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Comptes rendus

Pauline Milani, Profession sculptrice. Performance et transgression de genre sous le Second Empire

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2022, 254 p.
Julie Verlaine
Référence(s) :

Pauline Milani, Profession sculptrice. Performance et transgression de genre sous le Second Empire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2022, 254 p.

Texte intégral

1Dans l’histoire genrée de l’art comme dans de nombreux autres secteurs, la période du Second Empire a souvent été négligée, alors même que (peut-être aussi parce que) elle est un moment charnière essentiel, venant après l’ère des révolutions (1789-1850), et avant l’avènement de la République (1870-1914). Entre ces deux périodes de relative ouverture aux femmes des carrières artistiques, par l’abolition des corporations et la réforme des logiques d’atelier puis par la création de structures collectives mixtes ou non mixtes (notamment l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs en 1881), la période étudiée par Pauline Milani peut sembler, de prime abord, comme un moment plutôt marqué par le durcissement de la hiérarchisation entre les sexes et de leur séparation au sein d’un ordre social dominé par la bourgeoisie industrielle (p. 8). Or l’autrice montre qu’il n’en est rien et que dans l’art, comme ailleurs, de profondes transformations sont en marche, dont les effets ne seront vraiment visibles qu’a posteriori.

2L’étude porte sur les femmes qui, de plus en plus nombreuses, choisissent la sculpture comme moyen d’expression artistique et sont reconnues pour leur maîtrise de cet art : au nombre de 3 en 1852, elles sont 13 en 1865 et 43 en 1880 à participer au Salon. Cinq d’entre elles, les plus célèbres, sont étudiées dans l’ouvrage : Marcello, Claude Vignon, Marie-Louise Lefèvre-Deumier, Fanny Dubois-Davesne et Hélène Bertaux – sans toutefois que les critères ayant présidé à ce choix soient vraiment explicités, hormis leur « succès », notion bien relative et sujette à nuance.

3À partir de ces destins croisés de créatrices, l’enjeu central du travail mené par Pauline Milan est de comprendre la manière dont ces (quelques) femmes ont pu accéder à la profession de sculptrice, alors même que de fortes entraves matérielles et idéologiques leur en bloquaient l’accès, et de mesurer comment elles se sont affirmées individuellement dans une sphère artistique publique où leur présence était encore jugée illégitime.

4Le plan suivi, dans cette perspective, se révèle efficace : la première partie porte sur les conditions matérielles de la création (formation, carrière, lieux), la deuxième sur la posture des « femmes-artistes » et la performance de genre qu’elle suppose, et la troisième, sur la réception de leur travail de leur vivant ainsi que sur leur oubli posthume. La recherche est l’occasion de rappeler les obstacles nombreux à l’accès des femmes au métier d’artiste, à commencer par leur exclusion des lieux de formation (la non-mixité est la règle à l’École des Beaux-Arts de Paris, contrairement à des ateliers privés comme la célèbre Académie Julian fondée en 1868) et des lieux de socialisation. La reconnaissance comme professionnelles de l’art passe alors par l’exposition au Salon, où au début du XIXe siècle 2 % des sculpteurs sont des femmes, 8 % (un record) en 1880. Pauline Milani relève de nombreux indices d’une marginalisation des femmes, parmi lesquels l’absence de décorations ou de récompenses (Hélène Bertaux étant ici une exception à la règle). Surtout, l’étude des discours tenus sur leur parcours et leur œuvre permet de relever les attentes contradictoires qui pèsent sur elles en tant que femmes et en tant que sculptrices, et de souligner combien, pour elles aussi, la situation familiale a des effets importants, permettant parfois une plus grande liberté de création lorsqu’intervient le veuvage (p. 96) ou dans une situation de célibat (Claude Vignon). L’analyse des représentations iconographiques de ces artistes se double d’une étude de l’adoption d’un pseudonyme (masculin) comme posture pour nourrir une réflexion sur les transgressions de genre à l’œuvre dans ces carrières artistiques féminines, concluant à une difficile sororité, du moins avant 1880 et la création de l’Union des Femmes peintres et sculpteurs, avec son salon.

  • 1 Virginia Woolf, Rêves de femmes. Six nouvelles, édition et traduction de l’anglais par Michèle Rivo (...)

5La dernière partie de l’ouvrage porte sur l’effacement des traces et les processus par lesquels ces femmes ont disparu des récits et des mémoires sur l’art du XIXe siècle. Pauline Milani y voit l’effet cumulatif d’un discours sur l’art misogyne, de leur vivant déjà, et d’une histoire de l’art sexiste, dans les décennies suivant leur disparition, au sein de laquelle les stéréotypes de genre opposant création et reproduction, hommes et femmes, sont particulièrement vivaces pour délégitimer leur œuvre, d’autant plus que ces artistes, à l’exception notable de Marcello, n’ont pas préparé leur héritage mémoriel ni prévu les modalités de sa préservation de long terme. Manière de faire retour sur les « curieux espaces de silences », repérés par Virginia Woolf en 1929 dans son essai « Les femmes et le roman1 » pour caractériser ces moments de l’histoire où les voix des femmes ne sont plus audibles, et d’inviter à réfléchir à nouveaux frais au rapport entre histoire et mémoire, et donc plus largement au « matrimoine », appliqué aux créatrices d’hier et d’aujourd’hui.

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Notes

1 Virginia Woolf, Rêves de femmes. Six nouvelles, édition et traduction de l’anglais par Michèle Rivoire, précédé de l’essai « Les femmes et le roman » traduit et annoté par Catherine Bernard, Paris, Gallimard (coll. Folio classique), 2018.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julie Verlaine, « Pauline Milani, Profession sculptrice. Performance et transgression de genre sous le Second Empire »Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/11010 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149u2

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Auteur

Julie Verlaine

CETHIS (URP 6298), Université de Tours
julie.verlaine@univ-tours.fr

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