1Après Rome et ses onze aqueducs principaux, Lugdunum (Lyon) est, dans les provinces romaines, la ville la mieux dotée avec quatre aqueducs principaux (du sud au nord : aqueduc du Gier, de l’Yzeron, de la Brévenne et des Monts d’Or). C’est un réseau de plus de 220 km de canalisations, tour à tour enterrées, posées sur des murs, des arcades, des ponts, des ponts-siphons et tous les autres supports techniques disponibles pour « conduire l’eau » (aquam ducere) de son/ses captage(s) à son lieu de consommation (via des tuyaux de bois ou de plomb). C’est aussi un ensemble de chantiers de construction, avec ses hésitations dans le choix des tracés, ses prescriptions en matière de préservation du canal et de la qualité de l’eau transportée. Ce réseau a intéressé les érudits et les chercheurs depuis plus de quatre siècles et leurs études ont résolu une grande partie des énigmes liées à ces monuments, mais une partie seulement...

3Les travaux ont été rassemblés autour de quatre thèmes principaux : « Quel réseau hydraulique pour Lugdunum ? », « Construire un aqueduc (choisir un parcours, bâtir un canal, s’approvisionner en matériaux de construction, questions d’ingénierie, questions de débits) », « Chronologie des aqueducs » et, enfin, « Alimentation en eau et développement urbain ».

5La datation des aqueducs est, elle aussi, tributaire des découvertes archéologiques anciennes et récentes. Cinq articles contribuent à ce chapitre. Une remise à plat et un réexamen précis des différentes « pièces à conviction » (céramiques, briques estampillées, monnaies, bois) ainsi qu’une analyse statistique bayésienne par modélisation chronologique était nécessaire pour établir une chronologie au moins relative des quatre aqueducs. Il a été ainsi procédé pour dater celui de l’Yzeron en premier (vers le changement d’ère), puis celui de la Brévenne (époque claudienne) et, enfin, celui du Gier au début du second siècle (époque d’Hadrien). Quant à celui des Monts d’Or, même si des doutes subsistent encore, il serait de l’époque d’Auguste ou un peu après (donc quasi-contemporain de celui de l’Yzeron).

6La construction et l’architecture de ces structures sont présentées dans douze études. Chacune montre l’ingéniosité et la technicité des arpenteurs romains, nécessaire pour respecter une pente régulière d’environ 1.5 mm/m indispensable pour assurer la bonne conservation du parement intérieur du canal face à l’érosion ; pour l’entretien du canal de l’aqueduc, des accès, ou « regards » ont été aménagés, distants l’un de l’autre de 70-80 m sur l’aqueduc du Gier. Les études récentes se sont orientées vers la problématique de la mise en œuvre de ces chantiers de grande ampleur, de la définition du parcours au levé altimétrique, du creusement de la tranchée d’installation du canal à la gestion de la pente. Etant donné la distance à parcourir, les contraintes d’acheminement des personnes et des matériaux ont nécessité la segmentation de chacun des chantiers en tronçons, qui pourrait être rendue visible par la présence de « raccords » (à Dardilly, à St Pierre-la-Palud ?). Les ouvriers ont-ils laissé des traces de leur chantier ? Sur l’aqueduc du Gier, dont trois sections de travail au moins ont été identifiées (par les matériaux utilisés notamment), aux « arches » de Beaunant (Ste-Foy-lès-Lyon), les bois de coffrage (sapin) de la pile 18 du pont-siphon ont été retrouvés dans les dépôts alluviaux de l’Yzeron et leur analyse dendrochronologique a permis d’affiner la datation du chantier (premier quart du II^e s.). De même, l’étude des ponts siphons du Garon et de Beaunant montre la présence de trois types de piles : peines, élégies et bouchées, que les archéologues expliquent comme autant de projets et d’adaptations aux contraintes de poids et d’usure de ces structures. Les interventions archéologiques sur le tracé de ce même aqueduc ont également permis d’identifier un « tracé préalable », dénommé aujourd’hui la « tranchée supérieure », projetée à une altitude plus élevée que le canal définitif, repérée aujourd’hui sur près de 46 km ; le développé de son tracé aurait allongé considérablement le parcours de l’aqueduc, mais en lui faisant éviter la construction d’au moins deux ponts-siphons (Durèze et Garon). La fouille d’une section de l’aqueduc de la Brévenne à Dardilly détaille la construction du conduit en huit phases lors de la mise en œuvre du chantier, du creusement de la tranchée d’installation à la mise en place de la voute de couverture du canal. On a cherché, dès la mise en œuvre, à drainer l’espace traversé par le canal, pour éviter la fragilisation des structures maçonnées, par le creusement de drains ou par la mise en place d’enrochements (Dardilly). Sur l’aqueduc de l’Yzeron, deux piles au lieu-dit Les Tourillons (Craponne) forment le seul témoin subsistant d’un double siphon inversé long de 5,8 km (dont la seule comparaison se trouve à Aspendos en Turquie). On repère même la présence de malfaçons ayant entraîné des réparations ! On suppute également les causes de destruction de certains tronçons… Afin de permettre des comparaisons, des études sont présentées sur l’aqueduc de Nyon (Suisse), celui d’Orléans (et particulièrement sur les restaurations qui ont permis son utilisation sur plus de quatre siècles). Sur celui d’Arles, dont le parcours a fait l’objet d’une extension avec diversification des sources d’approvisionnement en eau (l’originelle, au Paradou, et les secondes, au nord des Alpilles, dans le bassin de la Durance), les auteurs orientent leurs hypothèses sur la possible volonté des édiles de garantir l’adduction d’eau en relation avec les changements climatiques antiques. A Almuñecar (Espagne), le franchissement des siphons était assuré par des canalisations en terre cuite, alors que sur les aqueducs lyonnais, les tuyaux étaient en plomb (pour résister à l’éclatement avec les très fortes pressions générées par la différence d’altitude, les tuyaux étaient noyés dans un massif de béton).

7Le financement, tout comme la protection de ces édifices, a pu être le fait de la cité seule, par ses propres fonds et par l’évergésie. Cependant, l’aqueduc de la Brévenne portait peut-être le nom d’Aqua Claudia Augusta (comme figuré sur une fontaine lyonnaise), et aurait ainsi été financé par l’empereur lui-même, qui était né à Lugdunum en 12 ou 10 av. J.-C. De même, les deux inscriptions découvertes le long du parcours de l’aqueduc du Gier à Chagnon et à Saint-Joseph (Loire) témoignent, quant à elles, de l’intérêt porté par l’empereur Hadrien (et peut-être de son prédécesseur Trajan, dont Hadrien n’aurait qu’achevé l’entreprise), avec sans nul doute l’envoi « d’équipes de travail provenant d’Italie » (p. 33).

8L’alimentation de Lugdunum était assurée par des dispositifs multiples (huit études). En de nombreux endroits dans la ville (pentes de Fourvière, de la Croix-Rousse), des puits ont été identifiés, des canalisations de drainage (ou de captage) ont été vues et relevées. Plusieurs découvertes de cerclages de tuyaux de bois, d’éléments de tuyauterie en terre cuite ou en plomb ont été signalées, comme récemment lors de la fouille rue Appian (Lyon 5^e), dans un niveau daté du début du I^er s. de notre ère, dont les tuyaux de terre cuite pourraient être raccordés à l’un ou l’autre des aqueducs principaux. On peut citer encore l’aqueduc du chemin de Fontanières (La Mulatière, Lyon), connu depuis le XIX^e s., repéré et fouillé sur de nouvelles portions de son tracé, trop bas pour desservir le haut de la colline de Fourvière, qui collectait l’eau des nombreuses sources de la moraine. Peut-être des ouvrages ont-ils précédé les quatre aqueducs, comme la double canalisation de bois de l’avenue du Point du Jour (Lyon 5^e), du début du I^er s., peut-être en lien avec l’aqueduc de l’Yzeron, qui a été « écrasée » par la construction de l’aqueduc de la Brévenne au milieu du même siècle. Pour comparer, à Pompéi, on a attendu le règne d’Auguste pour bâtir un aqueduc, la ville s’étant satisfaite jusque-là de ses puits et citernes pour son adduction d’eau.

9Les quatre aqueducs principaux acheminant l’eau sur la colline de Fourvière, l’alimentation de la presqu’île était laissée en autonomie. Pour comparer, là encore, à Saint-Romain-en-Gal, c’est un pont qui amenait l’eau de la rive gauche dans ce quartier de rive droite. L’arrivée à Lugdunum représente un casse-tête architectural et urbanistique, quatre réseaux aériens s’entrecroisant pour acheminer l’eau à l’altitude optimale, celle du lieu de consommation. L’aqueduc de la Brévenne présente un cas spécifique, avec pour point d’arrivée une fontaine découverte à l’altitude 287.5 m lors du chantier du Verbe Incarné (Lyon 5^e) : le réexamen des structures aériennes subsistantes est important puisque, dans le cas du rampant des Massues, l’altitude de son réservoir de fuite conditionne l’altitude du point d’arrivée sur la colline de Fourvière.