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Travaux soutenus

Lucie Falcone, Ces mythiques sœurs Goitschel : itinéraire mémoriel de deux championnes

Thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université de Limoges, sous la direction de Thomas Bauer, soutenue le 8 décembre 2022

Le 30 décembre 1964, le journal L’Équipe décerne pour la première fois le trophée du champion de l’année non pas à un sportif, mais à deux sportives : Christine et Marielle Goitschel, respectivement nées en 1944 et en 1945. Par ce geste, il fait des deux skieuses les premières femmes à obtenir cette récompense. En les plaçant devant un Jacques Anquetil ou un Pierre Jonquères d’Oriola, le rédacteur en chef Jacques Goddet – au-delà de la reconnaissance évidente qu’il attribue aux victoires féminines – envoie un message fort à tous ses lecteurs, celui de vouloir inscrire ces femmes dans la mémoire française. L’histoire des sœurs Goitschel, tant sur le plan sportif qu’humain, marque incontestablement l’imaginaire sportif et social de la génération des années 1960. Ces années constituent en effet un épisode mythique pour le ski alpin français. Nombreux sont ceux qui conservent, aujourd’hui encore, le souvenir des reines de la glisse française qui réalisent, pour la première fois dans l’histoire du sport tricolore, un « double doublé » sur les épreuves de slalom géant et de slalom spécial à l’occasion des Jeux olympiques d’Innsbruck de 1964. Deux sœurs, couronnées dans la plus grande épreuve sportive, c’est inédit. Le mythe de cette sororité, toutes deux non professionnelles à une époque où l’amateurisme fait débat, s’installe dans les esprits. Grâce à leurs exploits sportifs, à leur charisme et à leur place dans l’histoire du ski international elles inscrivent leur empreinte dans le temps. Puis, avec les années, la cadette Marielle occupera le devant de la scène, grâce à son ski agressif, proche de celui des hommes et son franc-parler. L’enjeu de cette thèse est d’analyser le processus par lequel le nom Goitschel s’est peu à peu « mythifié » pour marquer durablement l’imaginaire collectif.

La démarche choisie se situe en premier lieu au carrefour de trois champs de connaissance principaux : l’histoire du sport féminin, l’histoire sociale des représentations et l’histoire du ski alpin. Dans un second temps, d’autres cadres viennent renforcer l’analyse. C’est le cas de l’histoire des médias et de la presse, de l’histoire sociale des femmes, ou encore de l’histoire des sports et loisirs de montagne.

Sur le plan documentaire, la thèse s’appuie à la fois sur des objets de mémoire écrits (articles de presse papier issus notamment de L’Équipe, de France Soir et du Dauphiné Libéré et de leur autobiographie parue en 2008) et des ressources visuelles (Journal Télévisé, photographies et caricatures de presse) issues des archives de l’INAthèque ou des archives des différents quotidiens mais aussi de collections privées pour définir l’imaginaire associé aux Goitschel. D’autre part, cinq entretiens privés ont été réalisés entre 2020 et 2022 pour appuyer l’analyse : avec les anciennes skieuses Annie Famose et Isabelle Mir, qui appartiennent à la même génération que les deux sœurs, avec Henri Charpentier qui les a aidées à rédiger leur autobiographie, et directement avec Christine et Marielle Goitschel. La perspective choisie ici et illustrée à partir de l’exemple des sœurs Goitschel trouve son originalité dans la diversité des ressources mobilisées pour définir un imaginaire sportif et un panorama des représentations genrées véhiculées à propos des sportives.

Marielle et Christine Goitschel ont en effet participé à la construction d’un imaginaire novateur pour la sportive qui se diffuse progressivement dans une société en plein changement. En les situant entre championnes, icones et héroïnes, les représentations à leur propos sont diverses et toutes teintées d’émotion. Leur place dans l’imaginaire collectif est le produit de différentes formes d’appropriations médiatiques et témoigne d’une nouvelle réalité pour la skieuse, la sportive et la femme. La ligne directrice choisie consiste à décrypter les mises en récit, les discours et autres images que les médias ont notamment produit pour donner naissance à une légende et la charger au fur et à mesure d’une dimension mythique. Car la trajectoire officieuse – plus qu’officielle – de Christine et Marielle semble avoir été supplantée par sa « dimension imaginaire ». Au cours des années 1960, on constate que les journaux télévisés, radiophoniques ou papiers mettent en spectacle leur histoire. Ils se l’approprient pour la faire vivre et circuler auprès du grand public, tout en l’accordant avec les stéréotypes et normes de genre alors en vigueur pour les femmes. C’est ainsi que l’image des deux sœurs, en même temps qu’elle devient historique, véhicule les idéaux ou les dénonciations que porte une société française en renouveau. Les skieuses incarnent alors un féminin représentant une sous-catégorie quand le masculin incarne l’universel. En deux mots, tout l’enjeu de cette thèse est d’identifier les éléments saillants qui constituent les principaux souvenirs qu’il reste aujourd’hui de Christine et Marielle Goitschel. De quoi se souvient-on ? Pourquoi s’en souvient-on ? Et comment s’en souvient-on ? Et ce, afin de mettre en évidence des phénomènes se jouant à une échelle plus large.

Pour le démontrer, la thèse s’appuie sur trois temps de réflexion : une analyse historique de la conquête de l’or blanc, le décryptage des traces écrites et la déconstruction des traces visuelles. En partant de l’idée selon laquelle les sœurs Goitschel ont bénéficié d’une conjoncture favorable résultant de la simultanéité de divers facteurs avantageux, la première partie intitulée À la conquête de l’or blanc, pose un regard historique et sociologique sur la génération « bénie » du ski français afin de mieux saisir l’importance accordée aux deux skieuses. En suivant, la deuxième partie, Les skieuses en toutes lettres, s’attache à comprendre la « mythification » du nom même Goitschel en montrant comment le mythe se diffuse, se déforme et s’amplifie pour devenir une nouvelle réalité. Enfin, la troisième et dernière partie, La force des images, est l’occasion de faire resurgir toute la vivacité des ressources iconographiques pour mettre en évidence les mécanismes médiatiques redondants présentant les sœurs Goitschel. Ces derniers proposant une mise en scène toujours sexualisée, dégradant leur féminité, et patriotique.

Cette thèse, bâtie sur différentes traces orientant toutes les représentations sociales dans le même sens, offre l’occasion d’identifier les processus médiatiques qui ont conditionné la mémoire collective au sujet des sœurs Goitschel. Elle démontre finalement comment, en pénétrant l’imaginaire des spectateurs par le biais de multiples focales qui entrent en résonance les unes avec les autres, les médias parviennent à marteler une histoire pour la faire exister.

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