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Installer en maraîchage : un modèle de food planning ? Réflexions autour de Nantes, Caen et Alençon

Setting up in market gardening: a food planning model? Reflections around Nantes, Caen and Alençon
Pierre Guillemin et Christine Margétic

Résumés

Cette dernière décennie, marqueur d’une transition conceptuelle et pratique dans les nouvelles politiques publiques, le soutien à un maraîchage de proximité apparait comme une déclinaison de food planning à la française qui cible des formes d’agriculture et non des agriculteurs en activité. Souvent avec pour référence un modèle de petite à micro-ferme multifonctionnelle devenu standardisé, les acteurs promeuvent l’installation de candidats après édition d’un appel à installation. Trois terrains (Alençon, Caen, Nantes) qui ont procédé à de tels appels, selon des modalités propres, démontrent la difficile concrétisation de cette transition. Les expériences peu fructueuses de Caen et Alençon, très dirigistes, contrastent avec celles portées sur Nantes, nettement plus participatives et plus abouties.

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Texte intégral

Cette étude s'inscrit dans le recherche-action conduite par le projet Formes urbaines et gouvernance alimentaire (FRUGAL) coordonné par Catherine Darrot et Bernard Pecqueur dans le cadre du programme Pour et Sur le Développement Régional (PSD4) financé par l'INRAE et les Régions Basse-Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes.

Introduction

1Dans une récente tribune, 300 élus locaux favorables à l'agriculture biologique ont demandé à l’État de revoir sa politique d'accompagnement en leur faveur. Interrogée dans la presse régionale, leur ambassadrice Jeanne Barsehian (maire EELV de Strasbourg) déclarait que le point de blocage local « pour nos communes, c'est la question du foncier ». Elle précise que les élus locaux doivent avoir « une stratégie foncière ambitieuse pour développer des activités agricoles bios, notamment maraîchère » (Dautry, 2021).

2Cette tribune met l'accent sur certaines interrogations actuelles quant au modèle d'agriculture souhaité et aux moyens pour y parvenir. Dans ce cadre, l'entrée par le foncier agricole paraît incontournable. En effet, cette question relève d'une part du registre concret du système de régulation (Margetic et al., 2016) et, d'autre part, d'une recherche de cohérence territoriale pour des usages multiples par une diversité d'acteurs (Bertrand, 2013), notamment dans le cadre de projets de ville (Banzo et Courdechet, 2013) au prisme de l'alimentation (Brand et Bonnefoy, 2011). Interface singulière entre praticiens et lieu, entre processus de territorialisation et action collective (Croix, 1999), cet objet-ressource se trouve en quelque sorte surqualifié par surimposition d'attributs (valeur productive, environnementale, etc.). En tant qu'outil de médiation, il s'offre « mutable » car doté de plusieurs fonctions sur une même parcelle (Margetic et al., 2016) pour répondre à des intérêts (politiques) contradictoires (nourrir versus loger la population) dans des territoires en (re)construction (Loudiyi et al., 2011). D’une certaine manière, le foncier agricole se trouve doté d’autres finalités que la seule finalité agricole en un même lieu.

3Aborder le foncier agricole sous l'angle de sa mutabilité renouvelle les approches quant à la transition des systèmes alimentaires car cela revient à interroger la capacité des acteurs locaux à promouvoir des politiques publiques adaptées aux spécificités du maraîchage en particulier. En effet, dans les démarches de développement territorial initiées par les collectivités, foncier et maraîchage sont d'autant plus souvent associés que la fonction productive est destinée en priorité pour l'approvisionnement de la restauration collective en légumes. Omniprésent dans les stratégies des collectivités (Baysse-Lainé et al., 2018), le soutien au maraîchage de proximité participe de leurs politiques d'attractivité à travers un marketing territorial assumé (Guillemin, 2020). Il apparaît comme une déclinaison d’un « aménagement alimentaire » (food planning : Morgan, 2009 ; Viljoen et Wiskerke, 2012), qui reflète une nouvelle vision de l’agriculture locale, soulignant sa vocation nourricière et environnementale (Baysse-Lainé, 2021). En conséquence, sont avant tout promues des formes d'agriculture (à croiser avec les potentialités foncières) et « non l’agriculteur en activité privé de ses terres » (Poulot, 2014, p. 22). Prime l’objectif alimentaire sur le contexte social agricole local.

4De telles démarches aboutissent en général à de nouvelles installations plutôt qu’à un soutien aux exploitations existantes. Parmi les formes d'agriculture privilégiées, aux exploitations maraîchères périurbaines classiques comme celles de la zone périurbaine de Wavrin près de Lille (Margetic et al., 2016) ou dans les agroparcs de Montpellier (Jarrige et Perrin, 2017), a succédé un modèle qui tend à devenir la norme de petite à micro-ferme multifonctionnelle (Morel, 2019). En effet, « les élus veulent tous créer du Fortier, dans une logique de distinction territoriale » (en référence au manuel québécois de maraîchage bio sur petite surface - Guillemin, 2020), et cette dynamique déborde des seuls dispositifs maraîchers à travers les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT – Mestre, 2021). Dans ce cadre, les collectivités lancent de véritables appels d’offres avec publicisation (sous forme d'un appel à candidatures, AAC ; à projets, AAP ; à manifestation d'intérêt, AMI) diffusés en général à l'échelle nationale selon « un cahier des charges auquel doit adhérer l’agriculteur » (Poulot, 2014, p. 22). Ces collectivités favorisent ainsi la création ex nihilo de nouveaux outils pour parvenir à des systèmes agricoles ancrés dans un territoire donné. Cette inscription dans le territoire est d’ailleurs un des cinq critères mis en avant pour définir la micro-ferme dans le cadre du projet MicroAgri (Toublant, 2019). Face à la circulation réticulaire de ce modèle d'action, quelles sont les modalités pratiques de ces offres d'installation maraîchères et que dit-elle de son appropriation par les acteurs locaux ? Comment circulent les énoncés, mots d’ordre ou termes repris dans ces offres variables dans le fond ? Après avoir défini le cadre d’analyse et les terrains d’étude, nous exposerons les conditions de réussite et d’échec de telles démarches afin de cerner de manière opérationnelle les barrières et les leviers de cette institutionnalisation. Dans une dernière partie, on cherchera à comprendre les procédures mises en œuvre, au regard des liens qu'elles révèlent entre monde urbain, mondes maraîchers et plus généralement mondes agricoles.

Une réflexion comparative sur un modèle de food planning

5La lecture des appels à projets d’installation agricole qui tendent à se multiplier sur internet (villes d’Albi, d’Amiens pour n’en citer que deux) nous conduit à nous interroger sur une éventuelle diffusion d’une norme de l’action publique (UMR ESO, 2017) conçue autour d’un modèle de food planning (Brand et Bonnefoy, 2011). Globalement, on y retrouve des pratiques similaires quant aux modalités de mise en place de la démarche (diffusion d’un appel à installation, création d’un comité de sélection …), et surtout de mêmes ressorts idéologiques (visions politiques associées aux transitions territoriales, contours de l’activité agricole et du métier d’agriculteur, etc.). Ce postulat d’une institutionnalisation du fait foncier va prendre appui sur trois terrains d’étude représentatifs de la diversité des appels.

L'institutionnalisation de l'entrée foncière dans les stratégies alimentaires locales

6Le terme de food planning est concomitant de « la diffusion du mouvement de l’Urban Food Planning aux Etats-Unis au début des années 2000. Pour ses membres, ils le définissent comme « l’ensemble des activités et institutions régulatrices de la chaîne alimentaire depuis l’étape de la production jusqu’à celle de la gestion des déchets » (Brand, 2018). Ce terme ou celui d’aménagement alimentaire est peu utilisé par la recherche en France. Pour Bonnefoy et Brand (2011), il reflète le rapprochement « entre monde de l’alimentation et monde de l’aménagement urbain (Morgan, 2010) dans la fabrique des territoires », avec un lien étroit aux problématiques foncières.

  • 1 Amendement au projet de loi Climat et résilience adopté le 15 avril 2021 par l'Assemblée nationale.
  • 2 Amendement adopté le 14 novembre 2020 dans le cadre de la loi relative à « l’engagement dans la vie (...)

7Alors qu’il n’existe pas de compétence « agriculture », ni « alimentation », les collectivités locales participent néanmoins de plus ou moins longue date, au devenir des espaces agricoles en les protégeant, voire en les recréant. Ce processus prend différentes formes, de la promotion de l'agriculture biologique à la demande de certains élus à la relocalisation du fait alimentaire (appui aux circuits courts, etc.). Dans un autre registre, deux amendements leur donnent de nouvelles prérogatives. Le premier rend obligatoire de prévoir des surfaces non urbanisées dans le plan local d'urbanisme1 ; le second les dote d'un droit de préemption prioritaire à celui des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) pour les surfaces agricoles situées dans l’aire d’alimentation de captages d’eau2. De fait, le foncier agricole est devenu un réel enjeu public, pour partie sous l’influence de nouveaux acteurs (néo-paysans, société civile) dans un paysage nourricier urbain lui aussi en transition (Baysse-Lainé, 2018). En forte progression depuis 2015, cette dynamique induit de nouvelles visions du métier et de ses fondements, la réflexion ne reposant plus seulement sur la sphère agricole, mais pouvant émaner d'associations par exemple (Ceinture Verte sur Pau ou Valence). Elle est explicite en Ile-de-France où elle correspond à un agriurbain en invention (Poulot, 2020) différent des logiques agricoles héritées. De manière générale, les élus des différentes strates de l’armature territoriale (métropoles – villes moyennes – petites villes) concentrent leurs interventions sur le maraîchage, sur de petites surfaces parfois acquises spécifiquement pour un projet d'installation. L’activité maraîchère constitue ainsi l’une des « nouvelles figures en construction [de] l’agriculture durable » (Duvernoy et al., 2012), omniprésente dans ces politiques publiques (Baysse-Lainé et al., 2018), indépendamment des contextes.

  • 3 Par exemple, en 2017, AAP de la Safer et de la Région Aquitaine pour 27 ha à Mérignac, près de Bord (...)
  • 4 Lewarde dans les Hauts-de-France en 2020.
  • 5 3 AAP à l'initiative de l'Agence des espaces verts d'Ile-de-France sur près de 100 ha en 2018

8Mais comment qualifier un « bon » maraîchage ? Qui pour le qualifier et mettre à l’agenda des pratiques innovantes ? Répondre à ces questions n’est pas simple d’autant que les élus délèguent aux techniciens la méthodologie de travail, et que ces derniers s’appuient en majorité sur d’autres démarches existantes, selon des pratiques collaboratives le plus souvent avec la Chambre d’agriculture et d’autres acteurs telle l’association Terres de Liens (Perrin, Baysse-Lainé, 2020). En effet, des liens d'interconnaissance, voire des relations de compagnonnage se sont construits, par exemple entre les collectivités et Terres de Liens qui entretient un vivier de porteurs de projet (Baysse-Lainé, 2018). Alors que, dans un premier temps, les règles étaient plutôt floues, faites au cas par cas (Jarrige et Napoléone, 2015), elles se sont progressivement affirmées dans différents registres (type d’agriculture, profil des candidats, etc.). Ainsi, les appels à projets sont formalisés et ciblés sur des activités de production agricole respectueuses de l’environnement (agriculture biologique, haute valeur environnementale) basées sur une commercialisation en circuit court3, et de plus en plus souvent directement en agriculture biologique4. Parmi les critères de sélection des futurs installés figurent généralement le caractère innovant et la viabilité économique pour une minimisation du risque5. Et les exemples tendent à se démultiplier.

9Nouveaux acteurs, enjeux renouvelés et portés politiquement : le foncier agricole devient alimentaire (Margetic et al., 2016) dans un contexte de transition vers des systèmes plus durables. Malgré l’ambition limitée des actions repérées qui ne remettent pas radicalement en cause la gestion du foncier et les activités pratiquées (Baysse-Lainé et al., 2018), les démarches initiées dans trois terrains d'étude contrastés donnent à comprendre comment prend forme cet « aménagement urbain ».

La comparaison de trois agglomérations aux profils contrastés

10Dans le cadre du projet Formes urbaines et gouvernance alimentaire (FRUGAL) du programme Pour et Sur le Développement Régional (PSDR4) ont été menées des observations directes et participantes dans sept agglomérations de l'Ouest français (Alençon, Angers, Caen, Lorient, Nantes, Poitiers et Rennes), chacune ayant sa propre appréciation d'un questionnement autour de la thématique du foncier agricole et ses propres stratégies d'action (Darrot et al., 2019). Dans cette contribution, convoquer une métropole (Nantes), une communauté urbaine (Caen) et une petite communauté urbaine (Alençon) ne tient pas à la similitude démographique (de 24 à 48 communes pour un rapport de 1 à 12 en termes d'habitants), ni à l'équivalence de leurs poids agricole (rapport de 1 à 5 en matière d'exploitations agricoles en 2010), ni des contextes agricoles (poids variables de l'agriculture biologique ou des circuits courts), ni des taux de couverture théorique de la consommation en légumes frais par le maraîchage local. Ces variables apparaissent différenciées (fig. 1).

Figure 1 : Trois agglomérations de l'Ouest contrastées

Figure 1 : Trois agglomérations de l'Ouest contrastées

PBS = Production brute standard ; AU = Données traitées à l'échelle de l'aire urbaine

Sources : RP 2017, INSEE ; RA 2010, Agreste – Traitements : PSDR 4 FRUGAL – Auteur : P. Guillemin, 2021

  • 6 En 2021, l'une va migrer sur le toit d'un immeuble, et la seconde s'installer dans une ancienne cha (...)

11Les politiques publiques diffèrent aussi, reflet de spécificités agricoles parfois marquées et de jeux d'acteurs et d'actions sur une temporalité plus ou moins longue. Ainsi, dans la continuité du programme de remise en culture des délaissés agricoles et de soutien aux installations agricoles impulsé dès 2001 (Margetic et Chaussesse, 2012), Nantes se veut une métropole maraîchère et soutient la reconstruction de fermes dans la ZAC de Doulon-Gohards (Margetic, 2018), sur les lieux même du bassin maraîcher historique, tout en favorisant l'installation de deux fermes urbaines dans d'anciennes serres du MIN6. À Caen, le marketing de la communauté urbaine butte sur la coordination foncière. Ancienne, cette problématique peine à être reconnue (veille foncière stérile en termes d'installation), et même l'avenir de la dernière ferme maraîchère de la ville est incertain (Guillemin et Marie, 2017). Le maraîchage sur de petites surfaces existe avant tout par le biais de structures d'insertion sociale (Guillemin, 2020). Autour d’Alençon, sans tradition maraîchère, la stratégie politique est avant tout reliée aux besoins d'approvisionnement de la restauration collective intercommunale alors que les initiatives privées s'orientent vers d'autres segments du marché des circuits courts (ventes à la ferme, marchés, magasins bios, etc. - Id.).

12Cette rapide présentation appuie l'intérêt d'une confrontation des trois territoires, dont les acteurs mobilisent les mêmes catégories d'outils, donc la même norme d'action publique, pour des résultats divergents.

Des offres à l’installation maraîchère (mal)heureuses

13En nous appuyant sur la matrice proposée par Hasnaoui-Amri et Jarrige (2021), nous avons synthétisé les modalités pratiques des appels à installation maraîchère pour Alençon, Caen et Nantes (tableau 1). Ce tableau résulte d’un travail doctoral (Guillemin, 2020) pour Alençon et Caen, et du suivi dans la durée de la politique nantaise en faveur du foncier agricole.

Tableau 1 : Démarches d'appels à installation maraîchère étudiées

Démarches d’appel à installation maraîchère

Cadre politique et propriété

Acteurs associés

Superficies et potentialités agricoles

Cahier des charges

Reconquête des friches agricoles

Nantes Métropole - propriétaires privés et publics

Nantes Métropole, élus de la commune, Chambre d'agriculture, association

450 ha répartis en 83 sites prioritaires sur le territoire communautaire, avec une action sur à minimum un site par commune

Statut d'agriculteur à titre principal, projet économiquement viable

Aide à l'installation agricole dans le cadre du PAT

Nantes Métropole - propriétaires privés et publics

Nantes Métropole, Chambre d'agriculture, CAP44, CIAP44, GAB44, Terres de Liens, Safer

Nombre de sites variable en fonction des remises en valeur de parcelles enfrichées. 12 sites en octobre 2020

Statut d'agriculteur à titre principal, projet économiquement viable, en cohérence avec les orientations du PAT

Aider au développement du maraîchage

Conseil Départemental du Calvados - Agenda 21 et Espaces Naturels Sensibles

Chambre d'Agriculture, Bio en Normandie, Ville de Caen, Agence d'urbanisme

Dernière exploitation maraîchère de Caen - 3 ha - légumes de plein champ - périmètre captage d'eau potable. Débouchés commerciaux (centrale d'achats) - Mutualisation possible avec les cédants (irrigation avec compteur séparé et gros matériel motorisé).

Bandes enherbées (10 m. de large) au sud-est de la parcelle ; 1 ha en prairie de fauche (pesticides interdits, exportation au 1/07 et gestion des rudérales) - 2022 : conversion à l'AB.

Accompagner des circuits courts maraîchers

SCoT 2014-2020 de Caen Métropole - AIFST

Jardins d'Arlette, Bio en Normandie, Terres de Liens, ARDES, Rhizome

Éco-domaine du Londel à Biéville-Beuville - 0,3 ha (serres : 400 m²) - irrigation - mutualisation : motoculteur, pousse-pousse, brûleur, charriots, diables et plants de fruitiers/vivaces.

Démontrer la performance de la permaculture intensive sur petite surface : diversité ++ de F&L ; nombre d'heures raisonnable ; revenu décent.

Cherche maraîcher pour les cantines

Communauté Urbaine d'Alençon - Agenda 21

Rhizome, Bio en Normandie

Alençon - 2,7 ha CUA - maraîchage de plein champ (serres proscrites car servitudes aéroportuaires)

Respect de l'environnement ; Viabilité économique ; Cantines ou GMS ; Interactions avec le public.

Ciral (rural) - 3,1 ha de prairie à vendre ; maison et grange à restaurer ; puits à sonder ; réseaux à connecter.

Héloup (périurbain 2e couronne) - 0,4 ha ZAC - horticulture et plants (serres chauffées),

La Ferrière-Bochard (rural) - Prairies 1,8 ha à vendre et 3,1 ha à louer - Location hangar 150m² - Puits et eau du réseau.

Conception : d'après F. Jarrige et N. Hasnaoui Amri, 2021 - Auteurs : P. Guillemin et C. Margetic, UMR ESO, 2021

Nantes Métropole : des réussites qui font école

  • 7 L’objectif est bien de conforter une agriculture professionnelle.

14Commencer par Nantes s'explique par l'antériorité des démarches et l'originalité de la trajectoire d'ensemble qui passe d'une politique de reconquête des friches agricoles (Margetic et Chaucesse, 2012) à une politique territoriale d'ensemble. Durant la première phase de 2008 à 2017, des commissions communales ont été constituées, composées de Nantes Métropole, de la Chambre d’agriculture, d’un élu municipal et parfois de la société civile (Bouguenais par exemple). Sur les 3 700 ha de friches reconvertibles de moins de 6 ans, à priori exploitables, ainsi que 1 500 ha loués pour des chevaux de loisir, sont identifiés 155 sites d’intérêt agricole, puis ciblés 83 zones prioritaires (environ 800 ha). La phase opérationnelle est engagée en 2011 (Margetic et al., 2016), et en 2017, 450 ha ont été remis en culture et 34 installations finalisées tournées vers l’élevage ou le maraîchage, dont 13 privilégient les productions agrobiologiques. En novembre 2018, la méthode évolue afin d’être plus réactif face aux attentes des candidats. Nantes Métropole, associée à la Chambre d’agriculture, CAP44, la Coopérative pour l’Installation en Agriculture Paysanne (CIAP), le GAB44, Terres de Liens et la Safer, lance un AMI pour des installations prévues sur 12 sites offrant des caractéristiques variables en termes de taille, de localisation, de potentiel agronomique, d’aptitude à la certification bio, ou de présence/absence de bâtiments. Cette procédure garantit une justice procédurale (Hasnaoui-Amri, 2018) dans la mesure où le niveau d'information aux candidats est égal. Les parcelles préalablement défrichées par la SCIC Nord-Nantes sont destinées à des porteurs de projets pré-sélectionnés, reconnus agriculteurs à titre principal7 et dont le projet – économiquement viable – doit être convergent avec les orientations du PAT. La réussite est au rendez-vous avec 50 candidatures au bout de 2 mois, dont 20 projets rapidement opérationnels.

15Comme à Montpellier (Id.), le choix de comités de sélection communaux d'abord, d'échelle communautaire ensuite, a assis une communauté de pratiques (Dupouët et al., 2003 ; Wenger, 2005) qui perdure puisque l'AMI devient perpétuel sous la forme d'un questionnaire en ligne, d'autres sites apparaissant et alimentant de nouveaux besoins en termes d’installation. Chaque trimestre, le groupe projet se réunit pour mettre en adéquation ces sites « tournants » avec les projets des 70 inscrits en octobre 2020, dont une vingtaine en suivi régulier. 3-4 sont sélectionnés et vont repérer un site donné avant de poursuivre leur engagement. En novembre 2020, bien que chronophage, cette méthode donne des résultats, avec 14 installations.

16Parmi les parcelles mises à disposition figuraient celles en vue de la recréation de 4 fermes urbaines sur la ZAC de Doulon-Gahards, où, là encore, l'expérimentation est réelle. Le comité de sélection est composé de Nantes métropole et de l'élu de quartier, la Chambre d'agriculture, CAP44, Nantes métropole aménagement, des maîtres d'ouvrage, mais aussi d'habitants.

À Caen, la convergence entre stratégie alimentaire et planification à l’épreuve de la coordination politique

17En 2013, en parallèle de l'élaboration du SCoT, l'agglomération Caen La Mer charge l'Agence d'Urbanisme de Caen Métropole de réaliser une veille foncière destinée à identifier des parcelles propices à l'installation agricole autour de petites structures diversifiées et orientées en circuits courts de proximité. Malgré des exploitants cédants car approchant de la retraite, la veille s'avère stérile. La collectivité intervient alors d’autant moins pour flécher du foncier qu’en 2015, échoue un partenariat de 7 ans avec Interbio Normandie pour l'approvisionnement de la restauration collective en légumes (alternance politique, distribution défectueuse au coût onéreux). La communauté urbaine peine également à infléchir la politique du Conseil Départemental du Calvados (CD14) pour préserver la dernière ferme maraîchère de Caen en Espace Naturel Sensible. C'est au final la mobilisation de la profession agricole (FNSEA et Chambre Coordination Rurale à l'époque) qui oblige le CD14 à pérenniser cette vocation maraîchère à travers une convention, dont l'application reste aujourd'hui incertaine et peu ambitieuse (Boisgallais et al., 2020).

  • 8 Le droit du fermage prévoit le paiement d’une indemnité d’éviction lorsqu’un propriétaire (ici l’AI (...)

18En parallèle, Caen la Mer externalise au secteur associatif le soutien au maraîchage biologique. Ainsi, en 2015 l’agglomération finance ainsi l'éviction8 d'un éleveur fermier de l'Association Institution Familiale Sainte-Thérèse (AIFST), pour que cette dernière délègue la conversion d'une prairie au maraîchage à une autre association d'insertion départementale (Les Jardins d'Arlette - JA). En parallèle, sur un espace maraîcher d'insertion existant et grâce à des subventions de fonctionnement provenant notamment de Caen la Mer, l'AIFST diffuse un AAP visant l'expérimentation d'un maraîchage intensif et manuel sur petite surface, avec un cahier des charges exigeant dans ses objectifs et leur variété. En 2017, le projet implose : l'association d'insertion fermière est évincée une fois la mise en valeur maraîchère effectuée et le maraîcher recruté quitte l'expérimentation, dénonçant le « mirage propagé par l'étude sur la ferme du Bec Hellouin qui dit qu'on peut vivre avec un petit lopin de terre et qu'on peut nourrir l'Afrique ». Il met en cause l’AAP surdimensionné pour une année d'installation : « c'était pas une année d'installation, j'ai été embauché pour une année de production avec un objectif à terme de 20 000 € ». La gouvernance sur le site s'atrophie autour de l'association propriétaire qui rediffuse son AAP en 2019, sans succès (Guillemin, 2020). Lauréate d'un AMI dédié à l'économie circulaire, elle développe la vocation maraîchère de l'éco-domaine du Londel par sa branche dédiée à l'insertion sociale autour d'un projet rebaptisé 1 PACTE.

19La difficile coordination entre collectivités (Département, Communauté d’agglomération, ville de Caen) produit une délégation de l’action publique agri-alimentaire au secteur de l’insertion. Des concurrences internes limitent la portée des installations et perpétuent une précarité d’exploitations qui valorisent ponctuellement des parcelles à l’avenir incertain. Le potentiel de foncier agri-alimentaire intra et périurbain ne fait pas l’objet d’un aménagement intégré faute d’une gouvernance qui bute sur la maîtrise d’œuvre.

Petite communauté urbaine cherche désespérément des légumes bios pour ses cantines : le cas d’Alençon

20Forte d'une première stratégie alimentaire (Agenda 21, 2010-2014), la communauté urbaine d’Alençon (CUA) souhaite combler un déficit en légumes sans concurrencer les maraîchers en place, qu'elle a aidé à mettre en relation avec la demande des consommateurs localement. Ce programme avait contribué à la formation des professionnels à l'approvisionnement local des cantines. C'est donc vers ce débouché non satisfait qu'elle s'oriente. La CUA commande alors une veille foncière déléguée à Terre de Liens Normandie en 2012-2013. L’association se focalise sur une cession horticole intra-urbaine finalement transmise dans un cadre privé, et délaisse ce faisant, d’autres opportunités foncières liées à des exploitants cédants dans les communes périurbaines.

21Échaudée par cette veille coûteuse et stérile, la collectivité décide de l'internaliser pour offrir un espace-test maraîcher via la Coopérative d'activité et d'emploi Rhizome (Guillemin, 2020). Un appel à veille foncière est lancé auprès des maires, dans l’optique d’aménager une ceinture maraîchère de première couronne. Outre l’identification par les services d’une centaine d'hectares en propriété, trois offres émanent de communes plus éloignées de la ville centre, qui proposent des parcelles peu optimales : cessions/location par des propriétaires privés, taille limitée ou nature du sol défavorable, accessibilité difficile. Par suite, la pré-étude de faisabilité identifie une autre parcelle communautaire en limite nord d'Alençon, à cultiver sous bail précaire. Les analyses de sol sont bonnes et la parcelle est proche de puits. Mais des servitudes aéronautiques interdisent l’installation de serres et l'étude de faisabilité alerte quant à l’irrigation onéreuse (pollution de la nappe) et la nécessité d'aménager le site (clôtures, etc.). À cause d’« un coût prévisionnel trop élevé », la majorité ne soumet pas au vote cet investissement.

22L'AAP diffusé en 2018 mentionne quand même 4 parcelles (celle communautaire et les trois offres communales). Laissant la possibilité d'une vente directe, la CUA ouvre la porte à une concurrence directe pour le jardin maraîcher bio d'insertion proche de la parcelle communautaire, d’autant que les candidats retenus ne souhaitent pas approvisionner seuls la restauration collective. Ils visitent les parcelles avec un technicien bio, mais rien n'aboutit. Rediffusé en mai 2019, l’AAP obtient au total 14 candidatures (dont des binômes non formés). Des structures locales existantes y répondent, mais les élus, qui ne souhaitaient pas ouvrir l’AAP aux porteurs issus du milieu agricole, ne saisissent pas ces opportunités (un maraîchage d’insertion approvisionnant déjà la cantine centrale et souhaitant s’agrandir, un arboriculteur-fraisiculteur pour une diversification maraîchère et un céréalier – 300 ha – pour une diversification légumière destinée aux grandes surfaces et cantines). Finalement, le binôme technique qui avait répondu au premier AAP finit par s'installer dans le cadre d'une démarche privée, en achetant des terres dans une commune de seconde couronne. Si la CUA appuie le projet auprès de la commune concernée, elle ne peut le promouvoir car le conseil municipal vote la conditionnalité de l'installation à des contraintes d'urbanisme et à l'exclusivité de la publicisation, finalement limitée au magazine communal semestriel. En 2020, les nouveaux maraîchers ne pratiquent que la vente directe, les quelques contacts auprès de la restauration n'ayant pas aboutis.

23Le cas alençonnais interroge finalement l’adéquation entre les projets privés agricoles et les projets publics alimentaires.

Quelle installation agricole pour quel modèle de food planning ?

24Pour rappel, le food planning reflète le rapprochement « entre monde de l’alimentation et monde de l’aménagement urbain (Morgan, 2010) dans la fabrique des territoires ». Croiser ces entrées alimentation et aménagement urbain passe, pour les collectivités locales, par une institutionnalisation des modalités d’installation agricole. Pour lancer leur appel à projet, elles conçoivent un cahier des charges multicritères particulièrement lourd par rapport aux installations classiques (critères environnementaux, productifs, commerciaux et agriculture de service). A mesure que ces derniers circulent de territoires en territoires, un modèle de food planning se structure autour d'une offre foncière destinée avant tout à des candidats non issus du monde agricole, qui postulent largement dans le cadre des AAP. Mais évoquer la circulation d'un modèle ne veut pas forcément dire son appropriation, et encore moins la réalisation bipartite de projets public-privé.

Circulation n'est pas appropriation : quand l'appel à l'installation maraîchère échoue

  • 9 Pour le candidat, il s’écoule en général à minima une année à une année et demi entre le moment où (...)

25Plusieurs points communs sont à relever entre nos terrains sur la démarche, l'offre foncière et le profil des candidats. En effet, si chaque maire ou président d'intercommunalité souhaite « installer son maraîcher » (expression utilisée par un chef de service aménagement en charge du PAT d'une intercommunalité rurale normande), indépendamment du contexte local, la temporalité agricole est bien prise en compte par les chargés de mission9, ce qui s'avère indispensable pour amorcer la viabilité du projet au regard des spécificités des sites retenus. L'offre foncière dans ces espaces urbains et périurbains est dotée de parcelles de petite (moins de 4 ha), voire de très petite taille (moins de 1 ha), en cohérence avec les surfaces proposées dans d’autres appels à projets. Sur le profil des candidats, prédominent – souvent exclusivement – des postulants non issus du milieu agricole (reconversion professionnelle, exploitation multifonctionnelle dont la production agricole n’est qu’une activité parmi d’autres). Pour la collectivité, les apports sont indéniables tant en termes d’emplois que de mixité sociale par exemple.

26Cette convergence d’idées peut être interprétée comme étant le fil conducteur du modèle de food planning. Pour autant, des différences sont surtout repérées au niveau de la traduction pratique de la démarche. Trois points ressortent de nos terrains.

27En premier lieu, Caen s'oppose à Nantes où, une fois pré-sélectionnés, les candidats sont accompagnés pour mûrir leur projet d'une part, et bénéficient d'un appui à l'intégration territoriale d'autre part (mise en contact avec des interlocuteurs locaux, débouchés, ...). De même, les candidats retenus pour les micro-fermes de Doulon-Gohards avaient tous déposé un dossier proposant une diversité d’activités dans le domaine de la transformation (plantes aromatiques pour la création de produits cosmétiques) ou de la commercialisation (arbo-maraîchage bio-intensif en cueillette, restauration rapide sur place ou après transformation dans différents réseaux tels que restaurants ou magasins spécialisés). Ce pré-requis explique que les candidats sont repassés deux fois devant le comité de sélection. Pour la collectivité en particulier, qui engage des financements (pour le défrichage, l’aménagement du bâti, etc.), la seule activité de production n’est pas suffisante dans la mesure où, en pleine terre et avec peu de serres en milieu intra-urbain, elle n’assure pas toujours la pérennité financière (Morel, 2019), même en pratiquant la vente directe. Au final, sur ce terrain, une communauté de pratiques y a été construite au fil des années, par « l’échange et le partage d’un répertoire commun de ressources » (Dupouët et al., 2003).

28Une telle communauté n’existe ni sur Caen, ni sur Alençon, comme le démontre la composition du comité de sélection. A Caen comme à Perpignan (Perrin et Soulard, 2014), la division des acteurs, voire leur concurrence, explique la faiblesse du projet-processus autour de l’attribution d’un foncier agricole, c’est-à-dire la démarche de projet (Pinson, 2005). Les dysfonctionnements reflètent même une vieille et classique opposition du gouvernement des villes, entre ville-préfecture et Conseil Général/Départemental (Le Galès, 1995) incapables de coopérer malgré leur proximité partisane, non sans conséquences pour la pérennité du dernier marais sur Caen.

29Pour autant, d'autres éléments semblent expliquer les échecs, liés éventuellement à des offres foncières inadéquates (parcellaire trop inséré dans le tissu urbain ou morcelé à distance de la ville centre, prix des terres ou coût de leur aménagement, zonage environnemental ou aérien, sols minces et acides ou pollution de la ressource en eau, etc). Face à ces propositions d'installations plutôt complexes, le manque de technicité de nombreux candidats ne favorise pas non plus la concrétisation en matière de projet-objet (ibid.). Souvent aussi, la non-adéquation des projets entrepreneuriaux aux attentes de la collectivité demandeuse (commercialisation non orientée vers la restauration collective pour le cas d'Alençon) ou des associations coordinatrices (vers les publics urbains défavorisés et les épiceries solidaires pour l'éco-domaine caennais), altère le projet-processus. Le dysfonctionnement des arènes partenariales réunies autour de visées communes formalisées dans le projet de la collectivité dessert le projet-objet, c’est-à-dire « les objets sur lesquels [le projet] débouche » (Ibid.), ici la concrétisation des dossiers d’installation des candidats aux AAP. On atteint ici la distorsion qui existe entre les attentes des collectivités et les moyens dont elles disposent ou dont elles externalisent la gestion à des associations. Reflet d’une éventuelle évolution du projet de départ, cette distorsion est d’autant plus forte que le jeu des acteurs est difficile. Aussi, le même modèle ne donne pas les mêmes résultats d’autant qu’il repose sur un pilotage du projet « in itinere ». Une fois le processus lancé, les règles de décision et d’action de la collectivité sont construites « chemin faisant » : de la communication sur le projet politique mais peu de transparence sur le dispositif lui-même (termes du contrat, choix des candidats et des projets…). Manque de communication, « biais sélectif » des agriculteurs : ces limites peuvent être imputées au caractère expérimental de cette politique foncière, reflétant le manque de cadres réglementaires et de références.

Quelles modalités d'action publique-privée par et pour les territoires ?

  • 10 Dans les faits, on est passé de la politique de reconquête des friches, pensée pour chacune des 24 (...)

30Nos cas contrastés autorisent une réflexion prospective et appliquée autour des nouvelles modalités d'action collective publique-privée. Bénéficiant d'une longue expérience liée à la remise en cultures de délaissés agricoles, le cas nantais suggère des pistes quant aux modalités concrètes du déroulé de la démarche d'appel à installation (maraîchère), depuis l'écriture des cahiers des charges jusqu'à l'appui aux porteurs de projet. Depuis 2018, de communale, l'échelle de construction de la démarche est communautaire10, avec pour objectif d'articuler la politique foncière avec le projet alimentaire territorial (PAT) d'une part, dans le cadre d'un projet urbain d'envergure d'autre part. La force tient en particulier au collectif constitué comme le montre l'échec de la démarche engagée seule par la commune de Bouaye. Non seulement l’existence d’un collectif permet une montée en compétences, mais il résulte d'une interconnaissance originale entre acteurs. En effet, de 1976 à 2007, la Chambre d'agriculture était présidée par la Confédération Paysanne, qui avait notamment noué des liens avec des élus communaux écologistes (Margetic et Chaucesse, 2012). Constituée en associations (Cap44, ou CIAP), elle participe pleinement aux démarches aux côtés des chargés de mission de la Chambre d'agriculture présidée par la FNSEA. Travailler dans la durée (certains chargés de mission se connaissant depuis 30 ans) facilite le montage de projets.

31La réussite nantaise en termes d’installations agricoles a interrogé les territoires voisins. En prenant la démarche pour modèle, la communauté de communes d'Erdre-et-Gesvres au nord et le Pays de Retz au sud-ouest ont aussi initié une stratégie visant le développement du maraîchage. A l’inverse, dans le Pays du Vignoble nantais au sud-est, l’initiative vient de l’association Terres en Vie, dont l'objectif est de favoriser un maraîchage « local » biologique sur des parcelles de vigne en friche pour répondre aux demandes des habitants. C'est aussi le refus du paysage alimentaire constitutif du bassin maraîcher, perçu localement comme « industriel » et « non nourricier » puisque les productions partent à l'international, tout en marquant le territoire par des serres cathédrales souvent chauffées.

32Le dernier exemple interroge sur l’institutionnalisation du fait foncier. Les collectivités se doivent de répondre (a priori) aux attentes citoyennes d’une alimentation de qualité et locale. Cette optique citoyenne croise parfois les visées de développement territorial des élus et une demande forte de la part de néo-agriculteurs en recherche de foncier. Pour autant, parfois, les élus ne se mobilisent pas ou de manière peu pertinente, ce qui explique les échecs sur Caen ou Alençon. Plus que le modèle de food planning, ce qui manque est donc l’investissement de certains acteurs majeurs (élus) pour parvenir à la définition d’un « vrai » projet fédérateur, collectif et ancré sur les besoins locaux. Arriver à le formuler conduit à s’interroger sur le modèle agricole à privilégier.

Quel modèle agricole privilégier ?

33Dans les projets de soutien au maraîchage périurbain par l'installation dans les communautés urbaines de Caen la Mer et d'Alençon, les coordinateurs des AAP ont jugé utile de spécifier le lien au local, voire à la petite surface de la production. Pour autant, leurs expériences peu fructueuses amènent à interroger l'intérêt pour les pouvoirs publics de ne pas stimuler du maraîchage agroécologique sur moyenne surface, destiné tant au marché de détail en circuits courts qu’au marché du demi-gros et durable au plan économique et salarial (Dumont, 2017). Comment penser et accompagner des diversifications légumières en grandes cultures, alors que ces modèles répondent déjà tant aux besoins logistiques qu'aux prix du marché de la restauration collective ou des grandes et moyennes surfaces (Guillemin, 2020) ? Les AAP diffusés n'ont-ils pas eu des effets collatéraux par la manifestation de producteurs céréaliers ou de pommes de terre dans la Plaine d'Alençon ? Les retenir pourrait être perçu comme une implication à la transition de systèmes agricoles de grandes cultures qui font face à des multiples enjeux (baisse des cours mondiaux des céréales, affaiblissement de la teneur des sols en matière organique, crise régionale de la betterave sucrière avec perte du débouché industriel). Du sud au nord des plaines céréalières basses-normandes, les polyculteurs sont en recherche de nouvelles cultures de printemps, de productions à meilleure valeur ajoutée, mais aussi d'une reconnexion aux attentes des populations locales, et la diversification légumière constitue déjà une solution retenue par certains leaders professionnels. Le choix n’est pas évident, et au-delà d’initiatives individuelles, pour que les collectivités puissent intégrer ce profil de candidat, cela nécessite en amont une diversification des marchés, voire une structuration de celui de la restauration collective publique, et sans doute ne plus opérer la sélection des candidats au cas par cas. C’est déjà le cas lors d’aides ne passant pas par des AAP (Bonnel, 2020). Pour ce faire, les collectivités désireuses de développer la production de légumes dans leurs territoires devront dépasser le modèle standardisé de food planning au prisme de la seule offre foncière. L'équipement en matériel des exploitations (récolte, tri, lavage, conditionnement, etc.) est aussi un enjeu des transitions agricoles et alimentaires dans certains territoires, ce qui suppose de s'adresser également aux agriculteurs en place ou à leurs organisations économiques, et pas seulement à une agriculture alternative portée par des « néo » (Baysse-Lainé, 2021). C’est une option pour éviter de conforter les concurrences foncières structurées autour d’entre-soi (alternatifs versus autochtones) et limiter les transitions sur des « surfaces infimes » (Ibid.).

Conclusion

34De manière générale, nous avons démontré à la fois, la diffusion mais aussi les freins à un modèle de food planning qui nous semble correspondre à une transition en douceur des modes de gestion du foncier agricole. Les modalités de construction des procédures et des démarches varient d'un territoire à l'autre, reflet de spécificités locales parfois fortes et surtout de la maturité de la gouvernance alimentaire locale qui semble déterminer l'utilité, la faisabilité et la déclinaison territorialisée d’un modèle qui tend à s'institutionnaliser dans le cadre des PAT ces dernières années. Quels que soient la taille de la ville ou le rang métropolitain, ce sont surtout les élus qui le portent, et les techniciens qui les organisent sont influencés par le modèle standardisé de la petite à micro-ferme maraîchère biologique (Baysse-Lainé, 2021). Selon cet auteur, « un modèle agricole et alimentaire spécifique est promu de manière récurrente par ces actions, comme résultat d’une gestion alternative du foncier » alors que la vitalité à venir des zones de production agricole appelle la gouvernance alimentaire et les politiques publiques à se réinventer. A travers les PAT à l’interprétation potentiellement polymorphe (Maréchal et al., 2018), cette réinvention est à structurer autour de la coexistence des modèles agricoles, car la « combinaison des systèmes alimentaires dans les territoires […] renforce leur durabilité » (Soulard, 2020, p. 39). Partout, la transition en cours est sélective, même en-dehors des AAP (Bonnel, 2020) et, au final, depuis octobre 2020 sur Nantes, seuls les projets à finalité alimentaire d'une part et engagés en agriculture biologique d'autre part seront désormais aidés.

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Notes

1 Amendement au projet de loi Climat et résilience adopté le 15 avril 2021 par l'Assemblée nationale.

2 Amendement adopté le 14 novembre 2020 dans le cadre de la loi relative à « l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique ».

3 Par exemple, en 2017, AAP de la Safer et de la Région Aquitaine pour 27 ha à Mérignac, près de Bordeaux ; haute valeur environnementale à l'initiative de Tours Métropole en zone inondable en 2020.

4 Lewarde dans les Hauts-de-France en 2020.

5 3 AAP à l'initiative de l'Agence des espaces verts d'Ile-de-France sur près de 100 ha en 2018

6 En 2021, l'une va migrer sur le toit d'un immeuble, et la seconde s'installer dans une ancienne chapelle.

7 L’objectif est bien de conforter une agriculture professionnelle.

8 Le droit du fermage prévoit le paiement d’une indemnité d’éviction lorsqu’un propriétaire (ici l’AIFST) évince son fermier-exploitant (ici l’éleveur).

9 Pour le candidat, il s’écoule en général à minima une année à une année et demi entre le moment où le dossier est accepté et les premières cultures. Ce délai peut parfois être plus long (sur les sites nantais, fouilles archéologiques, problèmes d’accès à l’eau, conditions climatiques, etc.). Ces contraintes sont connues.

10 Dans les faits, on est passé de la politique de reconquête des friches, pensée pour chacune des 24 communes de la métropole à une politique alimentaire à l’échelle communautaire.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Trois agglomérations de l'Ouest contrastées
Légende PBS = Production brute standard ; AU = Données traitées à l'échelle de l'aire urbaine
Crédits Sources : RP 2017, INSEE ; RA 2010, Agreste – Traitements : PSDR 4 FRUGAL – Auteur : P. Guillemin, 2021
URL http://journals.openedition.org/geocarrefour/docannexe/image/21185/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 225k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Guillemin et Christine Margétic, « Installer en maraîchage : un modèle de food planning ? Réflexions autour de Nantes, Caen et Alençon »Géocarrefour [En ligne], 96/4 | 2022, mis en ligne le 17 janvier 2023, consulté le 31 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/21185 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geocarrefour.21185

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Auteurs

Pierre Guillemin

Chargé de recherche INRAE Agrosystèmes, Territoires, Ressources ASTER, 662 Avenue Louis Buffet 88500 Mirecourt pierre.guillemin@inrae.fr

Christine Margétic

Professeure, UME ESO, Nantes Université Bâtiment Igarun BP 81227 44312 Nantes cedex 03 Christine.Margetic@univ-nantes.fr

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