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Comptes rendus

Paule Petitier, La Pensée Sorcière. Michelet 1862

Paris, CNRS Éditions, 2024, 387 pages.
Michelle Zancarini-Fournel
Référence(s) :

Paule Petitier, La Pensée Sorcière. Michelet 1862, Paris, CNRS Éditions, 2024, 387 pages.

Texte intégral

1Paule Petitier, professeure de littérature française, spécialiste reconnue et éditrice de Michelet dans La Pléiade, nous propose une lecture fouillée de La Sorcière (1862). Son introduction expose les données « d’un mythe moderne » revivifié par la dénonciation contemporaine des féminicides. Elle évoque la revue Sorcières créée par Xavière Gauthier en 1976, le succès de l’ouvrage de Mona Chollet Sorcières. La puissance invaincue des femmes en 2018, le livre de Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive traduit en français en 2014, et les courants de pensées écoféministes, sans compter les différentes productions culturelles et artistiques (films, séries télévisées, BD et romans). Ce mythe a peu à voir avec la réalité historique de la persécution des sorcières du XVe au XVIIe siècle (et des sorciers faudrait-il ajouter, même si le Faust de Goethe de 1808 est évoqué). Car « La sorcellerie affirme-t-il est entièrement affaire de femmes » (p. 61).

2L’historien présente les sorcières comme des précurseures de la médecine par leurs connaissances de la pratique des accouchements et des méthodes contraceptives. Cette vision a été confortée en 1973 par l’analyse de deux féministes étatsuniennes, Barbara Eherenreich et Deirdre Englisch, qui dénoncent dans Sorcières, sages-femmes & infirmières, la confiscation par les médecins du pouvoir des femmes de disposer de leurs corps. Les sorcières incarnent la liberté et la puissance des femmes. Mais La Sorcière est aussi un livre contre l’Église et les prêtres qui se seraient livrés à des abus sexuels et l’ouvrage est soutenu lors de sa publication par les anticléricaux et les républicains.

3Après la description du mythe moderne, Paule Petitier caractérise La Sorcière de Michelet comme un « livre d’histoire ». La sorcellerie a été déjà abordée précédemment par l’historien en 1841 dans son portrait de Jeanne d’Arc, héroïne dans le 5e tome de L’Histoire de France, brûlée comme sorcière en 1431 et réhabilitée comme sainte. Puis dans le volume sur La Révolution française qui marque un basculement du rôle des femmes dans l’histoire : « Les hommes ont pris la Bastille. Les femmes ont pris le Roi ». Paule Petitier resitue l’ouvrage de 1862 dans l’abondante production scientifique ou littéraire du moment. Dans la littérature romantique, la sorcière est jeune, belle, séduisante et suscite la passion, telles Esmeralda sous la plume de Victor Hugo ou encore Carmen sous celle de Mérimée.

4La démarche de Paule Petitier est parfois surprenante quand elle rapproche des expressions employées par Michelet de Claudel ou de Foucault : « il s’inscrit dans “la prose du monde” que décrit Foucault au début des Mots et les choses’ » (p. 93). Ou encore quand elle consacre plusieurs pages à l’homéopathie, en raison de l’intérêt de Michelet pour cette nouvelle forme de médecine, tout en avouant qu’elle ne constitue qu’un arrière-plan dans La Sorcière. Ce sont cependant, à ses yeux, des éléments textuels qui peuvent éclairer la prose de Michelet. Il en est de même avec l’exemple d’une Lyonnaise de ses amies, Clémence Lortet, botaniste, qui occupe une place emblématique dans La Sorcière en reliant les convulsions de l’histoire politique (de la Révolution française à 1848) à la connaissance de la nature. Michelet amalgame la femme à une plante (en particulier à la belladone de la classe des solanées – « les consolantes ») et l’habille d’une robe verte qui la végétalise. Dans l’Épilogue, Michelet attribue à la femme, incarnée par la sorcière, une mission de consolatrice.

5Paru en 1862, l’ouvrage La Sorcière est intéressant pour jauger les réactions au point de vue de l’auteur sur la sorcellerie dans une période, le Second Empire, marquée par l’intérêt pour l’occulte. Hors cette considération, historiennes et historiens peuvent cependant douter qu’il s’agisse « d’un livre d’histoire ». Paule Petitier avance elle-même les arguments que l’on pourrait produire à l’égard de La Sorcière : considérer la sorcellerie comme un fait médiéval culminant au XIVe siècle dans le grand sabbat et se dénaturant aux XVIe et XVIIe siècles (alors que l’on sait que les persécutions ont été maximales entre la fin du XVe et celle du XVIIe siècle). Michelet présente le sabbat comme un mythe avéré alors que cette cérémonie diabolique n’a existé que dans l’imagination et sous la plume des démonologues. L’historien établit aussi un lien entre les jacqueries et le sabbat que l’analyse de Leroy-Ladurie sur les structures mentales et le psychisme inconscient de ses Paysans du Languedoc (1966) semble conforter. Et Carlo Ginzburg écrit de son côté que le sabbat correspondrait à des croyances rurales ancestrales évoquant des assemblées occultes imaginaires ou réelles.

6Michelet utilise, sans les citer, des sources scientifiques, absence qui porte à croire qu’il aurait trouvé dans des textes médiévaux les traces d’un savoir expérimental des sorcières, ce que Paule Petitier considère aimablement comme « un tour de passe-passe », alors que Philippe Régnier parle de façon plus vive « de bluff ». Par ailleurs, elle introduit le chapitre intitulé « Mythistoire » par le constat selon lequel « Michelet se permet une infraction majeure aux règles de l’écriture historique » appréciation justifiée par son style lyrique, son engagement politique lisible dans ses interprétations et le mélange d’histoire et de fiction. Elle conclut le chapitre en soulignant que l’interprétation de Michelet « dépasse de loin en profondeur celles de ses confrères historiens, et aboutit à des conclusions anthropologiques dont on perçoit encore la force » (p. 252). Un chapitre entier, « Encre sorcière », est consacré à ces fulgurances anthropologiques pour recréer la subjectivité des êtres du passé et se termine par une injonction au lecteur à « suspendre sa conception disciplinaire de la raison historique ».

7Dans sa conclusion générale Paule Petitier caractérise La Sorcière « comme l’œuvre d’un historien mentalement queer qui refuse la dichotomie féminin/masculin » et prône l’hybridation comme technique d’émancipation, la femme étant « créatrice d’un autre temps historique ».

8Dans La pensée sorcière Paule Petitier manifeste une érudition époustouflante pour décortiquer l’écriture de Michelet et en évoquer le contexte textuel ; mais au moment politique du présent, cette approche littéraire pose question quand triomphent les « vérités alternatives » et où, dès lors, s’ancrer dans la « raison historique » paraît indispensable.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michelle Zancarini-Fournel, « Paule Petitier, La Pensée Sorcière. Michelet 1862 »Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/11017 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149u3

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Auteur

Michelle Zancarini-Fournel

Université Claude Bernard - Lyon 1, LARHRA
Michelle.Zancarini-Fournel@wanadoo.fr

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