Introduction

2Dans cette perspective, la Communauté d’Agglomération de Tulle (Tulle Agglo par la suite) en Nouvelle Aquitaine a initié depuis 2012 une démarche agricole et alimentaire dont les objectifs déclarés répondent largement aux enjeux de reterritorialisation de la production alimentaire. Cette démarche vise à promouvoir une agriculture diversifiée et ancrée sur un territoire historiquement modelé par des grandes exploitations d’élevage bovin tournées vers l’exportation. La démarche se veut participative, et sa construction implique plusieurs autres acteur·rices socioprofessionnel·les du territoire (producteur·rices, chambre d’agriculture, associations, enseignement et formation, …). Parallèlement à cette démarche plus institutionnelle, d’autres initiatives collectives plus ou moins en rupture avec la filière bovine longue se font jour sur le territoire, souvent en relation avec la collectivité.

3Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur les conditions d’émergence et de réussite d’une action collective territoriale pouvant mener à une transition agricole et alimentaire à partir de trois initiatives qui ont en commun d’être en relation avec Tulle Agglo : le Projet alimentaire territorial de Tulle Agglo ; Paysans Cœur de Corrèze et La Dépaysante (présentées plus loin). Nous avons retenu deux lignes de force dans notre analyse : (i) l’articulation entre les initiatives de terrain et la stratégie mise en place par Tulle Agglo pour les accompagner, les coordonner et les intégrer à sa démarche ; (ii) la capacité de ces initiatives à dépasser leurs fonctionnements et/ou intérêts sectoriels afin d’amorcer une synergie d’action porteuse d’un changement collectif sur le territoire.

Encadré 1 : Note méthodologique

4Notre argumentaire est organisé en quatre points. Le premier situe le cadre géographique et pose le contexte politique local dans lesquels évoluent les trois initiatives. Il est suivi de la présentation du cadrage théorique de l’Économie de proximité en nous limitant volontairement aux déclinaisons « institutionnalistes » que nous avons jugé nécessaires à notre article. Dans la troisième partie, nous mettons en exergue le rôle joué par Tulle Agglo dans la structuration des initiatives avant d’analyser, dans la quatrième partie, les conditions d’émergence d’une synergie d’action porteuse d’un changement sur le territoire. Il ressort de ces analyses que la collectivité catalyse certains types de proximités et éprouve des difficultés à en activer efficacement d’autres. En formulant l’hypothèse que la territorialisation agricole et alimentaire est largement basée sur les circuits courts alimentaires, nous ouvrons quelques pistes de prolongement de la réflexion en guise de conclusion.

Mise en contexte de la transition agricole et alimentaire sur Tulle Agglo

5Le territoire de la communauté d’agglomération de Tulle dans le Département de la Corrèze (fig. 1) en Nouvelle Aquitaine compte 45 communes pour 46 344 habitant.es sur 868,1 km² (INSEE, 2019). En dehors de la ville de Tulle (chef-lieu) qui concentre le tiers de la population, le reste du territoire est essentiellement rural et l’activité agricole y occupe une place centrale. L’élevage bovin représente plus 80 % des exploitations et occupe plus 88 % de la Surface Agricole Utile (Agreste, 2012). Selon nos enquêtes, l’agriculture de Tulle Agglo serait structurellement confrontée à la dépendance des aides publiques et aux difficultés de renouvellement des générations. C’est un secteur essentiellement tourné vers l’exportation comme l’explique cet élu local : « ici on produit de la viande bovine, on vend tout à l’extérieur et on achète tout à l’extérieur, on ne mange pas ce qui est produit ici ».

6Pour renverser cette situation de dépendance extérieure, Tulle Agglo a fait le choix dès 2012 d’intervenir directement dans le secteur agricole, bien que celui-ci fasse encore partie, à l’époque, de ses domaines de compétences optionnelles. Les premières actions ont consisté en la mise en place d’un groupe de travail dont l’objectif était de définir une stratégie concertée de territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation, mais aussi pour le maintien de la valeur ajoutée sur le territoire. D’après le même élu : « si on veut maintenir la valeur ajoutée sur un territoire comme le nôtre, il peut y avoir des milliers de pistes mais il y en a deux que nous privilégions : il faut arrêter la spécialisation notamment sur l’élevage bovin, et il faut arriver à diversifier les productions ». Dès lors, la stratégie s’est progressivement étoffée en s’ouvrant à d’autres parties prenantes (tableau 1) et en cherchant à inclure les initiatives citoyennes dans une perspective d’accompagnement.

Tableau 1 : Quelques projets issus de la politique agricole et alimentaire de Tulle Agglo

Année	Projets	Description/objectifs	Partenaires
2012	Création d’un groupe de travail	Co construire une stratégie de territorialisation agricole et alimentaire à travers : l’appui à l’installation, à la diversification et à l’approvisionnement de la restauration collective.	Tulle Agglo, autres acteur·rices du territoire, CDA 19
2013	Projet plateforme d’approvisionnement local	Il a été initié par plusieurs collectivités de la Corrèze et piloté par la Chambre d’agriculture comme chef de fil. Son objectif est d’approvisionner la restauration collective en produits locaux. Sa mise en œuvre prévoit l’acquisition d’un logiciel de mise en relation et la création de sept points de collecte sur le territoire. Le projet a bénéficié du co-financement de la Région en juin 2018 et n’avait pas démarré au moment de nos entretiens.	Tulle Agglo ; CD 19 ; Comcom de (Brive, Vézère Monédières, Millesources, Pays d’Uzerche, Pays de Lubersac – Pompadour)
2014	Atelier mixte de transformation collectif (viandes et légumes).	Il est porté par un collectif de producteur·rices en partenariat avec Tulle Agglo. Le projet a bénéficié du financement du Conseil Régional de la Nouvelle Aquitaine via l’Agglo et l’atelier a été inauguré en décembre 2019. Selon nos entretiens, il vise à diversifier et à structurer l’offre locale pour répondre en partie à l’approvisionnement de la restauration collective.	Tulle Agglo, Paysans Cœurs de Corrèze, Lycée agricole de Naves
2014	Plateforme d’installation et espace test	Veille foncière et acquisition de terres agricoles pour accompagner les porteur·ses de projets d’installation, tels sont les objectifs de ce projet qui « accorde une attention particulière aux projets de diversification (maraîchage diversifié, légumes plein champ spécialisés, verger, céréales, volailles, porcs etc.) ».	Chambre d’agriculture, ADEAR Limousin, Terre de liens Limousin, CFPPA de Naves.
2015	Mon territoire a du goût	Semaine de sensibilisation qui réunit chaque année au mois d’octobre, agriculteur·rices, professionnel·les des métiers de bouche, établissements scolaires, associations, habitant·es et élu·es. Son objectif est de sensibiliser et d’associer les habitant·es et acteur·rices socio-professionnel·les à la consommation, de faire découvrir la richesse du patrimoine agricole et culinaire du territoire, y compris la transformation	Toutes les communes de l’Agglo de Tulle
2016	Diagnostic agricole partagé	Commandité par Tulle Agglo en partenariat avec la Chambre d’Agriculture, le diagnostic a été réalisé par un cabinet d’études. Il a notamment permis d’établir de façon actualisée les problèmes et les potentialités du Système alimentaire du territoire, en chiffrant entre autres les besoins de la restauration collective (2 500 000 repas par an environ selon le rapport du diagnostic).	Tulle Agglo, chambre d’agriculture de la Corrèze
2017	Projet Alimentaire Territorial (PAT)	Il est institutionnellement porté par Tulle Agglo, la chambre d’agriculture de la Corrèze et Lycée agricole de Naves. Il fait partie de notre cas d’étude et est présenté en détail dans la partie suivante	CD 19 ; CFA les 13 Vents ; CCAS de Tulle, banque alimentaire de la Corrèze, UDAF

Source : réalisé à partir des documents de projets (sources internes à l’Agglo)

CDA 19 : Chambre d’agriculture ; CD12 : conseil Départemental de la Corrèze ; CCAS : Centre Communal d'Action Sociale ; UDAF : Union Départementale des Associations Familiales

Les proximités comme cadre d’analyse de la transition agri alimentaire

7Théorisée dans les années 1990 par le groupe « Dynamique de proximité » (Bellet et al, 1993), la grille des « proximités » est de plus en plus mobilisée pour saisir l’impact de l’espace, des institutions et des relations humaines (Laughrea et al, 2016) dans les projets de développement économique des territoires locaux et régionaux. Cette notion de proximité renvoie à une double appréhension des activités économiques : l’interaction des variables spatiales et la coordination économique des acteur·rices. La grille identifie deux grandes formes de proximités (Rallet, 2002 ; Sierra, 1997) : la « proximité géographique » et la « proximité non géographique », cette dernière comportant plusieurs sous catégories. Le développement de la grille s’est inscrit dans deux courants économiques dont le point de divergence majeur porte sur la place et le rôle des institutions. Ainsi, dans le « courant interactionniste » dominant dans la littérature, les institutions sont abordées de façon implicite (Talbot, 2008) et la dimension non géographique correspond à une seule « proximité organisée » (Caron et Torre, 2005). Les institutions sont en revanche au cœur du « courant institutionnaliste » que nous mobilisons et qui tire ses origines de l’économie institutionnaliste et de la philosophie pragmatiste américaine (encadré 2). Ce courant décline la proximité non géographique en « proximité organisationnelle » et en « proximité institutionnelle ».

Encadré 2 : Positionnement épistémologique du courant institutionnaliste de la proximité

Cette approche, qui met l’accent sur les institutions, trouve sa source épistémologique dans la mobilisation de l’économie institutionnaliste (JR Commons notamment) et de la philosophie pragmatiste américaines (J. Dewey entre autres) du début du vingtième siècle. Outre son attachement au refus d’un certain nombre de dualités propres à l’épistémologie économique (idées/faits, individuel/collectif…), elle présente plusieurs intérêts qu’il n’est pas possible de développer ici : elle place la question de la délibération collective sur les valeurs au cœur de la construction d’une action collective ; elle développe une approche des transactions (marchandes, de direction, et de répartition) en termes de rapports de pouvoirs et de hiérarchie des rôles ; elle souligne enfin le caractère central de l’analyse des conséquences des comportements d’acteur·rices, par la projection dans le futur des choix individuels et collectifs, en opposition aux approches essentialistes de l’intérêt personnel, qui privilégient quant à elles la causalité mécanique.

Dans ce cadre, l’économie institutionnaliste se donne pour objectif de comprendre comment les actions individuelles sont encadrées et affectées par des règles collectives établissant des droits, des devoirs, des autorisations, des interdictions (Hédouin, 2013). L’institution doit alors se comprendre à la fois comme le contrôle et le vecteur de l’expansion de l’action individuelle, dans un cadre épistémologique qui repousse à la fois la prééminence d’une rationalité individuelle désincarnée et celle d’une planification étatique. Il s’agit donc d’une approche substantiviste, au sens donné à ce terme par K. Polanyi (1983), qui définit l’économie par sa dépendance fondamentale à l’égard de la nature (la production agricole constitue ainsi selon lui une « marchandise fictive », qui assigne également aux institutions le rôle de stabilisation des anticipations des acteur·rices dans le cadre d’une action collective, et qui souligne que l’économie marchande est toujours in fine un procès institutionnalisé répondant aux intérêts des membres de la communauté et non un ensemble de marchés mus uniquement par la régulation spontanée des intérêts personnels. Pour une application de ce cadre institutionnaliste et pragmatiste aux circuits courts alimentaires, voir également M. Renault (2011).

Par la suite, nous ne reprenons pas en détail tout cet appareil théorique : les trois proximités et leurs interactions réciproques constituent notre grille d’analyse pour simplifier la compréhension. Toutefois, ce positionnement épistémologique est particulièrement adapté à notre terrain d’étude, tant la délibération collective autour de valeurs joue un rôle déterminant pour permettre à des acteur·rices de travailler durablement ensemble autour de transactions de répartition. Notre objectif étant prioritairement de repérer le rôle de la collectivité dans ces coopérations, le focus sur la proximité institutionnelle permet de bien repérer jusqu’où la collectivité peut intervenir. Autant elle se révèle efficace pour activer des proximités géographiques et organisationnelles, autant la proximité institutionnelle relève plus difficilement de son champ d’influence.

8La proximité organisationnelle renvoie à la coordination au sein d’une même organisation, définie comme un groupe de personnes ou d’acteur·rices partageant des objectifs communs en vue de réaliser d’une activité productive ou à caractère social (Carrincazeaux et al, 2008). Elle est régie par des hiérarchies de rôles (Talbot, 2011) dont l’adhésion par les acteur·rices permet de réduire l’incertitude et d’instaurer la confiance dans une collaboration (Mériade et al, 2018). Quant à la proximité institutionnelle, elle renvoie à la capacité des acteur·rices, aux horizons temporels parfois très différents, de se coordonner au sein d’une organisation par la convergence de leurs représentations vers un ensemble de règles communes (Talbot, 2009), socle de l’action collective. Pour cela, la proximité institutionnelle fait explicitement référence au travail politique dans la coordination d’une action collective, notamment dans la résolution des conflits nés de positions asymétriques entre les acteur·rices (Beaurain et al, 2017 ; Talbot, 2008). En effet, cette logique institutionnaliste part du constat de l’existence, au sein d’un territoire, d’une pluralité de proximités institutionnelles liées à la multiplicité des activités économiques et des ressources disponibles. Dans ce contexte, la gouvernance territoriale est alors présentée comme « un processus de construction d’une proximité institutionnelle nécessaire à la réalisation d’une proximité organisationnelle entre des acteurs géographiquement proches » (Gilly et al, 2004). Ainsi la proximité organisationnelle apparaît-elle comme le prolongement factuel de la proximité institutionnelle indispensable pour que l’organisation se stabilise autour d’une action collective.

9La proximité géographique ou spatiale garde le même sens dans les deux courants et correspond à la distance qui sépare les acteur·rices (individus, entreprises, territoires, …) dans l’espace et le temps (Gilly et Torre, 2000 ; Talbot et Kirat, 2005). Cette distance physique est non seulement influencée par certains facteurs (topographie, infrastructures, moyens de déplacement, etc.), mais elle peut être « recherchée » lorsque les acteur·rices décident de changer de localisation en vue de satisfaire un besoin (matériel, humain, etc.). Dans le cas contraire, où les acteur·rices se trouvent dans l’incapacité de changer de localisation face aux effets négatifs d’une activité, elle est qualifiée de proximité géographique « subie » (Torre, 2009). Enfin, la proximité géographique peut être temporaire lorsque les changements de localisation des acteur·rices sont occasionnels ou ponctuels tout comme elle peut être permanente dans le cas de déplacements définitifs ou de longue durée (Torre, 2010).

10Du fait de la démarche volontariste de Tulle Agglo et de l’implication de plusieurs types d’acteur·rices dans les initiatives étudiées, nous avons fait le choix de mobiliser ici le courant institutionnaliste. Celui-ci nous paraît en effet adapté pour analyser la capacité des différentes initiatives, mobilisant leurs propres règles collectives et avec des horizons temporels différents, à se coordonner et à coopérer en dehors des ajustements marchands traditionnels propres aux filières longues. Ce choix nous amène à un double positionnement.

12D’autre part, notre recherche se positionne également par rapport à certains travaux sur la gouvernance territoriale (Caroline et al, 2017 ; Duvernoy, 2018 ; Moragues-Faus et Sonnino, 2012 ; Perrin et Soulard, 2014 ; Sonnino et al, 2016) qui ont ouvert des pistes analytiques intéressantes à la suite des premières réflexions sur l’émergence d’une gouvernance alimentaire territoriale (Wisekerke, 2009). Ces travaux appellent en effet à considérer ces démarches territoriales comme des réseaux intersectoriels et multiscalaires (Duvernoy et al, 2005 ; Santo et Moragues-Faus, 2019) et de focaliser l’analyse sur l’examen des interactions entre leurs dimensions sociales (confiance et action collective) et spatiales (relation avec le lieu) au sens du concept d’encastrement. Par ailleurs et pour dépasser les limites traditionnelles des analyses de réseaux, certains auteurs mobilisent la théorie des assemblages qui permet d’explorer la façon dont les éléments hétérogènes se rassemblent pour créer des ensembles émergents et les processus par lesquels ces ensembles stabilisent ou déstabilisent leurs identités (Moragues-Faus et Sonnino 2012). Un certain nombre d’analyses mettent toutefois l’accent sur les difficultés inhérentes à l’émergence et à la stabilité de ces gouvernances alimentaires territorialisées. Ainsi Billion (2017) souligne que ces gouvernances soulèvent des questions d’inclusion, de transparence des dispositifs et de légitimité des acteur·rices en présence. Ces gouvernances buttent également sur les difficultés à faire émerger une vision commune d’un projet partagé à l’échelle du territoire permettant d’articuler les marchés et les politiques (Delfosse, 2012). Beaucoup d’analyses insistent également sur la faible appropriation par les acteur·rices privés de cette notion de gouvernance alimentaire territoriale (Billion et al, 2016). Cette faible appropriation s’expliquerait en partie du fait d’une offre de participation mal adaptée à leurs contraintes professionnelles ou en raison d’une concurrence, entre leurs organisations représentatives (des agriculteur·rices notamment) et les institutions politiques locales, sur la définition du rôle de l’agriculture dans le territoire (Michel et al, 2018). Par rapport à cette littérature, notre propos visera principalement à souligner le rôle clé des institutions, entendues au sens théorique du terme, dans ces difficultés rencontrées pour la consolidation d’une gouvernance alimentaire territoriale.

13Enfin, nous laissons volontairement de côté d’autres grilles de lecture des circuits courts, comme celle relevant de la nouvelle sociologie économique (Chiffoleau, 2019), tout en ayant conscience de leur réel apport heuristique, notamment pour saisir les modalités d’encastrement des transactions marchandes et des comportements des producteur·rices au sein d’un ensemble de relations sociales.

Rôle des proximités et place de Tulle Agglo dans l’émergence des trois initiatives étudiées

Le PAT de Tulle Agglo

14Introduits par l’article 39 de la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LOAAF) du 13 octobre 2014, les Projets alimentaires territoriaux (PAT) visent à impulser des démarches collectives au cœur desquelles se trouvent les collectivités locales. Ce cadre d’action des PAT vient légitimer le rôle de ces pouvoirs publics locaux qui n’hésitent plus à en faire leur levier d’intervention privilégié (Maréchal et al, 2018). Celui de Tulle Agglo fait partie des 17 territoires lauréats de l’édition 2017 de l’appel à projet du Programme national pour l’alimentation (PNA). Élaboré sur la base d’un diagnostic partagé (tableau 1) et porté par plusieurs acteur·rices du territoire, il vise trois objectifs spécifiques : 1) Développer les circuits courts de proximité par l’approvisionnement de la restauration collective et hors domicile ; 2) Maintenir l’agriculture et la valeur ajoutée sur le territoire (installation/transmission et transformation) ; et 3) Promouvoir la solidarité et l’accès à une alimentation de qualité pour le plus grand nombre. Sa mise en œuvre est coordonnée, les autres parties prenantes étant chargées de l’animation des groupes thématiques.

Tableau N° 2 : Composition et animation des groupes thématiques

Groupe thématique	Référents	Nombre de réunions
Alimentation et solidarité	CCAS de Tulle, Banque Alimentaire, UDAF	5
Restauration collective	Chambre d’agriculture	2
Distribution et filières aval	Chambre d’agriculture	1
Formation et éducation	EPLEFPA et CFA	0

Réalisé à partir des comptes rendus de réunions du COPIL

15Si certains partenaires du PAT étaient déjà habitués à travailler ensemble (tableau 1) sur la base d’une proximité organisationnelle, d’autres en revanche ont rejoint la dynamique en cours de route comme l’explique cet acteur de la solidarité : « En fait ils avaient déjà ciblé un peu les quatre grands groupes de travail et ils avaient décidé d’avoir un groupe alimentation et solidarité et c’est l’Agglo qui avait vraiment voulu ça ». Cette ouverture à de nouveaux acteur·rices confirme l’approche de co-construction défendue par la collectivité et illustre son rôle de créateur de proximités organisationnelles en faisant travailler ensemble, des acteur·rices proches géographiquement mais n’ayant pas l’occasion de se rencontrer dans des mêmes espaces. Toutefois, la proximité organisationnelle ainsi créée ne débouche pas nécessairement toujours sur des collaborations, faute de proximités institutionnelles suffisantes. Nous avons par exemple observé lors des réunions du comité de pilotage que cette hétérogénéité d’acteur·rices a parfois entaché la coordination du projet. Ainsi, au-delà de l’animation inégale des groupes thématiques comme le montre le tableau 2, le PAT semble dépasser la capacité de certains acteur·rices qui, au final, semblent se perdre dans l’action collective : « c’était un projet très vaste, à la fois sur les circuits courts, la restauration collective, la restauration hors domicile, …, du coup quand on réunit tous ces gens en même temps, chacun reste un peu sur sa faim et ça ne permet pas de bien avancer » (Lycée). En effet, la diversité des acteur·rices se traduit par une diversité d’attentes qui ne facilitent pas la compréhension. Certains objectifs ont fait l’objet de définitions plus précises fixées de manière contractuelle dans le PAT, ce qui pourrait créer des repères communs. Mais il s’avère que ces repères eux-mêmes sont remis en cause comme l’illustre les propos cet acteur contractuel : « on ne doit pas inciter les producteurs au 100 % restauration collective, mais à aller vers la massification pour mieux fournir les distributeurs ».

16Les proximités organisationnelles activées par la collectivité dans la mise en œuvre du PAT n’ont pas suffi à créer des rencontres productives entre les acteur·rices. Mais certaines collaborations, qui rassemblent des acteur·rices institutionnellement proches, présentent des signes de partenariats durables comme le note cet acteur de la solidarité en milieu urbain :

Le marché festif et solidaire, sans le PAT on aurait peut-être pu le faire mais pas pareil. Le PAT nous a poussé à mieux préparer, mieux organiser et à coordonner les acteurs. On n’aurait pas forcément associé certains acteurs comme les fermes du Doustre je pense. J’ai apprécié de travailler avec les fermes du Doustre parce qu’en fait, nous on est en milieu urbain et eux ils ont organisé la solidarité en milieu rural. Aujourd’hui, même si le PAT n’est plus reconduit, on peut reprendre parce qu’on a vu comment ça a fonctionné.

17La proximité institutionnelle a été bien travaillée dans la mise en œuvre du PAT à travers l’élaboration et l’adoption collective de la « Charte de l’agriculture et de l’alimentation ». Toutefois, cette dernière n’a été signée que par les trois seuls porteurs institutionnels du PAT (Tulle Agglo, Chambre d’Agriculture et Lycée agricole) pendant la période de mise en œuvre du projet. Par ailleurs et malgré les rencontres régulières du comité de pilotage, certains acteur·rices ne sont pas parvenu·es à dépasser leurs petites divergences, ce qui a conduit à l’interruption du projet. Cette interruption révèle les difficultés de Tulle Agglo à activer suffisamment les proximités institutionnelles, contrairement aux proximités géographiques et organisationnelles dont l’activation a permis à plusieurs acteur·rices de travailler ensemble. Cependant, l’interruption de la dynamique avant la fin du projet n’a pas conduit à la dégradation totale des relations entre les acteur·rices ; ce qui a permis d’initier de nouvelles collaborations comme le confirme le Chef de projet Agriculture de l’Agglo : « un nouveau groupe de travail est récemment mis en place avec la plupart des acteurs pour reprendre les réflexions autour du PAT car nous voulons être labellisés ». Il est possible qu’avec le temps, des valeurs partagées émergent et favorisent l’aboutissement d’autres projets collectifs, car le fait qu’une partie des acteur·rices acceptent de tenter une nouvelle collaboration montre qu’ils partagent un minimum de préoccupations communes.

Paysans Cœur de Corrèze

18Paysans cœur de Corrèze est une jeune entreprise agroalimentaire (Société par action simplifiée) officiellement créée en 2019 par un collectif de 9 producteur·trices et le Lycée agricole de Naves. Mais ses origines datent de 2012 sous l’impulsion de Tulle Agglo qui a accompagné la structuration du groupe, notamment par l’activation de la proximité organisationnelle entre acteur·rices potentiellement intéressé·es par la démarche. Cette activation a facilité les mises en relation et l’organisation des échanges. Par ailleurs, la construction de l’atelier a bénéficié du soutien financier de l’agglo sous forme de crédit-bail.

19On constate également l’émergence d’une proximité institutionnelle dans cette démarche. En effet, les producteur·rices membres de la SAS sont tous et toutes engagé·es dans la commercialisation en circuits courts. Pour eux, l’atelier constitue une manière de s’émanciper des intermédiaires en s’adaptant aux besoins des consommateurs avec des produits plus élaborés. Pour Régine, il s’agit « d’un outil de proximité qui nous permet d’aller plus loin dans la transformation de nos produits » (Régine). Les produits qui y sont préparés sont « de recettes fermières, anciennes » en lien avec l’une des valeurs défendues que sont : « les produits de qualité, des recettes naturelles et sans conservateurs » (Serge). C’est certainement pour cette raison qu’ « on ne va pas faire entrer les animaux conduits industriellement dans l’atelier » ou « faire des recettes ou des choses hyper transformées » (Léon). Toutefois, cette proximité institutionnelle n’est pas le fait de la collectivité.

21Enfin, si la proximité géographique est inhérente aux ateliers de transformation collectifs comme l’ont montré plusieurs travaux (Gafsi et Terrieux, 2016 ; Mundler et Valorge, 2015), elle s’exprime de deux manières complémentaires dans le cas étudié. D’abord, la proximité géographique est un facteur de rapprochement. En effet, il y a une volonté exprimée d’avoir un « outil de proximité » comme en témoigne, entre autres, le propos de Léon : « cet outil n’existait pas dans la Région, … Je fais abattre mes animaux et je fabrique mes produits à Aurillac dans le département du Cantal » (Léon). C’est donc le fait de travailler proches les un·es des autres qui motive à travailler ensemble. Mais la proximité géographique est aussi un résultat puisqu’il ne s’agit pas seulement de consolider les ventes en circuits courts, mais aussi d’améliorer l’image et l’attractivité du territoire, l’identification territoriale comme le revendique cette productrice membre du collectif : « On en connaît dans le département de la Vienne, … il y en a partout et nous on n’est pas plus bête que les autres. Pourquoi on irait traîner chez les autres ? » (Anne).

La Dépaysante

22C’est une jeune association (Loi 1901) créée en 2019 par un groupe de producteur·rices et d’artisan·es. Née « des rencontres de partages de plats cuisinés par des produits directement issus des fermes des membres » (Dorian), elle compte une vingtaine d’adhérent·es avec un noyau actif de 9 membres. A travers ces rencontres de dégustations dénommées « les cantines paysannes », La Dépaysante a progressivement élargi son domaine d’action à la prestation de services de restauration. D’après nos entretiens, la proximité institutionnelle est centrale dans cette initiative. D’une part, elle s’inscrit dans une logique de développement économique local et défend les valeurs d’une agriculture paysanne : « sachant qu’on inclut dans l’agriculture ou pratiques paysannes locales une agriculture qui est respectueuse des êtres humains qui la produisent, de ceux qui la mangent et de l’environnement ou la nature » (Damien). C’est une démarche collective ancrée dans son territoire « c’est promouvoir la Corrèze ; promouvoir la cuisine et la vie locale, c’est-à-dire cuisiner local, manger local, jouer local, danser local » (Dorian).

24Le Battement d’Ailes a permis à des acteur·rices du territoire qui ne se connaissaient pas de se rencontrer autour de valeurs fortes. Autrement dit, le Battement d’Ailes a activé une proximité géographique qui a contribué au renforcement des proximités organisationnelle et institutionnelle entre les membres de La Dépaysante. La proximité institutionnelle étant particulièrement forte, elle a permis aux membres du collectif de travailler ensemble alors même qu’ils ne sont pas tous directement concernés par l’agriculture : des valeurs telles que l’autogestion, la solidarité et le respect de l’environnement ont permis de dépasser l’appartenance à des positions économiques hétérogènes.

26Après cette présentation argumentée des trois initiatives et les différentes proximités qui sous-tendent le fonctionnement de chacune d’elles, nous analysons, dans les paragraphes suivants, les facteurs permettant de dépasser ces fonctionnements sectoriels et d’activer des synergies d’action collective pouvant conduire à une transition agricole et alimentaire. Pour cela, nous essayons de mettre en exergue le rôle des proximités et les différents mécanismes de coordination de cette synergie d’action que nous qualifions de transition agricole et alimentaire.

Transition agricole et alimentaire sur Tulle Agglo : proximités et coordinations

27Dans cette section, nous identifions, d’une part, la capacité de la collectivité à accompagner des acteur·rices individuels à se réunir durablement dans des initiatives collectives. D’autre part, nous étudions à une échelle méso, les relations de ces initiatives collectives avec la démarche globale portée par Tulle Agglo.

Rôle de Tulle Agglo dans la structuration intra-initiatives

28Les proximités géographiques identifiées révèlent deux territoires d’action qui se chevauchent : le territoire administratif auquel se réfère Tulle Agglo et où les trois initiatives sont physiquement implantées, et celui de la Corrèze généralement évoqué par les personnes interrogées. Le partage du premier territoire par tous et toutes les acteur·rices a facilité la mission du Chargé de projet dans les rencontres de vulgarisation de la stratégie agricole et alimentaire de l’Agglo. Cette proximité géographique a par ailleurs permis d’initier des collaborations entre différent·es acteur·rices du territoire et de faire émerger une certaine forme de coordination territoriale comme le soulignent certains : « il fait un travail formidable sur le terrain, il va voir les producteurs, il va voir les gens pour qu’ils se réunissent autour de l’alimentation locale » (Denis) ; « Il y avait les gens de l’Agglo de Tulle qui expliquaient que leurs attentes c’était de créer un atelier mais que le but c’est aussi de pouvoir faire manger des produits locaux dans les écoles, à l’hôpital » (Régine). Ici, Tulle Agglo tend à recentrer les initiatives sur son territoire en essayant de les « mettre dans la boucle » ou de les intégrer à sa démarche. Toutefois, en dehors du PAT porté par des acteur·rices institutionnel·les et dont l’échelle de mise en œuvre est celle du territoire de l’Agglo, La Dépaysante vise par exemple à « promouvoir la Corrèze ». C’est la même échelle territoire qui est instrumentalisée par Paysans Cœur de Corrèze qui se compare à « d’autres départements ». Ainsi, la proximité géographique, motrice des dynamiques collectives, échappe en partie à la collectivité. Cette situation qui n’est pas spécifique à Tulle Agglo, révèle de ce point de vue un enjeu majeur pour les collectivités territoriales : celui de savoir comment gérer la tension entre la logique territoriale des politiques et la logique réticulaire des processus émergents exacerbée par le recours aux outils virtuels.

29Sur le plan de la proximité organisationnelle, Tulle Agglo a adopté une démarche volontariste en définissant un cadre politique favorable à l’éclosion d’initiatives alternatives. Cette stratégie a non seulement permis d’initier des interactions entre acteur·rices autour de quelques actions, mais elle a aussi permis d’amorcer l’intégration de démarches dispersées. L’évènement Mon territoire a du Goût, qui réunit chaque année les acteur·rices du territoire gravitant autour des questions agricoles et alimentaires, s’inscrit pleinement dans cette perspective de coordination et de mise à l’échelle. C’est ce rôle intégrateur que la collectivité a joué dans l’animation du PAT et la coordination des groupes thématiques, mais aussi dans l’accompagnement à la structuration de Paysans Cœur de Corrèze. C’est enfin le cas quand elle a contribué à développer l’activité de la Dépaysante en mobilisant ses réseaux et en évitant une clôture du collectif sur ses réseaux militants. Même si les interactions entre la Dépaysante et Tulle Agglo sont ponctuelles, elles ont permis de donner à la première une plus grande visibilité comme le reconnaît Dorian : « Lorsqu’une collectivité prend ces choses-là en main politiquement, ça offre une largeur de moyens et permet l’accélération de l’initiative touchée ». Ces quelques exemples illustrent la capacité de Tulle Agglo à développer des proximités organisationnelles en complément à la proximité géographique. À l’inverse, l’Agglo semble éprouver des difficultés à activer les proximités institutionnelles pourtant essentielles dans le développement et la pérennisation de collaborations.

31Enfin, la faible proximité institutionnelle entre La Dépaysante et la collectivité s’est caractérisée par une perception négative du monde institutionnel, rejoignant en cela les conclusions de certains travaux (Balme, 1987 ; Balme et al, 2003 ; Beguinet, 2015 ; Labit, 2010 ; Lehtonen et de Carlo, 2017) qui ont analysé les interactions entre mondes associatifs et politiques. D’après ces travaux, les deux sphères entretiennent souvent des rapports compliqués qui se traduisent par des attitudes de mise à distance et de méfiance, les acteur·rices du monde associatif craignant de se faire déposséder de leur liberté d’initiative par les seconds. Nous avons relevé ces attitudes dans les propos de certains membres de la Dépaysante : « cette liberté de ne pas dépendre des institutions, des administrations, des comcoms, parce que le fait de ne pas demander de subventions, …, ça donne une vraie liberté de mouvement pour notre association » (Dorian) ; « honnêtement je ne suis pas un gros croyant des politiques, quand tu leur montres un truc qui commence par A, eux il faut qu’ils trouvent une solution qui finit par Z ; C’est assez rare qu’un politique se contente d’entendre ce qu’il y a dans la rue et de se dire c’est une solution » (Damien).

Les proximités inter-initiatives : aller au-delà de la cohabitation

32La partie précédente a mis en lumière comment Tulle Agglo, à travers sa capacité de mise en relations, établit des connexions entre les initiatives de son territoire. Pour compléter notre analyse, nous soulevons quelques difficultés à surmonter afin d’initier des interactions durables pouvant conduire à la transition du système alimentaire territorial.

33L’analyse des interactions entre les différentes initiatives établit deux difficultés majeures en termes de coordination. En effet et comme l’ont montré des auteurs (Carbone, 2012 ; Faure, 2002 ; Hoebink, 2000), des initiatives territoriales peuvent émerger pour se conformer simplement à la cohérence des différentes politiques publiques. C’est dans cette perspective que nous estimons que le PAT tend plus à répondre à son cadre institutionnel, car son élaboration et sa mise en œuvre semblent plutôt obéir au cahier des charges qui a pré-identifié les acteur·rices à associer à la démarche. Ces acteur·rices identifié·es par la loi peuvent en effet privilégier le respect de la conformité institutionnelle au détriment d’enjeux réellement partagés. Loin de vouloir réduire celui de Tulle Agglo à cette situation, il est frappant cependant de remarquer qu’il a réussi à cocher toutes les cases prévues par la loi : élaboré sur un diagnostic partagé, présence de la collectivité, implication de la chambre d’agriculture, participation du monde associatif et de la formation. Ce type de démarches partenariales, de plus en plus nécessaires pour la levée de certaines ressources financières, peuvent conduire à des collaborations « imposées » ou ce que Gallaud (2020) appelle « proximité organisée subie » renvoyant à une situation dans laquelle des acteur·rices se voient imposer une manière de se coordonner. Même s’il n’y a pas eu d’objections explicites quant à la pertinence des réunions du comité de pilotage, « quand on réunit tous ces gens en même temps, chacun reste un peu sur sa faim et ça ne permet pas de bien avancer » (Lycée).

34Par ailleurs, ces acteur·rices appelé·es à la participation sont parfois encastré·es dans des proximités institutionnelles et organisationnelles spécifiques qui peuvent se révéler être en décalage avec la réalité du contexte territorial. Par exemple, alors qu’elle est partie prenante du PAT dont l’objectif principal est la territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation via les circuits courts, une des structures fait savoir que « l’accent sur l’alimentation locale [doit] apparaît[tre] dans la prochaine convention ». Il en est de même du Lycée agricole qui doit faire « preuve de prudence car il y a nécessité d’une coordination avec la Région ». Ces décalages temporels et le respect des procédures internes (coordination et validation avec des hiérarchies institutionnelles) comme c’est le cas dans ces deux structures, peuvent limiter leur marge de manœuvre dans une démarche d’action collective comme le PAT.

35Même s’il est encore trop tôt pour parler de transition agricole et alimentaire sur le territoire de Tulle Agglo, les trois démarches s’inscrivent dans un processus de (re)territorialisation tel que décrit par Houdart et Lardon (2020). Selon ces autrices, les processus de territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation doivent être appréhendés comme une dynamique de connexion des systèmes alimentaires à un territoire par la création de proximités entre acteur·rices relevant des domaines de la production, de la transformation, de la consommation, des institutions publiques, des associations, des chambres consulaires, etc. Toutefois, les possibilités de construire un système alimentaire intégré sur des interactions qui dépassent de simples cohabitations sur un territoire semblent plus compliqué pour les trois initiatives, tant les proximités institutionnelles qui ont scellé leurs coopérations sont différentes. En effet, elles ont adopté des modes de coordination distincts correspondant chacun à une des trois dimensions de la gouvernance territoriale proposées par certain·es auteur·rices (Gilly et Perrat, 2003 ; Leloup et al, 2005) : une coordination institutionnelle pilotée par Tulle Agglo dans le PAT ; une coordination privée dans Paysans Cœur de Corrèze ; et une coordination autogérée au niveau de La Dépaysante. La coprésence de divers modes de coordination dans une action collective peut, comme l’ont déjà relevé certains travaux (Lamara, 2009 ; Roux et al, 2006), constituer un handicap à l’émergence d’une coordination territoriale intégrée dans une perspective de développement territorial (Beaurain et Brullot, 2011).

Conclusion

36La transition agricole et alimentaire revêt une dimension d’action collective qui se trouve renforcée par le cadre institutionnel des projets alimentaires territoriaux. En pleine expansion, ces derniers impliquent pour les acteur·rices de nouvelles méthodes d’animation et de coordination afin de concilier les différentes conceptions a priori divergentes qui se jouent dans les territoires comme l’exemple mis en exergue dans cette contribution. En dépit des limites de notre analyse (monographie territoriale, initiatives récentes), nous avons pu analyser une certaine corrélation entre le niveau d’activation des différentes proximités et les chances de réussite d’une transition agricole et alimentaire sur un territoire comme celui de Tulle Agglo. Nous avons ainsi montré le rôle important de la proximité institutionnelle, mais cette proximité est difficilement mobilisée par la collectivité, ce qui limite la possibilité pour cette dernière de faire émerger une véritable action collective partagée. Afin d’évaluer de manière réaliste les apports des collectivités, il est nécessaire d’analyser ce qui est de leur ressort. Notre étude de cas nous amène à faire l’hypothèse, à éprouver sur d’autres cas, que les collectivités ont un champ d’action pertinent dans l’activation de proximités géographiques et l’activation voire la création de proximités organisationnelles, mais que d’autres acteur·rices doivent nécessairement agir en complémentarité pour activer des proximités institutionnelles.

37Les différentes initiatives étudiées constituent des espaces d’apprentissage (méthodes de travail pour les acteur·rices de la solidarité dans le cadre du PAT, un début de rapprochement avec les acteur·rices institutionnel·les pour la Dépaysante, partage d’expériences et de savoirs dans la transformation au niveau de la SAS) dont les contours méritent une analyse approfondie. Au regard des difficultés de coordination ici soulevées, la transition doit être analysée à la croisée des approches de gouvernance alimentaire et du développement territorial intégré dont les fondements, comme l’ont montré certains travaux (Beaurain et Brullot, 2011 ; Torre, 2018), reposent sur le renforcement mutuel des différentes proximités. Dans cette approche qui met les collectivités au cœur de ces dynamiques de transition, il est important de tenir compte de leur implication tardive sur ces questions. Cela peut parfois poser la question de leur légitimité, a fortiori face à des acteur·rices historiques comme les chambres d’agriculture, même si ces dernières doivent également faire évoluer leurs stratégies, traditionnellement peu tournées vers les logiques de reterritorialisation des filières et les questions alimentaires.