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Les villes intermédiaires à l’épreuve de la transition socioécologique : synthèse issue d’une revue de cadrage et leçons tirées

Valérie Lacombe et Juste Rajaonson

Résumés

Cet article explore à travers une revue de cadrage les défis et les opportunités de la transition socioécologique dans les villes intermédiaires, situées à l’interface entre les métropoles et les communautés rurales. L’analyse s’articule autour de trois axes principaux : la reconnexion équitable des milieux urbanisés à la nature, la restructuration de la gouvernance urbaine et la promotion d’innovations diversifiées. Même si la plupart des éléments de cette transition sont communs aux villes en général, ceux observés dans les villes intermédiaires prennent une ampleur spécifique en raison des facteurs qui les caractérisent. Ces spécificités incluent une gestion plus complexe des zones tampons écologiques entre les zones urbaines et rurales, une intégration plus exigeante des politiques de développement urbain avec les pratiques agricoles et de conservation, et une adaptation des innovations à la dualité de leur contexte urbain-rural.

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Texte intégral

Introduction

1La transition socioécologique est une réponse aux défis actuels du changement climatique qui se manifestent par des perturbations écologiques de plus en plus fréquentes, accompagnées de crises socioéconomiques affectant de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables (IPCC, 2023). Elle renvoie à des transformations dans de nombreux domaines comme la mobilité, l’occupation des territoires, la production et la consommation d’énergie et la production alimentaire, et ce, à diverses échelles d’intervention (Köhler et al., 2019 ; Kreinin, 2020 ; Wittmayer et al., 2014).

2Les villes constituent une échelle importante dans cette transition. En raison de leur champ d’action, leurs compétences et leur proximité avec les citoyens, elles ont le pouvoir de revitaliser les liens entre les milieux de vie devenus fortement artificialisés et la nature, de créer des institutions adaptées aux défis propres à chaque localité et d’établir des partenariats efficaces avec diverses parties prenantes pour stimuler l’innovation (Angelo et Wachsmuth, 2020).

3Toutefois, l’intégration de ces ambitions dans les politiques publiques est confrontée à des verrous dans les systèmes sociotechniques (Audet, 2015). Dans un contexte urbain, ce verrouillage se manifeste, par exemple, dans la difficulté de redéfinir des plans d’urbanisme pour intégrer des principes de sobriété et de durabilité lorsque les infrastructures et les réglementations en vigueur favorisent le développement dense et continu des zones bâties.

4En plus de ces défis, la diversité des contextes urbains multiplie les formes que prend la transition socioécologique. Dans les métropoles par exemple, les paysages artificialisés, la congestion routière et la densité démographique influencent les initiatives privilégiées. Parmi ces initiatives, on retrouve des projets de déminéralisation et de verdissement visant à améliorer la capacité urbaine d’adaptation au changement climatique. D’importantes ressources y sont également mobilisées pour promouvoir les transports collectifs et actifs dans le but de réduire la dépendance des citadins à l’automobile. De nombreuses mesures sont aussi mises en place pour gérer efficacement les quantités importantes de matières résiduelles qui y sont générées (Gaudin, 2013 ; Hartt et Hollander, 2018). À travers leurs efforts, les métropoles doivent aussi s’assurer de répartir les initiatives de manière juste et équitable sur l’ensemble de leur territoire. À l’autre extrémité de la hiérarchie urbaine, les communautés rurales, surtout lorsqu’elles se situent en périphérie de régions économiquement dynamiques, sont souvent exposées à des défis liés à l’optimisation des services publics et des infrastructures pour une population vieillissante, de faible densité et en décroissance (Levesque et al., 2016 ; Rajaonson et al., 2024).

5Les villes intermédiaires demeurent quant à elles peu étudiées de manière explicite, en partie parce qu’elles forment difficilement un groupe homogène sur le plan démographique et socioéconomique (Baysse-Lainé et al., 2018). En Amérique du Nord et en Europe, par exemple, la population de ces villes peut varier de 10 000 à 150 000 habitants, rendant difficile de les définir strictement sur la base de la taille de population (OCDE et UN Habitat, 2022). Par contre, elles se distinguent généralement par leur localisation stratégique entre les métropoles et les zones rurales, ainsi que par leur fonction de pôles économiques ou de centres administratifs importants pour les communautés rurales et les petites agglomérations environnantes (OCDE et UN Habitat, 2022). C’est cet aspect des villes intermédiaires que nous considérons dans cet article.

6À travers une revue de cadrage, nous nous proposons d’explorer les défis et les opportunités de la transition socioécologique dans le contexte des villes intermédiaires, en examinant comment cette transition s’y manifeste et quelles en sont les implications. Nous débutons par une mise en contexte de la transition socioécologique pour introduire un cadre analytique qui permet de caractériser les enjeux urbains, y compris ceux des villes intermédiaires. Ce cadre, adapté des travaux de Abson et al. (2017), englobe trois dimensions que nous détaillerons ultérieurement : la reconnexion équitable des milieux urbanisés à la nature, la restructuration de la gouvernance urbaine, et les innovations diverses. Après avoir présenté la méthodologie de l’étude, nous exposerons nos principaux constats selon ces trois dimensions dans la section 3 et tirerons quelques leçons sur les villes intermédiaires dans la conclusion.

1. Transition socioécologique et villes intermédiaires

7L’étude des villes intermédiaires proposée dans cet article repose sur trois contextes interdépendants : le passage de la transition écologique à la transition socioécologique et sociotechnique dans les études sur la durabilité afin d’englober des préoccupations sociétales et des changements systémiques plus larges que l’environnement (section 1.1), la territorialisation de cette transition (section 1.2) et les implications de cette territorialisation pour les villes (section 1.3). Cette mise en contexte sert d’introduction au cadre d’analyse présenté à la section 1.4.

1.1. De la transition écologique à la transition socioécologique et sociotechnique

8Depuis une dizaine d’années, les études sur la durabilité ont privilégié la notion de transition socioécologique, évoluant ainsi de la transition écologique initialement centrée sur des actions environnementales comme la conservation de la biodiversité, la gestion plus durable des ressources et la réduction de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre (Laigle, 2013). Ce passage vers une approche plus holistique a été stimulé par une prise de conscience accrue de l’interconnexion entre les problèmes environnementaux et leurs origines et impacts qui sont fondamentalement sociétaux (Laigle, 2013 ; Rugiero, 2022).

9La transition socioécologique met donc en lumière la nécessité d’aller au-delà des ajustements environnementaux pour englober également des changements nécessaires dans les domaines humain et social. Bien que ses définitions varient selon les disciplines, elle est généralement conçue comme un processus intégré qui favorise la durabilité par des transformations systémiques et intersectorielles, en veillant à ce qu’elles soient équitables et inclusives pour toutes les strates de population (Temper et al., 2018).

10Parallèlement, plusieurs perspectives de cette transition ont émergé, dont la perspective sociotechnique (Geels et Schot, 2007 ; Smith et Stirling, 2010). En dépit de nombreuses définitions, cette dernière peut être comprise comme une composante de la transition socioécologique qui se concentre sur les transformations nécessaires des systèmes techniques et des infrastructures, ainsi que des institutions qui les régulent, en réponse aux enjeux de durabilité (Smith et Stirling, 2010).

11Dans une perspective sociotechnique, la transition socioécologique cible les régimes sociotechniques, qui représentent des configurations stables de relations entre différents acteurs sociaux, leurs pratiques, et les technologies qu’ils utilisent (Köhler et al., 2019). Ces régimes, soutenus par des règles et des pratiques institutionnalisées, résistent généralement au changement, en raison de leur inertie intrinsèque et de leurs intérêts déjà établis. Cependant, des changements significatifs peuvent se produire lorsqu’ils sont initiés de l’intérieur de ces régimes (Audet, 2015). Ce constat renvoie aux travaux de Geels (2002) qui décrit les mécanismes de transition socioécologique suivant une approche multiniveaux où les innovations, qu’elles concernent la technologie, le comportement ou les institutions, émergent dans des « niches » préservées. Ces niches, souvent situées en périphérie des systèmes établis, servent de lieux d’expérimentation et de contestation. Pour que ces innovations nichées puissent réellement influencer le régime à un niveau plus global, elles sont soutenues et amplifiées par des forces plus larges, souvent désignées comme des changements au niveau du « paysage », pouvant prendre la forme de crises économiques, de changements sociopolitiques ou d’événements environnementaux majeurs (Audet, 2015 ; Mundler et Boulianne, 2022).

1.2. De la transition socioécologique à sa territorialisation

12Cette double perspective de la transition socioécologique décrite précédemment ne se manifeste pas de manière uniforme sur tous les territoires. Les variations sont tributaires des spécificités de chaque territoire qui définissent et nuancent la nature et l’intensité des transitions (Durand et al., 2022 ; Köhler et al., 2019). C’est ce que l’on désigne ici par la territorialisation de la transition socioécologique. Ces spécificités peuvent être géographiques, sociopolitiques ou économiques et elles jouent un rôle important dans la façon dont les transitions sont perçues et mises en œuvre. À titre illustratif, les politiques publiques de chaque échelon territorial façonnent activement le cadre des démarches de transition à travers des mécanismes de gouvernance, des stimulants économiques et des normes sociales qui dirigent et influencent les initiatives des acteurs locaux (Hölscher et Frantzeskaki, 2021).

13Toutefois, cette territorialisation ne se réduit pas à une simple application spatialisée des principes d’interaction entre les niches, les régimes sociotechniques et le paysage tels que définis par Geels (2002). Elle nécessite une compréhension approfondie des défis et enjeux spécifiques à chaque territoire qui peuvent englober des tensions socioculturelles, des problématiques environnementales propres à une région, ou des impératifs économiques distincts (Webb et al., 2018). Ces défis et enjeux servent de catalyseur pour l’innovation, car ils imposent aux acteurs locaux de développer des solutions adaptées qui répondent efficacement à leurs contextes.

14Dans ce contexte territorialisé, l’approche du « transition management » proposée par Frantzeskaki (2022) et Rotmans et al. (2001) se révèle pertinente. Au lieu de se limiter à la simple reconnaissance des systèmes sociotechniques existants, le « transition management » met l’accent sur le processus de transformation en tant que tel. Il valorise le rôle prééminent des acteurs locaux, leurs interactions, leurs réseaux sociaux et leurs aspirations dans la dynamique de transition. Il examine la manière dont ces différents acteurs collaborent, comment leurs interactions mutuelles évoluent avec le temps, et comment, collectivement, ils sont à même de peser sur les décisions et les actions transitionnelles (Loorbach, 2010). La territorialisation de la transition socioécologique se présente ainsi comme un mécanisme en perpétuelle évolution, influencé par les acteurs, les situations et les défis spécifiques à chaque territoire (Boutaud et Jury, 2012 ; Köhler et al., 2019 ; Ollivier et al., 2018).

1.3. Implications de la territorialisation pour les milieux urbains

15En études urbaines, la territorialisation de la transition socioécologique a fait l’objet d’une littérature abondante montrant comment les initiatives sous-jacentes sont contextualisées en fonction de réalités et de besoins urbains (Zhang, 2016 ; Verma et Raghubanshi, 2018). Cependant, comme le soulignent Luederitz et al. (2015), les nuances quant à la manière dont les opportunités et les défis varient selon des facteurs comme la taille démographique des villes, leur position dans la hiérarchie urbaine nationale ou leurs fonctions principales demeurent à ce jour peu documentées de manière explicite.

16À ce sujet, le cas des villes intermédiaires est un bon exemple. Comme définies en introduction, celles-ci sont généralement situées entre les métropoles et les zones rurales, et occupent ainsi une place stratégique dans le tissu urbain national indépendamment de leur taille démographique, en agissant comme des pôles économiques ou des centres administratifs intermédiaires. En principe, cette position facilite les interactions et les flux entre différentes zones urbaines et rurales. Cependant, elle induit également une dynamique particulière, car elle place les villes intermédiaires dans une position où elles doivent à la fois saisir les opportunités économiques qu’offrent les métropoles voisines tout en tenant compte des besoins et aspirations des milieux ruraux qu’elles desservent (Baysse-Lainé et al., 2018). Par exemple, alors que de nombreuses métropoles se focalisent surtout sur des projets d’urbanisme vert comme la création de grands parcs urbains ou l’aménagement de toits végétalisés pour répondre à leurs défis de pollution de l’air et d’artificialisation de leur périmètre habité (Menon et Sharma, 2021), les villes intermédiaires auraient plutôt un intérêt à orienter davantage leurs efforts vers des priorités alignées à leur proximité au marché des métropoles et à leurs liens étroits avec les régions rurales avoisinantes, par exemple, à travers le développement de coopératives agricoles locales ou la promotion de l’agrotourisme (CGLU, 2013). De plus, leur position influence également les attentes de leurs résidents par rapport à cette transition. Entre autres, devant des défis de mobilité durable et d’approvisionnement alimentaire, les résidents des villes intermédiaires auraient tendance à exiger de leurs administrations locales des solutions hybrides, comme des infrastructures de transport combinant efficacement le covoiturage rural et les services de transport en commun urbain, ou des programmes d’approvisionnement en nourriture qui favorisent les producteurs locaux (Caron et al., 2020).

17Ces particularités des villes intermédiaires sont, à notre connaissance, relativement peu documentées de manière explicite dans la littérature puisqu’une grande partie de la recherche sur la durabilité et la transition socioécologique urbaine se concentre surtout sur les grandes métropoles (Verma et Raghubanshi, 2018). Bien que ces études aient permis de faire émerger de nombreux modèles et bonnes pratiques urbaines riches en enseignements, les stratégies et les recommandations qu’elles apportent ne sont pas nécessairement directement transférables aux villes intermédiaires et leur application ne garantit pas des résultats similaires pour les raisons mentionnées précédemment. Dans ce contexte et à travers une revue de cadrage dont le cadre analytique est détaillé ci-dessous, cet article se propose d’apporter un éclairage sur le cas des villes intermédiaires.

1.4. Cadre d’analyse des défis et opportunités de la transition socioécologique dans les villes

18D’entrée de jeu, pour explorer les défis et les opportunités de la transition socioécologique en contexte urbain, nous nous sommes inspirés de l’étude de Abson et al. (2017) sur les leviers de transition socioécologique. Dans leur étude, les auteurs définissent trois leviers stratégiques pour la transition socioécologique : la reconnexion des communautés avec la nature, visant à intégrer une appréciation des interactions humain-nature dans la vie quotidienne ; la restructuration de la gouvernance pour répondre aux défaillances institutionnelles, favorisant l’apprentissage et la résilience face aux crises ; et l’innovation dans la production et l’utilisation des connaissances encourageant des approches collaboratives.

19Notre cadre d’analyse repose sur ces trois leviers que nous avons adaptés au contexte urbain. Cette contextualisation consiste à adopter une double perspective de la transition socioécologique discutée précédemment dans la section 1.1 et à mettre l’accent sur les contextes variés exposés dans les sections 1.2 et 1.3. Elle permet ainsi une lecture des actions ciblant la nature, les comportements humains et sociaux, les infrastructures ainsi que les institutions et la façon dont ces actions peuvent se renforcer mutuellement pour favoriser une transition plus systémique et équitable dans divers contextes urbains.

Reconnexion équitable des milieux urbanisés à la nature

20La dimension « reconnexion équitable des milieux urbanisés à la nature » permet de saisir comment les solutions fondées sur la nature – c’est-à-dire, les stratégies qui intègrent des éléments naturels et des processus écologiques dans la planification, la conception et la gestion des espaces urbains (Dorst et al., 2019) – sont instaurées et intégrées de manière équitable dans les milieux urbains. Cette dimension concerne les démarches de restauration et de renforcement de la présence de la nature dans les villes, en s’assurant que les bénéfices écologiques, comme l’amélioration de la biodiversité, de la qualité de l’air et de l’eau, ainsi que la réduction des impacts du changement climatique, soient accessibles à tous, particulièrement aux communautés les plus vulnérables (Wolch et al., 2014). Elle concerne également les bénéfices humains et sociaux, y compris l’amélioration de la santé mentale et physique, l’accroissement des espaces de loisirs et de socialisation et la promotion de l’inclusion sociale (Cohen-Cline et al., 2015).

Restructuration de la gouvernance urbaine

21La dimension « restructuration de la gouvernance urbaine » examine les transformations des cadres institutionnels régulant la vie urbaine dans une perspective de durabilité. Elle éclaire la manière dont ces cadres favorisent une participation active des citoyens aux réformes environnementales et aux processus décisionnels (Maiello et al., 2013). Elle met également en lumière comment une augmentation de la transparence et de l’imputabilité peut renforcer la confiance et l’engagement communautaire, garantissant que les politiques urbaines de durabilité reflètent les besoins diversifiés de la société (Strielkowski, 2022).

Innovations diverses

22La dimension « innovations diverses » permet de saisir la nature et la place des innovations technologiques et sociales dans les démarches de transition socioécologique urbaines. Elle examine le développement et la mise en œuvre de nouvelles technologies et pratiques sociales et comment celles-ci, souvent initiées dans des niches expérimentales, peuvent être adaptées et généralisées pour répondre aux défis des environnements urbains. Ces innovations peuvent se manifester de plusieurs manières. Sur le plan technologique, elles incluent, par exemple, l’utilisation de capteurs et d’outils d’analyse de données pour évaluer, suivre et gérer divers aspects de la vie urbaine comme la congestion, la consommation énergétique, ou la production de matières résiduelles (Errante et Capua, 2023). Sur le plan social, elles peuvent prendre la forme de nouvelles structures de gouvernance impliquant des parties prenantes diversifiées qui se distinguent par leur mission, leur approche ou les défis qu’elles cherchent à relever (Valette et al., 2022).

23Ce cadre en trois dimensions servira de lentille analytique à notre étude dont la méthodologie est détaillée ci-après.

2. Méthodologie

24La revue de cadrage (« scoping review ») proposée porte sur la transition socioécologique dans les villes intermédiaires. À la différence d’une revue systématique qui vise une exhaustivité lors de la compilation des publications sur un sujet, une revue de cadrage consiste à offrir une vue d’ensemble à partir d’une question, en identifiant des thèmes majeurs et des pistes de réflexion (Peters et al., 2021). Cette approche permet ainsi d’explorer des sources diverses sur les défis et les opportunités de la transition socioécologique urbaine, avec l’objectif d’offrir un éclairage sommaire sur les villes intermédiaires sans prétendre à l’exhaustivité.

2.1. Source de données

25Les publications examinées ont été collectées à partir de Scopus et Google Scholar suivant les critères décrits dans les sections suivantes. Ces deux moteurs de recherche ont été choisis en raison de leur large couverture disciplinaire en français et en anglais, langues maîtrisées par les auteurs. Scopus a été utilisée pour sa vaste collection de revues internationales et pour son système de référencement avec des fonctionnalités de filtrage, de recherches et de téléchargement avancées. Google Scholar a été mobilisé pour sa capacité à identifier une gamme plus large de publications, incluant des publications de Open Edition et de Cairn ainsi que des travaux moins conventionnels et des documents en libre accès. Cette combinaison Scopus-Google Scholar a permis d’élargir notre champ de recherche et d’intégrer des études qui auraient été omises à l’aide de Scopus seulement. L’ajout de ces écrits non universitaires permet, entre autres, de compléter les constats avec des expériences concrètes.

2.2. Identification et critères d’inclusion

26Trois critères d’inclusion décrits ci-dessous ont été utilisés : l’identification des publications à l’aide de mots-clés, la récence des publications et les langues utilisées.

27Premièrement, l’identification des publications est structurée autour de la combinaison des groupes de mots-clés suivants, appliqués aux titres et aux résumés des articles en français et aux mots-clés équivalents en anglais. Comme Google Scholar et Scopus permettent de capter automatiquement les formes dérivées et plurielles, nous avons préféré utiliser les mots exacts plutôt que la troncature :

  • ("villes intermédiaires" OU "villes de taille moyenne" OU "villes secondaires") pour préciser le type de villes étudiées ;

  • ET ("transition socio-écologique" OU "transition durable" OU "transition de durabilité" OU "transition écologique") pour cibler les divers aspects de la transition ;

  • ET (défis OU opportunités) pour identifier les principaux enjeux et avantages associés à la transition ;

  • Thèmes additionnels en lien avec les trois dimensions de notre analyse :

    • ("résilience urbaine" OU "infrastructure verte" OU "biodiversité urbaine", "durabilité environnementale" OU "adaptation au climat") pour saisir la dimension de reconnexion des milieux urbanisés à la nature ;

    • ("participation citoyenne" OU "gouvernance" OU "élaboration de politiques" OU "planification urbaine" OU "équité sociale ", "démocratie participative ") pour la dimension restructuration de la gouvernance urbaine ;

    • ("innovation sociale" OU "innovation urbaine", OU "éco-innovation" pour la dimension innovations diverses.

28Deuxièmement, nous avons restreint la recherche aux publications des dix dernières années. Bien que subjective, cette décision est cohérente avec le caractère relativement récent de l’évolution conceptuelle des études passant de la transition écologique à la transition socioécologique que nous expliquions dans la section 1. Cette limite temporelle nous permet par ailleurs de nous concentrer sur les démarches les plus récentes.

29Troisièmement, nous nous sommes limités aux publications en anglais et en français. Cette sélection repose sur les compétences linguistiques de notre équipe. Elle offre néanmoins un accès étendu aux recherches et discussions académiques internationales, étant donné que de nombreux chercheurs et organisations à travers le monde choisissent de publier dans ces deux langues pour atteindre un vaste public académique. À cette étape, 1 204 documents ont été identifiés.

2.3. Vérification et critères d’exclusion

30Après la collecte initiale, quatre critères d’exclusion ont été adoptés pour affiner la sélection et garantir la pertinence des documents retenus. Comme illustré à la Figure 1, nous avons tout d’abord éliminé les doublons basés sur les titres. Cette étape a permis de passer de 1 204 à 841 documents. Suite à quoi, nous avons écarté toutes les publications dont les textes complets n’étaient pas accessibles par le biais de nos droits d’accès institutionnels. Pour les publications restantes, nous avons lu les résumés pour confirmer leur pertinence au-delà de l’occurrence des mots-clés. Cette lecture des résumés permet de s’assurer que les documents sélectionnés contribuaient directement à l’objectif de notre étude et abordaient effectivement des aspects liés à la transition socioécologique, en adéquation avec les dimensions de notre cadre analytique. Enfin, pour les publications qui ont passé les étapes précédentes, une lecture plus approfondie de leur contenu a été réalisée afin de confirmer leur pertinence au-delà des indications fournies par les titres et les résumés. Nous avons particulièrement veillé à ce que les études se concentrent sur les villes plutôt que sur les organisations ou les industries urbaines et qu’elles traitent spécifiquement des défis et des opportunités liés aux villes intermédiaires dans leurs résultats, discussions ou conclusions. Au final, l’étude est basée sur 55 documents, dont 50 publications académiques et 5 non-académiques. La figure 1 synthétise le protocole ayant permis d’identifier les publications examinées.

Figure 1 Protocole de compilation des publications examinées

Figure 1 Protocole de compilation des publications examinées

2.4. Analyse

31Finalement, l’analyse des publications retenues a été réalisée sur NVivo en deux grandes étapes. Nous avons débuté avec une approche déductive, en organisant les documents selon qu’ils correspondaient à au moins une des trois dimensions du cadre d’analyse décrit précédemment. Cette étape a permis de structurer plus facilement l’étiquetage plus détaillé des documents. Par la suite, nous avons adopté une approche inductive, permettant aux thèmes d’émerger au fur et à mesure de l’analyse des contenus. Bien qu’elle introduise une part de subjectivité, ce passage à une exploration plus ouverte a facilité l’identification de thèmes émergents et le ciblage des défis et opportunités liés à la transition socioécologique dans les villes intermédiaires. Par ailleurs, nous avons décidé de ne pas procéder à une quantification de nos constats, car notre collecte n’est pas exhaustive, étant donné sa nature exploratoire. De plus, la comparaison entre les villes intermédiaires et les autres types de villes n’étant pas explicite dans les publications identifiées, nous avons préféré nous en tenir à une interprétation sommaire.

3. Résultats

32Les résultats sont organisés en deux sections, soit les éléments partagés par les villes en général (3.1) et ceux typiquement observés dans les villes intermédiaires (3.2).

3.1. Éléments convergents aux villes en général

33En se penchant sur le cas des villes intermédiaires, notre étude montre surtout qu’une grande partie des aspects de la transition socioécologique urbaine sont communs aux villes en général, et ce, dans les trois dimensions de notre analyse. Comme nous le verrons ci-après, cette convergence se traduit par une certaine similarité dans les défis et les approches de transition urbaine. La nature exploratoire de l’étude ne permet toutefois pas d’établir si une dimension présente davantage de convergences que les autres.

Reconnexion des milieux urbanisés à la nature

34Tout d’abord, concernant la reconnexion des milieux urbanisés à la nature, des tendances convergentes visant à intégrer davantage d’éléments naturels dans le tissu urbain se dégagent. Les solutions fondées sur la nature sont généralement mises en avant pour relever les défis liés à la biodiversité et au climat, deux préoccupations de plus en plus prégnantes dans les villes. Par exemple, la préservation des milieux naturels et humides est souvent préconisée pour fournir des habitats à la faune et contribuer à réduire les risques d’inondation. L’implantation de corridors verts est promue pour faciliter la mobilité des espèces entre différents habitats à travers la ville dans une perspective de reconnecter les milieux urbanisés à la nature (Brachet, 2020 ; Di Pietro et al., 2021 ; Seidl, 2022). Cette reconnexion des milieux urbanisés à la nature se traduit également par une volonté générale de repenser l’expérience de la nature en ville et de promouvoir un développement urbain accordant une place plus importante à la nature (Abson et al., 2017 ; Olszewska et Tawil, 2020). Ainsi, les projets d’expansion des espaces verts, de restauration des habitats naturels urbains et de développement d’infrastructures vertes sont généralement mis en avant avec une sensibilité grandissante pour l’amélioration équitable de la qualité de vie des résidents (CGLU, 2013 ; Webb et al., 2018). Ces démarches s’accompagnent généralement de campagnes de sensibilisation aux enjeux environnementaux, à la préservation de la nature et à la valorisation des savoirs traditionnels dans une perspective socio-écologique (Duffaut et al., 2022 ; Webb et al., 2018 ; Zellner et al., 2023).

35Malgré ces nombreuses opportunités, plusieurs défis subsistent. En contexte urbain en général, les risques environnementaux sont souvent mal compris et mal évalués en raison de leur complexité et de la disponibilité de données qui peut varier d’une ville à l’autre.

36À ce sujet, bien que les notions d’équité, d’inclusion et de justice environnementale soient fréquemment évoquées, leur mise en œuvre s’avère complexe. Cette difficulté est partiellement due aux défis associés au manque de données précises et à la complexité de traduire ces concepts en actions concrètes (Xu et al., 2022). De plus, il est souvent difficile de mesurer les impacts de ces actions, qui sont principalement qualitatifs (Xu et al., 2022).

37Enfin, les perturbations fréquentes des écosystèmes dues au changement climatique nécessitent que les responsables municipaux adoptent désormais une approche préventive. À la différence d’autres types de territoires comme les zones forestières où une telle approche est généralement courante, les autorités urbaines ne sont souvent pas suffisamment préparées à intégrer ces pratiques dans leur gestion quotidienne (Chan et al., 2020). Une telle approche exige notamment de leur part de mieux comprendre les perceptions et interactions des habitants avec la nature, ce qui leur permettrait d’influencer positivement les comportements environnementaux, une tâche qui touche autant à la psychologie qu’à la sociologie (Abson et al., 2017). Enfin, l’adoption de solutions fondées sur la nature demande une gestion intégrée amenant les responsables des villes à redoubler d’efforts pour équilibrer les actions environnementales envisagées avec les besoins et attentes des citoyens plus qu’auparavant. Ces solutions nécessitent une communication efficace et une participation active de la communauté pour s’assurer que les mesures prises sont à la fois écologiquement bénéfiques et socialement acceptables (Boutaud et Jury, 2012 ; Douiller et al., 2020 ; Ivanova, 2020).

Restructuration de la gouvernance urbaine

38Au chapitre de la restructuration de la gouvernance, bien que les mécanismes ne soient pas spécifiques au contexte urbain, leur manifestation y présente des particularités. Dans les villes en général, les pressions liées à la densification, à la complexité des infrastructures et aux besoins variés des populations influencent les transformations des cadres institutionnels en contexte de transition, même si l’intensité de ces pressions peut varier d’une ville à l’autre (Chan et al., 2020 ; Duffaut et al., 2022). Ces pressions remettent en question les régimes existants et influencent les changements dans les politiques, les normes sociales et la demande de services urbains (Audet, 2015 ; Chan et al., 2020). Selon Burch (2010), la restructuration des institutions suit un modèle ponctué, où un choc violent dans le contexte urbain, comme une crise environnementale ou sociale, entraîne des réorientations, à condition que des trajectoires aient été préalablement établies.

39Cette restructuration se manifeste généralement à trois niveaux : 1) à partir de l’élaboration d’une vision plus systémique adaptée aux dynamiques urbaines, permettant ainsi une compréhension globale des enjeux complexes de la ville et facilitant la prise de décision adaptative (Chan et al., 2020 ; Webb et al., 2018) ; 2) à travers une réflexivité commune et collaborative qui permet de coordonner les efforts de divers acteurs urbains pour résoudre les problèmes de manière concertée (Audet, 2015) et 3) à travers le soutien aux niches – c’est-à-dire des initiatives innovantes à petite échelle qui peuvent être étendues dans le contexte urbain – ainsi que la sensibilisation, la formation et l’éducation des citoyens et des responsables municipaux sont cruciaux pour assurer une transition réussie (Duffaut et al., 2022).

40Des défis persistent sans toutefois être spécifiques au contexte urbain. Les mythes sociétaux contemporains et le verrouillage des systèmes sociotechniques demeurent prégnants et engendrent une certaine résistance aux changements nécessaires (Audet, 2015 ; Buclet, 2022). Le niveau variable de leadership et l’iniquité dans les rôles de pouvoir au sein des administrations urbaines compliquent également la mise en œuvre de nouvelles structures de gouvernance. Les cycles électoraux courts incitent souvent les élus urbains à privilégier des résultats immédiats, au détriment de la planification à long terme (Chan et al., 2020 ; Webb et al., 2018). Enfin, les divergences de perceptions parmi les différents acteurs urbains, exacerbées par la dualité des objectifs sociaux et écologiques de la transition socioécologique, ainsi que le manque de communication efficace sur les responsabilités et les objectifs, peuvent freiner les initiatives de restructuration institutionnelle (Abson et al., 2017).

Innovations diverses

41Concernant les innovations, celles-ci sont ancrées dans les démarches de transition socioécologique dans les villes. Elles reposent généralement sur la mobilisation, la diffusion et l’application de connaissances scientifiques axées sur la gestion des enjeux environnementaux et sociaux du développement urbain (Bulten et al., 2021 ; Kreinin, 2020 ; Wittmayer et al., 2014). Les démarches de transitions impliquent donc une collaboration transdisciplinaire croisant diverses valeurs, normes et préoccupations dans la perspective de développer des connaissances pratiques susceptibles d’orienter efficacement les décisions politiques (Abson et al., 2017 ; Bulten et al., 2021). Les tendances observées dans l’adoption des innovations en milieu urbain sont variées. Elles incluent le fait de favoriser la collaboration entre différentes disciplines pour promouvoir des initiatives écologiques cohérentes et intégrées (Bulten et al., 2021 ; Ivanova, 2020), d’appuyer les politiques et les pratiques sur des données probantes (Wittmayer et al., 2014), et d’intégrer une variété de perspectives, y compris celles des communautés locales et des autres parties prenantes, dans les processus d’innovation (Abson et al., 2017 ; Bulten et al., 2021).

42Par ailleurs, les innovations identifiées englobent des aspects sociaux et technologiques, comme dans d’autres contextes territoriaux non-urbains. D’un point de vue social, ces innovations comprennent l’adoption d’approches intégrées qui transcendent les silos administratifs au sein des administrations locales et entre différents niveaux de gouvernement (Bulten et al., 2021). Elles peuvent contribuer à renforcer des compétences à travers le développement et l’acquisition de connaissances, facilités par la collaboration avec des établissements de recherche (Wittmayer et al., 2014) et l’utilisation d’approches de recherche transdisciplinaires et collaboratives (Bulten et al., 2021). Subséquemment, les relations informelles qui se solidifient entre les acteurs apportent une certaine flexibilité nécessaire à l’innovation (Bouallag-Azoui, 2022), tandis que la pression pour obtenir du soutien à un niveau décisionnel supérieur et la levée de contraintes techniques par les acteurs de terrain encouragent également l’innovation dans les villes (Ivanova, 2020). Sur le plan technologique, les innovations identifiées répondent surtout aux besoins préventifs en matière d’environnement, de santé publique et de sécurité urbaine à travers l’emploi de systèmes de surveillance avancés (Krichen, 2021 ; Pachot et Patissier, 2022) et le développement d’outils analytiques qui facilitent la transition socioécologique face aux défis particuliers des villes (Bouallag-Azoui, 2022).

43Cependant, plusieurs défis existent en matière d’innovation urbaine. Parmi ces défis, figure le besoin de cohérence gouvernementale entre les différents niveaux décisionnels impliqués, étant donné que l’innovation ne relève pas exclusivement d’un seul palier de gouvernance. De plus, la gouvernance urbaine est souvent caractérisée par une fragmentation institutionnelle, où les entités opèrent traditionnellement par secteur d’activité (par exemple, services de l’eau, services des transports) et peinent à coordonner efficacement leurs actions face à des défis émergents dont les solutions exigent une approche multisectorielle ou l’adhésion d’une multitude de parties prenantes (Wamsler et al., 2014 ; Webb et al., 2018). Les silos disciplinaires entre les sciences naturelles, sociales et technologiques compliquent également la mise en œuvre des innovations, bien que cela ne soit pas spécifique aux villes (Wamsler et al., 2014). Enfin, il existe généralement une tension entre les modes de pensée radicale et incrémentale, avec des visions divergentes du développement entre ceux qui préconisent des changements radicaux et immédiats et ceux qui favorisent une approche plus graduelle et collaborative (Kreinin, 2020 ; OVSS et Collectif, 2022).

3.2. Éléments généralement observés dans les villes intermédiaires

44Avec cette prédominance des aspects convergents observés précédemment, peu d’éléments apparaissent spécifiques des villes intermédiaires, en partie parce qu’elles partagent parfois des intérêts communs avec les métropoles et d’autres fois avec les communautés rurales environnantes qu’elles desservent (Pietta & Tononi, 2021).

45Comme nous le verrons un peu plus loin, les éléments généralement observés dans les villes intermédiaires sont pour la plupart applicables à d’autres contextes urbains. En revanche, ils se manifestent de manière amplifiée ou atténuée, selon le cas, dans les villes intermédiaires en raison de différents facteurs qui les caractérisent. Entre autres, comme définie au début de l’article, leur localisation entre les métropoles et zones rurales amène des responsabilités et des défis particuliers en matière de coordination et de gestion des ressources et des politiques qui doivent répondre à la fois à des opportunités qu’offrent les métropoles voisines et aux besoins des communautés rurales environnantes (Dabson, 2019). Comme elles sont généralement plus grandes que les communautés rurales environnantes en termes de population et d’activités économiques, mais moins étendues que les métropoles voisines, la gestion des ressources et le développement des infrastructures y sont relativement complexes. De nombreuses villes intermédiaires connaissent une croissance démographique et économique rapide, nécessitant une adaptation agile des services et infrastructures (Peng et al., 2017). Cette croissance, couplée à une diversité de la population mêlant caractéristiques urbaines et rurales, requiert des politiques flexibles et innovantes. Contrairement aux métropoles, les villes intermédiaires disposent souvent de ressources limitées, tant en termes de budget que de compétences techniques, ce qui les pousse à développer des solutions créatives et économiquement viables pour répondre à leurs besoins de développement (Frantzeskaki & Bush, 2021). Leur proximité et leur dépendance vis-à-vis des zones rurales environnantes les obligent à intégrer les besoins et les potentialités de ces zones dans leur planification urbaine, favorisant ainsi des initiatives qui soutiennent à la fois le développement urbain et rural (IFAD, 2015 ; Steinberg, 2014).

46Ces facteurs les exposent donc davantage à certains défis tout en leur offrant plus d’opportunités pour expérimenter, et ce, à travers les trois dimensions détaillées ci-après.

Reconnexion des milieux urbanisés à la nature

47D’abord, au chapitre de la reconnexion des milieux urbanisés à la nature, de nombreuses villes intermédiaires doivent composer avec la gestion des zones tampons écologiques, c’est-à-dire des espaces de transition entre les zones urbaines et les zones naturelles ou agricoles, conçus pour protéger les écosystèmes sensibles des impacts du développement urbain tout en offrant des services écosystémiques aux habitants (Duan et al., 2021). Cette gestion implique notamment d’équilibrer le développement urbain et la conservation, une situation généralement moins courante pour les métropoles ou les petites localités (CGLU, 2013 ; Zellner et al., 2023). Contrairement à de nombreuses métropoles, surtout en Amérique du Nord, où le développement est vertical et plus compact, les villes intermédiaires s’exposent à des risques plus élevés d’empiéter sur des terrains agricoles ou naturels et de créer des conflits plus fréquents entre développement urbain et conservation des terres (Caron et al., 2020 ; Zellner et al., 2023). L’implantation d’infrastructures vertes implique par ailleurs de trouver un équilibre entre l’offre d’espaces de loisirs accessibles pour les populations provenant des métropoles et le maintien des connexions écologiques tout en respectant les ressources des zones rurales (Brachet, 2020 ; Di Pietro et al., 2021 ; Seidl, 2022).

Restructuration de la gouvernance urbaine

48Ensuite, au chapitre de la restructuration de la gouvernance urbaine, la transition socioécologique dans les villes intermédiaires implique surtout une gouvernance capable de naviguer entre les réalités urbaines et rurales sans toutefois une base de ressources financières et humaines aussi large que celle des métropoles ni la simplicité de gestion des administrations des communautés rurales. La nécessité de synchroniser les politiques de développement urbain avec les pratiques agricoles et de conservation des zones rurales adjacentes (Gaudin, 2013 ; Hartt et Hollander, 2018) requiert donc une réflexion sur des approches de gouvernance qui sont beaucoup plus sensibles aux spécificités locales ainsi qu’aux priorités et aux attentes à la fois des métropoles adjacentes et des communautés rurales environnantes (Childers et al., 2014 ; CGLU, 2022 ; Fontaine, 2014).

Innovations diverses

49Finalement, concernant les innovations diverses, quelques particularités ont été identifiées. Sur le plan des innovations technologiques, les villes intermédiaires, plus que les métropoles et les communautés rurales, doivent équilibrer l’adoption d’innovations qui sont suffisamment avancées pour stimuler la croissance urbaine, mais pas trop complexes ou coûteuses pour être maintenues avec des ressources limitées. Par exemple, ces villes peuvent avoir besoin de systèmes de gestion des eaux usées qui soutiennent à la fois les activités agricoles périurbaines et les besoins urbains sans l’infrastructure lourde nécessaire que l’on retrouve dans les grandes métropoles (Steinbert, 2014 ; Zellner et al., 2023). L’adaptation des innovations à double marché est également plus critique dans le contexte des villes intermédiaires par rapport aux métropoles et aux communautés rurales dans la mesure où les innovations doivent servir à la fois les marchés des grands centres urbains et des petites agglomérations urbaines desservies (CGLU, 2013 ; Fontaine, 2014).

50Cette dualité de marché influence aussi les innovations sociales. Par exemple, l’expérimentation de modèles de mobilité qui combinent les caractéristiques des services de transport urbain dense et des exigences de transport rural plus dispersé est prometteuse dans ces villes (Caron et al., 2020 ; Zellner et al., 2023). Enfin, la position stratégique des villes intermédiaires se prête également au développement de chaînes de valeur qui connectent les productions rurales avec les marchés urbains, favorisant des innovations dans la logistique, le stockage et la distribution qui sont spécifiquement adaptées aux besoins d’une économie intermédiaire (Birkmann et al., 2016 ; Zellner et al., 2023).

Tableau 1. Synthèse des constats

Dimensions

Éléments généralement convergents

Éléments généralement spécifiques aux villes intermédiaires

Références principales

Reconnexion des milieux urbanisés à la nature

Défis et opportunités liés au développement de solutions fondées sur la nature pour la biodiversité et le climat avec une sensibilité aux enjeux d’équité et d’inclusion sociales :

Préservation et restauration des milieux naturels et humides

Expansion des espaces verts et implantation de corridors verts

Développement d’infrastructures vertes

Défis

Gestion des zones tampons écologiques et risques d’empiétement sur les terrains agricoles ou naturels

Conflits entre développement urbain et conservation

Opportunités

Équilibre entre espaces de loisirs et connexions écologiques

Répondre aux besoins et potentialités des zones rurales

Abson et al. (2017) ; Boutaud et Jury (2012) ; Brachet (2020) ; Caron et al. (2020) ; CGLU (2013) ; Chan et al. (2020) ; Di Pietro et al. (2021) ; Douiller et al. (2020) ; Duffaut et al. (2022) ; Ivanova (2020) ; Olszewska et Tawil (2020) ; Seidl (2022) ; Webb et al. (2018) ; Zellner et al. (2023)

Restructuration de la gouvernance urbaine

Défis

Pressions de densification et infrastructures complexes, exacerbées par des cycles électoraux courts

Résistance aux changements due aux mythes sociétaux, systèmes verrouillés et divergences d’objectifs

Iniquité et variabilité du leadership, compliquant la gouvernance et la communication efficace

Opportunités

Élaboration d’une vision systémique pour comprendre et gérer les enjeux complexes

Fenêtre d’opportunité à collaborer entre divers acteurs urbains

Soutien aux initiatives innovantes à petite échelle

Ouverture des parties prenantes à la sensibilisation et l’éducation

Défis

Ressources financières et humaines limitées par rapport aux métropoles, mais avec des besoins complexes

Difficulté à synchroniser les politiques urbaines et rurales dans un contexte de transition socioécologique

Nécessité de naviguer entre les priorités divergentes des zones urbaines et rurales

Complexité accrue dans la gestion des administrations sans la simplicité des communautés rurales

Opportunités

Gouvernance sensible aux spécificités locales des villes intermédiaires

Synchronisation des politiques de développement urbain avec les pratiques agricoles et de conservation des zones rurales adjacentes

Réflexion sur les priorités et attentes des métropoles voisines et des communautés rurales environnantes

Gestion équilibrée des réalités urbaines et rurales, intégrant les avantages des deux contextes

Abson et al. (2017) ; Audet (2015) ; Buclet (2022) ; Burch (2010); Chan et al. (2020) ; Childers et al. (2014) ; CGLU (2022) ; Duffaut et al. (2022) ; Fontaine (2014) ; Gaudin (2013) ; Hartt et Hollander (2018) ; Webb et al. (2018)

Innovations diverses

Défis

Besoin de cohérence et coordination gouvernementale

Fragmentation institutionnelle et actions multisectorielles difficiles

Silos disciplinaires entre sciences naturelles, sociales et technologiques

Tension entre approches radicales et incrémentales du développement

Opportunités

Collaboration transdisciplinaire et inclusion des perspectives locales

Renforcement des compétences et flexibilité grâce à des relations solides

Utilisation de connaissances scientifiques et données probantes

Adoption de systèmes de surveillance avancés pour besoins préventifs

Défis et opportunités

Équilibre entre innovations avancées et coût de maintenance avec des ressources limitées

Systèmes de gestion des eaux usées adaptés aux besoins urbains et agricoles périurbains

Innovations à double marché pour servir à la fois les marchés urbains et ruraux

Développement de chaînes de valeur connectant productions rurales et marchés urbains

Abson et al. (2017) ; Birkmann et al. (2016) ; Bouallag-Azoui (2022) ; Bulten et al. (2021) ; Caron et al. (2020) ; CGLU (2013) ; Fontaine (2014) ; Ivanova (2020) ; Kreinin (2020) ; Krichen (2021) ; OVSS et Collectif (2022) ; Pachot et Patissier (2022) ; Wamsler et al. (2014) ; Webb et al. (2018) ; Wittmayer et al. (2014); Zellner et al. (2023)

Conclusion

51L’objectif de cette étude était d’explorer les enjeux liés à la transition socioécologique urbaine, en particulier dans le contexte des villes intermédiaires. En procédant à une revue de cadrage, nous avons cherché à identifier les tendances générales, ainsi que les opportunités et défis que représente la transition socioécologique pour ces villes.

52Nous en tirons trois principales conclusions. Tout d’abord, la plupart des enjeux de transition socioécologique identifiés ne sont pas propres aux villes intermédiaires. Par exemple, en matière de reconnexion équitable des milieux urbanisés à la nature, les diverses solutions fondées sur la nature sont généralement mises en avant pour leur capacité à améliorer la résilience urbaine tout en augmentant la qualité de vie de tous les citadins. De plus, la restructuration de la gouvernance urbaine, nécessaire pour répondre efficacement aux pressions de l’urbanisation et du changement climatique, se manifeste par des politiques de plus en plus intégratives, impliquant un large spectre d’acteurs et visant des approches plus holistiques. Enfin, les innovations sont au cœur des démarches urbaines de transition, se déployant tant sur les plans technologique et technique que social et stratégique.

53Néanmoins, en raison de leurs caractéristiques, les villes intermédiaires rencontrent des défis et des enjeux qui, bien qu’ils existent aussi ailleurs, se manifestent à des degrés qui y nécessitent des interventions spécifiques. Entre autres, elles doivent gérer des interfaces complexes qui requièrent un plus grand équilibre entre développement urbain et conservation des ressources naturelles. Les ressources limitées en termes de budget et de compétences techniques, par rapport aux besoins locaux caractérisés par une dualité urbanité-ruralité plus forte qu’ailleurs, poussent également ces villes à être plus créatives, par exemple pour développer des solutions de mobilité durable ou pour optimiser la gestion des matières résiduelles. Une gouvernance capable de naviguer dans cette dualité est cruciale, notamment pour synchroniser les politiques de développement urbain avec les pratiques agricoles et de conservation des zones rurales adjacentes.

54Par ailleurs, les perspectives présentées dans cette étude sur la transition socioécologique urbaine demeurent limitées en raison des caractéristiques intrinsèques d’une revue de cadrage et, pour cette raison, des recherches complémentaires sont indispensables. Parmi les pistes complémentaires, le rôle de liaison entre zones rurales, grandes métropoles et villes intermédiaires fait émerger des innovations sociales et technologiques particulières qui pourraient être analysées. Les solutions fondées sur la nature et leur impact sur le potentiel économique et la qualité de vie urbaine méritent également une attention accrue, car les implications des compromis entre la préservation de la nature et le développement urbain ne sont pas toujours claires. Finalement, l’établissement d’indicateurs de performance adaptés à divers types de villes pourrait optimiser la direction des efforts de transition et les villes intermédiaires offrent un riche terrain pour explorer cette possibilité.

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Titre Figure 1 Protocole de compilation des publications examinées
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Pour citer cet article

Référence électronique

Valérie Lacombe et Juste Rajaonson, « Les villes intermédiaires à l’épreuve de la transition socioécologique : synthèse issue d’une revue de cadrage et leçons tirées »Géocarrefour [En ligne], 98/3-4 | 2024, mis en ligne le 28 avril 2025, consulté le 17 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/24731 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13tpu

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Auteurs

Valérie Lacombe

Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal
lacombe.valerie.4[at]courrier.uqam.ca

Juste Rajaonson

Département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal
rajaonson.juste[at]uqam.ca.ca

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