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Comptes rendus

Gabriella Romano, Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims, Asylums and Internment 1922–1943

Londres, Bloomsbury Academic, 2024, 264 p.
Paola Castellan
Référence(s) :

Gabriella Romano, Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims, Asylums and Internment 1922–1943, Londres, Bloomsbury Academic, 2024, 264 p.

Texte intégral

1Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims constitue une étude pionnière sur l’hospitalisation psychiatrique des personnes queer sous le régime fasciste. À ce titre, l’ouvrage représente un point de départ intéressant pour formuler des hypothèses de recherche à l’intersection des gender studies et des mad studies.

  • 1 Mario Galzigna, La malattia morale: alle origini della psichiatria moderna, Venise, Marsilio, 1988.
  • 2 Lorenzo Benadusi, Il nemico dell’uomo nuovo: l’omosessualità nell’esperimento totalitario fascista, (...)

2Dans la lignée, d’une part, de l’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault, qui soulignait que les « hommes de déraison » comprenaient en grande partie les homosexuel·les et les libertin·es, d’autre part, de Mario Galzigna, selon lequel il ne fait aucun doute que « les documents de l’internement à l’asile nous permettront un jour d’écrire un chapitre tout sauf secondaire d’une histoire de la sexualité1 », il est admis que les archives des hôpitaux psychiatriques constituent une source historiographique essentielle pour étudier les identités sociales et culturelles LGBTQIA. C’est en ce sens qu’en 2005, l’historien Lorenzo Benadusi avait suggéré la nécessité d’une « analyse minutieuse des dossiers nosologiques conservés dans les différents hôpitaux psychiatriques2 ». Depuis Foucault, les pratiques discursives-oppressives de la psychiatrie envers l’homosexualité ont été mises au jour ; d’autres études ont souligné les aspects émancipatoires suscités par cette prolifération des pratiques discursives. Cependant, les historien·nes rencontrent encore de nombreux obstacles pour redonner, par le biais de la recherche archivistique, corps et voix aux personnes que l’internement asilaire a condamnées au silence.

  • 3 Gabriella Romano, The Pathologisation of Homosexuality in Fascist Italy: The Case of « G », Cham, S (...)

3Avec Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims, Romano se fixe, entre autres, comme objectif de reconstruire la vie de nombreuses personnes LGBT. Dernière étape d’un projet de recherche entamé au milieu des années 1990 et suite idéale du cas de « G. », de la même autrice3, l’étude vise ici également à explorer le recours à l’internement psychiatrique des homosexuel·les dans l’Italie fasciste et à analyser comment « malgré la répression […] les Italiens LGBT ont trouvé des moyens de vivre leur vie comme ils l’entendaient » (p. IX).

4L’ouvrage est divisé en deux parties : « Théorie psychiatrique » et « Pratique psychiatrique ». En comparant théorie et pratique, Romano met en évidence le fossé entre le discours psychiatrique et la réalité quotidienne de l’internement de personnes homosexuelles. On mesure ce décalage par exemple en comparant l’abondante littérature scientifique sur les prétendues « psychopathologies sexuelles » avec le nombre finalement assez modeste d’internements révélés par les archives. Si la dangerosité sociale de l’homosexualité était largement théorisée dans les traités psychiatriques de l’époque, elle ne semble pas avoir donné lieu à des politiques d’internement de masse dans les établissements asilaires étudiés, comme le souligne Romano.

5Dans la première partie, l’autrice s’intéresse aux théories psychiatriques sur l’homosexualité développées entre les années 1920 et le début des années 1940. La période retenue permet de combler une lacune de l’historiographie dans le domaine des mad studies italiennes, qui se focalisent le plus souvent sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ou encore sur la période de « désinstitutionalisation » des hôpitaux psychiatriques à la fin des années 1970. La littérature scientifique sur la pathologisation de l’homosexualité est ici replacée dans le contexte des principaux courants de pensée européens qui ont influencé l’approche italienne, des courants neuro-organiques allemands de la fin du XIXe siècle aux conceptions endocrinologiques du début XXe siècle qui ont marqué le courant eugénique italien, dominant sous le fascisme. Romano n’ignore pas non plus l’importance que le fascisme a accordée aux nouvelles thérapies introduites à la fin des années 1930, telles que les tristement célèbres électrochocs ou la neurochirurgie, ni les positions pseudoscientifiques d’un Otto Weininger élevé au rang de « héros national » par les fascistes.

6Dans la deuxième partie, Pratique psychiatrique, Romano présente les résultats de ses recherches en archives, à savoir près de 800 dossiers provenant de trois hôpitaux psychiatriques : San Salvi à Florence, Santa Maria della Pietà à Rome et l’hôpital psychiatrique provincial de Girifalco en Calabre. Le choix géographique de ces établissements est particulièrement judicieux : il permet à l’autrice de donner une vue d’ensemble du traitement asilaire de l’homosexualité à travers l’Italie. Tandis que History of G. explorait le cas d’un homme interné pour ses « tendances homosexuelles » dans un hôpital psychiatrique du nord, Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims permet une comparaison avec les pratiques adoptées dans le centre et le sud de la péninsule.

7Comme le savent les spécialistes des mad studies, l’un des principaux obstacles à la recherche sur l’internement psychiatrique des personnes homosexuel·les réside dans l’écart de diagnostic entre pratique et théorie. Bien que les études sur l’homosexualité et l’identité de genre constituent la base fondamentale de la psychiatrie moderne, les diagnostics sont presque absents des dossiers médicaux. Pour contourner la difficulté, Romano a sélectionné, à Rome et à Florence, les diagnostics laissant transparaître un jugement moral, notamment les mentions « folie morale », ou bien « immoralité » voire « dégénérescence constitutionnelle ». En revanche, pour l’hôpital de Girifalco, où les registres d’admission ne précisent pas le diagnostic, Romano a examiné tous les dossiers des années 1924, 1933 et 1939, des dates-clés dans la périodisation du fascisme. Elle constate ainsi que des catégories plus générales, telles que la « démence précoce » ou la « déficience intellectuelle » ont émergé. Selon son hypothèse, le caractère général de ces catégories offrait une plus grande flexibilité dans la prise en charge des patients, facilitant leur transfert vers d’autres services voire leur sortie.

8Bien que cette méthodologie différenciée produise un échantillon relativement limité sur le plan quantitatif (une dizaine de cas), ces cas sont toutefois tout à fait significatifs d’un point de vue qualitatif. Ils permettent à Romano de tirer des premières conclusions et de formuler quelques hypothèses méthodologiques pour les recherches futures.

9Premièrement, sur le plan de l’analyse quantitative, l’ouvrage de Romano ne permet pas (encore) d’affirmer que l’internement psychiatrique a constitué un moyen de répression de l’homosexualité particulièrement employé durant le Ventennio fasciste. En effet, davantage que par les institutions, c’est le plus souvent par dénonciation familiale que l’orientation homosexuelle d’une personne était portée à la connaissance du système psychiatrique. Ce constat encourage à approfondir la notion d’alliance entre le fascisme et la famille dans le contrôle de la sexualité.

10Deuxièmement, Romano souligne à quel point la « dangerosité sociale » de l’homosexualité ne semble pas avoir été perçue dans la pratique psychiatrique. D’un point de vue politique, cette attitude se prête à deux interprétations opposées : d’une part comme un décalage de la psychiatrie italienne par rapport à l’orientation politique du régime, d’autre part et au contraire, comme son alignement sur la stratégie d’invisibilisation de l’homosexualité promue directement par Mussolini. Romano semble privilégier la première hypothèse quand elle met en évidence les formes d’« empathie » ressenties par les psychiatres à l’égard des patients LGBT, perçus non comme des dangers pour la société, mais plutôt comme des personnes exposées au danger social lorsqu’elles sont victimes du rejet familial.

11De surcroît, le large éventail des diagnostics exhumés par Romano dans le cadre de l’internement des homosexuels suggère que la recherche devrait également être étendue aux diagnostics qui ne se réfèrent pas directement, ou alors de manière voilée, aux comportements sexuels. Cette démarche, déjà partiellement mise en pratique par Romano dans son étude, pourrait être davantage employée.

12Pour conclure, en supposant que les hôpitaux psychiatriques étudiés soient suffisamment représentatifs de l’internement psychiatrique des personnes homosexuel·les dans toute l’Italie, de futures recherches pourraient être menées dans des institutions plus périphériques, telles que la galaxie des cliniques privées qui gravitaient autour des hôpitaux provinciaux. Ces instituts, en effet, étaient, et sont encore, souvent gérés par des ordres religieux qui ont fortement adhéré aux politiques fascistes dans le domaine de la sexualité et de la famille.

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Notes

1 Mario Galzigna, La malattia morale: alle origini della psichiatria moderna, Venise, Marsilio, 1988.

2 Lorenzo Benadusi, Il nemico dell’uomo nuovo: l’omosessualità nell’esperimento totalitario fascista, Milan, Feltrinelli, 2005.

3 Gabriella Romano, The Pathologisation of Homosexuality in Fascist Italy: The Case of « G », Cham, Springer International Publishing/Palgrave Pivot, 2019.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Paola Castellan, « Gabriella Romano, Italian Fascism’s Forgotten LGBT Victims, Asylums and Internment 1922–1943 »Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/11048 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149u5

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Auteur

Paola Castellan

Université de Lorraine (TETRAS) / EHESS (IRIS)
paola.castellan@univ-lorraine.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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