Anna Tatarkiewicz, The cursus laborum of Roman Women: Social and Medical Aspects of the Transition from Puberty to Motherhood
Anna Tatarkiewicz, The cursus laborum of Roman Women: Social and Medical Aspects of the Transition from Puberty to Motherhood, Londres-New York, Bloomsbury Academic, 2023, 257 p.
Texte intégral
1Anna Tatarkiewicz, professeure d’histoire de l’Université Adam Mickiewicz de Poznan, a entrepris dans ce livre de décrire ce qu’elle appelle le cursus laborum des femmes à Rome dans l’Antiquité. Ce cursus laborum comprend l’ensemble des époques de la vie de ces femmes : la naissance, l’enfance, les fiançailles, le mariage, l’enfantement, la maternité et le veuvage, le divorce, ou le remariage (p. 2). Dans l’ensemble de ces étapes, la plus importante socialement est l’enfantement, précédé dans des sources qui s’intéressent essentiellement aux matrones, par le mariage. C’est pourquoi l’autrice s’intéresse à la mère in statu nascendi (p. 5), lorsqu’elle devient une mère (on peut donc trouver que le titre de l’ouvrage ne correspond pas vraiment à son contenu) et plus généralement à la suite logique des événements qui la conduisent du mariage au dies lustricus marquant l’entrée officielle dans la famille de l’enfant dont elle vient d’accoucher. Cet ouvrage traite notamment de la question de la santé des femmes en rapport avec celle de l’enfantement, dans un sens large : problèmes de fertilité, accès à des contraceptifs, soins lorsqu’elles sont enceintes et après, etc. C’est pourquoi l’autrice a utilisé essentiellement des sources médicales (Pline, Soranos, Caelius Aurelianus, Theodorus Priscianus, Muscio,) et parfois littéraires. Ces écrits ont tous été rédigés par des hommes, et ce que nous lisons, ce sont donc les points de vue des hommes sur ces femmes qui deviennent des mères. L’autrice utilise aussi tout au long de l’ouvrage des inscriptions afin de recouper ce que disent les sources littéraires. Les sources utilisées datent de la période impériale (ier-ive s.), des « Romains » en général sans qu’il soit spécifié de qui il s’agit (p. 8).
2L’ouvrage se divise ensuite en six chapitres. Le premier porte sur le mariage comme institution sociale et cadre de la production des enfants légitimes à Rome. Est étudiée la question de la pression sociale autour de l’enfantement, certains hommes critiquant les femmes sans enfants tout en véhiculant un discours négatif sur les conséquences de la maternité sur le corps des femmes ou sur la charge que représentent les enfants. Cette pression sociale explique que la contraception et l’avortement pour limiter le nombre de grossesses suscitent chez les hommes une grande méfiance, les femmes qui recourent à ces méthodes étant accusées de prendre cette décision seule, sans en référer à leur mari. Sont ensuite exposées les méthodes de contraception et d’avortement connues dans l’Antiquité romaine, méthodes qui relèvent à la fois de la médecine, de la magie, des comportements pendant l’acte sexuel.
3Le deuxième chapitre s’intéresse à la période de la vie des femmes à partir de la puberté. Elles se préparent alors à se marier, très jeunes, et à devenir mères. Les discours tenus sur les menstruations sont analysés : en quoi elles altèrent la santé des femmes et quelles sont les propriétés médicales, voire magiques, prêtées au sang menstruel. Le décès des filles en bas âge était par ailleurs douloureusement ressenti car il ruinait les espoirs de mariage et de perpétuation de la famille. La crainte ne se focalisait pas tant sur les grossesses non désirées, que sur l’infertilité, qui était presque toujours imputées aux femmes. Les normes sociales conduisaient ainsi à une intériorisation, chez les femmes, de la nécessité d’être fertiles. Les médecins cherchaient à déterminer les conditions qui feraient d’une jeune fille une femme féconde et tentaient de concevoir des remèdes à la stérilité pensée principalement comme d’origine féminine, mais aussi parfois masculine (l’impuissance étant conçue comme une cause de stérilité du couple). Enfin, on s’adressait aux dieux pour leur demander de remédier à la stérilité d’un couple (donc surtout de l’épouse) ou pour les remercier d’être intervenus dans ce sens.
4Le troisième chapitre porte sur les femmes qui s’occupent des femmes enceintes, medicae et sages-femmes (obstetrices). Ces professionnelles représentent une très faible part des inscriptions laissées par le corps médical de cette époque. Les inscriptions permettent d’observer qu’elles étaient soit des affranchies, soit des esclaves. La littérature médicale s’est largement employée à conseiller les sages-femmes dans leur activité auprès des femmes enceintes, surtout au moment de l’accouchement ou juste après la naissance. Pline en revanche, décrit les sages-femmes comme des fournisseuses de drogues abortives et d’aphrodisiaques.
5La quatrième partie porte sur la grossesse, essentiellement à partir des connaissances ou des croyances transmises par les discours médicaux sur les signes permettant de détecter si une femme est enceinte, sur les moyens d’influencer le genre du fœtus, sur les comportements à privilégier ou ceux à éviter pour la femme enceinte, sur les grossesses multiples, les fausses couches, sur les techniques permettant de déterminer les dates de début et de fin de grossesses. L’autrice rappelle que ces dates pouvaient avoir des conséquences légales importantes, en cas de veuvage, de remariage et d’enfants nés posthumes.
6La cinquième partie traite de l’accouchement. Sont étudiées les positions adoptées par les parturientes ainsi que les conditions des différentes phases du travail. L’autrice décrit d’abord l’accouchement normal, avant d’étudier les dystocies. Dans les cas extrêmes, la priorité était de sauver la mère, si bien que les médecins de cette époque développèrent des techniques visant à expulser le bébé par tous les moyens, y compris chirurgicaux. La mortalité de l’enfant ou/et de la mère était élevé au moment de l’accouchement, ce qui entraînait le recours fréquent à des pratiques à la fois religieuses et magiques.
7La dernière partie porte sur les premiers temps après l’accouchement, période pendant laquelle la mortalité chez les mères et les nouveau-nés semble également avoir été élevée. Cette période est caractérisée par un ensemble d’actes visant à modeler le corps de l’enfant. Le dies lustricus, qui voit l’enfant recevoir un nom, marque la naissance sociale de celui-ci comme sujet autonome mais appartenant à une familia.
8Au cours de la lecture, on a parfois l’impression que le livre d’Anna Tatarkiewicz hésite entre un travail de recherche, par l’analyse de textes qu’elle cite parfois longuement ou en recoupant les textes littéraires et les inscriptions, et une synthèse historiographique sur ce que disent les sources d’époque impériale sur ce moment de la vie des femmes pendant lequel elles deviennent mères. On peut aussi regretter le manque d’approfondissement sur certaines questions comme par exemple : les techniques abortives ; l’âge du mariage des filles ; les menstruations ; les questions légales autour de la fixation de la date de début de grossesse ; la nuit de noce (p. 44-45, sur laquelle il existe des sources qui ne sont pas utilisées ici, notamment poétiques), etc. Il s’agit donc d’un travail qui constituera pour les chercheurs comme pour les autres lecteurs une première approche référencée de ces questions, mais sans nouveauté.
Pour citer cet article
Référence électronique
Philippe Akar, « Anna Tatarkiewicz, The cursus laborum of Roman Women: Social and Medical Aspects of the Transition from Puberty to Motherhood », Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/10941 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149tx
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