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Travaux soutenus
Thèses

Marion Philip, La sexualité légitime comme privilège. Masculinités parisiennes à l’époque moderne (1600-1750)

Thèse de doctorat en histoire moderne, Sorbonne Université, sous la direction de François-Joseph Ruggiu et de Sylvie Steinberg, soutenue le 2 décembre 2022.

L’histoire de la sexualité et la démographie historique ont permis d’apporter des preuves tangibles de l’évolution du rapport à la sexualité des Français et Françaises, en documentant la diminution des naissances illégitimes et des conceptions prénuptiales au début du XVIIe siècle puis leur augmentation à partir du mitan du XVIIIe siècle. Le Grand Siècle, sous l’influence de la Réforme catholique, semble donc être un siècle austère et répressif, alors que le siècle des Lumières connaîtrait une forme de libération sexuelle. Cette étude se propose, sur un terrain parisien, de préciser cette chronologie. Elle s’inscrit dans l’héritage d’une histoire de la sexualité, reprenant son ambition quantitative et sociale, renouvelée par les apports des études de genre. Adoptant une perspective d’histoire sociale des masculinités, elle réinvestit les sources de la pratique et propose une nouvelle histoire de l’hétérosexualité.

Aux XVII et XVIIIsiècles, c’est pourtant moins l’orientation sexuelle qui traverse les hiérarchisations sexuelles masculines, que l’accès au mariage. Pour mieux comprendre comment la distinction entre sexualité légitime et illégitime influence le rapport des hommes à la sexualité, les archives de l’officialité diocésaine de Paris ont offert un terrain d’enquête adapté. Le fonds documente en effet la sexualité d’hommes de divers âges, statuts sociaux et matrimoniaux. Trois dossiers principaux ont été retenus : des affaires de nullité de mariage pour impuissance sexuelle, des requêtes d’exécution de promesses de mariage suivies de copulation charnelle et des dossiers disciplinaires ecclésiastiques. Ils permettent d’accéder à trois profils différents de masculinités : des hommes mariés d’âge mûr, de jeunes célibataires, et des clercs incontinents de tout âge. Le terrain d’étude est le diocèse de Paris, ressort principal du tribunal ecclésiastique. Des échantillonnages menés dans les archives policières et judiciaires du Châtelet, de la Bastille, ainsi que dans les collections de factums de la Bibliothèque nationale, ont fourni d’autres affaires sexuelles nourrissant des études de cas et des contrepoints. Enfin, ces discours issus de la pratique judiciaire ont été confrontés à un ensemble de sources normatives.

Les minutes de l’officialité de Paris ayant été peu étudiées, un chapitre liminaire permet de saisir l’organisation du fonds, le profil social des justiciables, de mieux comprendre l’évolution des procédures et d’évaluer l’influence des politiques matrimoniales monarchiques et archiépiscopales sur ces dernières.

L’enquête se décline ensuite en trois parties. La première documente l’influence de la domination du modèle matrimonial sur la sexualité et sur les hiérarchies masculines. Le mariage au XVIIe siècle est un modèle très attractif car il permet d’accéder à une sexualité qui n’entame pas les chances de salut, et à une autorité domestique et sociale. Les sources révèlent les enjeux de pouvoir qui entourent la question matrimoniale chez les laïcs. L’accès au mariage est, en effet, fortement contrôlé par un ensemble de figures paternelles (pères, maîtres et capitaines) qui possèdent une autorité sur le destin matrimonial de leurs dépendants (fils, domestiques, apprentis, compagnons et soldats). La sexualité légitime prend alors des airs de privilège, dont l’accès est contrôlé par ces hommes occupant une position hégémonique. Au XVIIe siècle, ce pouvoir patriarcal peut cependant encore être contourné par les hommes célibataires. Ils s’appuient pour cela sur la compétence de l’officialité parisienne qui protège les filles séduites et offre un moyen de se marier discrètement ou malgré leurs parents, maîtres ou capitaine. En promettant le mariage, puis en « connaissant charnellement » leur promise, ils peuvent être dispensés de bans et condamnés par l’official au mariage. Or, cet outil judiciaire aux mains des célibataires disparaît à la fin du XVIIe siècle. La réforme de la justice entreprise par Louis XIV limite en effet définitivement la compétence de l’officialité parisienne afin de renforcer l’autorité des pères sur le mariage de leurs fils et filles. Dans le domaine matrimonial, la chronologie de l’avènement d’une « monarchie paternelle » est donc à revoir : elle ne prend toute sa mesure qu’à partir des années 1670.

Dans un second temps, les dossiers de nullité de mariage pour impuissance sexuelle ou de séparation de corps et de biens offrent l’occasion d’interroger les normes qui s’imposent aux hommes mariés, de nuancer le concept de double standard. L’idée que, pour un même comportement sexuel, les hommes et les femmes ne sont pas perçus ni jugés de la même manière, peut en effet mener à penser que l’honneur des hommes est peu tributaire de leur sexualité. Or les femmes, subordonnées à leur époux, sont paradoxalement les premières arbitres de leur capacité sexuelle, de leur capacité à se gouverner et à gouverner les autres.

Enfin, l’enquête s’intéresse aux sexualités illégitimes des célibataires laïcs et ecclésiastiques. Elle permet de confirmer que leurs gestes et discours correspondent aux rôles sexuels masculins dominants et forment un continuum allant de la douce sollicitation au viol. Ils font preuve d’insistance et d’initiative et accordent peu de valeur au consentement féminin. En isolant les affaires où les séducteurs ne manifestent aucun désir de se marier, il est également possible d’identifier une culture sexuelle alternative adoptée par une part significative de la population célibataire masculine. Ces hommes cultivent l’entre-soi grâce à la fréquentation de prostituées, à la conquête de femmes légères ou naïves et à la vantardise sexuelle. De leur côté, les ecclésiastiques qui ne respectent pas les interdits sexuels reprennent à leur compte l’essentiel des normes sexuelles des masculinités laïques. Cependant leur autorité sociale et spirituelle peut s’avérer être un atout dans la séduction, mais c’est particulièrement cet abus de confiance et de pouvoir qui choque les paroissiens et paroissiennes. Pour les laïcs, la sexualité prénuptiale ne gêne pas la communauté tant qu’elle est pratiquée avec des filles « débauchées ». Mais user de fausses promesses de mariage auprès d’une fille ou d’une veuve honnête est intolérable. Les procès de séduction de l’officialité au XVIIe siècle incarnent cette volonté de responsabiliser ces séducteurs célibataires. Leur sécularisation dans les années 1670, désarme la justice ecclésiastique et apporte plus de liberté sexuelle aux célibataires récalcitrants au mariage. Ceux qui le désiraient, maintenus plus longtemps dans le célibat, rejoignent progressivement les garçons qui manifestaient une culture sexuelle alternative et libertine. Ces résultats offrent donc une nouvelle interprétation de la forte montée des taux de naissances illégitimes, du recul de l’âge moyen au mariage, ainsi que du développement du concubinage dans les catégories populaires constatés au début du XVIIIe siècle. Un accès facilité à la sexualité illégitime est accordé aux hommes en position de dépendance, alors que le mariage devient un privilège de plus en plus contrôlé par les patriarches, prolongeant le contrôle social et économique qu’ils exercent sur leurs subordonnés. On assiste alors à une métamorphose du patriarcat : le mariage perd sa centralité dans les processus de hiérarchisation des masculinités au début du XVIIIe siècle, une place réinvestie par le pouvoir social et économique.

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