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Comptes rendus d'ouvrages

Vers quelle durabilité portuaire ?

Nicolas Paquet
Référence(s) :

Adolf K. Y. Ng, Austin Becker, Stephen Cahoon, Shu-Ling Chen, Paul Earl, Zaili Yang (ed.), 2018, Climate Change and Adaptation Planning for Ports, London/New York, Routledge, 318 p.

Rickard Bergqvist, Jason Monios (ed.), 2019, Green Ports : Inland and Seaside Sustainable Transportation Strategies, Amsterdam/Oxford/Cambridge, Elsevier, 284 p.

Peter W. de Langen, 2020, Towards a Better Port Industry : Port Development, Management and Policy, London/New York, Routledge, 286 p.

Texte intégral

Adolf K. Y. Ng, Austin Becker, Stephen Cahoon, Shu-Ling Chen, Paul Earl, Zaili Yang (ed.), 2018, Climate Change and Adaptation Planning for Ports, London/New York, Routledge

1Le livre édité par Ng, Becker, Cahoon, Chen, Earl et Yang porte sur la planification de l’adaptation des ports en contexte de changements climatiques. Alors que la problématique du contrôle des émissions de gaz à effet de serre est bien comprise, traitée et incorporée aux réflexes organisationnels et aux activités courantes, les éditeurs invitent à considérer l’adoption de mesures favorisant l’adaptation des ports à long terme. Mais, si la sous-problématique de l’adaptation est inséparable de celle de la réduction des émissions portuaires, elle est cependant plus coûteuse, et suppose des stratégies de résilience souvent difficiles à imaginer et à déployer. L’ouvrage s’intéresse à la résilience portuaire, en ce qu’elle suppose la prise en compte du climat dans les activités courantes, mais aussi dans le processus d’octroi des concessions portuaires, c’est-à-dire des baux reliant les entreprises opératrices de terminaux aux administrations portuaires gestionnaires des sols et des infrastructures.

2La thèse défendue est que les ports sont sur la ligne de front des changements globaux. Devant l’augmentation des coûts reliés aux événements extrêmes, les nouveaux besoins en infrastructures, l’instabilité des sols où passent les chemins de fer, les températures extrêmes à quai, l’augmentation ou la baisse des niveaux des eaux, le postulat des auteurs est qu’il est urgent d’agir.

3Nœuds dans la chaîne logistique, les ports déterminent la fluidité du transport des marchandises. L’impact des changements climatiques sur ceux-ci va avoir des répercussions sur l’économie globale ainsi que sur ses réseaux mondialisés. Le besoin diagnostiqué par les éditeurs est d’identifier des analyses théoriques intéressantes, des méthodologies innovantes, des expériences éclairantes, des pratiques d’avenir de même que des stratégies de planification, d’adaptation et de résilience. Car, alors que le travail sur l’adaptation et la résilience portuaires peut créer des opportunités, la prise en compte des générations futures rend l’approche business as usual inadaptée pour transformer les risques en opportunités. Le constat est fait que les ajustements incrémentaux ont leur limite. Il manquait à ce jour un ouvrage, comme celui que nous proposent les éditeurs, invitant à une action de planification plus résolue, normative et sensible aux contextes. L’ouvrage vise plusieurs objectifs : le premier est d’offrir des éléments de compréhension théoriques/empiriques de l’adaptation portuaire aux changements climatiques, le deuxième est d’identifier les meilleures pratiques de résilience et le troisième est de favoriser la décision stratégique en contexte d’articulation du local au global.

4L’ouvrage rassemble 17 contributions de professeurs, chargés de cours, postdoctorants, étudiants gradués, experts et consultants, d’Allemagne, d’Australie, du Canada, de la Chine, de la Colombie, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Japon, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Les contributeurs y abordent – en plus des thèmes précités – des sujets comme les risques reliés aux changements climatiques, l’adaptation des ports secs ou les leçons tirées après catastrophes. Plusieurs contributions viennent montrer – sans que cela soit l’unique zone géographique couverte –, que le Canada est particulièrement concerné par les changements en cours. Par sa latitude nordique, sa taille continentale et les dimensions de son littoral – 265 523 km ; plus que tout autre pays ! –, il est inévitable qu’il soit profondément affecté par les aléas climatiques.

5À ce titre, il existe une nette différence entre les ports de mer canadiens et les ports intérieurs. Slack et Comtois (chapitre 4, pp. 45-58) expliquent ainsi que le système Saint-Laurent/Grands Lacs, allant de l’Atlantique au lac Supérieur, est adjacent à l’une des régions les plus peuplées et dynamiques en Amérique du Nord. Le Québec, l’Ontario et plusieurs États industrialisés américains la bordent. Des dizaines de ports canadiens composent ce système, pour près de 39 millions de tonnes manutentionnées par an, principalement dans les vracs solides. Si la dominance des trafics est intrasystémique, les ports du fleuve sont caractérisés par une orientation internationale, notamment à Montréal, avec les conteneurs. Ces ports seront affectés par les changements climatiques, disent les chercheurs, puisque le niveau des eaux pourrait varier significativement dans le futur. Au même moment, le réchauffement planétaire pourrait entraîner une saison de navigation plus longue et réduire l’épaisseur des glaces. Cela n’est pas sans importance pour le système, puisque les Grands Lacs sont fermés à la navigation 10 à 12 semaines annuellement. Dans un contexte où le gouvernement canadien est réticent à investir dans le dragage de la voie d’eau, un enjeu d’adaptation se pose. Sans dragage additionnel, certains ports, comme celui de Montréal, pourraient devoir être relocalisés, en tout ou en partie. Le dragage ou la relocalisation, en plus de poser des problèmes environnementaux, posent la question de l’accès aux marchés. Les ports possèdent des avantages de localisation et des aménagements cumulatifs qu’il faut prendre en compte, en raison de leur implantation massive au sol, difficilement modifiable sans perte économique et impacts majeurs. La relocalisation du port de Montréal, par exemple, coûterait des milliards de dollars, et supposerait l’aménagement et le développement d’un nouveau site littoral. De plus, selon les chercheurs, il est probable que le déplacement des circulations maritimes et des activités maîtresses vers les ports de Québec et de Sept-Îles – qui demeureront avec une profondeur d’eau suffisante, quoi qu’il arrive – entraîne des pertes de trafics au profit des ports américains ainsi que des coûts additionnels de distribution, étant donné leur plus grand éloignement. Dans l’éventualité où les navires ne pourraient plus se rendre aux marchés, le report modal serait envisageable, mais considérant le caractère des circulations en présence – centrées sur le vrac solide –, l’utilisation du train entraînerait une inefficacité de transport à la tonne qui se répercuterait sur la chaîne. L’industrie maritime et les administrations portuaires ne sont pas habituées à faire de la planification à long terme, remarquent Slack et Comtois, ce qui a pour effet d’accentuer les difficultés. Par conséquent, planifier pour les 20-30 prochaines années est un défi réel, qui se pose tant à l’échelle du système que des ports individuels.

6De leur côté, les chercheurs Ircha et Higginbotham (chapitre 15, pp. 232-245) montrent que la fonte des glaces est associée à des opportunités inconfortables pour le Canada. Si la recherche d’une route plus courte vers l’Asie représente un vieux rêve de navigateurs, la perspective que l’Arctique devienne un corridor maritime saisonnier, avec le passage du Nord-Ouest, pose de nombreux défis et suscite des inquiétudes. Cette région, unique et encore sauvage, est en effet marquée par un vide d’infrastructures portuaires permettant d’accueillir les grands navires. Mais cela n’est pas tout : les cartes marines sont déficientes, les aides à la navigation sont rares, l’appui de brise-glaces intermittent, les services de recherche et de sauvetage excentrés, sans parler de la rareté des marins, capitaines et pilotes capables de composer avec les conditions de glace et de navigation. En l’état, le constat est simple, disent les chercheurs : l’Arctique canadien demeure un rêve distant et une terre trop fragile. Mais, alors que le Canada ne priorise pas le développement du Nord, des puissances rivales, comme la Russie, cherchent à en tirer avantage. Une stratégie nordique canadienne est donc nécessaire.

7De notre point de vue, le livre représente une contribution originale à la compréhension des défis de la planification de l’adaptation des ports en contexte des changements climatiques. Il éclaire le lecteur sur les enjeux pour le Canada. Dans l’ensemble, le livre permet de découvrir, en plus du rôle clé des gestionnaires, professionnels et consultants, celui des parties prenantes dans la planification de l’adaptation et la résilience. En effet, l’aménagement et le développement des zones portuaires, par les administrations en place, requièrent la prise en compte des apports multiples. L’articulation des raisonnements, la définition des interventions, la schématisation des étapes, le développement d’indicateurs ; voilà autant de suggestions faites par les contributeurs, et qui représentent des tâches considérables.

8Nous recommandons particulièrement, en plus de l’introduction et de la conclusion, les chapitres 2, 4, 15 et 16, portant respectivement sur le rôle des parties prenantes dans le processus de planification portuaire, les stratégies d’adaptation du transport maritime et des ports, le défi du transport maritime arctique et la réorganisation de la chaîne logistique. En somme, un ouvrage stimulant, qui intéressera les chercheurs en géographie, en aménagement, en études environnementales. Il pourra aussi intéresser les étudiants en économie, en logistique du transport et en management. Enfin, les décideurs et praticiens y trouveront un outil pour repenser l’industrie maritime et les infrastructures portuaires.

Rickard Bergqvist, Jason Monios (ed.), 2019, Green Ports : Inland and Seaside Sustainable Transportation Strategies, Amsterdam/Oxford/Cambridge, Elsevier

9L’ouvrage Green Ports : Inland and Seaside Sustainable Transportation Strategies s’intéresse au concept de ports verts, dans un contexte où il est de plus en plus urgent de s’orienter vers la mise en œuvre de stratégies de transport maritime et terrestre durables. Alors que la littérature évolue rapidement, et alors que des hinterlands de transport plus verts sont décisifs, cet ouvrage est le premier paru couvrant les stratégies des organisations portuaires visant plus de performance. La performance portuaire est à considérer comme une performance en transport qui se joue tant sur mer qu’à terre. Le port est en effet une interface entre flux entrant et sortant. Les stratégies de verdissement du port, de ses connexions et réseaux peuvent réduire la pollution et les émissions, limiter la congestion, favoriser le report modal et réduire le bruit généré.

10Les auteurs se donnent pour but d’approfondir le savoir sur le cadre stratégique portuaire, afin de favoriser la prise de décision. Plusieurs sous-objectifs sont visés : le premier est de comprendre les défis actuels, le deuxième est d’identifier les contraintes en présence et le troisième est d’évaluer les potentiels politiques, légaux et opérationnels de certaines alternatives.

11Historiquement, la croissance du transport maritime s’est accompagnée d’une augmentation de la consommation d’énergies fossiles. Pendant des millénaires, le vent et la force humaine ont permis aux navires de se mouvoir. Avec le charbon, le secteur s’est transformé, au XIXe siècle, au rythme des avancées techniques. Depuis 1945, le pétrole s’est imposé comme principal carburant utilisé. Fait de résidus lourds, le carburant conventionnel contient des substances néfastes pour la santé humaine ; il contribue aux émissions de gaz à effet de serre et à la pollution atmosphérique. Bien que la flotte mondiale adopte graduellement des carburants marins légers, les gros consommateurs – porte-conteneurs, grands vraquiers et navires de croisières – demeureront longtemps dépendants de composés générateurs de capacités énergétiques d’ampleur.

12En effet, pour le moment, les options en présence demeurent limitées. L’électricité est une solution de niche : transport sur courte distance, transport urbain ou interrives. L’efficacité du branchement à quai dépend, lui, du type d’énergie produit au niveau national. Le retour à l’énergie éolienne et à la voile ou l’installation de panneaux solaires sont envisageables sur des marchés restreints. L’hydrogène est encore une option dans sa phase expérimentale. Les options de report réalistes sont les biocarburants et le gaz naturel liquéfié. Sauf que les biocarburants entraînent un dilemme : utiliser le sol agricole pour nourrir les populations ou produire de l’énergie ? En l’état, le gaz naturel liquéfié s’avère donc l’option la plus prometteuse, avec une réduction carbone de 25 % par rapport au carburant lourd et une élimination de la pollution de l’air. Cela n’est pas négligeable, observent les éditeurs. Car près de 90 % des échanges mondialisés se font par la mer. De tous les modes de transport, le transport maritime est le plus performant environnementalement pour les grandes quantités de marchandises.

13Pendant longtemps, l’industrie ne s’est pas souciée de sa perception ni de sa performance environnementale. Dans les dernières décennies, les choses ont bien changées. Aujourd’hui, nombre de solutions partielles sont disponibles : amélioration des systèmes de propulsion et des hélices ; optimisation de la vitesse des navires ; perfectionnement des systèmes de routage et des calendriers de voyagement ; maintenance des flottes. Il n’empêche, la question du type de carburant demeure.

14Il est bon de savoir que lors de la signature du protocole de Kyoto (signé en 1997 et entré en vigueur en 2005), les secteurs aériens et maritimes furent exclus, en raison de la difficile attribution des émissions ; et ce malgré les effets du gaz carbonique (CO2) sur l’effet de serre, responsable des dérèglements climatiques. Cette omission explique la prédominance du carburant conventionnel encore aujourd’hui, et le fait que les actions entreprises par les décideurs publics et les organisations maritimes et portuaires se sont plutôt concentrées sur les oxydes de soufre (SOx) et d’azote (NOx), dont les effets sur la pollution de l’air et la santé des populations sont reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les éditeurs de l’ouvrage suggèrent qu’un pas de plus devra être franchi, dans le futur, afin d’inciter à la substitution du carburant conventionnel.

15L’ouvrage rassemble 13 contributions de professeurs, professionnels de recherche, postdoctorants, étudiants gradués et consultants, d’Allemagne, de Belgique, du Canada, de la Chine, de la Colombie, du Danemark, de la France, de la Grèce, des Pays-Bas et de la Suède. Les thèmes couverts sont variés : carburants utilisés, politiques de réduction des émissions, gestion des parties prenantes, économie circulaire, performance durable, adaptation aux changements climatiques, solutions favorables à la durabilité, stratégies vertes, croisières, etc.

16Les auteurs de l’ouvrage se questionnent : pourquoi la durabilité portuaire est-elle couramment reléguée à une question secondaire ? La réponse donnée est la suivante : dans le cadre en place, les mesures de durabilité doivent être commercialement attirantes pour être spontanément entreprises par les lignes maritimes et les organisations portuaires. Malgré la proactivité de certains acteurs, la réalisation de gains environnementaux, suscitant des économies simultanées, peut être difficile à réaliser ; d’où l’inertie de la majorité des partenaires. Les solutions de marché apparaissent donc insuffisamment incitatives, conclue-t-on, et un encadrement réglementaire global, fondé sur un impératif normatif, serait nécessaire pour que la durabilité en vienne à primer sur les considérations commerciales.

17Prendre ici acte des dynamiques à l’œuvre est éclairant. Alors que l’Organisation maritime internationale (OMI) a annoncé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2050, il lui est difficile de faire coopérer les États, les régions et les localités pour mettre en place un cadre global suivi d’actions concrètes. Les regroupements portuaires (ESPO, AAPA, AIVP, etc.) font la promotion d’activités durables, mais, parallèlement, les associations de propriétaires de flottes font du lobbying pour bloquer les initiatives de l’OMI. Les ports possèdent certes une marge de manœuvre, mais des signaux politiques et légaux clairs sont nécessaires. Organisations dont la vocation est la facilitation du commerce international, les ports ne sont pas totalement capables ni spontanément désireux d’investir si cela n’est pas appuyé par leurs interlocuteurs rapprochés ou rendu nécessaire par les gouvernements.

18Au fil des pages et des études, la réflexion développée montre que le verdissement des hinterlands et des réseaux est au moins partiellement de la responsabilité des organisations portuaires. Cette thèse, soutenue par les éditeurs, et exemplifiée par les contributeurs, fait écho à une littérature grandissante sur le sujet. Deux contributions se démarquent en appui à la discussion : celle de Dooms (chapitre 4, pp. 63-84) et celle de De Langen et Sornn-Friese (chapitre 5, pp. 85-108).

19La première s’intéresse à l’intégration des parties prenantes dans le développement des stratégies portuaires et l’activité de planification des usages du sol. Dooms montre qu’alors que les projets portuaires rencontrent de plus en plus de résistance, l’attention portée aux parties prenantes de l’hinterland peut aider à comprendre le contexte du port, redéfinir sa mission organisationnelle et fixer des objectifs win-win. L’incapacité à avoir le support des acteurs pour le développement des infrastructures et activités menace bien sûr la croissance ; mais cela se traduit également par une perte de dynamisme et d’accès à certaines ressources nécessaires à la transition bas carbone, à plus de mixité, à la préservation du littoral, à plus de circularité économique et d’innovations. Selon lui, la continuité des opérations doit être abordée directement avec les parties prenantes, et ce, à différentes échelles spatiales, allant du port jusqu’aux ramifications intérieures.

20La seconde contribution, soutenant cette réflexion, montre que les ports et leurs annexes sont des sites privilégiés pour entreprendre le développement d’initiatives d’économie circulaire. De Langen et Sornn-Friese expliquent que les places portuaires et les clusters reliés accueillent des activités logistiques et industrielles. Selon eux – exemple à l’appui –, l’économie portuaire permet d’expérimenter des synergies croisées génératrices d’opportunités environnementales.

21De notre point de vue, le livre représente une contribution importante à la transition des organisations portuaires vers plus de durabilité. Le lecteur gagnera à lire l’introduction et les chapitres 4 et 5, évoqués ci-haut, portant sur la gestion des parties prenantes dans le passage à la durabilité et l’établissement d’économies plus circulaires. Impressionnants à plus d’un titre, ces chapitres sauront stimuler l’imagination et l’envie d’agir. En somme, un ouvrage nécessaire, qui intéressera les chercheurs, les praticiens et les décideurs concernés par le transport des marchandises, la logistique et la gestion portuaire.

Peter W. de Langen, 2020, Towards a Better Port Industry : Port Development, Management and Policy, London/New York, Routledge

22L’ouvrage de Peter W. de Langen s’intéresse à l’amélioration des ports. Essentiels à la prospérité économique des nations, régions et localités, et résultats cumulatifs d’investissements nombreux, la réalité est qu’on ne s’intéresse que rarement aux ports, à l’exception des moments où les choses vont mal ou qu’adviennent des controverses. Au quotidien, les ports sont là sans qu’on les remarque. Pourquoi les remarquerait-on d’ailleurs ? Puisqu’ils possèdent leur propre espace, rythme et esthétique, marqués par la banalité de la grisaille, des pratiques traditionnelles et/ou spécialisées et la fonctionnalité. À l’occasion, guerres, grèves et conflits de proximité rappellent leur importance. Leur impact est pourtant continu sur l’espace, l’environnement urbain bâti, les milieux côtiers et marins.

23L’ouvrage, composé de cinq parties, nous offre des éclairages novateurs sur les tendances qui les entourent. Les thèmes ainsi couverts sont variés : chaîne logistique, gouvernance, changement, développement, stratégies. L’ambition de l’auteur est non pas d’offrir une introduction technique aux enjeux maritimes, portuaires et logistiques, mais bien de mettre l’accent sur l’organisation portuaire, les industries qui y gravitent et les enjeux multiples qui les concernent, notamment le développement durable.

24Grappes logistiques, industrielles et fonctionnelles reliées au transport maritime et au processus de transformations des biens, les ports regroupent des activités économiques dans l’espace. Les activités y sont concentrées et des synergies y surviennent, en raison des avantages de colocalisation en présence, explique de Langen. Un concept de développement régional appliqué est employé pour décrire cette réalité : celui de cluster. La performance d’un cluster portuaire dépend de la coordination entre entreprises. Un port attire des compagnies de transport, de réparation, d’entreposage, de croisières, etc. On y retrouve des industries : construction navale, raffinage, alimentaire, etc. L’entreposage y est nécessaire parce qu’on y pratique le transbordement et la déconsolidation, mais aussi parce que les échelles des navires, trains et camions diffèrent. Parallèlement, les ports sont des sites touristiques et de vie : croisières, restaurants, musées, espaces publics. L’approche par cluster est donc éclairante pour prendre des mesures stratégiques, d’autant plus que le regroupement des activités tend à créer des externalités.

25Le postulat de l’auteur, consultant et professeur à temps partiel à la Copenhagen Business School, est que nous avons besoin d’une approche à la fois audacieuse et pragmatique du secteur portuaire. Au fil des pages sont détaillés différents modèles, allant des ports privatisés, municipaux ou à propriété d’État. L’auteur explique que des options hybrides existent également, comme au Canada. Cela dit, les ports posent des enjeux de gouvernance inédits, en raison d’un changement de paradigme, les ayant fait permuter, dans les dernières décennies, d’un développement porté par le secteur public à un développement impulsé par le privé. Traditionnellement, l’État fournissait l’infrastructure, qui était considérée comme un bien public. L’infrastructure était une pièce d’un dispositif de développement économique régional. Le gouvernement était responsable de l’espace littoral et de l’infrastructure, tout comme il peut l’être des routes. L’autorité portuaire était assurée par l’administration publique. Avec les réformes portuaires, menées dans de nombreux pays, un nouveau paradigme s’est imposé, plus commercial, qui requiert une structure de développement centrée sur les échanges. Les ports y sont relégués à des entités annexes à l’industrie et en compétition les uns avec les autres pour l’accueil des navires, des cargaisons, des investissements, rendant leur hinterland instable, précaire et contesté. Les sols et les services fournis aux utilisateurs sont désormais fixés selon la valeur de marché. Les ports sont développés selon une logique d’affaires. L’autorité portuaire vient remplir des fonctions supplétives. Malgré son rôle de police et d’inspection, elle ne demeure que peu souvent publique. Elle est transformée en entité hybride, avec différentes nuances vers la privatisation. La gouvernance portuaire correspond alors à une gouvernance de cluster, c’est-à-dire à une forme de coopération/coordination entre port et entreprises utilisatrices. Malgré le changement de paradigme, de nombreux pays demeurent réticents à abandonner le secteur portuaire, autant pour des raisons reliées à la conception du rôle de l’État que pour préserver le contrôle sur certaines fonctions, militaires par exemple.

26Un questionnement traverse l’ensemble de l’ouvrage : le développement portuaire est-il un enjeu commercial ? Tout le mérite de l’auteur est ici de trouver un équilibre entre conseils visant l’efficacité et conseils visant la capacité de contrôle et de régulation. La thèse défendue est que l’expérience montre que la gestion de l’intérêt public implique l’intervention gouvernementale pour assurer l’optimum de marché des activités portuaires (situations monopolistiques, problèmes environnementaux, rationalité limitée, etc.). Le constat posé est le suivant : en contradiction avec les postulats du nouveau paradigme, il arrive que le libre jeu du marché ne corresponde pas à la dynamique la plus adéquate pour solutionner certains problèmes. L’intervention étatique est alors requise pour réguler la disponibilité des ressources en remorquage, le pilotage et la sécurité, mais également la protection de la qualité de l’air, du sol, des milieux aquatiques et terrestres, des espèces menacées ou encore l’encadrement de l’aménagement et du développement.

27À l’inverse des idées reçues, l’auteur défend l’idée secondaire selon laquelle le support public ne devrait pas aller de soi. Le soutien aux entreprises utilisatrices ou aux administrations devrait être justifié en fonction de la valeur collective anticipée. Toute création de valeur commerciale n’est pas nécessairement porteuse de valeur sociale, est-il avancé. La valeur collective hypothétique, dit de Langen, concerne l’amélioration des liens maritimes, des échanges et des flux (compétitivité de l’État, de la région, de la ville, accès aux marchandises), le développement économique régional ou local (création d’emplois), la réduction de la congestion routière (report modal vers le transport maritime, plus efficace à la tonne), la réduction des externalités négatives et l’amélioration des espaces (environnement plus sain, qualité de vie), la transition durable et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (performance environnementale), la sécurité et la prévention (inondations, résilience), l’innovation (recherche et développement). Dans toutes les autres situations, l’investissement public ne devrait pas être envisagé, et le privé devrait agir de manière autonome. Si l’auteur précise qu’il est souhaitable que le cluster portuaire génère du leadership, via des entreprises dynamiques, l’action portuaire devrait être organisée, selon lui, en régime d’action public-privé pour atteindre des objectifs cohérents avec une bonne utilisation des ressources. Des mécanismes de contrôle sont ici recommandés, tels que : le maintien de la propriété du sol et des infrastructures (le gouvernement demeure l’ultime propriétaire), un comité d’administration nommé par le gouvernement (selon des critères établis), un président directeur général nommé par le gouvernement, plutôt que par les utilisateurs et les administrateurs (pour sa vision), l’approbation gouvernementale de la stratégie portuaire (pour assurer la cohérence nationale), un cadre législatif strict (dans le but de faire respecter la fonction de l’autorité portuaire et son périmètre d’activité) et enfin, une direction gouvernementale des initiatives d’expansion (afin qu’elles soient politisées).

28Alors que les grandes ruptures actuelles affectent le développement, la gestion et les politiques portuaires, de Langen invite à considérer l’approche business as usual comme intenable. En effet, elle ignore les signaux prospectifs qui ne concordent pas avec les modes de pensée établis, et elle entretient des routines et des cultures organisationnelles minimisant les disruptions. L’auteur explique qu’il y a un risque à maintenir une hypothèse de certitude, là où l’incertitude s’insinue. Dépasser cette approche suppose l’identification des tendances, par-delà l’évidence des signaux forts, en établissant des liens entre des informations disjointes issues de domaines variés : technologies, géopolitique, évolutions sociodémographiques, ressources naturelles, économie internationale, chaîne de transport, logistique et de valeur. Le travail sur les signaux forts et faibles permet l’élaboration d’une vision à long terme, centrée sur des scénarios, qui aident à éviter les biais d’optimisme. Il permet aussi de dessiner un chemin vers plus de durabilité, par une intégration des raisonnements fonctionnels, relationnels et environnementaux, échelles spatiales, économiques et écosystémiques, grands réseaux territorialisés, industries dans l’hinterland et types de terminaux.

29Dans ce travail, la planification est incontournable, afin de permettre aux interlocuteurs d’évaluer la justesse des perspectives et de rendre acceptables les raisonnements. Un document de planification devient alors un instrument de déploiement d’une vision et d’explication des stratégies de développement envisagées. La présentation des tendances de marché et des scénarios aux parties prenantes peut rendre plus robuste cette planification spatiale stratégique, où est décrit le complexe portuaire dans toutes ses facettes.

30À notre avis, le livre présente un point de vue réaliste sur les enjeux et débats contemporains. S’il éclaire le lecteur sur les concepts fondamentaux, il esquisse également des voies de passage entre demandes sociales, impératif de durabilité et complexité des dynamiques d’affaires. Par son traitement international de la question portuaire, l’ouvrage possède la qualité de réconcilier les tendances particulières et générales. Au final, un ouvrage à jour et complet, portant sur un secteur aux capacités d’innovation environnementale à ne pas sous-estimer et à la capacité d’entraînement significative. L’ouvrage intéressera les professionnels du transport de marchandises et de la logistique ainsi que les chercheurs et les étudiants des cycles supérieurs s’intéressant aux transformations en cours.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Paquet, « Vers quelle durabilité portuaire ? »Géocarrefour [En ligne], 98/2 | 2024, mis en ligne le 23 mars 2025, consulté le 29 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/24130 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13k20

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Auteur

Nicolas Paquet

Doctorant. École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD). Membre étudiant du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). Université Laval, Québec, Canada. Il se spécialise sur les questions maritimes, portuaires et logistiques. Sa thèse porte sur l’aménagement et le développement des zones portuaires canadiennes au XXIe siècle, en prêtant une attention toute particulière au cas de Québec.

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Droits d’auteur

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