Sandrine Mirza et Blanche Sabbah, Histoire de France au féminin
Sandrine Mirza, Blanche Sabbah, Histoire de France au féminin, préface de Yannick Ripa, Paris, Casterman, 2023, 144 p.
Texte intégral
1Cette Histoire de France au féminin, bande dessinée parue chez Casterman en 2023, est scénarisée par Sandrine Mirza et dessinée par Blanche Sabbah. Les deux autrices n’en sont pas à leur coup d’essai. Après une formation en histoire, Sandrine Mirza s’est en effet lancée dans l’édition puis s’est spécialisée dans la littérature historique à destination des enfants et adolescents ; elle a scénarisé de nombreux ouvrages, dont Ma première histoire de France en bande dessinée, parue chez le même éditeur en 2019. Blanche Sabbah est une dessinatrice de BD et une activiste féministe et climatique bien connue des réseaux sociaux. Diplômée en histoire de l’art, littérature et sociologie de l’art à l’EHESS, elle a créé sur Instagram le compte @La nuit remue Paris où elle aborde sous forme dessinée les engagements qui lui tiennent à cœur (féminisme, écologie, justice sociale). Elle travaille essentiellement avec des structures engagées dans des combats qui rejoignent les siens et est de plus en plus souvent invitée dans divers médias radiophoniques ou télévisés autour des questions féministes. Le travail pédagogique qu’elle y accomplit est notable. Blanche Sabbah est aussi l’autrice de plusieurs BD féministes, Marinette (avec Marie Papillon en 2021 chez Hachette), Nos Mutineries (avec Eve Cambreleng en 2022 chez Mango) et Mythes et Meufs (Dargaud), gros succès éditorial en deux tomes dont elle a rédigé le scénario et les dessins en 2022 et 2023. Dans ce dernier ouvrage, l’autrice s’était donné pour objectif de décortiquer les mythes, les histoires et les contes afin de déconstruire le biais patriarcal qui justifie depuis des millénaires la domination masculine. Elle y a donc mené une véritable analyse de genre, qui est la caractéristique de son travail critique et pédagogique.
2On retrouve dans cette Histoire de France au féminin une démarche identique. En effet, les deux autrices ont tout à fait intégré à leur réflexion les travaux des historien·nes des femmes et du genre du dernier quart de siècle. Il s’agit pour elles d’abord de dénoncer l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, mais aussi les mécanismes qui les maintiennent depuis la préhistoire en situation dominée. L’enjeu est de taille : il n’est pas question de nier le cadre chronologique et thématique dans lequel s’inscrit depuis des siècles l’histoire enseignée, mais bien de le revisiter en montrant que les femmes y ont leur place, pour peu qu’on leur accorde de l’attention. Sous l’impulsion de Yannick Ripa, qui signe la préface de l’ouvrage, les autrices trouvent le ton et le style qui leur permet d’être comprises de tous publics.
3L’ouvrage est destiné aux jeunes à partir du collège. Le découpage chronologique des chapitres (« À l’époque gallo-romaine », « Au cœur du Moyen Âge », « Durant la Première Guerre mondiale ») leur permet de se repérer aisément dans le temps et dans les cours d’histoire qu’ils reçoivent à l’école. Néanmoins, les adultes aussi y trouveront les repères, dates-clés, personnages et parfois même les documents dont ils ont gardé le souvenir, déclinés au féminin. Pourtant, pour les enfants comme pour les adultes, tout est nouveau dans ce récit historique dessiné qui, non seulement, place les femmes au centre des événements historiques, mais qui en outre déploie une réflexion sur le passé et sur la construction genrée du récit historique. De plus, l’ouvrage fait le choix d’une grande lisibilité graphique. Les personnages sont gais et colorés, facilement identifiables. Le texte est dense, à la fois simple à comprendre tout en étant précis, porteur de notions et de connaissances qui étoffent progressivement la compréhension de cette relecture féministe de l’histoire.
4Le procédé narratif s’adresse avant tout aux jeunes : en mars 2023, autour d’une affiche de la journée internationale pour les droits des femmes, une grand-mère discute avec ses petits-enfants, Chloé et Jules, à propos de l’égalité hommes-femmes. Suite à une remarque de Chloé sur l’absence des femmes dans le récit historique qu’on lui propose à l’école, la grand-mère explique le concept d’invisibilisation. Démarre alors un récit chronologique qui l’amène à présenter la palette des rôles assignés aux femmes à travers l’histoire et à essayer de les expliquer. Les questions et remarques d’indignation des deux petits-enfants relancent systématiquement le récit. Alternent alors, pour chaque période historique, des tableaux généraux sur les représentations et le vécu des femmes de l’époque, auxquels s’ajoutent des biographies de figures féminines parfois connues des lecteur·ices, mais le plus souvent inconnues des cours d’histoire et des médias.
5On notera que le poids de ces figures individuelles tend parfois à éclipser les récits qui concernent les groupes sociaux, même si certains thèmes sont filés tout au long de l’ouvrage et permettent d’élaborer une réflexion transpériodique : le travail féminin, l’accès des filles et des femmes à l’éducation, aux sciences, aux professions intellectuelles et artistiques, au pouvoir politique, à la révolte et à la guerre, sont largement explorés, souvent au travers de personnages féminins célèbres. La question du corps des femmes et de leur possibilité d’en disposer est également bien présente. Enfin, on rencontre à toutes les époques des paysannes, des artisanes, des ouvrières, et, de façon plus anecdotique, des prostituées et des esclaves anonymes. Les récits de mariages, de grossesses et d’accouchements royaux sont certes présents, mais rattachés aux questions dynastiques et politiques. Enfin, pour chacune des périodes abordées, les explications de la grand-mère mobilisent systématiquement le contexte, les mentalités, le droit, les lois, pour mettre en lumière les comportements et les rapports de domination, ce qui donne un cadre et des explications dont les deux enfants ont bien besoin. Dans les derniers chapitres enfin, une réflexion sociologique appuie l’évolution des comportements et des libertés obtenues par les femmes et permet de mesurer en quoi les combats féministes ont rendu possibles les immenses progrès sociaux et sociétaux. Le livre s’achève sur le constat de la nécessité pour les femmes de poursuivre les luttes pour l’égalité, en invitant les hommes à les rejoindre.
6Naturellement, toutes les périodes de l’histoire n’ont pu être abordées et l’espace géographique de l’ouvrage se limite à la France, alors qu’on le souhaiterait mondial. Difficile, pour cette première incursion dans une histoire des femmes éclairée par une analyse de genre, d’être exhaustives. Néanmoins, l’ouvrage doit être salué pour ses très nombreux mérites. D’abord, celui d’offrir aux jeunes et à leur famille une entrée accessible dans l’histoire des femmes afin de comprendre les analyses de genre qui expliquent les mécanismes de domination et d’invisibilisation. C’est là un aspect essentiel. Ensuite, celui ne pas se limiter aux figures les plus connues et les plus consensuelles, mais au contraire de multiplier les biographies et, surtout, les époques et les domaines dans lesquels ces femmes se sont affirmées : le résultat est assez vertigineux. Enfin, l’ouvrage pointe du doigt, peut-être involontairement, mais de façon certaine, les difficultés didactiques et pratiques que représente la transmission d’une histoire mixte à l’école ou dans les représentations médiatiques. Rendre visibles les femmes du passé, toutes les femmes, est une première étape. Restituer une histoire dans laquelle les hommes et les femmes, côte à côte, partenaires longtemps inégaux en droit, sont considéré.es comme les acteur·ices de l’histoire, créer un récit riche et complexe, nourri des multiples travaux historiens, y compris provenant d’historiennes et d’historiens travaillant sur les femmes et le genre, est la prochaine étape à atteindre. En attendant que les pouvoirs publics comprennent cet enjeu, les enseignant.es comme les parents doivent vite s’emparer de cette Histoire de France au féminin !
Pour citer cet article
Référence électronique
Cécile Beghin, « Sandrine Mirza et Blanche Sabbah, Histoire de France au féminin », Genre & Histoire [En ligne], 35 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/11107 ; DOI : https://doi.org/10.4000/149u9
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page