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Lutter contre la précarité alimentaire dans les espaces ruraux : vers des pratiques en faveur de la démocratie alimentaire ? Le cas de la Creuse (France)

Margaux Alarcon, Nathalie Corade et Léa Gustiniani

Résumés

Cet article interroge dans quelle mesure les démarches de lutte contre la précarité alimentaire en milieu rural s’appuient sur la démocratie alimentaire pour répondre de façon adaptée aux enjeux de la précarité alimentaire rurale. L’étude compréhensive de l’implication de 17 acteurs engagés dans la lutte contre la précarité alimentaire en Creuse (France) révèle leur capacité à favoriser, dans une certaine mesure, l’émergence de la démocratie alimentaire, à travers des collaborations renforcées et l’augmentation de la participation des populations locales, dont les populations précaires, au service de l’élaboration d’actions ciblant la mobilité, la qualité de l’alimentation, et la capacité de choix des individus dans l’accès à l’alimentation. Toutefois, l’absence de stratégie territoriale à l’échelle départementale limite leur capacité à répondre à l’ensemble des enjeux.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 La sécurité alimentaire peut être définie comme la situation dans laquelle tous les êtres humains o (...)

1A l’échelle mondiale, la sécurité alimentaire1 apparaît comme une finalité majeure des systèmes alimentaires, c’est-à-dire les systèmes socio-écologiques au sein desquels les humains s’organisent pour se procurer et consommer leur alimentation (Malassis, 1994 ; Ericksen, 2008). Or, à de nombreuses échelles, l’accès stable et régulier à une alimentation de qualité n’est pas assuré pour tous et toutes (Bricas et al., 2021). En France, depuis 2020, la crise sanitaire suivie par un contexte d’inflation a considérablement accentué les inégalités d’accès à l’alimentation, en générant des situations de vulnérabilité appréhendées sous l’angle de la précarité alimentaire (Paturel 2018). La dernière étude parue au niveau national en mai 2023 évalue à 16% la population française vivant dans une forme de précarité alimentaire (Bléhaut et Gressier, 2023). En France, d’un point de vue institutionnel, la précarité alimentaire se définit comme « l’incapacité de personnes en situation de vulnérabilités économiques et/ou sociales, à avoir un accès régulier à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante. » (Ministère des Solidarités et des Familles, 2022).

2Si historiquement la lutte contre la précarité alimentaire a pris la forme de l’aide alimentaire, des critiques croissantes à l’encontre de ces dispositifs se font jour, pointant notamment les sources d’approvisionnement, la qualité nutritionnelle des produits distribués et l’incapacité des bénéficiaires à choisir leur alimentation (Arcuri, 2019 ; Bonzi, 2023). En réponse, une diversité de pratiques de solidarité donne une place grandissante à l’accessibilité à des produits locaux et de qualité pour le plus grand nombre (Darrot et Noel, 2018), afin de contribuer à la dignité des populations, à la justice alimentaire, et plus largement à la démocratie sur les territoires (Ramel et Boissonnat, 2018 ; Hochedez et Gall, 2021; Paturel, 2018). Les travaux récents questionnent ainsi la participation effective des populations aux choix agricoles et alimentaires et invitent à réfléchir à la gouvernance de ces choix (Le Bel et Lardon, 2022).

3Si les questions relatives à la précarité alimentaire et à ses modes de résolution se posent avec acuité dans les territoires urbains, l’accès à une alimentation durable est également un enjeu fort dans les territoires ruraux, en dépit de peu d’études sur le sujet (Mutea et al., 2019 ; Ferrand, 2021a). Cet article vise à compléter la recherche dans ce domaine. A travers l’étude des acteurs et des pratiques de lutte contre la précarité alimentaire dans le département de la Creuse, nous interrogeons les modalités d’organisation plus inclusives et démocratiques de ces initiatives. Nous répondons à la question suivante : dans quelle mesure l’organisation des acteurs et des démarches de lutte contre la précarité alimentaire contribue-elle à renforcer la démocratie alimentaire localement et, à travers la participation croissante des acteurs et la collaboration, contribue-t-elle à répondre aux enjeux de la précarité alimentaire rurale ?

4Après avoir présenté les vulnérabilités d’accès à l’alimentation en milieu rural et les enjeux de participation aux choix en matière d’alimentation, nous décrivons le territoire d’étude et la méthodologie utilisée. L’étude compréhensive de l’implication de 17 acteurs dans la lutte contre la précarité alimentaire en Creuse met en évidence la contribution de leurs démarches à l’émergence de la démocratie alimentaire localement, permettant de renforcer l’efficacité de la lutte contre la précarité alimentaire rurale, même si le processus demeure encore fragile et incomplet. En conclusion, nous questionnons la place des politiques alimentaires locales dans les transitions justes des systèmes alimentaires.

1. Les liens entre démocratie alimentaire et précarité alimentaire rurale : un objet d’étude en construction

1.1 La précarité alimentaire rurale : des enjeux d’accessibilité et de qualité de l’alimentation

La précarité alimentaire : une combinaison d’enjeux économiques, sociaux et culturels

5Liée à un sentiment de vulnérabilité et décrivant une réalité sociale dominée par l’incertitude du lendemain (Castel, 2009 ; Pierret, 2013), la précarité peut se définir comme « un état d’insécurité entraînant pour l’individu une difficulté ou une impossibilité à se projeter dans le moyen ou le long terme d’un point de vue financier […] mais aussi dans ses activités professionnelles ou relationnelles » (Hochedez et Mialocq, 2015) s’appliquant à différents enjeux sociaux tels que l’emploi, le logement et l’alimentation (Wresinski, 1987).

6Le terme précarité alimentaire, mobilisé en France surtout depuis les années 1990, est parfois confondu avec celui d’insécurité alimentaire, utilisé surtout par les professionnels de santé et les experts des pays du Sud Global et se définissant en opposition à la sécurité alimentaire comme l’impossibilité pour tous et toutes d’avoir une disponibilité et un accès alimentaire stable et suffisant en termes énergétiques pour mener une vie saine et active (World Food Summit, 1996). Mobilisée plutôt par les acteurs de l’action sociale et des politiques publiques, la notion de précarité alimentaire ne se limite pas à des composantes nutritionnelles et sanitaires, et prend en compte plusieurs dimensions, relevant à la fois de facteurs individuels et de la composition de l’environnement alimentaire (Paturel, 2016; Llobet Estany et al., 2020; Labarre et al., 2022).

7La précarité alimentaire se définit en effet comme une conjonction entre une situation de pauvreté économique et une série d’empêchements socio-culturels et politiques dans l’accès à une alimentation durable (Paturel, 2017). Sur le plan économique, la contrainte du revenu influence l’accès, la diversité et la qualité des aliments (Paturel et Rame,l 2017) puisque l’alimentation peut servir de variable d’ajustement des budgets (Sèze, 2022). Ensuite, la précarité alimentaire est le reflet d’inégalités sociales qui contribuent aux inégalités sociales de santé (Caillavet et al., 2021). En outre, les inégalités d’accès à l’alimentation peuvent être dues à des disparités dans la répartition spatiale des ressources et des commerces (Páez et al., 2010 ; Vonthron, 2021; Labarre et al., 2022). Elles peuvent également être liées aux pratiques alimentaires et aux préférences culturelles qui limitent l’accès à l’offre disponible (Paturel et Ramel, 2017). En ce sens, les composantes sociales telles que l’âge, la composition des ménages, la construction de l’identité des individus ou encore leur socialisation sont à prendre en compte (Abarca, 2016). De plus, les restrictions alimentaires concernant la quantité ou la qualité des aliments ainsi que le manque d’équipement pour cuisiner peuvent fragiliser les liens sociaux et contribuer à l’isolement. Enfin, la maîtrise et le choix des aliments relèvent d’un pouvoir d’agir qui entre en compte dans l’estime de soi et la dignité des personnes (Ramel et al., 2016).

La précarité alimentaire rurale : des spécificités encore mal connues

8Dans les statistiques publiques de l’INSEE, le rural renvoie aux territoires qui rassemblent les communes peu denses ou très peu denses d’après la grille communale de densité, avec trois catégories principales : les bourgs ruraux, les communes rurales à habitat dispersé, et les communes rurales à habitat très dispersé (INSEE, 2022). Si les problématiques de la précarité alimentaire ont suscité l’intérêt de la recherche et des pouvoirs publics, les études portent essentiellement sur le milieu urbain et laissent le phénomène peu exploré dans les espaces ruraux (Ferrand, 2021a). S’il a pu être observé un faible nombre de travaux sur la précarité alimentaire au sein des travaux en géographie de la pauvreté et de la précarité en milieu rural, qui se sont concentrés notamment sur des aspects économiques et industriels (Bonerandi, 2003 ; Bonerandi-Richard, 2014), la recherche d’emploi et l’accès aux équipements (Raynes, 2018), ces questions se sont renouvelées à la faveur des travaux conduits par les géographes par le prisme des questions agricoles et alimentaires (voir par exemple Chevallier et al., 2015; Hochedez et Le Gall, 2016 ; Delfosse, 2019; Ferrand, 2021a; Néel et al., 2023). Ces études mettent en évidence les spécificités des enjeux d’accès à l’alimentation en milieu rural.

9Ces derniers renvoient d’une part à un enjeu d’accès physique aux denrées, où la mobilité constitue un défi essentiel à travers les coûts et les moyens de déplacement liés à l’éloignement et la dispersion géographique (De Sousa, 2010). Ces facteurs accentuent la faible disponibilité physique des aliments (Ferrand, 2021a), avec une inégale répartition spatiale des commerces alimentaires qui suggère l’existence de déserts alimentaires (Paddeu, 2012), c’est-à-dire d’espaces où les populations n'ont pas accès à une alimentation saine à un prix abordable, du fait de l'absence de supermarché et de la possibilité limitée de se déplacer pour acheter de la nourriture (Hochedez et Le Gall, 2016). En milieu rural, la forte interconnaissance renforce en outre la visibilité sociale pouvant favoriser la stigmatisation et conduire les individus à taire leurs difficultés (Delfosse, 2019). Cette forte interconnaissance peut néanmoins avoir un effet positif sur la précarité alimentaire, en raison de la solidarité même si celle-ci tendrait à s’amoindrir (De Sousa, 2010).

  • 2 L’alimentation durable peut être définie comme un ensemble de pratiques et de choix alimentaires « (...)

10La précarité alimentaire en milieu rural relève également de l’enjeu lié à la qualité de l’alimentation disponible, choisie et accessible pour les populations. Or, une vision non représentative de l’accès à l’alimentation en milieu rural prédomine souvent, fondée sur l’autoproduction, la proximité avec les lieux de productions alimentaires et de fortes solidarités locales qui protègeraient contre la précarité alimentaire (Roi, 2016 ; Ferrand, 2021b). Or, bien que proches géographiquement des circuits courts et de proximité et dotées a priori de possibilités d’autoproduction, les populations rurales s’alimentent en majorité dans les grandes et moyennes surfaces, et dépendent de l’implantation géographique de ces commerces (Roi, 2016 ; INSEE PREMIERE, 2014). De plus, l’accès aux circuits courts et de proximité et à l’alimentation durable2 (Redlingshöfer, 2006) en milieu rural ne va pas de soi pour les populations les plus précaires, puisque les circuits courts ne touchent qu’un nombre limité de personnes (Chiffoleau et al., 2023). Les enjeux d’accès à une alimentation de qualité en milieu rural sont renforcés par la structuration des réponses à la précarité alimentaire.

1.2 Acteurs et pratiques de lutte contre la précarité alimentaire en milieu rural : vers la démocratie alimentaire ?

De l’aide alimentaire historique aux pratiques alternatives de lutte contre la précarité alimentaire

11Les principales réponses à la précarité alimentaire en France se sont structurées autour de l’aide alimentaire, définie d’après la Loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 comme une aide « ayant pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies (…) apportée tant par l’Union européenne que par l’Etat ou toute autre personne morale ». L’aide alimentaire s’est historiquement organisée autour d’un nombre réduit d’acteurs, via la création des Banques Alimentaires en 1984 et des Restos du Cœur en 1985 (Sèze, 2022), à partir d’une conception nutritionnelle de l’alimentation fondée sur l’assistance favorisant un accès gratuit aux denrées alimentaires, via la distribution de colis alimentaires et de repas gratuits ou à bas prix (Damhuis et al., 2020). Si la distribution constitue la forme la plus ancienne et la plus répandue, cette aide recouvre aujourd’hui une diversité de pratiques à destination de publics justifiant de critères sociaux et économiques, telles que les aides financières directes (aides à la restauration scolaire, bons alimentaires, chèques d’accompagnement…), l’accès aux restaurants sociaux proposant des repas gratuits ou en contrepartie d’une participation financière, ou encore l’accès aux épiceries sociales, qui ont émergé dans les années 1990 et s’organisent sur le modèle de petits magasins de proximité proposant des produits alimentaires en l’échange d’une participation financière (Néel et al,. 2023).

12L’aide alimentaire rassemble trois types d’acteurs complémentaires (Caillavet et al., 2021). Les acteurs publics déploient des politiques publiques liées à la santé, la pauvreté et l’alimentation, et octroient les financements. Un certain nombre d’acteurs assure la logistique, la distribution et l’accueil. Parmi eux, figurent les acteurs historiques dédiés à l’aide alimentaire (antennes locales de réseaux de l’aide alimentaire et associations locales dédiées), les acteurs de l’action sociale du secteur public et du secteur privé (associations de solidarité, centres communaux d’action sociale…) et d’autres organismes pratiquant l’aide alimentaire en complément d’autres activités (centres hospitaliers universitaires…) (Alberghini et al., 2017). Enfin, les entreprises et les particuliers assurent des dons et du bénévolat. En dépit de cette diversité, la plupart des initiatives en milieu rural et urbain constituent des dispositifs encore dominés par la distribution de denrées ou d’aides financières (Ferrand, 2021b) et accessibles uniquement sur la base de critères économiques, même dans le cas des dispositifs visant à moderniser l’aide alimentaire historique, comme les épiceries sociales (Néel et al., 2023).

13Or, l’aide alimentaire est de plus en plus critiquée. Si elle peut apparaître essentielle pour les personnes en situation d’urgence, elle n’est que rarement transitoire, et ne constitue pas une porte d’entrée privilégiée vers l’insertion sociale (Gomy et al., 2020 ; Caillavet et al., 2021). De plus, elle peut être asymétrique et source d’inégalités de dignité (Llobet-Estany et al., 2020). Gomy et al. (2020) soulignent que les bénéficiaires de l’aide alimentaire sont dans une position de dépendance vis-à-vis de l’alimentation proposée et que les pratiques d’aide alimentaire peuvent occulter l’aspect social de l’alimentation, comme le genre, l’âge, la position sociale et les préférences culturelles, tandis qu’à l’inverse, les personnes donatrices retirent plus facilement une image sociale positive et bénéficient d’avantages fiscaux. Enfin, certaines critiques pointent que l’aide alimentaire est devenue une forme de variable d’ajustement de la production agricole et ne permet pas d’accéder à des produits frais et de qualité (Paturel et Carimentrand, 2018).

  • 3 Le concept de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) s’est développé en France en s’inspirant du (...)

14Toutefois, les pratiques de lutte contre la précarité alimentaire évoluent en France, dans un contexte où le modèle traditionnel d’aide alimentaire fait face à une diminution de ses sources de financement et d‘approvisionnement, en même temps qu’il est confronté à une croissance et à une hétérogénéité grandissante des publics bénéficiaires (Cavaillet et al., 2021 ; Bléhaut et Gressier, 2023). Ainsi, une diversité de propositions alternatives émergent à la faveur de la désorganisation des circuits de l’aide alimentaire historique pendant la crise sanitaire de 2020 et de l’émergence d’un discours renouvelé sur la solidarité alimentaire à destination de l’ensemble de la population, à travers par exemple les tiers-lieux (Scherer, 2022) et les expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation3 (Chiffoleau et al., 2023). Par ailleurs, du côté des acteurs publics, la diffusion des Projets Alimentaires Territoriaux, institutionnalisés par la Loi d’avenir pour l’agriculture en 2014 et visant à reterritorialiser l’alimentation (Corade et al., 2021), et la création du Comité de Coordination de la Lutte contre la Précarité Alimentaire en 2020, réunissant les ministères de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, de la Santé et du Logement, au travers de la Direction Générale de la Cohésion Sociale, témoignent de cette évolution (Sèze, 2022).

15Dans ce contexte d’évolution et de critique croissante de l’aide alimentaire historique, Llobet-Estany et al. (2020) ont proposé une typologie pour classer les pratiques de lutte contre la précarité alimentaire : les « pratiques traditionnelles » relèvent de l’aide alimentaire historique dans une perspective d’assistance (colis et repas gratuits ou à bas prix), les « pratiques nouvelles » visent à améliorer la distribution de l’aide alimentaire historique en prenant en compte les préférences alimentaires (chèques alimentaires), et enfin les « pratiques alternatives » constituent des initiatives communautaires et d’autogestion visant à renforcer l’autonomie, les droits sociaux des individus et leurs capacités, via des initiatives abordant la précarité alimentaire dans une perspective communautaire et sociale (ateliers de cuisine construits collectivement). Cette typologie met en évidence l’attention croissante portée à la participation citoyenne dans les choix alimentaires face à l’insuffisance des réponses apportées par l’aide alimentaire historique.

Quelle place pour la démocratie alimentaire dans la lutte contre la précarité alimentaire en milieu rural ?

16Ces différentes pratiques de lutte contre la précarité alimentaire interrogent la participation des bénéficiaires de l’aide alimentaire dans les choix alimentaires, et plus largement la participation citoyenne à la gouvernance alimentaire, afin d’élaborer des systèmes alimentaires durables et justes (Tribaldos et Kortetmäki, 2022). La contribution des populations aux choix alimentaires peut être étudiée à travers le cadre de la démocratie alimentaire, qui désigne les processus de gouvernance au sein desquels des collectifs de citoyens décident de leur alimentation en mettant notamment en place les filières d’approvisionnement afin de transformer les systèmes alimentaires vers des modèles agricoles et alimentaires bénéfiques pour leur santé (Hassanein, 2003 ; Paturel et Carimentrand, 2018). Le concept s’inscrit dans une perspective critique vis-à-vis de l'organisation du système alimentaire industrialisé dominant, marquée par la concentration des pouvoirs et laissant peu de place aux citoyens dans les processus de décision (Lang, 2005; Hassanein, 2008; Booth et Coveney, 2015; Bornemann et Weiland, 2019). Les approches de la démocratie alimentaire défendent l’idée que les citoyens et les citoyennes peuvent transformer le système alimentaire via leur participation collective aux prises de décision et le renforcement de leur pouvoir d’agir (Booth et Coveney, 2015 ; Paturel et Ndiaye, 2022). La démocratie alimentaire peut ainsi être vue comme un levier pour la justice alimentaire, c’est-à-dire le partage équitable des bénéfices et des risques concernant les lieux, les produits et la façon dont la nourriture est produite, transformée, transportée, distribuée et consommée (Gottlieb et Joshi, 2010), et donc pour la lutte contre les inégalités d’accès à l’alimentation (Hochedez et al., 2022). En ce sens, la justice et la précarité alimentaires ne sont pas qu’une question d’accessibilité physique aux équipements et aux commerces, mais posent aussi des questions de pouvoir, d’accès aux connaissances et de participation collective aux décisions (Hochedez et Le Gall, 2016 ; Noel et Darrot, 2018).

17A ce jour, peu de travaux explorent la façon dont la démocratie alimentaire s’élabore et se déploie dans les espaces ruraux touchés par la précarité alimentaire. Les questions de justice et de démocratie alimentaires ont surtout été étudiées en milieu urbain (Paddeu, 2012; Hochedez, 2020; Michel et al., 2022), en particulier dans le cadre des travaux sur la gouvernance alimentaire (Billion, 2018), à la faveur des travaux sur la gouvernance alimentaire urbaine (Brand et Bonnefoy, 2011; Perrin et Soulard, 2014) ou analysant des dispositifs de l’action publique en matière d’action sociale et d’alimentation (Lardon et Loudiyi, 2014; Lailliau, 2024). Toutefois, plusieurs critères caractérisant l’élaboration de la démocratie alimentaire peuvent être mobilisés afin d’étudier la place de la démocratie alimentaire dans la lutte contre la précarité alimentaire rurale. A ce titre, Hassanein (2008) propose un cadre d’analyse autour de cinq dimensions clés de la démocratie alimentaire : la collaboration à la durabilité du système alimentaire, la capacité des acteurs à acquérir des connaissances sur l'alimentation et le système alimentaire, le partage des idées sur le système alimentaire entre les parties prenantes, le développement de l'efficacité des actions, et la capacité à élaborer une orientation collective. En outre, à partir des travaux de Hassanein (2008) et des recherches sur la bonne gouvernance (Porter et Ashcraft, 2020), Michel et al. (2022) proposent plus récemment que la démocratie alimentaire constitue un principe directeur essentiel en matière de procédure afin de fonder la durabilité des systèmes alimentaires et identifient dans cette perspective cinq critères pour évaluer la gouvernance alimentaire démocratique : la cohérence des actions, la transparence, l’obligation de rendre des comptes, la faisabilité et l’efficacité de l’action au regard des priorités.

18Dans la continuité de ces travaux et face au manque de recherches sur la lutte contre la précarité alimentaire en milieu rural, ce papier interroge en quoi et dans quelle mesure les démarches de lutte contre la précarité alimentaire tendent vers la démocratie alimentaire et, via plus de participation et de collaboration entre acteurs, permettent de répondre de manière appropriée aux enjeux de la précarité alimentaire rurale. Nous nous appuyons sur une étude de cas réalisée dans la Creuse, un département à dominante rurale situé en région Nouvelle-Aquitaine, en France.

2. Une enquête dans le département de la Creuse

2.1. Le département de la Creuse : un territoire rural de la Nouvelle-Aquitaine

19Le département de la Creuse se situe à l’Est de la région Nouvelle-Aquitaine, qui est la première région de l’Union Européenne en termes de valeur agricole (Agreste, 2020) et qui est marquée par une grande diversité productive lui permettant d’être théoriquement autonome en production alimentaire (De Kermel et al., 2022).

20Au sein de ce territoire régional, la Creuse constitue un département à dominante rurale. La densité départementale est de 22 habitants/km², soit approximativement 6 fois moins que la moyenne nationale métropolitaine (INSEE, 2021). Du point de vue de la classification de l’INSEE, l’ensemble des communes creusoises sont rurales et majoritairement composées d’un habitat très dispersé, à l’exception de la préfecture Guéret (Figure 1). L’activité productive principale du territoire est l’agriculture, avec un pourcentage d’actifs agricoles de 12%, soit cinq fois supérieur à la moyenne nationale (Agreste, 2020). Le territoire est majoritairement tourné vers l’élevage extensif de bovins allaitants, avec une surface agricole utile composée majoritairement de prairies (Agreste, 2020). Au Nord et au Sud du département, trois Établissements Publics de Coopération Intercommunale ont une économie agricole à forte valeur ajoutée, avec le développement de circuits courts et une production majoritairement tournée vers la pomme d’AOC Pommes du Limousin. A l’Est et à l’Ouest, en revanche, l’économie agricole est majoritairement exportatrice et internationalisée, dominée par l’élevage de bovins destinés à l'engraissement pour la production de viande vers l’Italie. Autour de Guéret, l’espace rural a une forte représentation des métiers de services et de logistique.

  • 4 Un individu est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est infér (...)
  • 5 Un bassin fragile est un système géographique marqué par une faible stabilité à court ou moyen term (...)

21En dépit de la production alimentaire locale, le département de la Creuse combine plusieurs marqueurs de précarité alimentaire. Sur le plan économique, le département a un taux de pauvreté monétaire4 de 18%, soit 4 points au-dessus de la moyenne régionale, et 3 points au-dessus de la moyenne nationale. De plus, le revenu médian est inférieur de 11% à la moyenne de la France de province, avec une surreprésentation au sein de la population des retraités et des ouvriers. Ensuite, sur le plan social, la population du département est vieillissante, avec la moyenne d’âge la plus élevée de la région, 46 ans en moyenne. Si la Creuse est entièrement classée comme bassin rural fragile5 au regard d’inégalités sociales de santé (Rouchaud et al., 2017), des inégalités territoriales existent à l’échelle du département. En effet, les indicateurs de précarité individuelle (taux de chômage, part des ménages monoparentaux, part de la population de plus de 75 ans, faible taux de motorisation) sont les plus forts au Sud et à l’Est du département, qui correspondent aussi à des espaces marqués par une faible présence des transports en commun pour accéder aux commerces alimentaires, répartis essentiellement au sein des bourgs ruraux (Giustinian,i 2023). En outre, les parties Sud, Est, et Nord du département sont moins dotées en supermarchés et superettes que les parties centrales et Ouest du département (Figure 2).

  • 6 Le CPIE de la Creuse, créé en 2002, développe des actions afin de protéger la biodiversité et le pa (...)

22Une enquête conduite par le Centre de Promotion de l’Innovation Écologique (CPIE) de la Creuse en 2022 sur la précarité alimentaire à l’échelle du département6 met en évidence l’implication des associations de distribution et des services sociaux de collectivités dont les missions sont centrées sur l’aide sociale dans son ensemble, avec un volet aide alimentaire. La Creuse dispose ainsi d’une politique départementale sociale incluant la précarité́ alimentaire, via les Unités Territoriales d’Action Sociale (UTAS) et d’un Projet Alimentaire de Territoire labellisé depuis 2019, dont l’un des objectifs affichés est la lutte contre la précarité alimentaire. Toutefois, l’étude conduite par le CPIE souligne que l’aide alimentaire n’est utilisée qu’en dernier recours par les populations en situation d’extrême urgence et que la composition des colis alimentaires est inadaptée aux besoins des bénéficiaires. Ces constats interrogent la capacité des acteurs à intégrer les préférences alimentaires des populations, afin de renforcer la démocratie alimentaire et améliorer la lutte contre la précarité alimentaire rurale.

Figure 1. Carte de la ruralité en Creuse

Figure 1. Carte de la ruralité en Creuse

Données : INSEE - DT2022-18. Réalisation : Giustiniani, 2023

Figure 2. Carte de la distance au supermarché ou supérette la plus proche

Figure 2. Carte de la distance au supermarché ou supérette la plus proche

Données : SIRENE et Open Street Map. Traitement : QGIS. Réalisation : Giustiniani 2023

2.2. Une approche compréhensive des acteurs et des démarches de lutte contre la précarité alimentaire rurale

23La méthodologie s’appuie sur un protocole d’enquêtes qualitatives fondé sur des entretiens semi-directifs conduits en Creuse en juin 2023 auprès d’acteurs publics et privés portant des démarches de lutte contre la précarité alimentaire à différents niveaux territoriaux. La sélection des acteurs rencontrés s’est faite de la manière suivante. Les deux premiers acteurs rencontrés étaient des acteurs publics déployant des actions en faveur de la lutte contre la précarité alimentaire soit sous l’angle de la santé, soit sous l’angle d’une politique locale alimentaire transversale. Ces acteurs nous ont permis de prendre contact avec d’autres acteurs impliqués dans l’aide alimentaire ou dans des démarches se posant comme des alternatives à l’aide alimentaire (Llobet-Estany et al., 2020). Chaque acteur a fourni des informations sur d’autres acteurs à rencontrer, et les entretiens se sont terminés quand toutes les personnes citées ayant répondu positivement à la demande d’entretien ont été interrogées. Au total, 17 acteurs ont été rencontrés (tableau 1). 8 entretiens ont été réalisés avec des acteurs publics dans les domaines de la santé, de l’action sociale ou dans un domaine d’action transversal incluant l’alimentation. 3 entretiens ont été réalisés avec des acteurs associatifs historiques de l’aide alimentaire. 4 entretiens ont été réalisés avec des associations portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation. Enfin, 2 entretiens ont été réalisés avec des organismes agricoles impliqués dans des démarches de lutte contre la précarité alimentaire. Les entretiens permettent d’avoir une vision de la diversité des acteurs impliqués dans la lutte contre la précarité alimentaire en Creuse.

Tableau 1 : Entretiens réalisés en Creuse

Numéro d’entretien

Structure

Type d’acteur et domaine d’intervention

Démarches conduites en faveur de la lutte contre la précarité alimentaire

1

Agence Régionale de Santé

Acteur public dans le domaine de la santé

Programmes de sensibilisation à la nutrition et l’activité physique

Financement d’épiceries sociales

2

Agence d’aménagement et d’attractivité de la Creuse

Acteur public transversal

Elaboration d’un Projet Alimentaire de Territoire avec un axe affiché vocation sociale, circuits courts et restauration collective

3

Banque Alimentaire

Acteur associatif historique de l’aide alimentaire

Camion solidaire

4

Centre Communal d’Action Sociale de Guéret

Acteur public de l’action sociale

Colis alimentaires

Restaurant social

Epicerie sociale

Ateliers collectifs de cuisine

5

Chambre d’agriculture

Acteur du monde agricole

Actions pour développer les circuits courts

Partenariat avec la MSA sur les paniers solidaires

6

Centre permanent d’initiatives pour l’environnement

Association portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation

Réalisation d’un diagnostic de la précarité alimentaire en Creuse

7

Association La Bascule

Association portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation

Marché de producteurs solidaire

8

Croix Rouge

Acteur associatif historique de l’aide alimentaire

Distribution alimentaire

Aide matérielle à la mobilité pour faire les achats alimentaires

9

Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations

Acteur public de l’action sociale

Subventions pour les associations d’aide alimentaire

10

Direction départementale des territoires

Acteur public transversal

Soutien à l’approvisionnement local dans la restauration collective

Financement de démarches

11

Instance régionale pour la santé

Acteur public dans le domaine de la santé

Programmes d’accompagnement sur la nutrition enfance et petite enfance

12

Association Les Jardins de Saintary

Association portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation (chantier d’insertion)

Paniers de légumes

Ateliers de cuisine

Approvisionnement de paniers solidaires

13

Mairie de Maisonnisses

Acteur public transversal

Epicerie citoyenne

14

Mutuelle Sociale Agricole

Acteur du monde agricole

Paniers solidaires

15

Restos du Cœur

Acteur associatif historique de l’aide alimentaire

Distribution alimentaire, colis

16

Unité territoriale d’action sociale

Acteur public de l’action sociale

Aides financières directes

Bons alimentaires

17

Réseau creusois des acteurs du lien social

Association portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation

Accompagnement pour la mise en place d’un camion solidaire

Réalisation : Alarcon 2024

24La méthode de récolte de données par entretien semi-directifs a permis aux personnes interrogées de s’exprimer sur leur perception de la situation alimentaire du département, sur le fonctionnement de leur structure et sur les démarches alimentaires conduites au sein de cette dernière (Blanchet, 1985). Les questions posées lors des entretiens ont eu pour objectif de faire s’exprimer les acteurs sur leur compréhension des publics et des territoires vulnérables en Creuse. Elles ont aussi visé à ce que les acteurs décrivent leurs principales démarches conduites afin de lutter contre la précarité alimentaire et améliorer l’accès à l’alimentation de qualité, en mettant en évidence les actions, les objectifs, les espaces et publics visés, les relations avec d’autres structures, et la mobilisation de l’agriculture locale. Enfin, les entretiens ont permis d’interroger les acteurs sur les freins rencontrés. Ces entretiens ont été réalisés en partie en face-à-face et en partie en visio-conférence, avec une durée moyenne de 57 minutes. Tous les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits.

25Les initiatives citées dans les entretiens rendent compte de la diversité des démarches conduites afin de lutter contre la précarité alimentaire en Creuse et peuvent être catégorisées de la manière suivante à partir de la littérature (Llobet-Estany et al., 2020) (tableau 2). Les acteurs associatifs historiques de l’aide alimentaire déploient des pratiques traditionnelles d’aide alimentaire sous forme de colis et de distribution de denrées alimentaires. Certains de ces acteurs, accompagnés par des associations locales, par les acteurs du monde agricole, et par certains acteurs publics de l’action sociale, déploient en complément des démarches relevant des pratiques nouvelles de l’aide alimentaire, visant à améliorer la distribution de l’aide alimentaire via le renforcement de la capacité de choix des bénéficiaires, à travers par exemple la mise en place de bons alimentaires, d’épiceries et de restaurants sociaux, ou encore de paniers solidaires. Par ailleurs, trois acteurs ont mis en place des démarches relevant de pratiques alternatives à l’aide alimentaire, avec des actions qui visent pleinement à renforcer le pouvoir d’agir des citoyens, en leur donnant la possibilité de partager et développer leurs connaissances en matière de nutrition, de cuisine et de santé via des ateliers culinaires, ou de choisir leur alimentation sans avoir à justifier de conditions de ressources, via la mise en place d’une épicerie citoyenne et d’un marché solidaire. En complément, plusieurs initiatives citées dans les entretiens relèvent d’outils transversaux de l’action publique qui, sans être dédiés exclusivement à la lutte contre la précarité alimentaire, contribuent à renforcer l’accès à l’alimentation de qualité pour tous et toutes (Projet Alimentaire de Territoire, actions de financement et d’accompagnement de démarches nouvelles et alternatives à l’aide alimentaire).

Tableau 2. Typologie des initiatives de lutte contre la précarité alimentaire étudiées en Creuse

Type d’initiative

Exemples de démarches

Acteurs porteurs

Pratiques traditionnelles de l’aide alimentaire

Distribution, colis

Acteurs associatifs historiques de l’aide alimentaire

Pratiques nouvelles de l’aide alimentaire visant à renforcer la capacité de choix des bénéficiaires

Bons alimentaires, épiceries et restaurants sociaux, camion solidaire, paniers solidaires, aides directes

Acteurs associatifs historiques de l’aide alimentaire, associations portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation, acteurs du monde agricole, acteurs publics de l’action sociale

Pratiques alternatives visant à renforcer le pouvoir d’agir des consommateurs

Ateliers de cuisine, épicerie citoyenne, marché solidaire

Acteurs publics transversaux et de l’action sociale, associations portant des actions en lien avec l’agriculture et l’alimentation

Autres outils transversaux de l’action publique visant à renforcer l’accès à l’alimentation de qualité pour tous et toutes à l’échelle départementale

Projet alimentaire de territoire incluant une dimension sociale via le renforcement de l’accès à l’alimentation locale dans la restauration collective, actions de financement et d’accompagnement de démarches nouvelles et alternatives à l’aide alimentaire, actions de mise en réseau des acteurs de l’action sociale

Acteurs publics transversaux, de l’action sociale et de la santé

Réalisation : Alarcon 2024

26La méthode d’analyse a visé au regroupement et la catégorisation des données issues des entretiens afin de conduire une analyse thématique inductive pour identifier les principaux enjeux à l’échelle du territoire selon les acteurs (Paillé et Mucchielli, 2021). L’analyse thématique a permis de mettre en évidence trois principaux enjeux à partir des entretiens : 1) La place relative de la participation citoyenne, en particulier les bénéficiaires, à la gouvernance des initiatives de lutte contre la précarité alimentaire ; 2) Les relations entre acteurs de la lutte contre la précarité alimentaire ; 3) La capacité des démarches déployées à répondre aux enjeux de la précarité alimentaire creusoise. Les données ont été ensuite analysées à la lueur des critères de démocratie alimentaire définis par Hassanein (2008), afin de mettre en évidence dans quelle mesure les démarches portées par les acteurs rencontrés permettaient de tendre vers la démocratie alimentaire en Creuse, via une meilleure participation des populations aux choix alimentaires et une collaboration renforcée entre acteurs favorisant le partage des idées et des connaissances au service d’actions efficaces car adaptées aux enjeux, et structurées autour d’une orientation commune. Pour compléter, nous avons analysé comment ces processus démocratiques permettaient aux acteurs de lutter selon eux efficacement contre la précarité alimentaire rurale, en identifiant dans quelle mesure leurs démarches leur permettaient d’activer des leviers pour répondre aux enjeux spécifiques de la précarité alimentaire en milieu rural, tant en matière d’accessibilité aux commerces que d’accès à une alimentation de qualité (Ferrand, 2021b ; Roi, 2016 ; Labarre et al., 2022).

3. L’émergence de la démocratie alimentaire en Creuse : des contributions à la lutte contre la précarité alimentaire rurale en demi-teinte

27L’organisation des acteurs et des démarches de lutte contre la précarité alimentaire étudiées favorise, dans une certaine mesure, l’émergence de la démocratie alimentaire, au service de la lutte contre la précarité alimentaire creusoise. En effet, les collaborations renforcées entre les acteurs et l’élargissement de la participation citoyenne à la lutte contre la précarité alimentaire permettent de développer une connaissance partagée des enjeux et d’élaborer des réponses ciblant les enjeux de mobilité, de qualité et de capacité de choix dans l’accès à l’alimentation. Néanmoins, l’absence de stratégie territoriale cohérente à l’échelle départementale limite la capacité des démarches à transformer radicalement les systèmes alimentaires.

3.1. La démocratie alimentaire dans les initiatives de lutte contre la précarité alimentaire en Creuse

28Si la lutte contre la précarité alimentaire dans la Creuse s’organise essentiellement autour des acteurs associatifs historiques de l’aide alimentaire et des acteurs publics de l’action sociale en direction de dispositifs d’aide alimentaire classique (colis, distribution), les enquêtes révèlent une tendance à plus de démocratie alimentaire dans la lutte contre la précarité alimentaire, selon trois modalités principales.

29La démocratie alimentaire en Creuse prend d’abord la forme d’une diversification des acteurs de la lutte contre la précarité alimentaire allant dans le sens d’une gouvernance alimentaire plus ouverte et partagée, avec une place grandissante des acteurs publics qui tendent à élargir leurs compétences sociales en les articulant avec les enjeux d’accès à l’alimentation de qualité (Lailliau, 2024) ou en lien avec les enjeux de durabilité et de nutrition via les politiques de santé, ou encore avec l’implication croissante des acteurs issus du monde agricole, comme la Mutuelle Sociale Agricole et la Chambre d’Agriculture dans des démarches favorisant l’accès à une alimentation de qualité pour tous et toutes. La diversification des acteurs impliqués dans la lutte contre la précarité alimentaire va de pair avec une collaboration croissante entre ces acteurs dans le cadre de démarches collectives qui favorisent la circulation et le partage de connaissances des enjeux, des idées, et des sources de financements afin de mettre en place des réponses collectives (Hassanein, 2008). A titre d’exemple, la Croix Rouge, le Secours populaire, la Banque alimentaire ainsi que des associations locales sont amenées à coopérer dans le cadre d’une épicerie itinérante sous la forme d’un camion solidaire. L’initiative, portée initialement par la Banque alimentaire de la Creuse, bénéficie de financements de l’Etat et de fonds régionaux. Soutenu par la Direction Départementale des Territoires, le camion solidaire intervient depuis décembre 2022 en priorité dans le Sud du département, tous les quinze jours, et s’appuie notamment sur l’implication d’un bénévole du Secours Catholique.

30Ensuite, l’émergence de la démocratie alimentaire en Creuse passe également par l’augmentation de la place et de la voix des bénéficiaires dans les dispositifs d’aide alimentaire, dans le cas de pratiques nouvelles d’aide alimentaire (LLobet-Estany, 2020). En ce sens, les démarches portées par les acteurs rencontrés ciblent les enjeux de pouvoir et de capacité inégales des citoyens au sein des systèmes alimentaires (Gomy et al., 2020 ; Paturel et Ndiaye, 2022). C’est le cas des paniers solidaires de la Mutuelle Sociale Agricole, accessibles aux populations creusoises sous conditions de ressources, dont la composition est décidée par les bénéficiaires des paniers, à partir d‘une sélection de produits alimentaires prédéfinie en amont. C’est aussi ce que permettent les bons alimentaires, mis en place par les UTAS du département, qui peuvent être utilisés dans certains types de commerces à l’échelle de la Creuse, pour tous les produits alimentaires en dehors de l’alcool. Ces deux exemples montrent comment, dans des dispositifs d’aide alimentaire, les choix des bénéficiaires peuvent être développés dans une certaine mesure, de même que leurs connaissances et compétences en matière d’alimentation peuvent être renforcées, via l’accès à des produits frais et des idées de recettes pour cuisiner à domicile.

31Enfin, quelques initiatives alternatives à l’aide alimentaire (LLobet-Estany, 2020), communautaires et organisées en autogestion émergent, afin de renforcer les connaissances et les compétences des citoyens sur l’alimentation, et de favoriser la co-construction ainsi que la participation à l’élaboration de choix agricoles et alimentaires locaux. C’est le cas du projet d’épicerie citoyenne en portage direct par les citoyens et les citoyennes à Maisonnisses, dans le Sud du département. Ce projet vise l’intégration de l’ensemble de la population locale, sans critères économiques et sociaux, et le renforcement des capacités des individus à choisir leur alimentation et à agir sur le système alimentaire (Paturel et Carimentrand, 2018). Dans ce cas, l’action en matière d’alimentation s’articule à un projet plus large de redynamisation et de démocratie participative locale, porté par la mairie, qui se structure notamment autour de l’organisation de réunions ouvertes pour déterminer les produits à commercialiser dans l’épicerie citoyenne :

« Le travail de démocratie participative, c’est l’exercice de la démocratie au quotidien pour que les habitants puissent avoir du poids sur les objets qui les concernent, sur les thèmes aussi comme l’urbanisme, la valorisation du patrimoine et la valorisation paysagère » (Entretien n°13).

3.2. La démocratie alimentaire au service de l’amélioration de la lutte contre la précarité alimentaire rurale en Creuse

32Ces démarches qui intègrent des critères de démocratie alimentaire tendent à répondre avec une pertinence renouvelée aux enjeux spécifiques de la précarité alimentaire rurale creusoise et à l’insuffisance des dispositifs classiques de l’aide alimentaire traditionnelle, repérés par les acteurs.

33En effet, les enquêtes mettent en évidence que ces collaborations nouvelles favorisent la connaissance des enjeux de la précarité alimentaire et permettent ainsi la mise en place de démarches qui ciblent des enjeux spécifiques aux vulnérabilités des territoires ruraux (Roi, 2016 ; De Sousa, 2010; Delfosse, 2019; Ferrand, 2021a). Parmi ces enjeux, la question de la mobilité pour l’accès aux commerces alimentaires est particulièrement visée par les démarches mises en place par les acteurs rencontrés, qui insistent sur le manque de transports en commun en Creuse pour accéder à l’alimentation. C’est cet enjeu de mobilité que visent spécifiquement les initiatives portées par la Banque Alimentaire (camion solidaire) et par la Croix Rouge (aide matérielle aux populations les plus précaires pour aller faire leurs achats alimentaires lorsqu’elles ne disposent pas de véhicule personnel et qu’elles habitent loin d’un commerce alimentaire).

34Le partage de connaissances entre acteurs sur la précarité alimentaire en Creuse leur permet également de mieux identifier les publics dans le besoin, qui constituent en général des populations à la marge des dispositifs d’aide alimentaire traditionnelle. En ce sens, les acteurs rencontrés insistent sur la volonté, via leurs démarches, de toucher des publics particulièrement isolés à l’échelle du département et en situation de risque de précarité alimentaire élevé, tant sur le plan de l’isolement géographique que sur le plan de l’isolement social, comme les personnes sans permis de conduire, les personnes retraitées avec des retraites minimes, les personnes actives aux faibles revenus ne bénéficiant pas des minimas sociaux, les agriculteurs.trices avec peu de revenus, et enfin les étudiants et étudiantes :

« Quand on dit populations précaires ce ne sont pas les plus précaires parce que l’objectif c’était de pouvoir aider des gens qui n’ont pas accès à d’autre distribution alimentaire. Donc on va jusqu’à un quotient familial de 1000 euros, pour pouvoir toucher les retraités qui ont des petites retraites mais qui n’ont pas la distribution alimentaire, ou alors des familles en situation de rupture ponctuelle » (Entretien n°14).

35Enfin, les collaborations permettent aux acteurs d’améliorer la qualité de l’alimentation accessible pour les populations précaires dans leurs démarches, qui constitue un autre enjeu clé de la précarité alimentaire rurale, et qui est particulièrement vive au sein d’un territoire comme la Creuse, marqué par la faiblesse des circuits courts, d’après les acteurs. La plupart des démarches élaborées en collaboration visent ainsi à améliorer l’accès à des produits frais et locaux. C’est le cas par exemple des paniers solidaires mis en place par la Mutuelle Sociale Agricole, en partenariat avec la Chambre d’Agriculture, et avec l’implication de travailleurs sociaux du département, qui s’appuient sur un approvisionnement local en fruits, légumes, viande et yaourts. Pour les fruits et les légumes, l’approvisionnement des paniers provient en partie de la production du chantier d’insertion Les Jardins de Saintary. Pour la viande et les yaourts, la Mutuelle Sociale Agricole s’appuie sur des magasins de producteurs du département.

3.3. Une démocratie alimentaire encore fragile et incomplète : le manque de stratégie territoriale en matière de lutte contre la précarité alimentaire à l’échelle départementale

36Pour autant, la démocratie alimentaire en Creuse est encore fragile et incomplète. En dépit de collaborations croissantes, les entretiens font état de la difficulté pour certains acteurs à participer et coopérer, limitant ainsi le partage d’idées et la mise en place de projets communs, qui sont autant de freins à la mise en place de la démocratie alimentaire à l’échelle territoriale (Hassanein, 2008) et à la mise en place de systèmes alimentaires durables (Michel et al., 2022).

37Le premier marqueur de la fragilité de la démocratie alimentaire en Creuse qui émerge des entretiens consiste en la faible participation des agriculteurs locaux aux démarches de lutte contre la précarité alimentaire. Cette faible participation constitue une limite à la collaboration entre acteurs, à la gouvernance partagée, et in fine à la démocratie alimentaire. Malgré quelques réussites, les entretiens pointent dans l’ensemble la faible contribution de l’agriculture locale à la lutte contre la précarité alimentaire. D’après les acteurs rencontrés, le système alimentaire creusois est marqué par la faible présence du maraîchage, par un manque en outils de transformation et par la faible présence des circuits courts et de proximité de manière générale. De plus, il est à noter que les agriculteurs eux-mêmes peuvent être touchés par la précarité alimentaire. Les acteurs rencontrés témoignent alors de leur difficulté à faire participer les agriculteurs locaux aux démarches de lutte contre la précarité alimentaire, en particulier parce que les maraîchers ont souvent déjà leurs débouchés et ne disposent pas de surplus. La faible participation des agriculteurs locaux aux démarches de lutte contre la précarité alimentaire constitue de plus un frein à l’amélioration de la qualité nutritionnelle des produits alimentaires fournis par les initiatives de lutte contre la précarité alimentaire à l’échelle départementale, dans la mesure où plusieurs acteurs disent manquer de certains produits, en particulier les fruits et les légumes, ou encore les produits carnés, et critiquent également la mauvaise qualité nutritionnelle de certains produits distribués.

38Le deuxième marqueur de la fragilité de la démocratie alimentaire en Creuse est la difficulté pour les acteurs impliqués dans la lutte contre la précarité alimentaire à élaborer une stratégie territoriale cohérente transparente (Michel et al., 2022), avec une orientation commune (Hassanein, 2008). C’est ce que révèle l’exemple du Projet Alimentaire Territorial (PAT) déployé à l’échelle départementale, qui affiche pourtant un volet social. Si le PAT est porté par l’Agence d’Aménagement et d’Attractivité de la Creuse depuis 2019, et s’il bénéficie depuis 2022 du soutien des collectivités, sa structuration est marquée par des liens faibles entre l’Agence d’Aménagement et d’Attractivité, les services sociaux du département et les associations d’aide alimentaire, et par une instabilité interne. En particulier, l’analyse des entretiens avec les acteurs de l’action sociale, de l’aide alimentaire, et du monde agricole, révèle que le PAT ne constitue pas un levier favorisant les coopérations à l’échelle territoriale, dans la mesure où très peu d’acteurs rencontrés portent des démarches communes avec le PAT. A titre d’exemple, les associations locales témoignent ne pas avoir mis en place de partenariat avec le PAT, en dehors de la participation à quelques réunions. D’autres structures soulignent le manque de communication, de partage d’informations, et regrettent le manque d’implication du Département dans le PAT. En complément, les actions portées par le PAT en matière d’accessibilité sociale à l’alimentation étaient encore peu développées au moment de la réalisation de l’enquête, en dépit de l’existence d’un diagnostic de précarité alimentaire réalisé par le CPIE en 2022 et de l’affichage d’un volet social. Or, les entretiens pointent que le volet social apparaît peu décliné dans une orientation collective et dans des actions concrètes, au profit d’une vocation économique choisie au démarrage, se focalisant sur la restauration collective, sans approfondir les enjeux sociaux associés à l’alimentation, en dépit de la crise sanitaire de 2020 et du contexte d’inflation qui a suivi :

« L’angle qui a été choisi par les porteurs est l’axe économique, en disant qu’il y avait un potentiel de développement, que la plupart de la valeur ajoutée quittait le territoire, que les agriculteurs n’arrivaient pas à vivre de leurs revenus, que les cantines dépensaient beaucoup d’argent et que rien n’allait au territoire. (…) Tout l’aspect social et environnemental est encore à construire » (entretien n°2).

39Ainsi, si des actions sont portées en Creuse afin de lutter contre la précarité alimentaire, elles ne sont pas encore suffisamment intégrées et coordonnées dans le cadre d’une politique alimentaire transversale au niveau départemental. En ce sens, les actions déployées sont marquées par un manque d’articulation et de coopération multi-scalaire, processus pourtant identifiés par la littérature comme des leviers en matière d’amélioration de l’accès à l’alimentation sur les territoire (Banzo et al., 2022; López-García et al., 2024). Le manque de vision transformative commune visant la durabilité sociale à l’échelle territoriale peut ainsi constituer un frein à la transformation des systèmes alimentaires et au déploiement d’actions efficaces au regard des enjeux de précarité alimentaire (Michel et al., 2022 ; Hassanein, 2008). C’est ce que confirment les entretiens. En effet, les acteurs rencontrés soulignent que le manque de coordination au niveau départemental fragilise leur capacité à construire une vision cohérente des territoires les plus vulnérables et des actions déjà conduites, en raison de l’insuffisante circulation des informations :

« Parmi nos difficultés, il y a le manque de coordination entre les acteurs, on ne sait pas tout ce qui se fait. (…) Et c’est un vrai frein parce qu’il y a plein d’actions qui existent et qui ne sont pas financées et qui pourtant sont très pertinentes, mais comme elles ne sont pas visibles, il n’y a pas moyen de les coordonner. Il manque un vrai maillage de l’existant, une vision globale du territoire, une cartographie » (Entretien n°1).

40En conséquence, les acteurs rencontrés soulignent que les démarches engagées, en dépit de leur caractère collectif pour certaines, peinent à toucher certaines populations en situation de précarité, en particulier les personnes âgées non motorisées, ou encore des populations qui demeurent indétectables et qui ne bénéficient pas des initiatives :

« Il y a un public qui n’est pas touché parce qu’il est éloigné des centres, il n’a pas de moyen de locomotion et en Creuse les transports en commun ça n’existe pas. Et ensuite, il y a aussi le fait que c’est pas facile de venir aux Restos du Cœur, une fois qu’on y est si on est bien accueilli, mais le premier pas c’est pas facile » (Entretien n°15).

Conclusion

41L’étude des actions déployées afin de lutter contre la précarité alimentaire en Creuse souligne finalement que l’élargissement de la démocratie alimentaire, via plus de participation, de collaboration et d’échanges entre les acteurs impliqués, dont les bénéficiaires de l’aide alimentaire et plus largement les citoyens, constitue, d’après les acteurs, un levier pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la précarité alimentaire rurale. Toutefois, nos résultats montrent l’insuffisance d’un élargissement démocratique réalisé dans le cadre de démarches isolées non coordonnées au niveau territorial dans le cadre d’une politique alimentaire locale transversale visant la durabilité sociale des systèmes alimentaires (Hassanein, 2008 ; Michel et al., 2022). Si la justice procédurale, à travers des processus de décision inclusifs, transparents, visant à ne pas renforcer les inégalités, constitue un critère essentiel pour la transformation des systèmes alimentaires dans une perspective de transition durable et juste (Tribaldos et Kortetmäki, 2022), les évolutions procédurales ne sauraient se situer uniquement à des niveaux individuels, de façon cloisonnée, et être portées par certains acteurs uniquement (Zurek et al., 2022). La capacité des systèmes alimentaires à supporter l’engagement collectif des acteurs, dont les citoyens les plus précaires, dans des démarches collectives en faveur du renforcement des capacités constitue un autre critère essentiel des transitions des systèmes alimentaires vers plus de durabilité et de justice sociale et environnementale (Hebinck et al., 2021; Tribaldos et Kortetmäki, 2022), et pose la question du rôle des politiques publiques dans les transitions.

42Dans la continuité des travaux et des débats associés aux facteurs de transformation des pratiques alimentaires (Lardon et Loudiyi, 2014 ; Dubuisson-Quellier, 2016 ; Chiffoleau et al., 2017), les travaux récents sur la territorialisation et l’écologisation des systèmes alimentaires mettent en évidence que si l’action publique ne constitue pas le seul levier pour la transformation, elle peut néanmoins favoriser les interactions entre acteurs des systèmes alimentaires et améliorer en particulier la participation des acteurs alternatifs aux arènes de gouvernance alimentaire, qui constitue une clé pour la rencontre entre action publique et dynamiques sociales alternatives et pour l’inscription d’un référentiel agricole et alimentaire dans les politiques publiques contribuant à la territorialisation de l’alimentation (Lailliau et al., 2022 ; Tuscano, 2022).

43Si la mise en place d’une action publique locale en faveur de la durabilité sociale des systèmes alimentaires fondée sur la rencontre entre action publique et acteurs de terrain soulève de nombreux défis (désectorialisation des politiques publiques, participation effective des acteurs à la gouvernance alimentaire, dilution de la radicalité des positionnements…) (Corade et al., 2021), pour autant, la prise en compte des enjeux d’accès à l’alimentation de qualité pour tous et toutes peut être une opportunité pour certains échelons intermédiaires de l’action publique, comme les départements à la fois dotés d’une compétence sociale et dont l’existence institutionnelle est remise en question régulièrement, pour conduire une politique alimentaire intégrée en faveur de la justice sociale (Lailliau, 2024). Notre étude contribue à ces débats, en soulignant la demande de la part des acteurs locaux impliqués dans la lutte contre la précarité alimentaire vis-à-vis d’une politique alimentaire locale à vocation sociale, tels que les Projets Alimentaires de Territoire, pour améliorer la visibilité des enjeux, des acteurs, et des démarches existantes, renforçant participation, coopérations et connaissances, et donc la démocratie alimentaire locale, afin de lutter plus efficacement contre la précarité alimentaire rurale.

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Notes

1 La sécurité alimentaire peut être définie comme la situation dans laquelle tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (définition convenue lors du Sommet mondial de l’alimentation en 1996).

2 L’alimentation durable peut être définie comme un ensemble de pratiques et de choix alimentaires « qui respectent une série de critères environnementaux (économie d’énergie, préservation de la biodiversité...), éthiques (accessibilité́ pour tous à une nourriture de qualité, rémunération équitable des producteurs, respect des animaux...), de santé (alimentation saine et équilibrée) » (Redlingshöfer, 2006).

3 Le concept de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) s’est développé en France en s’inspirant du fonctionnement du régime général la sécurité sociale de la santé française mis en place en 1946. Les réflexions ont conduit à l’élaboration d’un socle commun pour la mise en place d’expérimentations autour de l’universalité de l’accès à alimentation de qualité, le conventionnement des professionnels réalisé par des caisses gérées démocratiquement et le financement par la création d’une cotisation sociale.

4 Un individu est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. En France et en Europe, le seuil est fixé à 60 % du niveau de vie médian (INSEE 2021).

5 Un bassin fragile est un système géographique marqué par une faible stabilité à court ou moyen terme, avec une forte dépendance de facteurs extérieurs peu territorialisés et non susceptibles d’être influencés par le fonctionnement des systèmes locaux (Couturier, 2007).

6 Le CPIE de la Creuse, créé en 2002, développe des actions afin de protéger la biodiversité et le patrimoine naturel creusois. Dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial mis en place en 2019 porté par l’Agence d’Aménagement et d’Attractivité, le CPIE a conduit une étude sur la précarité alimentaire et le développement des circuits courts en Creuse, dans la perspective du développement du volet social du PAT.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Carte de la ruralité en Creuse
Crédits Données : INSEE - DT2022-18. Réalisation : Giustiniani, 2023
URL http://journals.openedition.org/geocarrefour/docannexe/image/24289/img-1.png
Fichier image/png, 1,0M
Titre Figure 2. Carte de la distance au supermarché ou supérette la plus proche
Crédits Données : SIRENE et Open Street Map. Traitement : QGIS. Réalisation : Giustiniani 2023
URL http://journals.openedition.org/geocarrefour/docannexe/image/24289/img-2.png
Fichier image/png, 2,6M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Margaux Alarcon, Nathalie Corade et Léa Gustiniani, « Lutter contre la précarité alimentaire dans les espaces ruraux : vers des pratiques en faveur de la démocratie alimentaire ? Le cas de la Creuse (France) »Géocarrefour [En ligne], 98/2 | 2024, mis en ligne le 04 avril 2025, consulté le 29 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/24289 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ou3

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Auteurs

Margaux Alarcon

Bordeaux Sciences Agro, INRAE UR ETTIS

Nathalie Corade

Bordeaux Sciences Agro, INRAE UR ETTIS

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Léa Gustiniani

Bordeaux Sciences Agro

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Droits d’auteur

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