1Deux entrées ont été privilégiées dans l’appel à proposition de textes pour le double numéro « quelles transitions alimentaires dans les territoires : 1- Penser les transitions des systèmes alimentaires par et pour les territoires : Acteurs, échelles et action collective ; 2- Penser la transition par la construction de politiques publiques intégratives
2Dans une première livraison (2022 – 96/3), 8 articles proposent différents regards complémentaires autour des acteurs et des échelles de la transition, faisant état à la fois des dynamiques de reterritorialisation et de changement, du point de vue d’une part des acteurs agricoles et des filières agro-alimentaires, et d’autre part des initiatives citoyennes ou d’initiatives hybrides associant acteurs socio-économiques et associatifs.
3Dans ce second volume (2022 – 96/4), 8 articles sont réunis et apportent des réponses au second axe de l’appel à texte tout en élargissant la focale à des apports théoriques, conceptuels et méthodologiques pour alimenter des perspectives d’analyse sur la gouvernance des transitions alimentaire dans les territoires (tableau récapitulatif).
4Développer une alimentation durable sur les territoires implique de déployer de manière systémique les différents projets relatifs à la gestion des écosystèmes, aux activités anthropiques, aux modes de production, de consommation, etc. C’est pourquoi, la transition vers des systèmes alimentaires plus durables interpelle les manières dont se construisent de manière explicite ou implicite des démarches et des politiques publiques plus intégratives dans les territoires, et qui induisent de fait, de nouvelles manières de gouverner les processus de transition (Biesbroek and Candel, 2019 ; Candel, 2017).
5Pour ces auteurs, les démarches et politiques alimentaires intégrées sont aujourd’hui un horizon d’action, qui se traduit par des discours politiques qui cadrent les débats, mais sans forcément refléter de réelles stratégies intégratives au niveau national, malgré les urgences climatiques et sanitaires. L’analyse de la mise à l’agenda de telles politiques en France montre que l’intégration, en tant que processus de construction politique et de coordination d’acteurs de différents secteurs et à différentes échelles spatiales, est contrainte structurellement, et surtout politiquement dépendante au niveau national (Loudiyi, 2020) Ce qui amène à interroger la capacité des territoires locaux à être des leviers d’intégration d’un ensemble de démarches et de politiques publiques alimentaires.
6En France, le paysage des démarches et initiatives alimentaires territoriales s’est modifié en profondeur durant la dernière décennie. Autrefois cantonnées aux ensembles urbains, différentes stratégies émergent et s’y diffusent, à la fois dans de nouvelles régions urbaines et dans plusieurs territoires ruraux. Plusieurs travaux scientifiques en témoignent. Ainsi, dans plusieurs régions, l’alimentation durable est mise en avant pour créer des dynamiques sociales d’écologisation des pratiques. Dans un autre registre, les projets alimentaires territoriaux (PAT) visent l’articulation des enjeux alimentaires à différentes échelles, en impliquant la diversité de secteurs et d’acteurs, suivant une logique systémique inhérente à l’objectif de durabilité et selon les territoires. Les processus d’intégration dans les politiques alimentaires territoriales peuvent être alors saisis à partir des trajectoires territoriales (plans, projets et dynamiques territoriales), de l’articulation des échelles spatiales (la gouvernance multiniveaux, les dynamiques d’interterritorialité), ou encore à partir des processus d’intégration / inclusion des acteurs et leurs enjeux dans la construction de ces politiques publiques aux échelles territoriales (Loudiyi, 2020) en mobilisant différentes ressources politiques (Pahun et Fouilleux, 2022).
7Le pari de l’appel était aussi de documenter cette perspective analytique au prisme des expérimentations en cours dans les territoires, au moment où les collectivités se saisissent de l’enjeu alimentaire, le mettent en politique, notamment par le biais des PAT qui se généralisent surtout depuis 2021 et touchent de plus en plus de territoires, dont des territoires ruraux. Interroger ces territoires en tant que levier d’intégration va permettre de documenter les dynamiques en cours au prisme de la construction de visions politiques associées aux transitions territoriales, aux horizons d’attente des acteurs et leur engagement, de la coordination entre enjeux et secteurs dans les territoires de proximité, soit examiner au plus fin les enjeux, modalités et freins associés à la gouvernance de ces transitions.
Tableau récapitulatif des contributions du numéro
N°
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Auteurs
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Titre
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Thématique principale
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Objet alimentation
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Échelles & terrains
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1
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Barataud Fabienne, Petit Caroline, Garnier Josette, De La Haye Saint Hilaire Louise, Billen Gilles, Noûs Camille
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Pour penser la reterritorialisation alimentaire, intégrer les inter-territorialités
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Les processus de reterritorialisation et dynamiques interterritoriales pour la transition alimentaire
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Flux de matières
Formes organisationnelles, représentations et valeurs autour de l’alimentation
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PNR Brie-et Deux Morin
PAT du Plateau de Saclay
PAT en construction autour de Mirecourt
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2
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Albaladejo Christophe, Sassone Susana, Taulelle François, Muzi Eugenia
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Rôle des villes intermédiaires dans la coexistence de modèles de développement en agriculture. Le cas de la ville de Rodez en Aveyron
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Le rôle des villes intermédiaires dans l’émergence de nouvelles formes d’agriculture
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Modèles agricoles et leur coexistence dans les territoires
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Rodez (Aveyron)
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3
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Pahun Jeanne
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Gouverner l’agriculture localement ? La capacité politique des collectivités territoriales sur la régulation du secteur agricole.
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Les capacités politiques des collectivités territoriales et échelles de gouvernance des transition alimentaires
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Politiques agricoles et alimentaires locales
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Région Bretagne
Région Grand Est
Région Occitanie
Département du Finistère
Département de la Meurthe-et-Moselle
Département du Gard
Ville de Rennes
Ville et Eurométropole de Strasbourg
Métropole de Montpellier
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4
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Lailliau Julie, Carter Caitriona, Corade Nathalie, Lemarié-Boutry Marie
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La mise à l’agenda de la question alimentaire au Conseil Départemental de la Gironde : une lecture de l’intégration d’une politique alimentaire locale par les interdépendances
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Les relations d’interdépendance dans la construction des processus d’intégration d’une politique alimentaire départementale
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Politique alimentaire départementale
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Département de la Gironde
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5
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Beaurain Christophe, Chevalier Marius, Yacoubou Issaka
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Transition agricole et alimentaire : le rôle de Tulle agglo dans la structuration d’une action collective territoriale
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Le rôle des intercommunalités dans l’accompagnement des dynamiques de reterritorialisation de l’alimentation
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PAT de Tulle Agglo
2 initiatives de transformation et de distribution alimentaires
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Communauté d’agglomération Tulle Agglo
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6
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Guillemin Pierre et Margetic Christine
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Installer en maraîchage : un modèle de food planning ? Réflexions autour de Nantes, Caen et Alençon
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Les modalités d’action publique en matière foncière et d’installation maraîchère
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Foncier alimentaire
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Métropole de Nantes
Communauté Urbaine de Caen
Communauté urbaine d’Alençon
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7
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Camille Hochedez, Emilie Lanciano, Julien Noel, Séverine Saleilles
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La transition à l’épreuve de la justice alimentaire : construction d’un répertoire de pratiques dans 5 initiatives à Angers, Lyon et Poitiers
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Une grille d’analyse et d’évaluation d’initiatives alimentaire au prisme de la justice alimentaire
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Initiatives de solidarité alimentaire
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Angers
Lyon
Poitiers
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8
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Mangin Gaëtan, Lapostolle Dany et Duboys de Labarre Matthieu
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La démocratie alimentaire comme enjeu de capacitation territoriale : Étude de cas dans le Tournugeois
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Rôle de la démocratie alimentaire dans la transition
Propositions théoriques et opérationnelles autour de la capacitation territoriale et collective
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La construction d’une communauté transdisciplinaire et épistémique autour de l’alimentation
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Tournus
Communauté de communes du Mâconnais-Tournugeois
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8La géographie des transitions vers la durabilité appelle à prendre en compte les conditions territoriales de ces processus de changement. La question des échelles examinée dans le numéro 96/3 de la revue est complétée dans le présent numéro, par celle des territorialités, des réseaux entre lieux, du rôle d’entités spatiales comme les villes dans la construction de trajectoires de transition spécifiques.
9Dans le premier article collectif, Fabienne Barataud, Caroline Petit, Josette Garnier, Louise de La Haye Saint Hilaire, Gilles Billen et Camille Noûs proposent une relecture des processus de reterritorialisation alimentaire induits par les transitions au prisme de la reconfiguration des liens au sein des territoires et entre territoires. Les auteurs les abordent au prisme des flux matériels (en s’appuyant sur le concept de métabolisme urbain), des formes organisationnelles et des représentations et appropriations idéelles qui en découlent. L’analyse de trois territoires situés dans le quart nord-est montre que les flux matériels et humains façonnent les territoires en même temps qu’ils conditionnent le potentiel de relocalisation du fait alimentaire. Les processus sont induits par des réseaux et des configurations organisationnelles et politiques qui se jouent des périmètres institutionnels, pour privilégier une articulation des échelles et le développement de nouvelles inter-territorialités. Enfin, les valeurs liées à la reterritorialisation montrent l’importance de la construction de réseaux trans-locaux où les visées de la transition peuvent être partagées et par lesquels des modèles d’action circulent. Ces trois dimensions permettent de caractériser et de comprendre les trajectoires territoriales de la transition alimentaire en tant qu’elle s’appuie sur des dynamiques de relocalisation des flux, mais également sur la capacité de mise en lien entre territoires proches ou lointains qui permettent d’organiser et de consolider les transitions.
10Les trajectoires de transition alimentaire sont aussi une affaire de modèles agricoles et alimentaires, de leurs bifurcations et de leur coexistence au sein des territoires (Gasselin et al., 2021). Christophe Albaladejo, Susanna Sassone, François Taulelle et Eugenia Muzi interrogent la ville intermédiaire comme point de convergence entre lieux d’agricultures dites de production et d’agricultures dites alternatives. A partir d’une approche à la fois inductive et appuyée ensuite par le cadre théorique de la coprésence des modèles de développement agricole, qui dissocie quatre dimensions analytiques (relation à l’état, relation à la société, relation à la science, insertion dans les marchés), les auteurs distinguent quatre à six modèles de développement agricole insérés dans les espaces proches de la ville de Rodez. L’analyse empirique montre le rôle important de mise en lien entre modèles que joue cette ville intermédiaire, en termes d’interactions au sein d’espaces urbains dédiés et par lesquels se matérialise la coexistence médiatisée de ces modèles. La présence d’espaces publics locaux propre à la ville intermédiaire, permettrait la mise en débat et le dialogue entre la pluralité des modèles agricoles en présence. Il reste alors à examiner en quoi la coexistence des modèles agricoles peut être un levier pour la transition alimentaire dans les territoires (Loudiyi and Cerdan, 2021)
11Le volume offre ensuite une collection de quatre articles qui documentent comment se construisent les démarches et politiques alimentaires dans les territoires. Les modalités pratiques d’action et leurs freins y sont abordés de manière complémentaire, faisant écho à des questionnements communs sur les mécanismes de construction et de mise en œuvre de ces politiques, et leur potentiel en matière de transformation en profondeur des systèmes alimentaires territoriaux autant que des freins qui restent à lever.
12Jeanne Pahun analyse neuf stratégies agricoles et alimentaires au prisme des capacités politiques des collectivités territoriales de trois échelles d’organisation différentes et complémentaires (Région, département, intercommunalité urbaine) dans trois régions distinctes. Ces capacités politiques sont appréhendées à partir de trois métriques : la capacité des collectivités à formuler de orientations stratégiques en matière agricole, la capacité à s’appuyer sur une expertise propre, et enfin, la capacité à mettre en œuvre la politique agricole de manière opérationnelle. Par ce biais, Jeanne Pahun examine le potentiel des territoires à enclencher une transition agricole et alimentaire tout en différenciant les différents échelons de la mise en politique de l’agriculture et de l’alimentation.
13Julie Lailliau, Caitriona Carter, Nathalie Corade et Marie Leboutry-Marié, présentent une analyse complémentaire à partir de la stratégie alimentaire du département de la Gironde. Elles développent leur propos à l’interface des cadres d’analyse processuelle de l’intégration des politiques publiques ((Candel and Pereira, 2017)) et celle des interdépendances (Carter, 2018). L’article souligne que les cadres d’analyse de l’intégration dans les politiques alimentaires ont été conçus pour appréhender la construction et la mise en œuvre de ces politiques à l’échelle nationale (Candel and Biesbroek, 2016) ils sont encore insuffisants pour comprendre les mécanismes aux échelles infra-nationales, malgré le développement de quelques études de cas à ces échelles au niveau européen (Arcuri et al., 2022 ; Sibbing et al., 2019). L’analyse du cas girondin montre que les choix faits en matière de création d’interdépendances entre acteurs. Elle permet de documenter plus finement les mécanismes de l’intégration à l’œuvre. Dans ce département, ont été privilégiés des liens de coordination entre les acteurs institutionnels situés à différents échelons plutôt qu’un renforcement des liens avec les acteurs de la société civile. Orientée sur les modalités et les moyens mis en œuvre pour mettre à l’agenda la question alimentaire et en problématiser les enjeux, l’analyse pose des questions sur la capacité des collectivités à mettre en œuvre une gouvernance alimentaire territoriale, faisant appel à d’autres types d’interdépendances. Cet article rejoint alors celui proposé par Jeanne Pahun sur la capacité politique des collectivités à mettre en œuvre de manière opérationnelle leurs politiques alimentaires, en tenant compte de l’ensemble des parties prenantes, y compris les groupes d’intérêt, et du potentiel de désaccords sous-jacents autour des visées concrètes des transitions alimentaires.
14Christophe Beaurain, Marius Chevalier et Yacoubou Issaka illustrent d’une autre manière le rôle potentiel d’une intercommunalité insérée dans un tissu agricole et rural en matière d’accompagnement des dynamiques de reterritorialisation du fait alimentaire. Les auteurs examinent ce rôle à partir d’un projet alimentaire territorial porté par Tulle Agglo et de deux initiatives associant des acteurs socioéconomiques autour de la transformation et de la distribution alimentaire. L’analyse révèle un bon potentiel d’accompagnement de l’intercommunalité pour une mise en lien entre acteurs et initiatives, soit pour l’appui à la structuration et l’émergence d’initiatives alimentaires sur son périmètre géographique, ou encore pour la mise en lien de démarches dispersées à partir de la formulation d’un cadre politique favorable. Les auteurs qualifient ce rôle d’intégrateur, rendu possible grâce à la mise en place d’un PAT. Cependant les visées de l’action collective pour la transition alimentaire s’avèrent peu convergents entre acteurs socio-économiques et acteurs institutionnels. Pour les auteurs, l’absence d’une proximité institutionnelle entre les porteurs des initiatives alimentaires et collectivité freine la convergence voire la construction de visées communes. Cela vient interroger l’au-delà de la coexistence des initiatives alimentaires dont les modalités de gouvernance sont encore à analyser et à comprendre.
15A la suite, Pierre Guillemin et Christine Margetic évoquent une dimension peu abordée des politiques de transition alimentaire dans les territoires : celle du foncier dans ses liens avec l’aménagement alimentaire (Food Planning). L’intervention des collectivités territoriales en matière d’installation agricole se joue souvent autour des systèmes de production maraîchère, figure du potentiel d’approvisionnement des territoires métropolisés. Pour partie sous forme d'un portage de ce foncier, cette intervention représente une marge de manœuvre pour une transition des modèles agricoles à l’échelle territoriale. En comparant trois agglomérations aux profils contrastés, les auteurs analysent les modèles d’action en matière d’installation et la circulation de ces modèles, ainsi que les leviers et barrières pour leur institutionnalisation. Ils constatent que les choix opérés en matière de modèle agricole sont souvent inscrits dans les mouvements alternatifs sur de petites surfaces, ce qui interroge l’amplitude des transitions projetées par les acteurs publics. Les freins constatés relèvent à la fois des ressources mobilisées en termes d’expertise, et des réseaux de partenaires construits dans le temps et dans les territoires. Au final, l’absence de cadres réglementaires et de références donne un caractère expérimental, in the making, à ces démarches d’aménagement, et le cheminement vers une transition plus large dépend encore largement des ressources politiques, de la légitimité et de l’ingénierie territoriale.
16Les cadres réflexifs pluridisciplinaires (sociologie de l’action publique, analyse des politiques publiques, économie territoriale, géographie sociale) soulignent l’importance des approches interdisciplinaires et parfois embarquées de ces recherches. De la même manière, prédominent dans ces travaux, des approches comparatistes, qui permettent de se dégager du particulier des situations territoriales pour les mettre en perspective au service de la compréhension de la territorialité des transitions alimentaires et des mécanismes de gouvernance sous-jacents qui les animent.
17La construction de politiques alimentaires intégrées nécessite de penser la transition démocratique et les modalités de participation des acteurs dans leur diversité, aux dispositifs formels ou informels de gouvernance alimentaire territoriale (Billion, 2017) et la construction de cadres d’analyse critique de ces processus de gouvernance ((Moragues-Faus, 2019) qui permettent de penser les transitions de manière juste. Deux articles éclairent les enjeux de l’intégration des publics selon les principes de justice et d’inclusion dans les processus de transition alimentaire.
18Camille Hochedez, Emilie Lanciano, Julien Noël et Séverine Saleilles, interrogent l’intérêt de mobiliser le cadre de la justice alimentaire pour penser et accompagner les processus de transition des systèmes alimentaires territoriaux, en prenant appui sur cinq initiatives situées dans trois territoires métropolitains. L’apport de l’article est d’articuler la question de cette justice alimentaire aux notions et concepts qui cadrent aujourd’hui les politiques de transition alimentaire : relocalisation, accessibilité et démocratie alimentaires. La grille d’analyse systémique qui en résulte est un vrai outil pour comprendre et saisir les mécanismes à l’œuvre dans les initiatives retenues, qui ont toutes une dimension sociale (épicerie sociale et solidaire, supermarché coopératif, aide alimentaire, …). Pour les auteurs, engager un processus de transition alimentaire juste induit d’agir à la fois sur la garantie d’une alimentation de qualité, sur les conditions de son accès à tous et de lutter contre les inégalités structurelles dans leur ensemble. Le cadre d’analyse systémique et critique proposé permet d’évaluer les cinq initiatives qui restent au final incomplètes sur toutes les dimensions de la justice : la dimension production est souvent voilée, l’intégration des publics vulnérables toujours difficile, les relations de domination peuvent persister malgré tout dans les dispositifs d’accompagnement du changement des comportements alimentaires. Surtout, la question de l’intégration des enjeux de justice alimentaire dans les processus de transition n’est pas exempte de tensions inhérentes aux initiatives de solidarité. Ainsi, cette contribution participe d’un débat à la fois théorique et pratique atour d’une notion émergente, de « transition alimentaire juste » qui remet enfin, les questions de justice sociale au cœur des processus de transition écologique.
19Gaëtan Mangin, Dany Lapostolle et Matthieu Duboys de Labarre se saisissent pour leur part, de la notion de démocratie alimentaire constitutive de celle de justice alimentaire. A leur tour, ils questionnent le rôle de la démocratie alimentaire dans les processus de transition et proposent un cadre d’analyse qu’ils nourrissent avec des notions comme la capacitation territoriale (Lapostolle, 2021). Leur contribution articule théorie et action sur le terrain du Tournugeois. A partir d’une recherche participative associée à un Living Lab d’innovation territoriale en région Bourgogne Franche-Comté, est conduite une démarche transdisciplinaire qui associe chercheurs et acteurs dans un processus de co-production de connaissances pour l’action. La démocratie alimentaire « en acte » se traduit par trois objectifs autour de l’accès à une alimentation de qualité, la construction d’un territoire de production et d’autoproduction agricole, dont les participants problématisent les enjeux, dégagent des leviers pour envisager des actions concrètes de transition territoriale. De l’expérience menée sur le terrain, les auteurs en tirent des enseignements en matière de modalités d’« opérationnalisation » de la démocratie alimentaire, s’écartant d’une approche individualiste ou reposant sur la responsabilité des individus, pour l’inscrire dans des pratiques matérielles et quotidienne, individuelle comme collective, autour de l’alimentation, d’un web de relations entre « vivants » où l’on reconnaît le rôle des tensions et des controverses dans la construction de trajectoires de transition. Leur contribution converge ainsi avec la démarche décrite en Ardèche par Claire Lamine dans le premier volume (Lamine et al., 2022). Le processus mené à Tournus est vécu par ses acteurs comme une source de capacitation territoriale et collective, qui permet de penser une trajectoire de transition territoriale. En définitive, un des apports de l’article réside dans la réflexion menée sur le positionnement épistémologique induit par un travail scientifique sur des enjeux sociétaux comme la démocratie alimentaire ou les transitions qui réinterrogent nos pratiques de recherches, nos méthodes, la place de la science et des scientifiques comme acteurs parmi d’autres de la production (réflexive) de connaissances pour l’action.
20L’ensemble de ces contributions est un terreau fertile pour cartographier, certes de manière incomplète, ce qui se produit théoriquement et empiriquement sur la question des transitions alimentaires territoriales, pour les projeter dans un agenda de recherche qui reste à construire sur la gouvernance de ces transitions territoriales.
21En reprenant les acquis du premier et du second volume de ce numéro spécial de la revue, plusieurs questions et pistes de recherches, non exhaustives, peuvent être proposées :
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Dans un ensemble des contributions de ce double numéro, si les études de cas traitent de différentes dimensions des transitions alimentaires, soit par les échelles de leurs déploiements, les processus d’innovation associées, les politiques publiques qu’elles suscitent ou les actions collectives qui en découlent, il subsiste un enjeu de recherche et d’action autour de la caractérisation plus fine des visions et des récits autour de ces transitions et des controverses qui en découlent. Cette caractérisation fine a des défis méthodologiques à relever pour saisir les représentations, et avec celles-ci, les moteurs, les barrières et les trajectoires territoriales à l’œuvre.
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Plusieurs travaux sur les questions alimentaires d’une manière générale (mouvements alimentaires, politiques urbaines, innovations territoriales) tout aussi bien que les cadrages conceptuels de la géographie des transitions vers la durabilité pointent le rôle des réseaux trans-locaux dans la circulation des modalités de réponses aux enjeux de transformation des systèmes. La question interterritoriale a été traitée dans le présent numéro, au prisme des flux, des organisations des acteurs et de la diffusion des valeurs entre territoires, il s’agit d’une part, d’avancer sur la circulation des modèles d’actions du territoire national comme à l’échelle européenne, pour mesurer les effets de ces nouvelles coordinations sur les trajectoires territoriales, tant elles peuvent « transporter » des visions, des innovations et des nouvelles capacités d’action locales. Il s’agit aussi, et dans un autre registre, comprendre comme les changements d’échelle peuvent appuyer et amplifier ces transitions alimentaires. Dans ce sens, l’articulation des échelles, depuis l’exploitation agricole, en passant par les organisations des filières, des mouvements citoyens, vers les politiques territoriales, reste encore à comprendre, expérimenter et accompagner.
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Les transition alimentaires territoriales sont aussi un objet d’action publique territoriale, le nombre de contribution évoquant ces dispositifs sont nombreuses dans ce volume. Si les politiques alimentaires intégrées restent un défi et un horizon d’attente, alors il est nécessaire d’en clarifier les mécanismes et les conditions de possibilité. Plusieurs cadrages théoriques de l’intégration des politiques publiques se sont développés ces dernières années. Leurs propositions sont stimulantes mais leurs applications restent souvent situées aux échelons européens et nationaux. Malgré quelques tentatives d’adaptation aux échelles urbaines (Arcuri et al., 2022 ; Sibbing et al., 2019), ils restent insatisfaisants et ne permettent pas d’ouvrir « la boîte noire » des mécanismes fins, qui peuvent être observés à plusieurs niveaux d’organisation. Des propositions stimulantes sont partagées aujourd’hui (Loudiyi, 2020 ; Pahun and Fouilleux, 2022) pour saisir ces processus d’intégration au prisme des capacités politiques et territoriales, des interdépendances construites et choisies entre acteurs, des échelles et des coordinations d’acteurs à l’œuvre, tout en soulignant la destinée souvent incertaine de ces processus. Ces travaux montrent par ailleurs un enjeu incontournable, cela de la construction de cadres interdisciplinaire voire transdisciplinaire pour saisir la complexité des processus.
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Un enjeu en particulier est revenu en force à partir de la dernière crise sanitaire et des tensions sociales qu’elle a contribué à mettre en visibilité, celui de la nécessaire intégration des enjeux sociaux autour de l’alimentation, soit des questions de justice et de démocratie. Comment les questions de justice peuvent être un levier d’accélération des transitions. La question n’est pas nouvelle certes, mais la période actuelle nous enjoint à y répondre très vite, tant la situation s’aggrave dans les territoires. Les deux contributions de ce numéro, montrent à quel point la question est pertinente tant au niveau scientifique que social, qu’il existe de vraies démarches innovantes de solidarité alimentaire portées à la fois par une diversité d’acteurs, qu’il faudrait documenter et accompagner.
22L’ensemble de ces questions ouvrent vers des enjeux méthodologiques et de pratiques de la recherche autour des transitions alimentaires territoriales aujourd’hui à l’œuvre. Tout nous enjoint à penser le renouveau de nos postures épistémologiques, de la place de la réflexivité dans nos pratiques de recherche, du caractère heuristique des nouvelles approches de recherche participatives qui renouvellent les liens science et société.