade ou il y a plus de XXX compaignons” ». Le badaud croisant une femme seule peut ainsi alléguer qu’elle est femme publique, quand bien même elle revendiquerait appartenir au monde domestique.
- 86 Nous laissons volontairement de côté les quelques affaires de viol conservées aux ADCO pour la péri (...)
- 87 Par ex. ADCO, B II 360/12, 17 août 1472.
25À l’échelle locale de Dijon, les violences sexuelles commises dans les rues semblent subir une inflation à partir du XVe siècle, l’assimilation des passantes solitaires à des prostituées légitimant leur agression. Tandis qu’aucune plainte ne fait état de viol ni de tentative dans le cadre d’une mobilité de loisir d’une femme (accompagnée ou non) avant 1450, les dénonciations apparaissent et augmentent à partir de là : cinq plaintes durant la décennie 1450, neuf pour la décennie 1460, deux pour la décennie 1470 et deux autres jusqu’en 1486. Ces viols commis sur les chemins et dans les rues de la cité bourguignonne, qui comptent pour 20 % des dénonciations conservées entre 1386 et 1486, concernent 40 % des plaintes enregistrées entre 1500 et 151586. La banalisation apparente des assauts sur les voies publiques renforce en ce sens l’image protectrice du foyer dont le verrou ne recouvre jamais, dans les récits de victimes dijonnaises, l’iconographie d’une séquestration à la manière du tableau de Fragonard, exception faite des affaires de maquerellage pour lesquelles l’enfermement contraint des jeunes filles est systématique, l’entremetteuse usant justement de la confiance qu’inspirent la maison et sa tenancière pour les convaincre d’entrer87.
- 88 AN, JJ 107, 30, fol. 17, mai 1375.
- 89 AN, JJ 153, 155, fol. 96, mars 1398.
- 90 Nicole Gonthier, « Mala fama et honneste conversacion, les critères de la morale populaire d’après (...)
26Au-delà de l’accumulation des plaintes, les discours changent également, témoignant d’une attention croissante pour les mobilités extra-domestiques des victimes. En 1375, un familier du duc d’Anjou logeant près du Châtelet de Paris aperçoit devant chez lui une jeune fille de quinze ou seize ans déambulant seule, rue des Prêcheurs (non loin de la rue Chapon), à la recherche de la maison de sa mère. Il la fait entrer chez lui, la viole et la livre à ses valets avant de la mettre dehors au matin. La victime a beau porter plainte aussitôt devant le prévôt de Paris, l’accusé obtient une lettre de rémission, motivant la grâce par la situation de départ : « mesmement qu’il est a presumer de toute presumacion que, se la dicte fille feust bonne et de bonne conservacion, elle ne feust pas alee par la ville a l’eure que le dit suppliant la trouva88 ». En 1398, un autre suppliant est gracié pour le viol d’une Parisienne trouvée assise devant la porte de sa maison, rue des Gravilliers (parallèle à la rue Chapon), alléguant la confusion avec une prostituée « pour ce qu’il estoit si tart et qu’elle estoit toute seule, cuidant (pensant) fermement que ce feust ce qu’ilz queroient, mesmement que en la rue et es rues voisines demeurent beaucoup de jeunes femmes renommees de faire plaisir a compaignons89 ». L’expression verbale, le comportement sexuel et la consommation d’alcool ne sont donc pas les seuls éléments permettant de définir la renommée féminine90 : la présence d’une femme seule dans la rue, qui plus est à une heure tardive, peut fonctionner comme l’indice supplémentaire de sa mala fama. Si la concentration des attaques autour des lieux de prostitution qu’on constate à Paris cache sans doute une stratégie consciente des agresseurs sexuels, à la recherche de femmes non accompagnées à proximité des rues à bordels afin d’en prendre prétexte, les accusés se bornent encore à plaider la présomption raisonnable et le quiproquo légitime, sans entrer dans un discours de culpabilisation plus décomplexé.
- 91 ADCO, B II 360/3, 22, 313, 31 août 1447.
27Le siècle suivant voit leur défense évoluer en ce sens. En 1447, après le viol de Catherine Bougeost survenu à Dijon, ses voisines se sentent en effet obligées de préciser à l’enquêteur que la plaignante est une « joyeuse femme », riant volontiers et apostrophant les passants qu’elle reconnaît dans sa rue pour faire la conversation durant la journée. Les témoins justifient là un comportement considéré comme suspect en expliquant qu’elle a cumulé de nombreuses relations par ses activités de servante et de nourrice, tout en refusant de légitimer son agression du fait de sa conduite ambiguë : « se ne fault il pas pour tant que l’en la vienne prendre et efforcer a force comme l’en fait, qu’est mal fait comme il semble91 ». En novembre 1485, la responsabilité attribuée à Jeanne Rotet dans le viol collectif qu’elle dénonce est bien plus sévère, révélant la crédibilité croissante de ce type de défense. La victime rentrait certes chez elle à la nuit tombée, vers huit heures, après être allée dîner chez un parcheminier, mais en compagnie de son oncle qui l’y avait conduite chandelle à la main. Malgré la protection symbolique du tuteur masculin, ce dernier est violemment pris à partie par un groupe de cinq ou six compagnons qui le rouent de coups jusqu’à ce qu’il renonce à défendre sa nièce que les agresseurs emportent dans une ruelle voisine. La présence d’un chaperon auprès de la victime n’empêche pas l’un des prévenus, arrêté et interrogé par l’échevinage de Dijon, d’assumer son acte dans un argumentaire frisant la vantardise :
- 92 ADCO, B II 360/14, 7 novembre 1485.
Regnault l’Omme, tisserand de toilles, fils de Guion l’Omme, que l’on a aprehendé, qui a reconnu de prime face qu’il avoit eu la compagnie charnelment de ladite Jehannote de son bon grey, comme il dit, disant en oultre qu’il n’estoit pas heure que femmes allassent de nuit par la ville a celle heure, pour ce luy avoit fait les noces comme il disoit […] Interrogué s’ilz penssoient point mal faire, dit que non parce qu’il leur sembloit estre une femme commune92.
- 93 ADCO, B II 337/4, fol. 11bis C (foliotation médiévale), 28 novembre 1485 ; fol. 13bis B, 3 janvier- (...)
28Début janvier 1486, la plaignante se rétracte et tous les accusés sont finalement déclarés « purs et ygnoscens du cas » au mois de mars suivant93. Pas de viol de femme sans viol préalable de la maison, tout franchissement de seuil volontaire de la part de la victime, qui sortirait à l’extérieur ou laisserait entrer un homme à l’intérieur, impliquant son consentement implicite.
- 94 Louis Tanon, Registre criminel de Saint-Martin-des-Champs au XIVe siècle, Paris, Willem, 1877, p. 4 (...)
- 95 Ibid., p. 187-188.
- 96 Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, Éditions Complexe 1992 [Hachette 1978], p. 247.
- 97 Ibid., p. 293.
- 98 Valérie Toureille, « Une contribution à la mythologie des monarchies du crime : le procès des Coqui (...)
29Cette idée n’a pourtant pas existé de tout temps, et jusque dans la première moitié du xive siècle, les déplacements journaliers des victimes de viol ne posent pas question. On ne reproche pas à Jeannette Billeuse d’avoir suivi la maquerelle qui l’avait trouvée assise un matin de mai 1333 « a l’huis de son père, en la rue Michiel Leconte [à Paris]94 », pas plus qu’on ne reproche à Jeannette le Gage d’être allée toute seule chez l’accusé pour y chercher des denrées en septembre 1342 à Bondy95. Les suppliants clamant la grâce d’un viol ne tiennent pas davantage ce discours avant la seconde moitié du XIVe siècle. C’est que la reconfiguration de l’habiter urbain féminin que nous observons à l’aune des poursuites pour viols à la fin du Moyen Âge n’est sans doute pas sans rapport avec l’évolution de l’image que la ville se fait d’elle-même. Alors que la peste noire frappe en 1349, l’immigration des travailleurs ruraux attirés par la flambée des salaires urbains gonfle rapidement la démographie des villes qui ne peuvent offrir à tous les mêmes opportunités. Dès 1351, une ordonnance de police contre les « oiseux » de Paris exprime l’inquiétude du pouvoir royal face à l’afflux de pauvres voués au chômage et à la mendicité, bientôt doublés des réfugiés fuyant les affres de la guerre, qui pourraient menacer l’ordre public de la cité96. Michel Mollat montrait ainsi comment la ville, devenue « carrefour des misères97 », accueille avec toujours plus de réticence la pauvreté, rendue honteuse, qui se confond désormais avec la criminalité aux yeux des édiles. Le danger ne se cache plus dans la forêt lointaine, mais dans la rue prenant l’image du coupe-gorge, peuplée de faux mendiants et de vagabonds, où l’on croit bientôt surprendre une véritable contre-société du crime, à l’image des célèbres Coquillards dont on fait le procès à Dijon en 145598.
- 99 Bernard Schnapper, « La répression du vagabondage et sa signification historique du XIVe au XVIIIe (...)
- 100 Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus, ms Fr 25 636, BnF, 1405, chap. XLIV, fol. 87.
- 101 Ibid., chap. XLII, fol. 83v.
- 102 Florence Journot, La maison urbaine au Moyen Âge. Art de construire, art de vivre, Paris, Picard, 2 (...)
- 103 Addition faite des amendes arbitraires enregistrées dans les comptes municipaux (AMD, M 47-80), les (...)
- 104 Joël Cornette et Claude Gauvard, « La rue de tous les dangers », in Danielle Tartakowsky (dir.), Hi (...)
30À l’heure où une inflation réglementaire, qui s’accentue encore au début du XVIe siècle, entend surveiller les étrangers et les désœuvrés qu’on suspecte de tous les vices99, il n’est pas impossible que la population féminine ait pu, du fait d’un même processus, voir sa fréquentation des rues être davantage contrôlée, puisque délégitimée à mesure que leurs représentations s’emplissaient d’un imaginaire menaçant. En 1405, Christine de Pizan met déjà en garde ses lectrices dans Le Livre des trois vertus, prescrivant aux dames et aux bourgeoises des cités de « vous tenir closement en vos hostelz100 », plutôt que de « tant aller par ville » et de « tant troter » afin d’éviter « le peril de jeunesce, la legierté et la grant convoitise que les hommes ont communement a attraire femmes101 ». Autant dire que celles qui osent encore côtoyer ce « dehors agressif102 » peuvent rapidement se trouver soupçonnées d’appartenir au monde de la gueuserie dont on le présume peuplé, se voyant exclues des « bonnes femmes » par leur seule présence dans la rue. Le caractère ostensible des agressions sexuelles qui y sont commises, légitimées par les accusés, tolérées par la justice, graciées par le roi, produisent ainsi l’effet escompté : une progressive intériorisation de l’autocontrainte face au danger de viol amenant les citadines à limiter leurs mobilités et à s’interdire toute sortie nocturne. Entre 1386 et 1486, 741 sentences nominatives pour bris du couvre-feu sont dénombrables à Dijon : parmi les rangs des contrevenants surpris par le guet, 730 hommes contre 11 femmes103. Ces mentions exceptionnelles, qui n’apparaissent plus après 1443, achèvent de démontrer la faiblesse et la raréfaction des déplacements féminins les plus exposés au récit de la « mauvaise victime ». Dans les villes françaises du XVe siècle où l’espace domestique s’agrandit, s’embellit et se spécialise en regard des campagnes, la rue, qui apparaissait comme un espace intérieur vis-à-vis des murs de la cité au Moyen Âge central, se mue progressivement en espace extérieur vis-à-vis de la maison, qui polarise l’image protectrice de l’enceinte à laquelle elle est assimilée par la langue. Ce double transfert de valeur, associant le viol à la « rue de tous les dangers104 », resserre ainsi le champ d’action des citadines vers le foyer comme le contrôle qui s’exerce sur elles. L’idée s’impose que la victime sortant seule de chez elle chercherait l’agression, tandis que le domicile, qui en a toujours été le lieu le plus propice, symbolise désormais une sécurité permettant de l’y assigner.
Notes
1 Chrétien de Troyes, Romans de la Table ronde. Érec et Énide, éd. et trad. Jean-Pierre Foucher, Paris, Gallimard, 1970, p. 63 sq.
2 La fille du comte de Ponthieu, éd. et trad. Roger Dubuis, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 33-36.
3 De Troyes, Romans…, op. cit, Le chevalier à la charrette, p. 178 sq. ; Manessier, La Troisième continuation du Conte du Graal, éd. William Roach, trad. Marie-Noëlle Toury, Paris, Champion Classiques, 2004, p. 188-189.
4 Marie-Luce Chênerie, Le chevalier errant dans les romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles, Genève, Droz, 1986, p. 153.
5 Il s’agit en effet d’une maison et non de l’étable évoquée par Les Métamorphoses, voir l’Ovide moralisé, éd. Cornelis de Boer, Amsterdam, J. Müller, 1920, vol. 2, livre VI, p. 351, v. 2949-2953.
6 Ce miracle est rapporté comme la 46e intercession du ms Fr 9198, fol. 135-136 (BnF) [En ligne], consulté le 01 juillet 2025, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8451109t/f281.item.
7 Comme Jacques Le Goff l’avait suggéré, l’imaginaire médiéval oppose moins la ville à la campagne qu’à l’univers inculte de la forêt pour qui elle se fait pourvoyeuse de justice. Voir idem (dir.), La ville en France au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1980, p. 14-15.
8 Ces pièces d’instruction sont conservées dans le fonds B II 360 des Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO). Nous laisserons de côté les cas de rapt à visée matrimoniale.
9 Julie Pilorget, « Circulations féminines et encadrement de l’espace urbain à la fin du Moyen Âge. L’exemple d’Amiens », in Youri Carbonnier, Stéphane Curveiller et Laurent Warlouzet (dir.), Mobilités et déplacements des femmes dans le Nord de la France du Moyen Âge à nos jours, Arras, Artois Presses Université, 2019, p. 15-32. Pour l’Angleterre, voir Christopher Fletcher, « L’espace et le genre, le public et le privé dans une ville anglaise : les plaintes pour assaut et injure à Nottingham, 1303-1336 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 46/2, 2023, p. 119-140.
10 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, état et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, p. 290. Par exemple, Archives nationales (désormais AN), JJ 125, 262, fol. 151, novembre 1384 ; AN, JJ 179, 224, fol. 126, juin 1448.
11 Gauvard, « De grace especial ». Crime…, op. cit., p. 285-287.
12 Entre 2012 et 2017, 53 % des victimes interrogées affirmaient avoir subi un viol ou une tentative à leur domicile, 25 % dans un autre domicile. Ces chiffres concernent les 47 400 victimes hors du ménage estimées en moyenne par an entre ces dates, en plus des 63 000 victimes de violences sexuelles estimées au sein du ménage. Voir Interstats, Rapport d’enquête « cadre de vie et sécurité » 2017, Paris, ministère de l’Intérieur, décembre 2017, p. 142, 144, 154.
13 AN, JJ 66-JJ 211. Parmi les viols dont la lettre de rémission indique où se sont déroulés les faits, 46 % ont lieu au domicile de la victime. L’espace du viol n’est pas indiqué dans 31 % des lettres de rémission (dépouillement par sondage).
14 ADCO, B II 360/1-14. L’espace du viol n’est pas indiqué dans 7 % des informations de Dijon (dépouillement systématique).
15 Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988, p. 27 sq.
16 Des viols ont couramment lieu dans ce contexte, voir par ex. ADCO, B II 360/4, IV-1, 368, 15 août 1449 ; B II 360/7, 35, 834, 7 juillet 1458 ; B II 360/11, 25 juillet 1468 ; B II 360/13, 16 mars 1476 ; B II 360/14, 5 août 1481 ; B II 360/14, 24 décembre 1483.
17 Par ex. ADCO, B II 360/5, 30, 548, 16 février 1453 ; B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454 ; B II 360/10, 24 juillet 1467 ; B II 360/11, 29 juillet 1468 ; B II 360/12, 1476.
18 Voir notamment Allez lui dire… (no 54) et Puisqu’elle m’a fermé son huis (no 743), Alice Tacaille, L’air et la chanson. Les paroliers sans musique au temps de François Ier, mémoire inédit d’habilitation, Université Paris-Sorbonne, vol. 2, p. 37-38, 170-173 et 251 [En ligne], consulté le 01 juillet 2025, https://shs.hal.science/tel-02299475v1.
19 ADCO, B II 360/10, 8 juin 1466. Pour un autre cas, B II 360/17, 7 décembre 1503.
20 ADCO, B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454.
21 ADCO, B II 360/8, 39, 55, 21 octobre 1461.
22 ADCO, B II 360/1, 4, 11, 27 août 1422.
23 Pour les violences sur les animaux, voir AN, JJ 131, 161, fol. 99, octobre 1387 ; ADCO, B II 360/4, 24, 369, 16 août 1449 ; B II 360/10, 13 septembre 1466. Pour les incendies et menaces, AN, JJ 114, 282, fol. 148, avril 1379 ; ADCO, B II 360/5, 31, 627, 13 mai 1454.
24 ADCO, B II 360/12, 27 décembre 1475.
25 Rossiaud, La prostitution…, op. cit., p. 236, note 4.
26 AN, JJ 136, 94, fol. 50v, août 1389.
27 Archives départementales des Landes, E DÉPÔT 88 AA 4, fol. 8, XVe siècle.
28 Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin-français, Paris, Hachette, 1934, p. 1680.
29 Jean Froissart, Chroniques, éd. Jean-Antoine Buchon, Collection des chroniques nationales françaises, Paris, Verdière, vol. 1, 1840, p. 155.
30 Jean de Haynin, Mémoires de Jean, Sire de Haynin et de Louvignies 1465-1477, éd. Renier Hubert G. Chalon, vol. 1, Mons, Hoyois, 1842, p. 95.
31 Olivier de la Marche, Mémoires, éd. Henri Beaune et Jean d’Arbaumont, Paris, Renouard, 1884, vol. 2, p. 336.
32 Froissart, Chroniques…, op. cit., 1838, vol. 2, p. 208.
33 Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, Vieweg, 1884, vol. 3, p. 457.
34 Froissart, Chroniques…, op. cit., 1838, vol. 2, p. 197, 209 et 357 ; Chroniques de Jean Froissart, éd. Siméon Luce, Paris, Renouard, vol. 2, 1870, p. 312.
35 AN, JJ 123, 39, fol. 21, juillet 1383.
36 AN, JJ 150, 142, fol. 72v, septembre 1396.
37 Voir Christophe Furon, « “Et libido precipitare consuevit” : viols de guerre à Soissons en 1414 », Questes, 37, 2018, p. 90-91. Quentin Verreycken observe également cette assimilation dans l’ordonnance de Charles le Téméraire (mai 1476), interdisant à ses soldats de « violer nulles eglises ne femmes ». Voir Idem, « Le soldat face au sacré : la lutte contre le viol des femmes et des lieux saints dans les armées de Charles le Hardi (1465-1477), moyen de promotion d’un nouveau modèle de comportement des gens de guerre ? », in Laurent Jalabert et Stefano Simiz (dir.), Le soldat face au clerc, armée et religion en Europe occidentale (XVe-XIXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 163-178.
38 Françoise Héritier (dir.), De la violence, vol. 1, Paris, 1996, p. 19.
39 Mary Douglas en propose une compréhension stimulante dans « Modèles corps/maison du monde : le microcosme comme représentation collective », Sociétés, 89/3, 2005, p. 43-62.
40 Par ex. ADCO, B II 360/20, 24 avril 1509 ; B II 360/20, 18 août 1510 ; B II 360/22, 18 avril 1513.
41 ADCO, B II 360/12, 21 février 1473 ; B II 360/12, 17 mars 1473.
42 Bernard Chevalier, « Bonnes villes, villes closes », in idem, Les bonnes villes de France, Paris, Aubier, 1982, p. 46-56.
43 Élodie Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Studies in European Urban History, IV, Turnhout, Brepols, p. 282-283. Lisa Demets et Jan Dumolyn, « La ville comme Sainte Vierge. Un aspect de l’idéologie urbaine en Flandre médiévale (fin du XIVe-début du XVIe siècle », in Christopher Fletcher et Emmanuelle Vagnon (dir.), Le Moyen Âge dans le texte, vol. II, Au-delà de l’écrit, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021, p. 255-726.
44 Mireille Vincent-Cassy, « Viol des jeunes filles et propagande politique en France à la fin du Moyen Âge », in Louise Bruit Zaidman et al. (dir.), Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001, p. 117-140.
45 ADCO, B II 360/5, 31, 634, 30 juin 1454. ADCO, B II 360/11, 29 juillet 1468.
46 ADCO, B II 360/4, 452, 19 avril 1450 ; B II 360/14, 14 novembre 1480.
47 La première mention d’une telle ceinture, qui apparaît dans le Belli Fortis de Konrad Kyeser en 1405, laisse en effet deviner que l’objet recouvre seulement une dimension satirique, l’ouvrage en question consistant en l’illustration d’instruments et de machines de siège fantaisistes. Voir Albrecht Classen, The Medieval Chastity Belt: A Myth-making Process, Londres, Palgrave Macmillan, 2008.
48 Pascal Dibie plaide également pour cette interprétation. Voir son Ethnologie de la porte, Paris, Métailié, 2012, p. 87 sq.
49 ADCO, B II 360/5, 30, 538, 7 janvier 1453 ; 30, 548, 16 février 1453.
50 Jean-Luc Dufresne, « Les comportements amoureux d’après les registres de l’officialité de Cerisy (XIVe-XVe siècles) », Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques et scientifiques, 1973, p. 131-156, p. 143.
51 ADCO, B II 360/8, 39, 37, 1461-1465.
52 Myriam Soria, « Violences sexuelles à la fin du Moyen Âge : des femmes à l’épreuve de leur conjugalité ? », Dialogue, 208, 2015, p. 57-70.
53 Le Ménagier de Paris, ms Fr 12477, BnF, XVe siècle, fol. 20.
54 AN, JJ 118, 99, fol. 53, novembre 1380.
55 AN, JJ 121, 192, fol. 102, octobre 1382. Lucie Laumonier observe en effet l’émergence d’une spécialisation des pièces et l’apparition d’une chambre à coucher réservée à cette seule fonction dans les maisons d’artisans aisés de Montpellier au XIVe siècle. Voir idem, Solitudes et solidarités en ville. Montpellier, mi XIIIe-fin XVe siècle, Turnhout, Brepols, 2015, p. 66 sq.
56 ADCO, B II 360/11, 25 juillet 1468.
57 La selle peut d’ailleurs servir d’arme de fortune aux victimes, voir ADCO, B II 360/14, 8 décembre 1483.
58 ADCO, B II 360/6, 34, 772, 25 avril 1467.
59 ADCO, B II 360/8, 25 avril 1463.
60 Stéphanie Chapuis-Després, « Sorties sous contrôle : les femmes bourgeoises dans l’espace urbain du Saint-Empire romain germanique (XVIe-XVIIe siècle), Clio. Femmes, Genre, Histoire, 47, 2018, p. 199-228.
61 AN, JJ 98, n. 306, fol. 95, mai 1365.
62 Pour le siècle suivant, Diane Roussel note bien cette dichotomie diurne/nocturne, la porte incarnant un effet de seuil beaucoup plus fort de nuit. Voir idem, « Effets de seuils : espace public et privé à Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle », in Travaux de l’Institut géographique de Reims, Reims, 31/121-122, 2005, p. 126 sq.
63 Jean-Claude Kaufmann, « Portes, verrous et clés : le rituel de fermeture du chez-soi », Ethnologie française, XXVI/2, 1996, p. 280-288, p. 281.
64 Chanson XXIV, éd. Gaston Paris et Auguste Gevaert, Chansons du XVe siècle d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris, Paris, Firmin-Didot, 1875, p. 27-28.
65 Thierry Dutour, Sous l’empire du bien. « Bonnes gens » et pacte social (XIIIe-XVe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 320-321.
66 Les latrines sont encore loin d’être courantes en ville à la fin du Moyen Âge. En 1451, à Dijon, la maison d’un artisan modeste n’en est pas équipée, permettant à un locataire ayant tenté de violer la maîtresse de maison d’alléger un simple déplacement hors de sa chambre pour aller « chier » dans la rue en pleine nuit, ADCO, B II 360/4, 27, 472, 13 octobre 1451.
67 À propos de la relation entre bâti urbain, hiérarchie sociale et rapports de genre, Christopher Fletcher, « Gouvernance, genre et culture matérielle dans les villes anglaises du bas Moyen Âge », in Luc Bourgeois et al. (dir.), La culture matérielle : un objet en question, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 225-236.
68 À Dijon, même la nièce du maire, qui était sortie seule en journée, subit une tentative de viol en pleine rue, ADCO, B II 360/16, 24 octobre 1504.
69 Christiane Klapisch-Zuber, « Les femmes dans les espaces publics de la ville italienne (XIVe-XVe siècles) », in Michal Tymowski (dir.), Anthropologie de la ville médiévale, Varsovie, Wydawnictwo DiG, 1999, p. 83-90.
70 ADCO, B II 360/10, 24 juillet 1467.
71 Le Ménagier de Paris…, op. cit., fol. 4v-5.
72 Rossiaud, La prostitution…, op. cit., p. 240, note 1.
73 Mireille Vincent-Cassy, « Dedans et dehors : les domestiques à la fin du Moyen Âge », in Gert Melville et Peter von Moos (dir.), Das Öffentliche und das Private in Mittelalter und Früher Neuzeit, Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 1998, p. 499-525.
74 ADCO, B II 360/1, 8, 3, 22 avril 1431.
75 Anita Guerreau-Jalabert, « Occident médiéval et pensée analogique : le sens de spiritus et caro », in Jean-Philippe Genet (dir.), La légitimité implicite, Paris/Rome, Éditions de la Sorbonne/Publications de l’École française de Rome, 2015, vol. 1, p. 462.
76 ADCO, B II 360/6, 33, 729, 13 juin 1456.
77 ADCO, B II 360/5, 30, 607, 18 décembre 1453.
78 ADCO, B II 360/12, 13 novembre 1474.
79 ADCO, B II 360/2, 11, 105, 30 mars 1434.
80 ADCO, B II 360/3, 22, 308, 29 juillet 1447.
81 ADCO, B II 360/6, 32, 688, 28 avril 1455 ; B II 360/6, 32, 715, 1er décembre 1455 ; B II 360/7, 38, 969, 13 juin 1460 ; B II 360/11, 26 mai 1468 ; B II 360/11, 10 juillet 1468 ; B II 360/13, 11 novembre 1476 ; B II 360/14, 28 octobre 1483 ; B II 360/14, 7 novembre 1485.
82 AN, JJ 145, 61, fol. 29, octobre 1393.
83 Jeremy Goldberg, « Pigs and prostitues: streetwalking in comparative perspective », in Katherine J. Lewis, Noël James Menuge et Kim M. Phillips (dir.), Young Medieval Women, Stroud, Sutton, 1999, p. 172-193.
84 AN, JJ 144, 337, fol. 200, juin 1393.
85 Archives départementales du Nord, B 655 et B 1276, 2 janvier 1394 (le rôle est déchiré en deux).
86 Nous laissons volontairement de côté les quelques affaires de viol conservées aux ADCO pour la période 1486-1500, la série B II 360 étant perturbée par une raréfaction des plaintes qui cessent en grande partie d’être archivées au profit des seuls interrogatoires, ce qui nous interdit toute comparaison.
87 Par ex. ADCO, B II 360/12, 17 août 1472.
88 AN, JJ 107, 30, fol. 17, mai 1375.
89 AN, JJ 153, 155, fol. 96, mars 1398.
90 Nicole Gonthier, « Mala fama et honneste conversacion, les critères de la morale populaire d’après les sources judiciaires aux XIVe et XVe siècles », in Benoît Garnot (dir.), Ordre moral et délinquance de l’Antiquité au XXe siècle, Actes du colloque de Dijon, 7 et 8 octobre 1993, Dijon, 1994, p. 33-46. À propos du lien entre consommation d’alcool, renommée féminine et violences sexuelles, Carissa M. Harris, « “A drunken cunt hath no porter” : Medieval Histories of Intoxication and Consent », Medieval Feminist Forum. A Journal of Gender and Sexuality, 54/2, 2019, p. 109-134.
91 ADCO, B II 360/3, 22, 313, 31 août 1447.
92 ADCO, B II 360/14, 7 novembre 1485.
93 ADCO, B II 337/4, fol. 11bis C (foliotation médiévale), 28 novembre 1485 ; fol. 13bis B, 3 janvier-21 mars 1486.
94 Louis Tanon, Registre criminel de Saint-Martin-des-Champs au XIVe siècle, Paris, Willem, 1877, p. 40-43.
95 Ibid., p. 187-188.
96 Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, Éditions Complexe 1992 [Hachette 1978], p. 247.
97 Ibid., p. 293.
98 Valérie Toureille, « Une contribution à la mythologie des monarchies du crime : le procès des Coquillards à Dijon en 1455 », Revue du Nord, 371, 59, 2007, p. 495-506.
99 Bernard Schnapper, « La répression du vagabondage et sa signification historique du XIVe au XVIIIe siècle », Revue d’histoire du droit français et étranger, 2, 1985, p. 143-157. À Dijon, le recensement obligatoire des étrangers est instauré en 1510, Archives municipales de Dijon (désormais AMD), B 168, fol. 191.
100 Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus, ms Fr 25 636, BnF, 1405, chap. XLIV, fol. 87.
101 Ibid., chap. XLII, fol. 83v.
102 Florence Journot, La maison urbaine au Moyen Âge. Art de construire, art de vivre, Paris, Picard, 2018, p. 212 sq.
103 Addition faite des amendes arbitraires enregistrées dans les comptes municipaux (AMD, M 47-80), les délibérations échevinales (AMD, B 130-166) et les papiers du procureur de la ville (ADCO, B II 337/1-6). Pour un homme avec une femme, AMD, M 50, fol. 11v B, 1401-1402. Pour les femmes, M 50, fol. 35 B, 1402-1403 ; M 53, fol. 43v D, fol. 45v B, C et D, 1410-1411 ; M 55, fol. 318v A, 1418-1419 ; M 57, fol. 149v G, 1427-1428 ; M 58, fol. 173v A, 1432-1433 ; M 59, fol. 200 A, 1442-1443 ; M 61, fol. 82 A, 1439-1440.
104 Joël Cornette et Claude Gauvard, « La rue de tous les dangers », in Danielle Tartakowsky (dir.), Histoire de la rue : de l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, 2022, p. 173-180.o
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Titre | Figure 1. Espace du viol dans les lettres de rémission des rois de France (1330-1483, n = 212)13 |
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Titre | Figure 2. Espace du viol dans les informations judiciaires de Dijon (1386-1486, n = 121)14 |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Maëliss Nouvel, « Violer la femme, violer la maison : une reconfiguration des rapports de genre dans l’espace urbain français de la fin du Moyen Âge », Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/10631 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149ul
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