Colette H. Winn, Protestations et revendications féminines. Textes oubliés et inédits sur l’éducation féminine (xvie-xviie siècles)
Colette H. Winn, éd, Protestations et revendications féminines. Textes oubliés et inédits sur l’éducation féminine (xvie-xviie siècles), Paris, Classiques Garnier, coll. « Textes de la Renaissance », 2022, 276 p.
Texte intégral
1Les Classiques Garnier ont choisi, en 2022, de réimprimer à l’identique le volume Protestations et revendications féminines. Textes oubliés et inédits sur l’éducation féminine (xvie-xviie siècles), publié pour la première fois en 2002 dans la très riche collection Textes de la Renaissance. La coordinatrice du volume et auteure de l’introduction scientifique, Colette H. Winn, professeure émérite à la Washington University de Saint-Louis, est une éminente spécialiste des écrits féminins français de la première modernité qu’elle a édités en grand nombre en français en Europe (Classiques Garnier, Champion et Droz) mais aussi aux États-Unis. Elle a également contribué à l’édition de traductions anglaises de plusieurs auteures françaises dont Jeanne d’Albret.
- 1 Formule employée à la page 28 de l’ouvrage.
- 2 Danielle Hasse-Dubosc, Armel Dubois-Nayt, Revisiter la « querelle des femmes »-2. Discours sur l’in (...)
2Ce volume réunit neuf textes de longueur très inégale (de 3 à 72 pages) couvrant la période 1597 à 1694, précédés chacun d’une brève introduction (biographie de l’auteure, choix éditoriaux…), d’un portrait ou d’un fac-similé de la page de titre de l’ouvrage. Comme dans les autres volumes de la collection, les textes sont très faiblement modernisés ce qui en réserve l’usage aux littéraires spécialistes de la période, aguerris à la lecture de ce type de version alors qu’il existe aujourd’hui des éditions papier ou en ligne plus accessibles à un public élargi. Les écrits rassemblés ici sont d’une inégale notoriété et « n’ont pas la même valeur littéraire » tout en étant « d’un grand intérêt », selon les propres termes de Colette H. Winn1. Aux côtés de Marguerite de Valois et de Gabrielle Suchon figurent en effet des auteures moins connues néanmoins largement explorées depuis 2002, en particulier dans les ouvrages publiés par les Presses universitaires de Saint-Étienne, au sein de la collection École du genre dirigée par Éliane Viennot de 2005 à 20192 mais aussi par bien d’autres écrits scientifiques. Aujourd’hui, ces textes ne sont donc plus ni oubliés ni inédits, mais traitent-ils précisément de l’éducation des filles ? Au-delà du simple constat, largement partagé par les auteures de ces textes que l’absence d’éducation constitue l’origine de l’inégalité entre les hommes et les femmes, rien de concret n’y figure sur la manière dont il faudrait éduquer les femmes. Le sous-titre de l’ouvrage paraît donc assez mal choisi.
3En une trentaine de pages d’une solide introduction générale, Colette H. Winn présente les différents textes à travers une démarche analytique. Une rapide contextualisation et une brève présentation de l’ordre du volume ainsi que des choix éditoriaux en matière de transcription (modifications de quelques lettres, suppression des abréviations, maintien des majuscules et normalisation de la ponctuation) encadre une riche étude du genre des écrits littéraires féministes français de la première modernité. Ces textes s’inscrivent dans le débat littéraire dit de la querelle des femmes courant du xve au xviiie siècle, largement étudié dans le passé mais aussi depuis vingt ans, par les spécialistes de la période, tant en littérature qu’en histoire. La séquence retenue ici est celle de la première modernité, marquée pour l’auteure par les derniers moments de l’humanisme et de la Renaissance mais aussi par celle du développement, sous l’impulsion de la Réforme catholique, d’ordres religieux féminins à vocation enseignante qui permirent, selon Colette H. Winn, une certaine diffusion de l’instruction féminine de l’aristocratie aux milieux bourgeois. De là découle, pour l’auteure, une périodisation des écrits féministes, de 1595 à 1625 et après. Elle remarque néanmoins que, sur l’ensemble du siècle retenu, les mentalités dominantes n’ont guère évolué, les hommes détiennent l’autorité en matière de goût et d’érudition, sont très largement hostiles aux femmes savantes ; ces dernières sont donc exclues des sciences et cantonnées, pour celles qui appartiennent aux élites sociales, aux mondanités. Après avoir signalé que l’évolution formelle des écrits féministes s’inscrit dans celle des pratiques littéraires du temps, Colette H. Winn reprend les principaux arguments féministes de la querelle des femmes dont celui de la supériorité naturelle des femmes entravée par une absence d’instruction voulue par les hommes et conduisant à leur faible place dans la société. La parole des femmes, via leurs écrits, n’étant pas prise au sérieux (voir Marie de Gournay, et dans le recueil Suchon et Marguerite de Valois), leur révolte s’affirme souvent via un discours en creux, ou bien elles se placent, comme Suchon, sous la protection d’un discours d’autorité. Nombre de ces écrits (Jacqueline de Miremont, Suchon) s’inscrivent dans la tradition de la dialectique aristotélicienne et de ses catégories en proposant des listes de femmes illustres, retenant dans la tradition antique et médiévale des exempla, les faits et les paroles mémorables de ces femmes-là. D’autres textes relèvent du genre du paradoxe, retournant les arguments de la doxa des adversaires des femmes (Marie Le Gendre, Charlotte de Brachart, Suchon), allant pour certaines jusqu’à déprécier l’adversaire (Suzanne de Nervèse), voire à le discréditer par la satire et la caricature (Miremont).
4Enfin, Colette H. Winn remarque avec justesse que tout en se parant individuellement des qualités féminines reconnues par la société de leur temps (vertu, humilité, modestie et honnêteté) pour légitimer leur prise de parole, par l’emploi du « nous » ces femmes révèlent leur conscience de participer à la même histoire, de lutter pour la même cause.
5Le lectorat appréciera différents outils (tous accessibles en pdf gratuits sur le site de la maison d’édition) : liste des écrits sur la question féminine de Christine de Pizan à 1698, trois pages de glossaire, index des noms propres cités, références précises des manuscrits utilisés pour l’établissement de l’édition papier de 2002. Quant à l’abondante bibliographie – qui mélange sources et études postérieures –, elle s’avère fort utile pour les éditions anciennes des textes retenus, les ouvrages et articles s’y intéressant, mais elle ne dépasse pas la fin des années 1990.
6Certes, le propre d’une réimpression est de ne pas modifier l’édition originale cependant il aurait été, nous semble-t-il, bien plus pertinent de privilégier une seconde édition offrant une bibliographie actualisée, prenant en compte par exemple les notices en ligne de la SIEFAR, mais aussi les travaux des spécialistes des écrits féminins de la période ainsi que ceux des historien·ne·s des femmes et du genre à l’époque moderne sur les vingt dernières années. Cela aurait permis également de référencer les éditions récentes des textes retenus, en format papier ou numérique. En effet, aujourd’hui, ces textes sont tous présents sur Gallica en version originale mais également, pour certains, accessibles en version modernisée sur des bases de données, canadiennes en particulier.
7Pour ces différentes raisons, et sans nier les grandes qualités du travail d’édition scientifique menée il y a vingt ans par Colette H. Winn, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité de réimprimer aujourd’hui cet ouvrage quelque peu dépassé en format papier d’autant que l’introduction générale du volume, les différents textes et leur présentations sont disponible en pdf pour un prix modique sur le site des Classiques Garnier.
Notes
1 Formule employée à la page 28 de l’ouvrage.
2 Danielle Hasse-Dubosc, Armel Dubois-Nayt, Revisiter la « querelle des femmes »-2. Discours sur l’inégalité des sexes, de 1600 à 1750, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2013 ; Nicole Dufournaud et Anne Paupert, Revisiter la « querelle des femmes »-3. Discours sur l’inégalité des sexes, de 1400 à 1600, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2013.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Dominique Picco, « Colette H. Winn, Protestations et revendications féminines. Textes oubliés et inédits sur l’éducation féminine (xvie-xviie siècles) », Genre & Histoire [En ligne], 31 | Printemps 2023, mis en ligne le 07 octobre 2023, consulté le 27 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/genrehistoire/8268 ; DOI : https://doi.org/10.4000/genrehistoire.8268
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