Navigation – Plan du site

AccueilNumeros35Comptes rendusNicole Brisch et Fumi Karahashi, ...

Comptes rendus

Nicole Brisch et Fumi Karahashi, Women and religion in the ancient Near East and Asia

Boston, De Gruyter, 2023, 300 p.
Louise Quillien
Référence(s) :

Nicole Brisch et Fumi Karahashi, Women and religion in the ancient Near East and Asia, Boston, De Gruyter, 2023, 300 p.

Texte intégral

  • 1 C. Michel et B. Lion, The Role of Women in Work and Society in the Ancient Near East, Berlin/Boston (...)
  • 2 Depuis la première conférence GeMANE organisée à Helsinki en 2014, une rencontre a lieu presque tou (...)

1Cet ouvrage collectif publié sous la direction de Nicole Brisch et Fumi Karahashi est le fruit de deux journées d’étude consacrées aux femmes et à la religion dans le Proche-Orient ancien et en Asie, organisées en 2015 et 2017 dans le cadre d’une collaboration scientifique entre l’Université de Copenhague et l’Université de Chuo de Tokyo. L’ouvrage porte principalement sur le Proche-Orient ancien, en s’ouvrant également à d’autres aires géographiques, avec des contributions sur la Chine, l’Égypte et le monde méditerranéen, du IIIe millénaire av. J.-C. à l’Antiquité tardive. Les éditrices se réfèrent, dans leur introduction, aux travaux fondateurs de Judith Butler sur le genre et inscrivent ce volume dans la continuité des avancées récentes dans le domaine de l’histoire des femmes et du genre en assyriologie. Elles adoptent une approche méthodologique rigoureuse, fondée prioritairement sur l’analyse des sources anciennes, dans la lignée de l’ouvrage de Cécile Michel et Brigitte Lion1 et des travaux issus des conférences internationales Gender, Methodology, and the Ancient Near East2. Nicole Brisch et Fumi Karahashi donnent à leur ouvrage une ambition politique, soulignant l’intérêt que présentent, pour notre société actuelle, les recherches mettant en lumière le rôle des femmes dans l’histoire. Elles affirment, en particulier, qu’étudier les femmes dans le domaine religieux permet d’ouvrir de nouvelles perspectives dans une histoire des religions encore marquée par les figures des leaders charismatiques et par l’importance accordée au texte écrit.

2L’ouvrage débute par l’état des lieux des travaux, proposé par Yuko Matsumoto, sur l’histoire des femmes et du genre au Japon. Ce courant de recherche s’inscrit dans une tradition ancienne précédant la Seconde Guerre mondiale. Il se développe au Japon dans les années 1970 et 1980 sous l’influence anglo-américaine, tout en étant porté par le mouvement féministe japonais. L’ouvrage Genre et histoire politique de Joan Scott est traduit en japonais en 1992, et la Gender History Association of Japan est fondée en 2004. L’une des spécificités du développement des études sur les femmes et le genre au Japon réside dans le rôle pionnier de chercheuses indépendantes, sans poste universitaire, telles qu’Itsue Takamure, qui a interrogé les origines antiques du système familial patrilinéaire. Bien que ses travaux soient aujourd’hui dépassés, elle a ouvert un champ de recherche central pour l’histoire des femmes et du genre au Japon. Dans ce domaine, les études récentes ont montré la diversité historique des systèmes familiaux et le caractère plutôt récent du système patriarcal qui imprègne encore aujourd’hui la société japonaise. Selon Y. Matsumoto, ces recherches peuvent avoir un impact dans la société japonaise contemporaine, dans un contexte où l’histoire des femmes demeure un champ d’étude secondaire, même si l’enseignement du genre est présent dans la plupart des universités.

3Après cette ouverture, la première partie de l’ouvrage explore le rôle économique et politique des femmes dans le domaine religieux. Agnès Garcia-Ventura et Fumi Karahashi montrent qu’au IIIᵉ millénaire av. J.-C., dans la cité sumérienne de Lagash, des femmes issues de l’élite contribuaient au financement des cérémonies religieuses à travers des offrandes alimentaires, en mobilisant un capital foncier. Les autrices analysent leur capacité d’action à l’aide du concept d’agentivité (agency) et la comparent à celle des hommes impliqués dans ces mêmes offrandes. Yoko Watai s’intéresse également à l’implication économique des femmes dans le culte, en étudiant les activités des épouses de notables prébendiers de Borsippa, près de Babylone, au Ve siècle av. J.-C. Ces femmes participaient indirectement à l’économie des temples en gérant les revenus issus des prébendes de leurs maris. Elles n’étaient pas confinées dans l’espace domestique, mais exerçaient diverses activités économiques autonomes (gestion des finances familiales, transactions économiques et financières, négociations avec des partenaires commerciaux). Katsuji Sano examine quant à elle le rôle politique des femmes dans les alliances diplomatiques assyriennes à travers les mariages royaux, où les filles et sœurs de rois étrangers, bien que disposant de peu d’initiative, jouaient un rôle stratégique. Huang Haijing étudie enfin la politique menée par l’impératrice Wu Zetian (v. 624-v. 705) dans le développement du bouddhisme en Chine. Elle insiste, non seulement sur les objectifs religieux et politiques de Wu Zetian, mais aussi sur la manière dont elle a utilisé les ressources générées par les temples comme outil économique pour l’affirmation de son pouvoir.

4La deuxième partie du volume est consacrée aux prêtresses. Seraina Nett analyse les fonctions et responsabilités des grandes prêtresses du dieu Nanna à Ur, portant le titre sumérien d’en, aux IIIᵉ et IIᵉ millénaires. Grâce aux textes administratifs provenant de Puzrish-Dagan et d’Ur, on dispose de quelques indices sur l’organisation du culte, le personnel qui entourait ces prêtresses, et par conséquent sur les responsabilités rattachées à cet office. Nicole Brisch étudie ensuite deux prêtrises féminines associées au dieu Ninurta à Nippur à l’époque paléo-babylonienne, dont les titres sumériens sont nin et nin-dingir. Elle réalise une analyse approfondie des attestations de ces deux sacerdoces et propose des hypothèses sur leurs fonctions rituelles. Elle rappelle également que les études de genre ont permis de remettre en cause des idées reçues sur les prêtresses en Mésopotamie, telles que l’existence d’une prostitution sacrée ou encore le célibat supposé de certaines femmes consacrées. Puis, Ada Taggar-Cohen s’intéresse à la figure de la prêtresse portant le titre de nin dingir dans les rituels hittites. Elle présente une conjonction d’arguments en faveur de l’identification de cette prêtresse, présente lors des principales fêtes religieuses du royaume selon les textes de rituels, à la sœur du roi. Ces trois études montrent l’importance qu’ont, pour notre connaissance des prêtresses, les inscriptions royales, les textes votifs ou les rituels. En revanche, les femmes sont rarement attestées dans les textes de la pratique et les détails manquent sur les aspects concrets de leurs activités. Dans la dernière contribution de cette partie, Ulla Koch propose un panorama des pratiques de divination féminine en Mésopotamie, soulignant que, contrairement aux hommes, les femmes n’avaient pas accès à la divination savante, c’est-à-dire fondée sur l’étude des textes. Cependant, certaines femmes, de différents statuts sociaux, pratiquaient la divination par un contact direct avec le divin à travers des rêves ou des visions prophétiques.

5La troisième partie de l’ouvrage rassemble des contributions portant sur les déesses. Sophus Helle analyse l’usage des invocations dans L’Exaltation d’Inanna, texte composé par la première poétesse connue, Enheduana (XXVIIIe siècle av. J.-C.), fille du roi Sargon d’Akkad et grande prêtresse d’Ur. Elle souligne le rôle structurant des invocations dans la composition du texte et les effets stylistiques qu’elles visent à produire. Puis, Piotr Michalowski présente un état des lieux des connaissances sur l’eme-sal, un registre linguistique distinct du sumérien standard, autrefois qualifié à tort de langage des femmes ou des déesses. Il présente les différentes manières d’exprimer le genre féminin dans la langue sumérienne, passe en revue les usages de l’eme-sal, avant de faire le point sur les interprétations qui en ont été données dans l’historiographie. Selon P. Michalowski, l’eme-sal représente un « style » de langage étroitement lié au chant et à l’expression des émotions, dont les usages, bien qu’hétérogènes, orbitent autour du féminin et de pratiques rituelles liées à des évènements cruciaux de la vie. Dans la troisième contribution de cette section, Troels Arbøll, étudie la symbolique du scorpion au Ier millénaire av. J.-C. en Assyrie et en Babylonie, notamment dans les textes médicaux et astronomiques. Cet animal, associé à la déesse Išḫara et symbole des reines assyriennes, était lié à la fertilité et à la maternité. Les deux articles suivants portent sur des régions voisines de la Mésopotamie. Carolina López-Ruiz enquête ensuite sur la figure d’Aphrodite, d’Ashtart et de leurs équivalents dans l’espace méditerranéen aux VIIIᵉ et VIIᵉ siècles av. J.-C. Elle montre que l’on prêtait à ces déesses des pouvoirs liés à la fertilité et à la maternité, mais aussi à la prospérité du commerce, notamment maritime, univers dominés par les hommes. Ces cultes ont participé à la formation d’une culture commune hybride. Nozomu Kawai présente pour finir une recherche sur les statues de déesses-lionnes découvertes dans des chambres taillées dans la roche au nord-ouest du site de Saqqara. Elle retrace, à travers les transformations subies par ces objets, l’évolution du culte de ces divinités dans la nécropole memphite, de la IVᵉ dynastie à la fin du Moyen Empire égyptien.

6Ce volume représente une contribution importante à l’histoire des femmes et du genre au Proche-Orient ancien. S’il existait un certain nombre d’études portant sur les prêtresses et les déesses, les travaux présentés ici montrent qu’il reste encore des recherches à mener pour saisir toutes les facettes du rôle concret des femmes dans le culte et dans la société. Les auteurs des différents articles tirent parti de toutes les informations disponibles, dans une grande variété de sources écrites, alors même que les femmes y sont généralement peu représentées. L’ouvrage présente également le parti pris de traiter, de manière élargie, des multiples relations entre les femmes et la religion au Proche-Orient ancien, en considérant en particulier l’implication des femmes dans les aspects politiques et économiques de la vie religieuse. En cela, les éditrices proposent une approche renouvelée de ce champ d’études et ouvrent la voie à de futures recherches.

Haut de page

Notes

1 C. Michel et B. Lion, The Role of Women in Work and Society in the Ancient Near East, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016.

2 Depuis la première conférence GeMANE organisée à Helsinki en 2014, une rencontre a lieu presque tous les deux ans, la septième étant prévue en juin 2026 à Rome. Les premiers volumes des actes de ces rencontres sont édités : S. Svärd et A. Garcia-Ventura, Studying Gender in the Ancient Near East, Eisenbrauns/Penn State University Press, University Park, 2018 ; S. L. Budin et al., Gender and Methodology in the Ancient Near East: Approaches from Assyriology and Beyond, Barcelone, Universitat de Barcelona Edicions, 2018 ; K. de Graef et al., The mummy under the bed: essays on gender and methodology in the Ancient Near East, Münster, Zaphon, 2022.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Louise Quillien, « Nicole Brisch et Fumi Karahashi, Women and religion in the ancient Near East and Asia »Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/10919 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149tw

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search