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Travaux soutenus

Brigitte Dionnet, Politique et pauvreté des femmes à Paris 1789-1804

Thèse de doctorat en histoire moderne, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Pierre Serna, soutenue le 14 décembre 2024.

Avec cette thèse, il s’agit de mieux connaitre celles qui demeurent encore trop les invisibles de l’histoire en général, et celles de la Révolution française en particulier : les femmes, notamment les plus pauvres d’entre elles. Certes, d’importants travaux ont ouvert la voie, tels ceux de Dominique Godineau consacrés aux femmes du Paris populaire, et ceux d’Arlette Farge, Daniel Roche ou encore Haim Burstin sur la pauvreté à Paris. Les éléments fournis par ces recherches m’ont invitée à mieux connaitre la réalité de leurs conditions de vie – sociale, économique, familiale – et leur activité politique, en approfondissant l’enquête sur les orientations et la mise en œuvre des politiques menées à leur égard par les différents pouvoirs au cours des quinze années étudiées. Cet objectif m’a conduite à chercher dans les archives leurs paroles et les traces de leurs actes. Or leur présence n’était pas forcément répertoriée dans les inventaires des fonds révolutionnaires. C’est notamment le cas de la sous-série F/15, qui a toutefois fourni de précieuses et nombreuses sources sur le sujet. En croisant ces informations avec celles fournies par les archives de l’Assistance Publique, du Département ou de la Préfecture de Police de Paris, l’enquête a permis de découvrir autant la diversité des Parisiennes pauvres que l’homogénéité de leur situation, conséquence de la « double peine » de leur genre et de leur situation sociale. Celle-ci apparaît comme un vecteur important du déploiement de leur agentivité porteuse de révolution en donnant un caractère singulier au processus révolutionnaire. Sur une population urbaine d’environ 650 000 personnes, la pauvreté ne concernait pas toutes les femmes de Paris mais allait largement au-delà des franges considérées alors comme indigentes, estimées à environ un cinquième de la population. On peut notamment repérer les femmes concernées par cette étude dans les listes établies par les sections pour les faire bénéficier des lois attribuant des secours comme celles des 19 mars et 28 juin 1793, ou celle 16 ventôse an II (6 mars 1794), mais aussi grâce aux états de compte des 48 comités de bienfaisance établis pour la commission centrale de bienfaisance de l’an IV à l’an VII. Ces différentes listes révèlent que celles qui nécessitent des secours sont le plus souvent des travailleuses.

La première partie de la thèse porte sur la caractérisation de ces femmes pauvres, tant d’un point de vue social que politique, avec une analyse de leurs conditions de vie et de travail – revenus, logement, famille – et de la façon dont leur situation les conduit à un engagement citoyen et politique original, qu’il faut mettre en rapport avec les choix effectués par les différents pouvoirs à leur égard. Par exemple, ont été examinées les conséquences pour ces femmes, du passage d’une politique nationale de secours ouvrant des droits établis et octroyés selon des critères prédéfinis nationalement en 1793, à une politique fondée sur des démarches individuelles de personnes réclamant des secours auprès des autorités par le Directoire, qui abolit la législation précédente le 7 frimaire an V (27 novembre 1796).

La deuxième partie se propose de discuter, à partir de la question de la maternité, la soumission des femmes concernées aux obligations conférées par « la Nature ». Il apparaît qu’elles exercent, ou veulent exercer, leur citoyenneté à partir de leurs exigences révolutionnaires pour leur vie et leur famille. L’étude tend à démontrer qu’elles construisent leur rapport à la politique à partir de leur situation socio-économique et aux exigences qu’elles en tirent à l’égard du processus révolutionnaire et non en fonction de ce que le fait d’être mère supposait leur conférer comme identité.

Les ouvrières pauvres travaillant dans les deux ateliers de filature publics mis en place à leur intention par la Constituante à la suite du décret du 30 mai 1790, sont au cœur de la troisième partie de la thèse. Ces ateliers emploient des centaines d’ouvrières dans des couvents réquisitionnés : l’un sur la rive gauche de la Seine, les « Jacobins/Midy », et l’autre au nord de la ville, les « Récollets/Nord ». Le nombre de travailleuses évoluait chaque semaine car elles pouvaient n’être employées que pour quelques semaines ou rétribuées à la tâche. À l’atelier des Jacobins/Midy, on en dénombre 1 798 entre février et octobre 1794, et 713 à l’atelier des Récollets en mars 1794. Durant cette période (1794-1798), elles revendiquent de meilleures conditions de travail et de rémunération et agissent collectivement pour les obtenir. Dans cette lutte, elles s’inscrivent dans les débats politiques du Paris révolutionnaire et investissent les structures démocratiques en place pour mieux se faire entendre. C’est le cas par exemple en floréal an II (mai 1794) quand les ouvrières de l’atelier des Jacobins envoient une pétition au Comité des Secours. Elles souhaitent alerter sur le fait que « Les mères de familles chargées de 4 et 6 enfans ne peuvent plus vivre par la modicité du prix de leur coton » et que les réponses apportées ne les satisfont pas. Elles décident alors de demander le soutien des sociétés populaires des sections Chaslier et Ami du Peuple les 16 et 21 floréal an II (5 et 10 mai 1794). Celles-ci les appuient et produisent un rapport soutenant leurs revendications et invitant les autorités à agir pour qu’un certain nombre de réponses positives leur soient apportées.

Après le changement politique opéré après Thermidor an II, la nature et l’importance de leur mobilisation a conduit le nouveau pouvoir à les museler, en mettant fin à l’existence de leur lieu de travail collectif – les ateliers –, ce qui contribuait à faire disparaître l’expression de leurs volontés collectives. Le texte final de l’arrêté qui décrète la fermeture des ateliers le 2 messidor an III (20 juin 1795) précise en effet : « Le comité des secours publics considérant qu’il s’est introduit beaucoup de désordre et d’abus dans les ateliers de filature établis à Paris que les ouvrières ne sont assujetties à aucune subordination ni règle » et décide donc que « le seul moyen de pourvoir à ces inconvénients est de supprimer le travail qui se fait dans l’intérieur de ces ateliers et d’y substituer le travail à domicile ».

Ainsi, pauvreté des femmes et politique sont bien deux termes qui se nourrissent l’un l’autre. C’est à leur intersection que l’on peut repérer la volonté des femmes pauvres d’intervenir sur leurs affaires privées et publiques, et leur capacité à peser dans le processus politique révolutionnaire. Des dernières années de la monarchie aux débuts de la République, du Comité de Salut Public au Directoire puis à l’Empire et au Code civil, qui organise la société patriarcale du XIXe siècle, se dégage le lien étroit entre les politiques à l’égard des femmes pauvres et les mesures menées en direction du peuple en général, qu’il s’agisse de la politique de secours publics ou de celle de la famille, de l’organisation de la vie démocratique ou de sa répression.

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