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Travaux soutenus

Claire Saunier-Le Foll, Femmes, pratiques associatives et action sociale en Seine-Inférieure à l’épreuve de la Grande Guerre

Thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université Lumière – Lyon 2, sous la direction de Manuela Martini, soutenue le 25 novembre 2022.

Cette étude a pour objectif de décrire et d’expliquer l’engagement des femmes dans l’action sociale sous sa forme collective. Recensant leurs affiliations aux sociétés, comités, structures de la philanthropie et de l’éducation populaire qui portent si souvent le nom d’œuvres, elle tire son origine du constat établi par de nombreuses biographies des affiliations multiples réalisées souvent simultanément par les femmes au sein des structures associatives et s’inscrit dans le large champ historiographique du Welfare state, de l’histoire des femmes et de leurs engagements politiques.

Le choix du périmètre de la Seine-Inférieure, marqué par sa proximité avec Paris et par l’ouverture sur le littoral de la Manche présente l’intérêt de comporter une mosaïque d’espaces géographiques et économiques, des paysages ruraux parfois en déprise aux grandes agglomérations industrielles de Rouen et du Havre. Le travail à l’échelle départementale garantit une certaine cohérence des sources administratives en regard de la réglementation de l’association, placée sous le régime de l’autorisation préfectorale avant la loi de liberté associative de juillet 1901 et sous le régime de la déclaration en préfecture ou sous-préfecture après cette date. Le département est également le cadre budgétaire essentiel de l’action sociale à partir de 1893. La période choisie, qui commence en 1890 avec l’appui des associations locales à la politique d’action sociale de nombreuses municipalités et s’achève en 1923, par la longue sortie de guerre, est celle d’un essor associatif majeur. Le vivier commun et nécessairement limité du personnel bénévole de l’action sociale est alors soumis à un faisceau d’influences, de l’hygiénisme naissant qui transforme les conditions du travail associatif aux bouleversements idéologiques qui vont du Ralliement des catholiques des années 1890 à la Séparation des Églises et de l’État de 1905 ; elles ouvrent sur la Grande Guerre, obligeant à la considérer dans son héritage de pratiques autant que dans ses aspects novateurs.

La méthode employée repose sur l’établissement d’un corpus d’affiliations, enrichi dans une démarche prosopographique, qui forme une base de données fiable de plus de 4 300 affiliations opérées par quelque 3500 affiliées au sein de 336 associations référencées, qui sont autant de « gouttes de lait », sociétés de charité maternelle traditionnelles, mais aussi comités plus nouveaux de lutte contre l’alcoolisme, ou bien encore d’assistance aux femmes sans emploi. Le corpus prend également en compte les œuvres de guerre, qui sont fréquemment des « associations-miroirs » émanant de structures existant avant le conflit.

Le bilan peut être celui d’une méthode, celle d’une approche territoriale des affiliations, des individus et des groupes, à rebours de la lecture du déploiement national de chacun d’entre eux. Il confirme que l’action sociale est bien le mode d’expression majeur des femmes dans la cité et permet d’en suivre les alliances, les conflits et leur dénouement. Trois axes de résultats peuvent être avancés.

Le premier est celui de la transformation profonde du tissu associatif au tournant du siècle ; les comités sortent de la zone grise du début de la période, s’autonomisent par rapport aux bureaux de bienfaisance dont ils sont souvent issus et acquièrent une existence légale. Ils abandonnent fréquemment la structure de comité genré hommes/femmes pour des structures mono-genrées féminines ou mixtes plus souples. Au Havre par exemple, les comités genrés, qui forment 30 % des associations de la ville en 1900, n’en représentent plus qu’un peu plus de 15 % dix ans plus tard.

Le deuxième axe est celui des réseaux, fruits d’une pluri-affiliation féminine qui caractérise la moindre bourgade possédant plusieurs œuvres et apparaît comme une modalité habituelle de l’investissement féminin. À Mont-Saint Aignan, au nord de Rouen, la veuve Leclin (1825- ?) est la présidente de la très laïque Société d’enseignement de la coupe et de la couture et membre de la même Union des femmes françaises (UFF). Léonie Génestal (1845-1922), épouse d’Henry, maire du Havre de 1908 à 1914 cumule une dizaine d’affiliations. À Darnétal, également dans la banlieue de Rouen, Céline Chabaille (1859-1945) est à la fois trésorière de la Société de charité maternelle et membre de l’UFF, branche benjamine de la Croix-Rouge. Cette pluri-affiliation, qui crée de fait des réseaux, est un facteur essentiel de la circulation des idées et de l’expression des fidélités, puisque des membres communs s’associent souvent pour créer des structures nouvelles. Le fonctionnement réticulaire de ces associations en explique la réussite rapide, par le réinvestissement des compétences acquises, contribuant à forger de véritables carrières.

Le troisième axe est celui de l’interférence des échelles, décuplée par l’avènement des grandes associations nationales en cours de formation au tournant du xxsiècle, qu’il s’agisse de la Ligue fraternelle des enfants de France qui fonde son premier comité local au Havre autour des chrétiennes sociales pendant l’hiver 1895-1896, du Conseil national des femmes françaises (CNFF) qui rassemble les féministes réformistes dès avril 1901 ou encore de la Ligue patriotique des Françaises née au printemps 1902 qui affilie bientôt les catholiques intransigeantes. Les instances nationales considèrent bientôt le vivier provincial comme une ressource précieuse dans le jeu des concurrences entre les mouvements. L’étude de ces agencements confirme l’enjeu que constitue, pour les unes et les autres, l’affiliation féminine – fût-elle provinciale –, permettant l’établissement de « fiefs » au sens politique du terme pour les personnalités féminines de premier plan que sont par exemple Lucie Félix-Faure (1866-1913), Julie Siegfried (1848-1922) ou Cécile Brunschvicg (1877-1946).

Ce travail ouvre des perspectives sur des comparaisons provinciales et sur les liens de ces réseaux entre eux, qui précèdent, complètent, étayent ou contredisent la formation des réseaux nationaux en cours d’élaboration. Il participe en ce sens à une histoire plus générale de la circulation des idées. En décrivant les carrières bénévoles des femmes, il éclaire leur activité dans une période où les itinéraires de formation ou de profession sont souvent difficiles à retracer.

Ainsi, cette thèse contribue à l’histoire de l’agencement national ou international de ces réseaux. Elle permet aussi de reconstituer et de rendre visibles des trajectoires individuelles de femmes jusqu’à présent restées dans l’ombre. Décrire l’itinéraire de Marie Maillard (1852-1933), petite-fille de métisse libre de Saint-Domingue devenue présidente de la branche rouennaise du CNFF, comprendre l’action de Georgina Latham (1853-1931), originaire d’une famille de quakers américains et investie dans plus de dix associations havraises, retrouver le parcours de Pauline Rebour (1878-1954), professeure d’école primaire supérieure qui accède au barreau pendant la Grande Guerre, c’est aussi tenter de sortir de l’ombre chacune de ces militantes pour les rendre accessibles à nos regards.

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