Des nourrissons en danger : les représentations de la relation mère-enfant dans la revue suisse Pro Juventute des années 1920 aux années 1970
Résumés
La relation mère-enfant est un des thèmes centraux de la revue Pro Juventute, organe de la fondation du même nom qui a joué un rôle important dans le secteur sanitaire et social en Suisse au xxe siècle. Pro Juventute présente un traitement remarquablement stable de la relation mère-enfant, dont le modèle de la mère allaitante constitue la matrice. Avec le déclin de l’allaitement et la forte réduction de la mortalité infantile à partir des années 1930, le discours initial se déplace vers le bien-être psychologique du nourrisson et trouve de nouvelles raisons à l’exclusivité de la relation mère-enfant, les pères n’entrant en scène qu’à partir des années 1970. Constant sur la place de la mère, ce discours s’efforce en outre de prendre en compte les réalités en écart à sa propre norme, comme l’emploi salarié des mères et la prise en charge extrafamiliale dans les crèches et les pouponnières. Il valorise ce faisant une forme de professionnalisation des femmes limitée aux métiers de la petite enfance dont le potentiel émancipateur, réel au début du xxe siècle, n’est plus le même dans les années 1970.
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- 1 Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, Presses universitaires (...)
- 2 Jacques Donzelot, La police des familles, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
1Héritage des Lumières, « la glorification de la maternité s’impose durant tout le xixe siècle et la première moitié du xxe » comme « forme nouvelle, débonnaire, paternaliste, du patriarcat1 ». À la famille d’Ancien Régime, dirigée par un chef, en principe le père, succède une famille qui valorise la mère dans son rôle de garante de la survie et du bien-être de l’enfant, en particulier en tant que nourrisson. Cette évolution va de pair avec le souci d’« économiser les corps et de gérer les populations » propre à une nouvelle « police des familles2 » au nom de laquelle la sphère privée se voit désormais investie de missions publiques.
- 3 Cette recherche a été conduite dans le cadre du projet Das Säuglingswohl in der Schweiz. Eine histo (...)
- 4 Pro Juventute. Schweizerische Monatsschrift für Jugendhilfe / Revue mensuelle pour la protection de (...)
2Le présent article3 adopte la perspective d’une police des familles pour l’appliquer à la revue suisse Pro Juventute4, en se demandant à quelles représentations du nourrisson, de la mère et de leur relation elle a donné lieu et comment celles-ci ont évolué au cours du xxe siècle. Parue entre 1920 et 1981, la revue Pro Juventute est l’organe de la fondation philanthropique du même nom, créée en 1912, avec pour mission d’œuvrer « pour la jeunesse ». Publiée en trois langues, elle s’adresse à un public suisse, large et diversifié, de donateurs et donatrices, de bénévoles et de professionnels et professionnelles issus des domaines éducatif, sanitaire et social. Elle remplit la fonction de bulletin de liaison interne pour la fondation dont elle est l’organe, celle de source d’information sur l’actualité sanitaire et sociale nationale et internationale et celle de forum de discussion, alimenté par les contributions de nombreuses personnalités issues des milieux philanthropiques, politiques et scientifiques.
- 5 Voir Anne Cova, « Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Femmes, genre et histoire, 21, 20 (...)
- 6 Axelle Brodiez-Dolino et Bruno Dumons (dir.), La protection sociale en Europe au XXe siècle, Rennes (...)
3À la lumière des acquis de l’histoire de la maternité et de la petite enfance accumulés depuis une vingtaine d’années5, l’étude d’une revue telle que Pro Juventute présente un triple intérêt. Le premier est celui de la perspective biopolitique. Essentiellement produite et diffusée dans des milieux bourgeois, Pro Juventute ne permet certes pas d’interroger l’effectivité des biopolitiques issues de la police des familles ni de mesurer la capacité des classes populaires à accepter, à contourner ou à détourner les normes venant des classes bourgeoises. Mais elle n’en fournit pas moins un éclairage supplémentaire sur la fabrication des normes en tant que telles, en tenant compte de la polyphonie des discours, de leurs éventuelles contradictions et de leur confrontation avec le réel. Pro Juventute présente ensuite un intérêt du point de vue de l’histoire des femmes et du genre : elle prend les femmes pour objet en tant que mères, s’adresse à des femmes en tant que lectrices et implique des femmes en tant que rédactrices, professionnelles, bénévoles et scientifiques. Elle permet donc de se demander si l’argumentaire maternaliste dont se saisissent certaines femmes pour revendiquer leur légitimité sur la sphère reproductive, de même que leur début de professionnalisation dans le domaine du « social », doivent être vus comme une forme d’émancipation ou comme une manière de reconduire un ordre de genre préexistant. Dernier apport, en tant que revue d’horizon national et organe d’une fondation au fonctionnement typiquement helvétique, Pro Juventute permet d’aborder la question de la construction différenciée des États-providence en Europe en partant de la question de la maternité et du soin au nourrisson6.
4Cet article se base sur un corpus de plus de 900 articles, dont la thématique montre à la fois de profonds changements et de surprenantes continuités. Entre la priorité donnée à la lutte contre la mortalité infantile des années 1920 aux années 1930 et le souci de son bien-être psychologique qui s’impose dans les années 1950, la vision du nourrisson subit de profonds changements, par-delà lesquels s’observe pourtant la récurrence d’un discours alarmiste à son sujet, toujours mis en lien avec la responsabilité de la mère au sein de la « relation mère-enfant ». Tout en promouvant un modèle déterminé de maternité, la revue se confronte par ailleurs aux réalités sociales qui le contredisent dans la durée, comme le travail salarié des femmes, le développement des crèches et pouponnières et l’évolution de la figure paternelle.
5Après avoir présenté la fondation Pro Juventute qui est à l’origine de la revue du même nom, on se demandera donc comment la continuité des représentations de la relation mère-enfant a pu se construire par-delà les changements qui affectent la vision du nourrisson, avant d’examiner les stratégies utilisées pour faire face aux réalités qui n’ont malgré tout cessé de contredire le modèle maternel par ailleurs promu dans les colonnes de la revue.
Pro Juventute : une organisation philanthropique suisse et sa revue
- 7 Sarah Galle, Kindswegnahme. Das « Hilfswerk für die Kinder der Landsstrasse » der Stiftung Pro Juve (...)
- 8 Joëlle Droux, « Pédiatres et pédiatrie à Genève. L’enfance de l’art (1880-1950) », in Susanne Suter (...)
- 9 Joëlle Droux, « A quintessential mixed economy? The issue of illegitimacy as a testing ground for c (...)
6Créée en 1912, Pro Juventute se donne pour mission d’œuvrer « pour la jeunesse », en divisant son champ d’action en trois domaines, respectivement consacrés à la petite enfance (« mère et enfant »), à l’enfance (« enfance scolaire ») et à la « jeunesse ». Avec ses nombreux médecins, éducateurs, philanthropes ainsi que maintes personnalités politiques, c’est toute l’élite bourgeoise de la Suisse d’alors qui se trouve réunie au sein du « secrétariat central » de la nouvelle fondation. Basée à Zurich, celle-ci vit de dons, de legs et de la vente annuelle de timbres, très populaire dans toute la Suisse. Les subventions fédérales viennent peu à peu alimenter le budget de cette fondation pourtant privée, l’État fédéral agissant ainsi de manière indirecte dans un domaine où ses compétences sont formellement très limitées. Les comités locaux (Bezirke) de Pro Juventute couvrent d’ailleurs l’ensemble du territoire suisse, avec une densité toutefois plus élevée en Suisse alémanique qu’en Suisse romande et qu’au Tessin italophone. Fidèle à son esprit philanthropique, le fonctionnement de la fondation est toujours resté très décentralisé puisque ce sont ces mêmes comités qui collectent les fonds et décident de leur utilisation. Centrale dans l’histoire du secteur sanitaire et social en Suisse et souvent ramenée aujourd’hui à sa responsabilité dans la séparation de plusieurs centaines d’enfants de leur famille entre 1926 et 19737, la fondation Pro Juventute reste sous-étudiée, alors qu’elle a joué un rôle essentiel à l’échelon national, notamment dans la diffusion des pratiques de puériculture8 ou dans l’élaboration de la législation de protection de l’enfance9.
- 10 Archives de Pro Juventute aux Archives sociales de Zurich (désormais Ar PJ) 1.4-035.ST12.02 : Stell (...)
- 11 Archiv Gosteli Stiftung, Bestandesnummer 155, Unterlagen zur Sozial-caritativen Frauenschule: Verze (...)
- 12 Ar PJ 1.4-035.ST12.02: Stellenbild der einzelnen Mitarbeiter.
7Au secrétariat central de la fondation revient une mission de coordination, de mutualisation et de diffusion de l’information dont sont chargées ses « divisions ». Parmi elles, la division Mère et enfant (Abteilung Mutter und Kind) prépare les articles à publier dans la revue Pro Juventute, édite des ouvrages de puériculture et crée plusieurs expositions itinérantes. Ses effectifs passent de cinq employées au début des années 1970 à neuf à la fin de la décennie, dont désormais deux hommes10. L’histoire de la division est dominée par la figure de deux de ses directrices, Hedwig Blöchliger, ancienne étudiante de l’École sociale-caritative de femmes (Sozial-caritativ Frauenschule) de Lucerne de 1924 à 1926 et proche des milieux catholiques suisses11, en charge de la division à partir de 1929, et Elfriede Schläppi, qui lui succède en 1962, après avoir travaillé comme infirmière puéricultrice à Genève et avoir dirigé la succursale romande de Pro Juventute de 1954 à 196612.
- 13 Lutz Raphael, « Die Verwissenschaftlichung des Sozialen als methodische und konzeptionelle Herausfo (...)
8Les articles publiés par Pro Juventute forment un corpus hétérogène allant de l’entrefilet à des articles de plus de vingt pages, publiés en plusieurs parties. Malgré sa vocation nationale suisse, la grande majorité des articles de la revue sont publiés en allemand, ce qui témoigne de son biais alémanique persistant. Certains articles portent la voix de la fondation, comme les éditoriaux signés par le président ou par la responsable de la division Mère et enfant. D’autres sont des contributions, reçues ou suscitées par les directrices de cette même division et fournies par des auteurs et autrices d’horizons divers, certaines à vocation normative, d’autres à vocation scientifique, les deux registres pouvant tout à fait se mêler. À ces articles s’ajoutent plusieurs rubriques (« Chronique », « Dépêches », « Conseils aux parents », « De nos comités locaux ») alimentées par les comités locaux et par les associations partenaires de Pro Juventute, qui fournissent des articles généralement plus courts. La juxtaposition voire le mélange des registres politique et scientifique, la méfiance envers la bureaucratisation de l’action sociale et la valorisation de l’échelon local par fidélité à l’idéal philanthropique ont pour effet de sélectionner les savoirs jugés légitimes, d’étouffer parfois les débats qui les accompagnent et de ralentir leur institutionnalisation et leur application, ce qui fait de Pro Juventute un acteur prudent et ambivalent de la « scientifisation du social » qui s’observe dans maints domaines au xxe siècle13.
De la mortalité infantile à l’hygiène mentale : continuité du discours sur la relation mère-enfant
L’idéal de la mère allaitant son enfant
- 14 Frida Imboden-Kaiser, « Mütter sollen ihre Kinder selbst stillen. Ergebnisse der St. Gallischen Säu (...)
- 15 Frida Imboden-Kaiser, Wie ich mein Kind pflege, Zurich, secrétariat central de Pro Juventute, 1922.
9Dès les premiers numéros de la revue, le nourrisson est présenté comme un être vulnérable dont la survie repose avant tout sur la mère. La relation mère-enfant occupe notamment une place centrale dans la lutte contre la mortalité infantile, revêtue d’une justification scientifique, celle de l’allaitement. Ce discours est notamment porté par Frida Imboden-Kaiser, médecin à Saint-Gall et membre fondateur du secrétariat central de Pro Juventute. Elle publie en 1921, dans l’un des premiers numéros de la revue, les résultats de l’étude qu’elle a personnellement menée à partir de 1910 sur une cohorte de 1 800 nourrissons et qui établissent que l’allaitement augmente leurs chances de survie14. Au sein du secrétariat central comme dans les colonnes de Pro Juventute, elle militera infatigablement en faveur de l’allaitement15. Elle est notamment l’autrice d’une brochure massivement diffusée aux frais de la fondation, dont elle assure encore la dix-septième édition en 1961, un an avant sa mort à l’âge de 84 ans.
- 16 Frida Imboden-Kaiser, « Der Rückgang der Säuglingssterblichkeit in der Schweiz », Pro Juventute, 2, (...)
- 17 Scholl, op. cit., « Allaitement et citoyenneté… ».
10Rapportant tout à l’allaitement, elle constate, dans un autre article de 1921, la baisse déjà sensible de la mortalité infantile en Suisse depuis le début du xxe siècle et en conclut que « la mortalité infantile reculera dans tous les cantons dans la mesure où l’on parviendra à nouveau à éduquer la Suissesse à l’allaitement. Ce qui cause au premier chef la mort du nourrisson a en réalité un nom, c’est l’absence du sein maternel16 ». En réduisant la question de la mortalité infantile à celle de l’allaitement, ce discours fait de la survie du nourrisson une question morale, là où auraient pu être mis en avant d’autres causes, sociales, et d’autres moyens d’action, comme l’amélioration des conditions de logement, de l’accès à l’eau potable ou de l’état de santé des parents17.
- 18 Cette focalisation sur l’allaitement et sur le rôle de la mère se retrouve dans toutes les sociétés (...)
- 19 Voir le numéro thématique de la Revue suisse d’histoire, « Histoire des statistiques », 45, 1, 1995
- 20 La corrélation n’a pas de caractère systématique dans le cas français : voir Catherine Rollet, « Al (...)
- 21 Marie-France Morel, « Les soins prodigués aux enfants : influence des innovations médicales et des (...)
11Ce discours dominant sur l’allaitement, y compris avec ses angles morts, n’est propre ni à Pro Juventute ni à la Suisse et se retrouve dans les autres sociétés européennes et nord-américaines18. Il trouve son origine dans l’amélioration des statistiques démographiques19 : grâce à une mesure affinée de la mortalité infantile, les comparaisons entre régions et entre pays deviennent possibles, permettant la recherche des causes supposées de la mortalité infantile. À l’instar d’Imboden-Kaiser, de nombreux médecins établissent ainsi une corrélation entre forte pratique de l’allaitement et mortalité infantile comparativement plus faible. Nous savons aujourd’hui que cette corrélation n’est pas systématique20 et que la baisse rapide et définitive de la mortalité infantile à partir de la fin du xixe siècle a surtout résulté de nouveaux savoirs, fondés sur la microbiologie, et de nouvelles pratiques, telles que l’asepsie et la vaccination21. La pratique de l’allaitement n’en passe désormais pas moins pour le moyen principal et pour ainsi dire unique de lutte contre la mortalité infantile.
- 22 Imboden-Kaiser, « Der Rückgang », Art. cit., p. 189.
- 23 Pour la France, voir Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand, L’art d’accommoder les béb (...)
- 24 Sarah Scholl, « L’ascèse du lait. Figure maternelle et puériculture à la fin du xixe siècle », in F (...)
12Mais pour cela, il n’est pas question de se reposer sur un quelconque instinct : pour Imboden-Kaiser, il s’agit bien de « rééduquer la Suissesse22 ». Cet accent mis sur l’éducation n’est là encore pas spécifiquement suisse23. Il indique que l’allaitement n’est pas seulement une norme sanitaire mais aussi une norme sociale. Il requiert la présence, l’attention et la discipline constantes de la mère, constituant une forme d’ascèse24 : le « travail pratique de la maternité », plutôt que les sentiments, doit servir de base à la relation entre la mère et son enfant. Ce travail de « puériculture » (Säuglingspflege), la mère doit donc s’y former. Les articles de Pro Juventute reflètent les différents aspects de cette entreprise éducative : exposition de puériculture itinérante, « centres de puériculture » (Säuglingsfürsorgestellen), « consultations maternelles » (Mütterberatungsstellen) et « écoles de mère » (Mütterschulen) ou « de parents » (Elternschulen), sur les modèles français et allemand. Le caractère répétitif de ces articles a une raison simple : Pro Juventute compte sur l’initiative philanthropique et les pouvoirs locaux pour développer ces institutions de suivi sanitaire plus que sur les cantons ou l’État fédéral. Les brèves répétitives que sa revue donne à lire entretiennent en ce sens une campagne permanente à destination des milieux philanthropiques locaux.
Contradictions et tabou : la relativisation de l’allaitement
- 25 E. Rhonheimer, « Mütterberatungsstellen », Pro Juventute, 6, 1925, p. 592-598.
- 26 W. Trachsler, « Ursachen und Folgen der Verminderung der Kindersterblichkeit », Pro Juventute, 22, (...)
- 27 Frida Imboden-Kaiser, « Die Säuglingsfürsorge in Stadt und Kanton St Gallen », Pro Juventute, 33, 1 (...)
13Dans les années 1920, les discours tenus dans la revue Pro Juventute donnent une indiscutable priorité à l’allaitement, les principes d’hygiène pasteurienne, tout de même reconnus, ne venant qu’à la suite. Un article de 1925 sur les consultations maternelles met par exemple longuement en avant la « propagande en faveur de l’allaitement » mais ne consacre qu’un simple paragraphe aux « soins généraux et à l’habillement25 ». Quinze ans plus tard, dans un article sur le recul de la mortalité infantile en Suisse (l’un des plus rapides en Europe), l’allaitement n’apparaît au contraire plus que comme un facteur parmi d’autres, en plus des mesures prophylactiques, de la vaccination et de l’amélioration générale des conditions de vie26. Sans avoir été explicitement relativisée, cette priorité perd son évidence, sauf auprès de quelques figures isolées, comme Imboden-Kaiser qui, en 1952, constate un recul de l’allaitement en Suisse et regrette une « propagande trop modeste » en sa faveur27.
- 28 Rhonheimer, Art. cit., p. 595.
14Autre effet du développement de l’hygiène pasteurienne : les substituts lactés, portés par une industrie agroalimentaire nationale dynamique, gagnent du terrain. Si en 1925, l’allaitement dit « artificiel » est présenté comme possible à condition d’un encadrement médical strict28, il devient beaucoup plus commun dans les années 1930 et 1940. Cette évolution elle non plus n’est jamais explicitement débattue, mais simplement reconnue a posteriori. En revanche, l’iconographie s’en fait le reflet, avec des photographies de mères nourrissant leur enfant au biberon, voire des publicités pour divers produits ou équipements : la relation mère-enfant apparaît ainsi sauvegardée même sans allaitement.
« Âmes d’enfants en danger » : la réception de l’hospitalisme
15Parallèlement à la lutte contre la mortalité infantile, un second discours se fait entendre, quoique de manière plus discrète, pour attirer l’attention sur les dangers qui menacent le bien-être psychologique du nourrisson et donc son bon développement.
- 29 Guido Fanconi, « Hygienische Fragen im Kleinkinderheim », Pro Juventute, 13, 1932, p. 2-6.
- 30 Katharina Rowold, « De quoi un bébé a-t-il besoin pour s’épanouir ? Les différentes interprétations (...)
- 31 Hildegard Hetzer, « Différences fondamentales entre enfants objets de soins entendus et enfants qui (...)
- 32 Rowold, « De quoi un bébé a-t-il besoin… », Art. cit., p. 321-331.
16Certains pédiatres écrivant dans Pro Juventute se font ainsi l’écho dans les années 193029 du « débat Schlossmann-Pflaunder » qui a accompagné la naissance de la pédiatrie hospitalière allemande à la fin du xixe siècle. Ce débat opposait deux prestigieuses figures de la pédiatrie allemande, le premier soutenant que l’hôpital moderne, organisé selon des règles d’hygiène strictes, pouvait accueillir les nourrissons, le second dénonçant au contraire les risques d’hospitalisme, c’est-à-dire les pathologies affectant le nourrisson séparé de sa mère30. Pro Juventute témoigne de son intérêt pour cette question en publiant des articles sur les recherches de Charlotte Bühler et Hildegard Hetzer menées à Vienne depuis le milieu des années 192031, qui, sur la base de tests systématiques, mettent en évidence l’existence de retards de développement chez les nourrissons placés en institutions32.
- 33 Ar PJ 8.2-073 : note non datée (probablement début des années 1940).
17La menace ainsi définie reste cependant limitée pour deux raisons. D’une part, elle concerne seulement les enfants en institutions (cliniques infantiles et pouponnières) et épargne implicitement l’écrasante majorité des nourrissons vivant auprès de leur mère. D’autre part, la revue n’en fait pas état dans ses colonnes. Apparemment sensibilisée à la question, Hedwig Blöchliger écrit dans les années 1940 que, dans une pouponnière, « il est plus important que les lits permettent aux petits de se voir, de se sourire et de s’entretenir plutôt que d’être bien uniformément séparés par un tissu blanc, si bien qu’ils n’ont tout le temps que le plafond à regarder33 », une déclaration qui restera toutefois à l’état de note et ne sera jamais publiée.
- 34 Pro Juventute, « Mutter und Kind / Mère et enfant / Madre e bambino », 26, 1955, et Pro Juventute, (...)
- 35 René Spitz, « An Inquiry into the Genesis of Psychiatric Conditions in Early Childhood », The Psych (...)
- 36 John Bowlby, Attachement et perte (3 vol.), Paris, PUF, 2002-2007 (éd. anglaise 1969-1980).
- 37 Suzanne Taponnier, « Soins maternels et santé mentale. Rapport de John Bowlby publié par l’OMS, étu (...)
18Il faut attendre les années 1950 pour que la revue accorde une attention marquée au bien-être psychique du nourrisson, avec la publication de deux numéros spéciaux en 1955 et 1958 respectivement intitulés « Mère et enfant » et « Âmes d’enfants en danger34 », qui mettent en avant les deux notions d’« hospitalisme » et de « carence affective ». La première est développée par le psychanalyste d’origine hongroise René Spitz, réfugié à New York, qui en 1945 et 1946 affirme que les nourrissons pris en charge en institution, bien traités mais privés de contact humain, connaissent de graves retards de développement. Spitz, qui a lui-même étudié à Vienne, reprend après son départ aux États-Unis les travaux de Bühler et Hetzer en les inscrivant dans un cadre psychanalytique et qualifie ce phénomène d’« hospitalisme35 ». La notion de « carence affective » provient quant à elle du rapport sur « le soin maternel et la santé mentale » rédigé par le psychologue anglais John Bowlby pour l’OMS en 1952. Dans ce rapport, qui le rend célèbre, il conclut au besoin pour le nourrisson d’une relation exclusive avec sa mère ou avec un substitut maternel, qu’il formalisera plus tard par la notion d’« attachement36 ». Le lien avec ces deux auteurs est explicite, puisque le numéro Pro Juventute de 1955 contient un résumé du rapport Bowlby ainsi qu’un article de Spitz en personne37.
- 38 Le mouvement pour l’hygiène mentale naît aux États-Unis et repose sur une conception collective et (...)
- 39 Martine Ruchat, « Des médecins suisses au congrès de psychiatrie infantile : l’hypothèse de l’hygiè (...)
- 40 Marie Meierhofer et Wilhelm Keller, Frustration im frühen Kindesalter. Ergebnisse von Entwicklungss (...)
19Ces deux numéros sont aussi l’occasion pour plusieurs psychologues suisses renommés de s’exprimer. Parmi eux se distingue la pédiatre et psychologue Marie Meierhofer, qui publiera dans Pro Juventute jusque dans les années 1970. Médecin municipal de la ville de Zürich de 1948 à 1952, elle fonde à Zurich en 1957 l’Institut d’hygiène mentale de l’enfance (Institut für Psychohygiene im Kindesalter). Avec cette référence explicite à l’hygiène mentale38, elle s’inscrit dans un mouvement déjà bien implanté en Suisse39. Au sein de son institut, elle conduit entre 1958 et 1968 une étude longitudinale sur le développement des enfants pris en charge en pouponnière pendant la première année de leur vie, dans laquelle elle entreprend de démontrer que les situations de « négligence précoce » (Frühverwahrlosung) vécues par les nourrissons provoquent un état de frustration qui a des conséquences à l’âge adulte40.
« De l’hygiène physique à l’hygiène psychique » ou comment « réattacher » la mère à l’enfant
- 41 Spitz, « Das Kind… », Art. cit.
- 42 Marie Meierhofer, « Die Bedeutung der Mutterliebe für das erste Kindesalter », 26, 1955, p. 292-298
20La lecture des articles publiés par Pro Juventute à partir de 1955 fait apparaître un fait discursif nouveau : initialement limitée aux nourrissons en institutions, la question du bien-être psychologique s’étend désormais à tous les nourrissons. Cette extension procède d’une redéfinition des besoins du nourrisson en général, permise par la jonction nouvelle entre deux discours, l’un scientifique, initialement fondé sur l’observation des nourrissons placés, l’autre idéologique et critique de la modernité, selon lequel les nourrissons courraient le risque d’une carence de relation affective, y compris en famille, du fait de l’urbanisation des modes de vie, de la mécanisation, de la rationalisation du temps et de la disparition des anciennes sociabilités. Cette jonction s’observe chez Spitz41 mais aussi chez Meierhofer, qui met en parallèle les modes de vie familiaux rationalisés propres aux sociétés modernes avec le fonctionnement des pouponnières hygiéniquement irréprochables mais négligeant les besoins psychiques des nourrissons et préparant des adultes frustrés. Elle préconise par conséquent d’accorder davantage d’attention au nourrisson en lui parlant et en le regardant mais aussi en le consolant et en lui exprimant davantage d’affection42.
- 43 Benjamin Spock, Comment soigner et éduquer son enfant, Gérard et Cie, Verviers, 1960, pour l’éditio (...)
- 44 Meierhofer, « Die Bedeutung… », Art. cit., p. 292.
- 45 Cette continuité se retrouve également dans les « guides de puériculture » (Ratgeberlitteratur) les (...)
- 46 Hedwig Blöchliger, « Von der körperlichen zur seelischen Hygiene des Kindes », Pro Juventute, 36, 1 (...)
- 47 Hedwig Blöchliger, « Wo stehen wir mit der Säuglingsfürsorge? », Pro Juventute, 36, 1955, p. 392-39 (...)
- 48 Elisabeth Kleiner, « Aus dem Alltag einer Säuglingsfürsorgerin », Pro Juventute, 36, 1962, p. 11-15
- 49 Elfriede Schläppi, « Assistance aux nourrissons », Pro Juventute, 43, 1962, p. 43-49.
- 50 Carl Hafter, « Echte und unechte Mütterlichkeit », Pro Juventute, 26, 1955, p. 454-458.
21Meierhofer rejoint ainsi, sans le nommer, les conclusions du célèbre pédiatre Benjamin Spock, le premier à diffuser massivement une version plus libérale des règles de puériculture rigides établies au début du xxe siècle43. Elle s’en distingue toutefois par l’accent mis sur la relation exclusive de la mère avec son enfant, qui « bien que physiquement séparés, forment encore une unité psychique44 ». Cette reformulation met naturellement à mal les règles de puériculture professées dans Pro Juventute depuis ses origines, comme l’alimentation à horaires fixes, la distance entre la mère et l’enfant ou le fait de le « laisser crier45 ». Blöchliger, non sans quelque gêne, se charge dans un article de 1955 d’expliquer ce que signifie cet ajout « de l’hygiène physique à l’hygiène psychique », en tentant de réconcilier « médecins » d’un côté et « psychologues » de l’autre46. Elle-même s’adapte pourtant lentement : publiant plusieurs articles sur les consultations maternelles, elle ne mentionne pas leurs nouvelles missions de suivi psychologique47, pourtant mises en avant dans d’autres articles48 et que Schläppi, qui lui succède en 1962 à la tête de la division Mère et enfant, mettra particulièrement en valeur49. D’autres voix se font par ailleurs entendre dans Pro Juventute : le collègue bâlois de Meierhofer, Carl Hafter, moins essentialiste constate ainsi simplement que la famille moderne, avec son père gagne-pain et sa mère au foyer, a objectivement créé cette relation exclusive, qu’il se garde d’idéaliser : dans le sillage de Bowlby, il souligne les risques de refus comme de surprotection de la mère vis-à-vis de son enfant, distinguant ainsi une maternité « authentique » d’une maternité « inauthentique50 ».
22Toutes les prises de position exprimées dans Pro Juventute s’accordent toutefois pour souligner d’une part l’importance de l’enjeu (la santé mentale des adultes de demain) et d’autre part le danger que l’ignorance des mères fait courir à leur enfant. De la mortalité infantile à l’attachement maternel, la structure discursive est donc restée d’une similitude frappante : le recul de la mortalité infantile, tout comme celui de l’allaitement, ayant progressivement miné la justification scientifique d’une relation exclusive entre mère et enfant, les nouveaux savoirs psychologiques, en formulant de nouveaux enjeux, sont venus lui redonner sa raison d’être et permettre de « réattacher » la mère à l’enfant. On peut en conclure que la visibilité toute particulière, mais décalée, dont bénéficient soudainement les idées de Spitz et de Bowlby dans la revue Pro Juventute à partir des années 1950 ne tient pas d’abord à la situation dans les crèches et les pouponnières, identifiée depuis longtemps, mais au besoin de redéfinir la place de la mère par rapport à son enfant dans un contexte de changements sociaux perçus comme menaçants.
Contradictions et tensions dans le discours
23Si la continuité caractérise les représentations de la relation mère-enfant par-delà les profonds changements qui affectent la vision du nourrisson, la revue se confronte également à des réalités qui, de manière persistante, viennent contredire le modèle maternel qu’elle promeut. Il s’agit du travail féminin salarié, du besoin de prise en charge extrafamilial des nourrissons et de la place du père.
Le travail salarié des femmes
- 51 Toutes les données concernant le taux d’emploi féminin proviennent d’Anne-Lise Head-König, « Travai (...)
- 52 Brigitte Studer, « Family and Motherhood in 20th Century Swiss Social Policies », in Michella Mines (...)
- 53 F. Wegman, « Mütter-, Säuglings- und Kleinkindfürsorge in der Industrie », Pro Juventute, 3, 1922, (...)
- 54 « Rückgang des Geburtenüberschusses in der Schweiz », Pro Juventute, 5, 1924, p. 175-176 ; Otto Sti (...)
- 55 Pour un tour d’horizon européen, voir Karen Offen, Les féminismes en Europe, 1750-1950, p. 297-315 (...)
24Le travail salarié féminin concerne 45 % des femmes suisses en 192051. Séparant la mère de l’enfant et l’empêchant d’accomplir ses tâches domestiques, il contredit frontalement le modèle de la mère promu dans la revue Pro Juventute. Dès les années 1920, des articles s’attaquent au sujet, au nom du modèle de la mère allaitante, en critiquant notamment la loi sur les fabriques de 1877, qui interdit le travail des femmes enceintes quelques semaines avant et après l’accouchement, mais sans garantir de compensation financière52. D’autres articles encouragent également les industriels à fournir du matériel aux femmes enceintes, à financer des primes d’allaitement et à créer des salles d’allaitement et des crèches d’entreprise53. Il ne s’agit pas bien sûr de défendre les droits des femmes en tant que travailleuses mais leur santé – et celle de leur enfant – en tant que mères. Comme les autres pays européens, la Suisse connaît les préoccupations natalistes des années 1920 et 1930 et Pro Juventute participe régulièrement au débat démographique54. Cette angoisse de la dépopulation aboutit en Suisse, comme ailleurs en Europe55, à une politique familialiste encourageant le retour des femmes au foyer. En 1941, elles ne sont plus que 35 % à travailler.
- 56 Emil Frei, « Missbrauchte Mutterschaft (die Erwerbsarbeit der Mütter und ihre Folgen) », Pro Juvent (...)
- 57 Studer, « Family and Motherhood », Art. cit., p. 78-81.
- 58 Gaby Sutter, Berufstätige Mütter. Subtiler Wandel der Geschlechterordnung in der Schweiz (1945-1970 (...)
- 59 Francesca Falk, Gender innovation and migration in Switzerland, Cham, Palgrave Macmillan, 2019, p. (...)
- 60 Jacob Aebli, « Der Einfluss der Erwerbstätigkeit der Mütter auf die Erziehung der Kinder », Pro Juv (...)
- 61 Emmi Moor, « Familienmütter in der Erwerbsarbeit », Pro Juventute, 36, 1955, p. 110-114 ; Emma Stei (...)
- 62 « Briefe von Müttern, die ihre Erwerbstätigkeit aufgegeben haben », Pro Juventute, 39, 1958, p. 477 (...)
25Après 1945, les articles de Pro Juventute continuent à traiter du travail féminin comme d’un problème social, celui des mères pauvres, dont le statut marital de mariée, veuve, célibataire ou divorcée est soigneusement différencié56. Fondé sur les assurances sociales et la garantie de salaires élevés, l’État social suisse qui se construit pendant les Trente Glorieuses prend pour seul sujet le travailleur masculin et père de famille, tandis que les femmes sont pensées avant tout comme ayants droit de leur mari57. L’emploi féminin s’en trouve donc structurellement discriminé58. Cela ne l’empêche pas d’augmenter, atteignant à nouveau 42,5 % en 1971, une augmentation qui provient en réalité surtout de l’immigration59. Pour autant, la situation des mères migrantes, seules ou en couple, n’est pas documentée dans Pro Juventute. Les articles se concentrent au contraire sur les mères suisses, en soulignant les risques que leur absence fait peser sur le développement de leurs enfants60. La revue relaie les propositions pour limiter le temps de travail des femmes ou le supprimer par des allocations familiales ou encore pour créer un salaire maternel et une retraite afférente61. Elle publie même des lettres reçues de lectrices qui auraient « renoncé à leur activité salariée62 ».
- 63 Hedwig Blöchliger, « Der Beruf der Säuglingsfürsorgerin », Pro Juventute, 11, 1930, p. 93-97.
- 64 Hanny Waeber, « Die Sozialarbeit an der Saffa », Pro Juventute, 9, 1928, p. 312-313. Cette expositi (...)
- 65 Ar PJ 8.8-003 : Kinderland, Säuglingsernährung, 1958.
26Cette hostilité au travail salarié féminin peut sembler paradoxale, dans la mesure où la revue défend dès les années 1920 la formation et même la professionnalisation des femmes dans le secteur social, en particulier celui de la petite enfance63. Les directrices successives de la division Mère et enfant, Blöchliger de 1929 à 1962 puis Schläppi de 1962 à 1981, sont elles-mêmes des professionnelles reconnues. Pro Juventute suit l’actualité des écoles sociales de femmes de Genève, Lucerne et Zurich, rend compte de l’« Exposition suisse sur le travail des femmes » (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit ou SAFFA) en 192864 et publie régulièrement des annonces de recrutement. En tant qu’actrices de la revue comme en tant que lectrices, certaines femmes ont donc pu y trouver à cette époque un espace de professionnalisation et d’émancipation, dans l’horizon de la petite enfance considérée comme domaine féminin. Cet effet d’émancipation semble cependant s’émousser dans les années 1950 : à la deuxième Exposition suisse sur le travail des femmes en 1958, Pro Juventute continue de relayer le discours de la puériculture des années 193065 et projette un film intitulé « La famille heureuse » (Die glückliche Familie) qui présente le travail salarié de la mère comme un danger, un paradoxe dans cette manifestation dont la vocation est précisément d’en faire le plaidoyer.
- 66 Organisation faîtière familialiste fondée en 1942, à laquelle participe Pro Juventute.
- 67 Ar PJ 8.2-069.2 : Monastrapporte, 15 décembre 1965, p. 2.
- 68 « Mutter und Kind – eine Idylle ? Statt eines Vorwortes », Pro Juventute, 53, 1972, p. 9-21, p. 21.
- 69 Pro Juventute, 54, 1973, « Berufe im Dienste des Kleinkindes ».
- 70 Pia Graf et Monika Zinnenlauf, « Allein erziehen, allein versorgen, allein verantwortlich sein », P (...)
- 71 « Die zweite Ausländergeneration », Pro Juventute, 62, 1981, p. 27.
27Les divergences internes sur l’emploi féminin ne sont pas débattues publiquement dans la revue. Schläppi apparaît favorable au travail salarié des femmes. Dès 1965, sortant d’une réunion de Pro Familia66, elle note ainsi, non sans sarcasme : « Pas grand-chose de neuf à noter, mais nous avons constaté avec satisfaction que l’activité professionnelle des femmes fait désormais l’objet d’un jugement un peu plus nuancé, y compris dans les cercles conservateurs67 ». Pourtant la ligne de la revue ne change guère : en 1972, le secrétaire général de Pro Juventute affirme dans une interview que « la femme voit plutôt le côté humain, l’homme le côté technique68 », ce qui la destinerait prioritairement à des emplois de service social. C’est cette voie étroite qu’utilise Schläppi pour publier en 1973 un numéro spécial de Pro Juventute sur la professionnalisation des femmes dans le domaine de la petite enfance69. Plus notable est le changement de traitement que connaît le travail des « mères célibataires » (désormais sans distinction) : plutôt regardées comme victimes à la fin des années 1960 (voir illustration 2), elles sont davantage présentées comme sujets de droits70 avec une vision du travail qui dépasse les limites de secteurs jugés féminins pour intégrer l’emploi industriel (voir illustration 3). Au même moment, le thème des « étrangers de la deuxième génération », incluant les mères, fait son apparition tardive dans Pro Juventute71.
La prise en charge extrafamiliale des nourrissons
- 72 Emma Stämpfli-Studer, « Hausordnung für bestehende oder neuzugründende Krippen », Pro Juventute, 2, (...)
- 73 O. de Meyenburg, « Crèches suisses », Pro Juventute, 6, 1925, p. 129-135.
- 74 « Hoffnung auf Hülfe. Ein Appel zugunsten der Krippensache », Pro Juventute, 3, 1922, p. 482-485.
- 75 Emmy Buser-Plüss, « Bewährt sich die Mutterschule ? », Pro Juventute, 19, 1938, p. 244-247.
- 76 Freudweiler, « Die Aufgaben eines Mütterheimes », Pro Juventute, 9, 1928, p. 167-171.
- 77 Emma Stämpfli-Studer, « Die Krippe als Elternerziehungsanstalt », Pro Juventute, 9, 1928, p. 175-17 (...)
28Tout en promouvant un modèle familial traditionnel, Pro Juventute a toujours soutenu toutes les formes de prise en charge extrafamiliale des nourrissons, que ce soit à la journée (crèches), de longue durée (pouponnières) ou au moment de l’accouchement (foyer pour mère et enfant). Bien entendu, cette prise en charge reste un dernier recours, justifié par un accident ou une défaillance de la mère. Les crèches, plus nombreuses, font dès les années 1920 l’objet d’une attention particulière : Pro Juventute diffuse un modèle de règlement pour d’éventuelles nouvelles créations de crèches72, coordonne un questionnaire à l’échelle nationale en 192573 et mobilise l’opinion publique en leur faveur74. Considérées comme des modèles, toutes ces institutions sont du même coup investies d’une mission éducative non seulement à destination des puéricultrices, qui y sont formées, mais aussi à destination des parents : les « écoles de parents » sont fréquemment adossées à des pouponnières, où les futures mères peuvent s’entraîner sur de vrais nourrissons75 ; les foyers pour mère et enfant sont encouragés à abandonner le registre du « repentir » pour celui de la « rééducation » à la fonction de mère76 ; les crèches enfin, sont aussi des « institutions éducatives » dans lesquelles « la propreté, l’hygiène, l’ordre et la discipline font partie de l’air que respirent aussi bien les enfants que les parents77 ».
- 78 En 1962, elle crée notamment une commission spécialisée pour le conseil aux crèches et aux foyers d (...)
- 79 Pro Juventute, 48, 1967, « Kinderkrippen / Crèches / Nidi d’infanzia », « Kindergärten / Éducation (...)
- 80 Edwin Kaiser, « Krippen, ein notwendiges Übel ? », Pro Juventute, 48, 1967, p. 99-101.
- 81 Gaudin, « Quelle fonction doit remplir la crèche dans l’équipement social d’une communauté ? », ibi (...)
- 82 Felix Berth, « Der skeptische Blick. Pädiatrische Perspektiven auf frühe institutionelle Kinderbetr (...)
- 83 Le Centre international de l’enfance est une organisation internationale créée par le gouvernement (...)
- 84 Falk, Gender Innovation and Migration, op. cit., p. 46-49.
- 85 « Zur Lage der Ausländerkinder in der Schweiz », Pro Juventute, 62, 1981, p. 27-29.
- 86 Studer, « Family and Motherhood », Art. cit., p. 86.
29La critique hospitaliste remet bien sûr en question cette image et Pro Juventute lui donne une large place, en particulier par la voix de Meierhofer. Pour autant, celle-ci milite moins pour la fermeture que pour la réforme de ces établissements78. C’est aussi manifestement la ligne éditoriale de Pro Juventute qui publie en 1967 plusieurs numéros spéciaux, dont un sur les crèches79. Une diversité de points de vue s’y fait entendre : si les auteurs alémaniques continuent à considérer la crèche comme un « mal nécessaire80 », les Romands insistent davantage sur sa « fonction sociale81 », notamment en termes de mixité sociale. Tous s’accordent cependant sur la nécessité de garantir ce service en l’améliorant pour répondre aux besoins du nourrisson. Habituellement influencée par l’Allemagne, Pro Juventute s’en distingue ici en ne rejoignant pas le consensus dominant chez son voisin, où les crèches restent durablement délégitimées82. Elle s’insère au contraire dans un courant international plus favorable aux crèches auquel Schläppi, formée à deux reprises au Centre international de l’enfance83, est bien intégrée. La reconnaissance de la nécessité des crèches dans Pro Juventute s’accompagne cependant de deux non-dits. Au sein du public accueilli, tout d’abord, le nombre d’enfants de familles et de mères migrantes dans les crèches augmente et reste majoritaire jusqu’à la fin des années 197084. Tout à fait invisibilisé, ce sujet n’est discuté que tardivement, pour la première fois en 198185. L’État social suisse, ensuite, conserve une lacune notable : l’absence d’un congé de maternité légal au niveau fédéral (obtenu en 2005 seulement)86. Cette absence continue à rendre nécessaires les crèches pour les femmes obligées de travailler peu après la naissance de leur enfant. Pro Juventute soutient la nécessité des crèches, mais n’a jamais porté de débats sur le congé de maternité légal au sein de sa revue.
La relation mère-enfant et l’arrivée des pères
- 87 Voir Steiger, « Die Elternschulung im Kanton Zürich », Pro Juventute, 12, 1931, p. 5-11.
- 88 « Chronik der Abteilung Mutter und Kind des Zentralsekretariats Pro Juventute 1919-1962 », Pro Juve (...)
- 89 Marie Meierhofer et Heinrich Nufer, « Psychohygiene im Kindesalter », Pro Juventute, 59, 1978, p. 6 (...)
- 90 Meierhofer, « Die Bedeutung… », Art. cit., p. 292.
- 91 « Mutter und Kind – eine Idylle ? », Art. cit., p. 15.
- 92 Ar PJ 1.4-035.ST12.02 : Abteilung Mutter und Kind Ende Februar 1979.
30Les articles de Pro Juventute consacrés au nourrisson se destinent longtemps à la mère et à elle seule. La référence aux « parents » existe certes déjà dans les années 193087, mais renvoie exclusivement à la mère dès qu’il s’agit du nourrisson. Le passage de l’allaitement au besoin d’« attachement » du nourrisson renforce encore cette exclusion des pères. Sauf une mention de cours de puériculture incluant les pères en 195788, il faut attendre les années 1970 pour que le discours de Pro Juventute évolue. En 1972, le secrétaire général reconnaît dans une interview que « les pères se sentent aussi responsables du jeune enfant que les mères ». Désormais, il est généralement question de la formation des « parents » plutôt que de « la mère ». Même Meierhofer ajuste son discours : elle insiste systématiquement sur la présence des « parents89 » et abandonne la référence à l’« unité psychologique de la mère et de l’enfant90 ». Le nom même de la division « Mère et enfant » en vient à être discuté91, tandis que pour la première fois des hommes apparaissent dans son équipe92. Les représentations iconographiques évoluent elles aussi : à une représentation idéalisée du père encore distant de l’enfant (voir illustration 4) succède une représentation plus concrète et proche de lui (voir illustration 4).
Illustration no 5 : L’enfant a aussi besoin de son père (trad. des auteurs), Pro Juventute, p. 15, 59/10, 1978.

- 93 Delaisi et Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit., p. 49-67.
- 94 Till van Rahden, « Wie Vati die Demokratie lernte. Religion, Familie und die Frage der Autorität », (...)
31Cette évolution semble s’observer de manière similaire par exemple en France au même moment93 mais elle a en Suisse la particularité d’y précéder les changements légaux : dans une société dont le personnel politique reste massivement masculin du fait de l’exclusion des femmes du droit de vote, l’« autorité parentale » n’y remplace la « puissance paternelle » qu’en 1978, contre 1970 en France et 1959 en République fédérale d’Allemagne. Dans ce dernier pays, l’expérience de la dictature a dès l’après-guerre remis en question le père en tant que figure autoritaire94, une spécificité qui ne se retrouve pas en Suisse.
Conclusion
- 95 Pro Juventute, 62, 1981, p. 3.
- 96 Ar PJ 8.2-153, Mütterberatung : Ablösung 1988-1992.
- 97 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard, Seuil, 1997, p. 212-224.
32Pro Juventute disparaît en 1981, au profit de deux périodiques, l’un à destination de ses bénévoles, l’autre à destination du grand public95. Mais la petite enfance ne fait plus partie des sujets traités, la division Mère et enfant disparaît et les activités dans le secteur de la puériculture sont interrompues à partir de 198896 et confiées à d’autres institutions, le plus souvent hospitalières. Sur l’ensemble de sa période de parution, Pro Juventute présente une remarquable continuité des représentations de la relation mère-enfant, au prix de l’invisibilisation de certaines thématiques et d’ajustements tardifs, qui témoignent en creux d’une conscience des contradictions sociales en interaction avec lesquelles la revue produit son discours. Dans cette mesure, sa vocation est authentiquement biopolitique, si tant est qu’on entende par là non un simple pouvoir disciplinaire mais bien un pouvoir diffus qui traverse et « régularise » les individus plus qu’il ne les discipline97. Autre permanence, celle du discours maternaliste, porté par des femmes, qui fait de la petite enfance le domaine réservé non seulement des mères mais aussi de professionnelles qui l’investissent en pédiatrie, puériculture ou psychologie. Ce discours se retrouve jusque dans les années 1960 et même 1970 alors que ses potentialités émancipatrices se sont manifestement épuisées, dans un contexte où l’emploi salarié féminin s’est accru dans de nombreux pays européens, y compris en Suisse. Dernière permanence, l’intérêt de Pro Juventute pour l’accueil extrafamilial ne contredit pas sa vision traditionnelle de la famille mais la complète : dans un système de protection sociale légitimement centré sur le travailleur masculin, l’accueil extrafamilial est considéré comme un filet de sécurité pour les femmes pauvres, seules ou migrantes et contraintes de travailler, une vision là aussi en décalage avec la plupart des pays européens où il est progressivement considéré comme un droit et non comme une aide sociale.
Notes
1 Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, Presses universitaires de France, 2000 (8e éd.), p. 59.
2 Jacques Donzelot, La police des familles, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
3 Cette recherche a été conduite dans le cadre du projet Das Säuglingswohl in der Schweiz. Eine historisch vergleichende Diskursanalyse über Gefärdungen im ersten Lebensjahr (subside du Fonds national de la recherche scientifique suisse 192582). Nous remercions tout particulièrement Joëlle Droux pour ses conseils et son introduction à la revue Pro Juventute.
4 Pro Juventute. Schweizerische Monatsschrift für Jugendhilfe / Revue mensuelle pour la protection de la jeunesse / Rivista svizzera per la protezione della gioventu, désormais Pro Juventute.
5 Voir Anne Cova, « Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Femmes, genre et histoire, 21, 2005, p. 189-205 ; Julie Doyon et alii, « Normes de parentalité : modélisation et régulations (xviiie-xxie siècle) », Annales de démographie historique, 125, 1, 2013, p. 7-23, et Sarah Scholl, « Allaitement et citoyenneté au regard de l’histoire des politiques de populations au xixe siècle », in Yasmina Foehr-Janssens, Daniela Solfaroli Camillocci (dir.), Allaiter. Histoire(s) et cultures d’une pratique, Turnhout, Brepols, p. 143-152.
6 Axelle Brodiez-Dolino et Bruno Dumons (dir.), La protection sociale en Europe au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, et dans ce même volume Brigitte Studer, « Genre et protection sociale », p. 101-120.
7 Sarah Galle, Kindswegnahme. Das « Hilfswerk für die Kinder der Landsstrasse » der Stiftung Pro Juventute im Kontext der Schweizerischen Jugendfürsorge, Zürich, Chronos, 2016.
8 Joëlle Droux, « Pédiatres et pédiatrie à Genève. L’enfance de l’art (1880-1950) », in Susanne Suter (dir.), Âges et visage de la pédiatrie. La genèse du département de pédiatrie, Genève, Genève, Georg Éditeur, 2001, p. 43-62, ici p. 52-55.
9 Joëlle Droux, « A quintessential mixed economy? The issue of illegitimacy as a testing ground for creative collaboration between public and private actors in French-speaking Switzerland, 1890-1960 », in Fabio Giomi, Célia Keren et Morgane Labbé (dir.), Public and Private Welfare in Modern Europe. Productive Entanglements, Londres et New York, Routldege, 2022.
10 Archives de Pro Juventute aux Archives sociales de Zurich (désormais Ar PJ) 1.4-035.ST12.02 : Stellenbild der einzelnen Mitarbeiter.
11 Archiv Gosteli Stiftung, Bestandesnummer 155, Unterlagen zur Sozial-caritativen Frauenschule: Verzeichnis Diplomarbeiten, Kurs 1924-1926, p. 5.
12 Ar PJ 1.4-035.ST12.02: Stellenbild der einzelnen Mitarbeiter.
13 Lutz Raphael, « Die Verwissenschaftlichung des Sozialen als methodische und konzeptionelle Herausforderung für eine Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts », Geschichte und Gesellschaft, 1996, 22/2, p. 165-193.
14 Frida Imboden-Kaiser, « Mütter sollen ihre Kinder selbst stillen. Ergebnisse der St. Gallischen Säuglingsstatistik », Pro Juventute, 2, 1921, p. 54-57.
15 Frida Imboden-Kaiser, Wie ich mein Kind pflege, Zurich, secrétariat central de Pro Juventute, 1922.
16 Frida Imboden-Kaiser, « Der Rückgang der Säuglingssterblichkeit in der Schweiz », Pro Juventute, 2, 1921, p. 185-190, ici p. 189.
17 Scholl, op. cit., « Allaitement et citoyenneté… ».
18 Cette focalisation sur l’allaitement et sur le rôle de la mère se retrouve dans toutes les sociétés européennes et nord-américaines. Pour une approche européenne de cette question, voir Jörg Vögele et Timo Heimerdinger (dir.), Infant Feeding and Nurition during the 19th and 20th Centuries. Perceptions and Dynamics, Göttingen, Cuvillier Verlag, 2020.
19 Voir le numéro thématique de la Revue suisse d’histoire, « Histoire des statistiques », 45, 1, 1995.
20 La corrélation n’a pas de caractère systématique dans le cas français : voir Catherine Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile en France à la fin du xixe siècle », Population, 33, 6, 1978, p. 1189-1203 ; elle en a davantage dans le cas allemand, voir Rolf Gehrmann, « Säuglingssterblichkeit in Deutschland im 19. Jahrhundert », Zeitschrift für Bevölkerungswissenschaft, 36, 4, 2011, p. 807-838.
21 Marie-France Morel, « Les soins prodigués aux enfants : influence des innovations médicales et des institutions médicalisées (1750-1914). Médecine et déclin de la mortalité infantile », Annales de démographie historique, 1989, p. 157-181.
22 Imboden-Kaiser, « Der Rückgang », Art. cit., p. 189.
23 Pour la France, voir Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand, L’art d’accommoder les bébés : 100 ans de recettes françaises de puériculture, Paris, Éditions du Seuil, 1980 ; pour la Belgique, voir Claudine Marissal, Protéger le jeune enfant. Enjeux sociaux, politiques et sexués (Belgique, 1890-1940), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014 ; pour l’Allemagne, voir Silke Fehlemann, Armutsrisiko Mutterschaft. Mütter- und Säuglingsfürsorge im Deutschen Reich (1890-1924), Düsseldorf, Université de Düsseldorf. Pour les États-Unis, voir Rima Apple, Perfect Motherhood: Science and Childrearing in America, New Brunswick, Rutgers University Press, 2006.
24 Sarah Scholl, « L’ascèse du lait. Figure maternelle et puériculture à la fin du xixe siècle », in Foehr-Janssens et alii, Allaiter, op. cit., p. 581-592.
25 E. Rhonheimer, « Mütterberatungsstellen », Pro Juventute, 6, 1925, p. 592-598.
26 W. Trachsler, « Ursachen und Folgen der Verminderung der Kindersterblichkeit », Pro Juventute, 22, 1940, p. 257-262.
27 Frida Imboden-Kaiser, « Die Säuglingsfürsorge in Stadt und Kanton St Gallen », Pro Juventute, 33, 1952, p. 316-319, ici p. 319.
28 Rhonheimer, Art. cit., p. 595.
29 Guido Fanconi, « Hygienische Fragen im Kleinkinderheim », Pro Juventute, 13, 1932, p. 2-6.
30 Katharina Rowold, « De quoi un bébé a-t-il besoin pour s’épanouir ? Les différentes interprétations de l’hospitalisme, dans le contexte international, entre 1900 et 1945 », Devenir, 33, 4, p. 311-340, ici p. 314-318.
31 Hildegard Hetzer, « Différences fondamentales entre enfants objets de soins entendus et enfants qui en sont privés », Pro Juventute, 11, 1931, p. 70-73 ; sur Charlotte Bühler, voir Madeleine Ganz, « Die Kinderübernahmenstelle der Stadt Wien », Pro Juventute, 14, 1933, p. 207-208.
32 Rowold, « De quoi un bébé a-t-il besoin… », Art. cit., p. 321-331.
33 Ar PJ 8.2-073 : note non datée (probablement début des années 1940).
34 Pro Juventute, « Mutter und Kind / Mère et enfant / Madre e bambino », 26, 1955, et Pro Juventute, « Kinderseele in Not / Âmes d’enfants en danger / Anime infantili in pericolo », 29, 1958.
35 René Spitz, « An Inquiry into the Genesis of Psychiatric Conditions in Early Childhood », The Psychoanalytic Study of the Child, 1, 1945, p. 53-74 et idem, « Hospitalism: A Follow-Up Report », The Psychoanalytic Study of the Child, 2, 1946, p. 113-117.
36 John Bowlby, Attachement et perte (3 vol.), Paris, PUF, 2002-2007 (éd. anglaise 1969-1980).
37 Suzanne Taponnier, « Soins maternels et santé mentale. Rapport de John Bowlby publié par l’OMS, étudiant du point de vue de la santé mentale les besoins des enfants sans foyer », Pro Juventute, 26, 1955, p. 327-330 ; René Spitz, « Das Kind und seine frühste Umwelt », ibid., p. 288-292.
38 Le mouvement pour l’hygiène mentale naît aux États-Unis et repose sur une conception collective et préventive de la santé mentale, dans le prolongement de l’hygiène sociale. Sur la naissance de ce mouvement, voir Clifford Beers, A Mind That Found Itself, Pittsburgh et Londres, University of Pittsburg Press, 1981 [1908].
39 Martine Ruchat, « Des médecins suisses au congrès de psychiatrie infantile : l’hypothèse de l’hygiène mentale », Revue d’histoire de l’enfance irrégulière, 18, 2016, p. 185-200.
40 Marie Meierhofer et Wilhelm Keller, Frustration im frühen Kindesalter. Ergebnisse von Entwicklungsstudien in Säuglings- und Kleinkinderheimen. Bern, Stuttgart, Hans Huber Verlag, 1965.
41 Spitz, « Das Kind… », Art. cit.
42 Marie Meierhofer, « Die Bedeutung der Mutterliebe für das erste Kindesalter », 26, 1955, p. 292-298.
43 Benjamin Spock, Comment soigner et éduquer son enfant, Gérard et Cie, Verviers, 1960, pour l’édition en français. Paru en anglais en 1946, l’ouvrage a été traduit en 39 langues et vendu à plus de 50 millions d’exemplaires.
44 Meierhofer, « Die Bedeutung… », Art. cit., p. 292.
45 Cette continuité se retrouve également dans les « guides de puériculture » (Ratgeberlitteratur) les plus diffusés en Suisse dans les années 1950. Voir Helene Mühlestein, Hausfrau, Mutter, Gattin. Geschlechterkonstituierung in Schweizer Ratgeberliteratur 1945-1970, Zurich, Chronos, 2009.
46 Hedwig Blöchliger, « Von der körperlichen zur seelischen Hygiene des Kindes », Pro Juventute, 36, 1955, p. 278-282.
47 Hedwig Blöchliger, « Wo stehen wir mit der Säuglingsfürsorge? », Pro Juventute, 36, 1955, p. 392-397; idem, « Stand und Probleme der Säuglingsfürsorge in der Schweiz », Pro Juventute, 43, 1962, p. 4-11.
48 Elisabeth Kleiner, « Aus dem Alltag einer Säuglingsfürsorgerin », Pro Juventute, 36, 1962, p. 11-15.
49 Elfriede Schläppi, « Assistance aux nourrissons », Pro Juventute, 43, 1962, p. 43-49.
50 Carl Hafter, « Echte und unechte Mütterlichkeit », Pro Juventute, 26, 1955, p. 454-458.
51 Toutes les données concernant le taux d’emploi féminin proviennent d’Anne-Lise Head-König, « Travail féminin », in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 05.03.2015, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013908/2015-03-05/, consulté le 27.03.2023.
52 Brigitte Studer, « Family and Motherhood in 20th Century Swiss Social Policies », in Michella Minesso (dir.), Welfare Policies in Switzerland and Italy. Institutions, Motherhood, Family and Work in the 19th and 20th Centuries, Berlin, Peter Lang, 2021, p. 67-94, ici p. 71-74.
53 F. Wegman, « Mütter-, Säuglings- und Kleinkindfürsorge in der Industrie », Pro Juventute, 3, 1922, p. 467-469.
54 « Rückgang des Geburtenüberschusses in der Schweiz », Pro Juventute, 5, 1924, p. 175-176 ; Otto Stiner, « Der Geburtenrückgang in der Schweiz », Pro Juventute, 6, 1925, p. 567-575 ; W.H. Ruoff, « Zur Geburtenfrage », Pro Juventute, 12, 1931, p 219-232, p 262-267, p 319-323.
55 Pour un tour d’horizon européen, voir Karen Offen, Les féminismes en Europe, 1750-1950, p. 297-315 et p. 435-443.
56 Emil Frei, « Missbrauchte Mutterschaft (die Erwerbsarbeit der Mütter und ihre Folgen) », Pro Juventute, 33, 1952, p. 56-64.
57 Studer, « Family and Motherhood », Art. cit., p. 78-81.
58 Gaby Sutter, Berufstätige Mütter. Subtiler Wandel der Geschlechterordnung in der Schweiz (1945-1970), Zurich, Chronos, 2005.
59 Francesca Falk, Gender innovation and migration in Switzerland, Cham, Palgrave Macmillan, 2019, p. 42.
60 Jacob Aebli, « Der Einfluss der Erwerbstätigkeit der Mütter auf die Erziehung der Kinder », Pro Juventute, 36, 1955, p. 303-306.
61 Emmi Moor, « Familienmütter in der Erwerbsarbeit », Pro Juventute, 36, 1955, p. 110-114 ; Emma Steiger, « Die Kinderzulagen sollen die Erwerbsarbeit der Mütter vermindern », Pro Juventute, 39, 1958, p. 479-482.
62 « Briefe von Müttern, die ihre Erwerbstätigkeit aufgegeben haben », Pro Juventute, 39, 1958, p. 477-479.
63 Hedwig Blöchliger, « Der Beruf der Säuglingsfürsorgerin », Pro Juventute, 11, 1930, p. 93-97.
64 Hanny Waeber, « Die Sozialarbeit an der Saffa », Pro Juventute, 9, 1928, p. 312-313. Cette exposition, organisée par une coordination de mouvements féminins, devait démontrer la contribution des femmes suisses à l’économie et à la société.
65 Ar PJ 8.8-003 : Kinderland, Säuglingsernährung, 1958.
66 Organisation faîtière familialiste fondée en 1942, à laquelle participe Pro Juventute.
67 Ar PJ 8.2-069.2 : Monastrapporte, 15 décembre 1965, p. 2.
68 « Mutter und Kind – eine Idylle ? Statt eines Vorwortes », Pro Juventute, 53, 1972, p. 9-21, p. 21.
69 Pro Juventute, 54, 1973, « Berufe im Dienste des Kleinkindes ».
70 Pia Graf et Monika Zinnenlauf, « Allein erziehen, allein versorgen, allein verantwortlich sein », Pro Juventute, 62, 1981, p. 7-11.
71 « Die zweite Ausländergeneration », Pro Juventute, 62, 1981, p. 27.
72 Emma Stämpfli-Studer, « Hausordnung für bestehende oder neuzugründende Krippen », Pro Juventute, 2, 1921, p. 83-87, et « Reglement für Krippenanstalten », ibid., p. 87-89.
73 O. de Meyenburg, « Crèches suisses », Pro Juventute, 6, 1925, p. 129-135.
74 « Hoffnung auf Hülfe. Ein Appel zugunsten der Krippensache », Pro Juventute, 3, 1922, p. 482-485.
75 Emmy Buser-Plüss, « Bewährt sich die Mutterschule ? », Pro Juventute, 19, 1938, p. 244-247.
76 Freudweiler, « Die Aufgaben eines Mütterheimes », Pro Juventute, 9, 1928, p. 167-171.
77 Emma Stämpfli-Studer, « Die Krippe als Elternerziehungsanstalt », Pro Juventute, 9, 1928, p. 175-176.
78 En 1962, elle crée notamment une commission spécialisée pour le conseil aux crèches et aux foyers dans son institut, voir Ar PJ 8.2-069 : Monatsrapporte Dezember, 1962.
79 Pro Juventute, 48, 1967, « Kinderkrippen / Crèches / Nidi d’infanzia », « Kindergärten / Éducation du petit enfant / Educazione Prescolastica » et « Kinderhorte / Maisons d’accueil pour enfants / Asili-Nidi diurni ».
80 Edwin Kaiser, « Krippen, ein notwendiges Übel ? », Pro Juventute, 48, 1967, p. 99-101.
81 Gaudin, « Quelle fonction doit remplir la crèche dans l’équipement social d’une communauté ? », ibid., p. 119-122.
82 Felix Berth, « Der skeptische Blick. Pädiatrische Perspektiven auf frühe institutionelle Kinderbetreuung in der Bundesrepublik », Zeitschrift für Soziologie der Erziehung und Sozialisation, 38, 2018, p. 4-23.
83 Le Centre international de l’enfance est une organisation internationale créée par le gouvernement français sur une base interdisciplinaire avec une mission de formation complémentaire de celle de l’Unicef. Voir Yves Denéchère et Patrice Marcilloux (dir.), Le Centre international de l’enfance (1949-1997). Des archives à l’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
84 Falk, Gender Innovation and Migration, op. cit., p. 46-49.
85 « Zur Lage der Ausländerkinder in der Schweiz », Pro Juventute, 62, 1981, p. 27-29.
86 Studer, « Family and Motherhood », Art. cit., p. 86.
87 Voir Steiger, « Die Elternschulung im Kanton Zürich », Pro Juventute, 12, 1931, p. 5-11.
88 « Chronik der Abteilung Mutter und Kind des Zentralsekretariats Pro Juventute 1919-1962 », Pro Juventute, 43, 1962, p. 242-246, ici p. 244.
89 Marie Meierhofer et Heinrich Nufer, « Psychohygiene im Kindesalter », Pro Juventute, 59, 1978, p. 6-16.
90 Meierhofer, « Die Bedeutung… », Art. cit., p. 292.
91 « Mutter und Kind – eine Idylle ? », Art. cit., p. 15.
92 Ar PJ 1.4-035.ST12.02 : Abteilung Mutter und Kind Ende Februar 1979.
93 Delaisi et Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit., p. 49-67.
94 Till van Rahden, « Wie Vati die Demokratie lernte. Religion, Familie und die Frage der Autorität », in Daniel Fulda et alii, Demokratie im Schatten der Gewalt. Geschichte des Privaten im deutschen Nachkrieg, Göttingen, Wallstein Verlag, 2010, p. 122-151.
95 Pro Juventute, 62, 1981, p. 3.
96 Ar PJ 8.2-153, Mütterberatung : Ablösung 1988-1992.
97 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard, Seuil, 1997, p. 212-224.
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Titre | Illustration no 1 : Bébé Vite, publicité dans Pro Juventute, au dos de la revue, 36, 1955. |
URL | http://journals.openedition.org/genrehistoire/docannexe/image/8039/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 733k |
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Titre | Illustration no 2 : Les mères seules, couverture de Pro Juventute, 48/8-9, 1967 |
URL | http://journals.openedition.org/genrehistoire/docannexe/image/8039/img-2.jpg |
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Titre | Illustration no 3 : Les mères célibataires, couverture de Pro Juventute 62/7-1, 1981 |
URL | http://journals.openedition.org/genrehistoire/docannexe/image/8039/img-3.jpg |
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Titre | Illustration no 4 : Famille au parc, couverture de Pro Juventute, 55/10, 1974. |
URL | http://journals.openedition.org/genrehistoire/docannexe/image/8039/img-4.jpg |
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Titre | Illustration no 5 : L’enfant a aussi besoin de son père (trad. des auteurs), Pro Juventute, p. 15, 59/10, 1978. |
URL | http://journals.openedition.org/genrehistoire/docannexe/image/8039/img-5.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Bettina Grubenmann et Michel Christian, « Des nourrissons en danger : les représentations de la relation mère-enfant dans la revue suisse Pro Juventute des années 1920 aux années 1970 », Genre & Histoire [En ligne], 31 | Printemps 2023, mis en ligne le 29 septembre 2023, consulté le 01 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/8039 ; DOI : https://doi.org/10.4000/genrehistoire.8039
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