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Travaux soutenus

Sylvie Gautier, Les femmes, les banques, l’argent : recherches autour du Crédit agricole, des années 1960 à la fin des années 1990.

Thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université de Franche-Comté, sous la direction de Jean-Paul Barrière, soutenue le 14 juin 2022.

La salarisation et la tertiarisation du travail qui ne cesse de progresser durant les Trente Glorieuses s’accélèrent au début des années 1960 et concernent massivement les femmes. Le salariat constitue une avancée vers leur autonomie économique. Mais les travailleuses du tertiaire sont cantonnées à des métiers spécifiques et dévalorisés, dits féminins, contribuant à créer des postes de travail sexués. Les banques qui emploient des cohortes de femmes n’échappent pas à ces phénomènes économiques, sociaux et culturels. Cette thèse envisage la banque et les pratiques bancaires comme un observatoire des mutations du travail tertiaire des femmes et de leur rôle dans la décision financière des ménages, durant la période de massification du salariat et la bancarisation de la société française. À la même époque, la situation économique et financière des femmes est modifiée par la loi du 13 juillet 1965 qui autorise les épouses à ouvrir un compte en banque et à travailler sans l’autorisation du mari.

La thèse souhaite croiser des champs de recherche longtemps distincts à savoir les femmes dans les métiers de la banque, les femmes et la bancarisation de la société, les femmes et l’argent. Des travaux récents en histoire ont montré la gestion active des femmes et de leurs finances personnelles au cours du xxe siècle malgré les limites juridiques et sociales, et les obstacles culturels. Si la marge de manœuvre des épouses est plus restreinte que celle des veuves et des célibataires, les femmes ont montré leur capacité à faire fructifier leurs biens personnels. Cette recherche qui s’intéresse surtout à l’argent quotidien de la famille, s’inscrit donc dans un terrain historique encore en friche.

L’acteur au centre de l’étude est l’entreprise bancaire, employeur de très nombreuses femmes dans les années 1970, mais aussi prescripteur de normes genrées avec des stratégies marketing qui ciblent de plus en plus les femmes dès les années 1960. Comment répondent-elles à ces sollicitations ? Pourquoi, quand et comment utilisent-elles les services bancaires ? Selon quelles conséquences au sein du couple ? Il s’agit d’explorer la question de la libération des femmes d’un point de vue économique et financier.

La thèse s’inscrit dans le dispositif CIFRE avec une grande banque régionale, la caisse régionale du Crédit Agricole de Franche-Comté et s’appuie principalement sur la consultation d’archives privées de plusieurs établissements bancaires, au niveau national et régional où des sources variées ont été mobilisées, y compris des documents iconographiques. Ces derniers ont permis de construire un corpus publicitaire pour comprendre comment les banques avancent sur la question de l’autonomisation économique et financière des femmes. Un corpus de sources orales a également été constitué, composé de salariées et de clientes. Une enquête par questionnaire sur les pratiques financières des femmes a été menée auprès de clientes de la banque régionale.

La première partie montre comment se construit la division sexuée du travail : les femmes sont cantonnées aux postes d’exécution, souvent pénibles, et accèdent très progressivement à la catégorie des agents intermédiaires mais plus difficilement à celle des cadres. Seules quelques femmes pionnières, cadres, parviennent à surmonter les obstacles en mettant en place des stratégies et en mobilisant des ressources spécifiques, comme la capacité à occuper des postes multiples et diversifiés et/ou à maîtriser la technologie. À la fin des années 1990, des champs professionnels comme le réseau et ses métiers commerciaux mobiles commencent à s’ouvrir aux femmes jusqu’alors cantonnées à des fonctions commerciales sédentaires. Cette évolution a été facilitée par une politique active des ressources humaines en matière d’égalité, bien que cette initiative ait rencontré des résistances sur le terrain.

La deuxième partie démontre comment les femmes ont accès à la bancarisation à travers les stratégies marketing des banques. En effet, les publicités s’adressent aux ménagères jusqu’aux années 1970 avant de prendre en compte, dans les années 1980, les femmes actives. Ainsi l’étude du discours publicitaire révèle un décalage entre la réalité du rôle économique et financier des femmes et la perception des banques, partie prenante des idées d’une époque.

La troisième partie éclaire l’évolution des comportements financiers des femmes et les arrangements quotidiens des couples, revisitant ainsi leur place dans la famille. Du quotidien comptable familial à une participation plus grande à la décision en matière de crédit, l’autonomisation financière des épouses progresse lentement et leur implication dépend des outils que la banque met peu à peu à leur disposition.

Cette thèse met à jour les inégalités dans le monde professionnel de l’argent où le pouvoir reste associé aux hommes. Pendant longtemps, les femmes occupent des postes subalternes au service des hommes qui tiennent pour la plupart les postes de cadre. Si des pionnières parviennent à s’affranchir des préjugés quant aux qualités professionnelles des femmes et à contourner les difficultés structurelles dans l’entreprise, la grande majorité de celles qui exercent des responsabilités ont mené une carrière sur le modèle masculin. Par certains aspects, la publicité bancaire corrobore cette culture de l’entreprise : elle invisibilise les actives et rien n’invite explicitement les épouses à mettre en dépôt leurs finances personnelles, laissant supposer que ces clientes viendraient y déposer l’argent du mari, jusque dans les années 1980.

Dans les faits, les femmes gèrent le plus souvent l’argent du ménage et le compte bancaire, qu’il soit individuel ou commun. Dans les familles rurales de Franche-Comté des années 1970, il n’y a pas d’accord commercial entre le banquier et le client sans l’accord de l’épouse. Mais, plus vulnérables, les femmes sont plus épargnantes et choisissent des placements sécurisés. En dépit de leur conquête de territoires financiers, les banques peinent à considérer leurs besoins spécifiques, parfois dans le souci de ne pas créer de discrimination avec les hommes. De ce fait, elles passent à côté d’opportunités d’affaires et privent les clientes de services utiles, et leur politique de communication reste le plus souvent tourné vers le modèle masculin.

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