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Travaux soutenus
Thèses

Marine Gilis, Du privé au politique, du politique au privé : l’expérience de libération sexuelle des militantes du Mouvement des femmes en Bretagne et Pays de la Loire (1970-1981)

Thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université d’Angers, sous la direction de Christine Bard, soutenue le 13 décembre 2022.

En 1970 émerge, en France, le Mouvement de libération des femmes (MLF), dans la foulée du mouvement de Mai 68 qui donne le ton à ladite « libération sexuelle ». Partout des femmes se regroupent pour lutter contre le patriarcat. Malgré une tradition religieuse très marquée sur leur territoire, la Bretagne et les Pays de la Loire ne font pas exception. Dans les villes et les espaces ruraux, le Planning familial est dynamique et des groupes mixtes (MLAC, Choisir, GALAC, CRAC…) et non-mixtes (les « groupes femmes ») se forment. Des spécificités locales s’observent dans les formes d’action et d’organisation. Les militantes de l’Ouest se distancient, surtout en Bretagne, d’un MLF perçu comme parisien, d’où le choix d’utiliser l’expression « Mouvement de femmes » plutôt que MLF dans cette thèse. Le choix de 1970, date de départ du MLF, a pourtant été utilisée comme date liminaire au sujet de thèse dans la mesure où aucune date commune n’a pu être définie pour l’apparition du mouvement dans l’Ouest de la France. En revanche, de nombreuses militantes bretonnes et ligériennes se sont dites influencées et concernées par les débats et manifestations suscités par l’émergence du MLF parisien. L’année 1981 marque la fin d’un certain nombre de groupes femmes à l’Ouest. Pour autant, la dynamique féministe se poursuit par l’approfondissement sur certains sujets (violences, parité, égalité professionnelle…), tout en étant davantage structurée en associations, soutenues financièrement par les pouvoirs publics.

Cette thèse accorde une large place à la parole directe des militantes. Les parcours de 41 d’entre elles, révélés par des entretiens à leur domicile, constituent le cœur de l’analyse. Une prise de contact avec toutes les associations de l’Ouest, des articles dans le journal Ouest France et le bouche-à-oreille avaient permis de les repérer puis de les contacter. Elles appartiennent généralement à la classe moyenne (métiers de l’enseignement et du médical), sont blanches et vivent dans des villes plus ou moins importantes. Une vingtaine d’années sépare la plus jeune de la plus âgée. Elles ont aujourd’hui entre 70 et 90 ans. À ces voix s’ajoutent celles découvertes dans les traces écrites laissées çà et là, dans des centres d’archives municipales, départementales (tracts, rapports des renseignements généraux, coupures de presse, documents provenant des préfectures et conseils municipaux, fonds d’associations), au Centre des archives du féminisme (fonds de militantes, revues féministes, tracts), au Musée de Bretagne (affiches et photographies) et à la Cinémathèque de Bretagne (films militants). Ces témoignages oraux et écrits constituent des fragments de vie qui ont été mis en contexte au regard de nombreuses références à d’autres travaux de recherche.

À l’aune de cette documentation, la thèse questionne l’expérience du corps et de la sexualité et en particulier de la « libération sexuelle », telle qu’elle est vécue et pensée par ces militantes de l’Ouest : la vague de libération sexuelle fait-elle sens dans la vie des militantes ? Elles la contestent. Pourquoi ? Certaines ne la vivent pas. Comment l’expliquent-elles ? D’autres l’ont traversé activement. Comment l’ont-elles vécue ? Pour répondre à ces questionnements, il a semblé nécessaire de resituer l’expérience (ou la non-expérience) de la libération sexuelle dans l’ensemble du parcours de vie des militantes rendu par un plan chrono-thématique. Ainsi, la première partie présente les héritages familiaux, sociaux, géographiques, culturels et politiques qui ont amené les militantes à effectuer certains choix et à s’engager dans des groupes. Il est apparu, en effet, qu’elles ont souhaité rompre avec la mentalité « XIXe siècle » (expression utilisée par une militante pour désigner une mentalité rétrograde) de leur entourage et avec l’impossibilité pour les femmes de choisir leur destin. L’amour et la sexualité s’avèrent être le champ de bataille sur lequel s’exerce principalement la domination masculine et donc les espoirs de libération. La non-mixité entre femmes, qu’elles ont d’abord rejetée à l’école et à l’université, devient un outil nécessaire à l’expression et à l’action.

La deuxième partie fait parler le corps. Le corps devient un enjeu, celui d’une appropriation d’un soi plus ou moins conscientisé, à travers notamment la parole, la maîtrise de la fécondité et l’avortement, la (non) maternité et la lutte contre ce qui le détruit, les violences, et ce qui fait qu’elles en sont dépossédées, le pouvoir des hommes et des institutions patriarcales. Les militantes témoignent d’apprentissages multiples dès leur plus jeune âge qui façonnent leur rapport au corps. Elles tentent de déconstruire les normes qu’elles identifient. Bien que la lutte pour l’accès à la contraception et la légalisation de l’avortement mobilise le plus largement durant les années 1970, elles s’emparent d’autres sujets à travers des débats et des groupes d’entraide (santé des femmes, viol, violences conjugales…). Chaque groupe s’organise en fonction des femmes qui le compose. Il n’y a aucune uniformité régionale. En manifestation, elles suivent parfois les mots d’ordre nationaux véhiculés par le MLAC, le Planning familial ou Choisir, mais chaque groupe femmes agit en fonction des particularités politiques et sociales locales.

La troisième et dernière partie interroge les frontières de la sexualité. Les premières relations sexuelles et amoureuses, l’expérience de Mai 68 puis du Mouvement des femmes bouleversent les représentations de l’amour et des scripts sexuels des militantes. Bien que des différences générationnelles s’observent entre certaines d’entre elles, une rupture nette est visible avec la génération de leurs parents. Le plaisir se cherche bien que les militantes expriment majoritairement, comme le reste de la population féminine, une forme de don de soi dans l’amour et la sexualité. Le script hétérosexuel est bouleversé, tout du moins pendant la période des années 1970, tandis que l’homosocialité favorise, d’une certaine manière, l’expérience homosexuelle. Cependant, les lesbiennes restent d’abord invisibles puis, au moment où elles deviennent majoritaires dans certains groupes et pensent le lesbianisme politique, des tensions et divisions émergent. Avec l’avancée en âge, les utopies apparaissent comme des mondes lointains. Les militantes de l’Ouest ont, généralement, une expérience mitigée de la libération sexuelle, surtout au regard des luttes actuelles qui mettent en avant la question du consentement. Elles font le constat que de nombreux déséquilibres persistent dans les relations affectives/amoureuses et sexuelles.

L’originalité de ma démarche tient surtout à la méthodologie de l’entretien et à la restitution des témoignages. J’ai fait le choix de faire mon terrain à vélo et de privilégier des temps d’échanges longs au domicile des personnes rencontrées. Aussi, une partie des entretiens a été filmée et fait l’objet de dépôts dans des centres d’archives (Centre des Archives du féminisme, Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, bibliothèque Marguerite Durand). À partir d’extraits de ces entretiens, j’ai réalisé deux films sur les luttes féministes en Bretagne et Pays de la Loire : Les seventies des féministes ligériennes, documentaire sur les luttes féministes en Pays de la Loire dans les années 1970 (90 minutes. 24 témoignages, coll. « Témoigner pour le féminisme », 2021) ; Bretonnes en Mouvement, documentaire sur les luttes féministes en Bretagne dans les années 1970 (55 minutes. 12 témoignages, coll. « Témoigner pour le féminisme », 2020). Ils continuent à être projetés en 2023. Ces choix correspondent à l’objectif qui a été le mien, celui d’une recherche ouverte, profondément humaine, épanouissante et accessible.

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