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Châteaux, folies, parcs et bois marmenteaux : genèse, évolutions, place dans l’actuel projet de ville

L’exemple de Nancy
Jean-Pierre Husson

Résumés

Résidences d’été, « folies », parcs, bois ceints de murs sont des ornements urbains nés avec la ville ouverte des Lumières. Les emprises foncières créées puis héritées sont considérables. Leurs legs se prêtent bien à une analyse géo rétrospective en résonnance avec nos ambitions de ville coloriées, bariolées, vertes. L’article s’organise en trois points. D’abord l’énoncé de la diversité des créations et les sites occupés par rapport aux limites des villes au XVIIIe siècle. La démonstration s’appuie sur les plans concernant Nancy à l’époque des Lumières, en particulier le plan Mique de 1778. Ensuite, le rôle tenu par ces objets fonciers, patrimoniaux et ces morceaux de nature face à l’étalement urbain.  A quelle diversité de scénarios obéissent-ils ? Digestion, résistance, enclavement, disparition. Enfin l’actuel récupération de ces objets dans le cadre de nos envies de villes renaturées, fertiles, frugales.

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Texte intégral

1Aux XVIe et XVIIe siècles, la ville se distingue clairement du plat pays. Dans le dictionnaire de Furetière (1694), elle est « habitation d’un peuple assez nombreux qui est ordinairement fermé de murailles ». D’aspect insulaire, elle est fermée par un système bastionné sans cesse perfectionné. Sur ses marges, si les conditions topographiques s’y prêtent, elle entretient un hydro système de défense en capacité d’être dilaté si le danger s’affiche. Ce système génère un environnement à l’aspect hirsute, hostile, vague, terraqué ou humide. C’est la ville des vapeurs, la cité « fongique » (Guillerme, 1994, p. 148-185). L’urbain hérissé de clochers est replié derrière les douves, escarpes et contre-escarpes. Tout cela est traduit dans les plans et plans -reliefs, à l’arrière des bastions rasants. Ces travaux sont l’œuvre des géographes du Roi et des peintres védutistes (art pictural mettant en perspective et en scène le paysage urbain), en particulier Israël Silvestre (Gady, Trey, 2018). M. Roncayolo (1993, 28) nous rappelle que « sous le nom de ville s’accumule une somme d’expériences historique ». Le déploiement de la ville hors les murs participe à ces changements. La paix étant durablement revenue, la cité s’étale. Elle est de moins en moins sonnante, même si évêques, chanoines, abbés et congrégations sont de grands conducteurs de travaux dans la ville et sur ses marges. Elle perd son carcan de fortifications médiévales devenues obsolètes, inutiles, encombrantes. Désormais, la ville s’apprécie par son pouvoir de commandement et par la séduction qu’elle propose. Metz, comme d’autres villes positionnées sur le Pré carré fait exception. A partir de 1730, le gouverneur Belle-Isle et l’architecte militaire Cormontaigne entourent la ville d’un carcan de nouvelles fortifications.

2L’aménité des campagnes environnantes est reportée au-delà de la zone conservée dégagée pour faciliter la défense. Dans la campagne messine, châteaux et folies sont établis au-delà de l’espace non aedificandi. C’est le cas du château de Frescaty édifié pour l’évêque de Metz (Michel, 2002). Presque partout, la ville est digitée, prolongée par des faubourgs. Le temps des Lumières qualifié de « marée de nouveautés » (Poulot, 2000, p. 5) voit grandir la population urbaine (20 000 h. pour Nancy en 1738, 29 5000 en 1777). C’est également le temps de la nature citadine. A ce propos, Daniel Rabreau (2005, p. 13) fait le constat que les « Espaces plantés, promenades et jardins publics témoignent d’un nouvel art urbain ». Ce propos est confirmé par A. Audurier-Cros (2005) pour qui cette nature est « objet de désir des citadins, apparait progressivement reconquise et magnifiée hors les murs » (p. 177). Cette période de paix est favorable à l’utopie, aux projets citadins. S’affirme également la puissance de nouvelles élites : bourgeois éclairés, religieux bénéficiaires de prébendes, porteurs d’une charge dans un des Parlements de province, etc. Les villes nourries de la rente rurale et du dynamisme interne de leurs activités développent des chantiers intra urbains. On construit aussi en périphérie des cités, au-delà des lignes d’octroi, où maintes résidences d’été et folies (résidences bâties en marge de la ville pour se distraire, se divertir) servent à la villégiature. Ce siècle fait entrer la ville dans une phase de création, de production urbaine sans toutefois véritablement s’attaquer à fortement modifier le réseau médiéval hérité. L’urbanisme « frôleur » affecte les marges, projette des percées dans un environnement de campagnes nourricières de proximité. Jardins, potagers, vergers, houblonnières et chènevières disputent la place à la vigne qui est ornement des villes (R. Dion, 1934). Populaire (petits lopins travaillés à la houe), religieuse ou aristocratique (Husson, 2004, p. 83), cette culture occupe tous les espaces interstitiels, inconfortables, y compris jusqu’aux pieds des bastions (ADMMM C 197, à Nancy, vignes et houblonnières cernent le bastion de Salm). Pour Gaston Roupnel (1932), la construction d’une vigne est tout à la fois un ouvrage de zèle délicat et l’affaire de la soumission des lieux indociles (p. 174). Ainsi s’explique le positionnement de vignes sur les fortifications démembrées de Nancy (plan Belprey, 1756). En gommant son marquage défensif, la ville associe à son avenir des marges jusqu’alors délaissées. Pour Bernard Lepetit (1988, p. 11), l’espace citadin désincarcéré est à la fois un cadre, un objet, un sujet d’études, la ville étant « un phénomène total qui mêle tous les niveaux de la réalité : économique, social, politique, culturel ». La ville affichée, séductrice, verdie sur ses marges est souvent valorisée par sa mise en miroir dans son cours d’eau ourlé de promenades et mails, avec des allées d’arbres servant de cadre à la pratique du jeu du maillet apparenté au croquet. Les arbres font office de piquet qu’il faut toucher avec une boule pour progresser sur le circuit. La mise en scène ne se limite pas à la cité mais gagne les périphéries où, le contexte de sécurité aidant, sont érigées d’élégantes propriétés habitées à la belle saison, établies pour le plaisir, le repos, parfois la retraite contemplative. Dès lors, on quitte les embarras, le bruit voire la puanteur de la ville pour de courts déplacements. La distance reste le plus souvent faible entre, d’une part les hôtels urbains et d’autre part les « folies » et autres châteaux. A ce sujet, Michel Figeac (2006, p. 115) nous rappelle que « le langage commun des artistes régionaux était bien désormais celui de Blondel », autrement dit bâtir pour l’agreement, la qualité des moments passés en marge de la ville, « ses rues étroites et infectes » (Voltaire, Les embellissements, 1750). L’ensemble est fréquemment complété par une ferme, une basse-cour et un colombier qui rappelle le rang privilégié de son propriétaire. Les cahiers de doléances ont dénoncé ce privilège. En 1789, la récrimination contre les colombiers est une constante, tant ces oiseaux prélèvent sur les semis des champs emblavés.

3Ce sujet mérite d’être abordé en trois temps afin d’historiciser l’espace, de spatialiser les périodes avec les effets d’empilements qui s’y effectuent. Il relève d’abord d’une démarche géohistorique critique pour évoquer la genèse de ces lieux. Implantés en marge de la ville, châteaux, folies et parcs fossilisent pour longtemps les anciennes structures agraires (Prêcheur, 1953). Avec les étapes d’un étalement urbain d’abord lent puis accéléré, ces bornages à la croissance sont progressivement englobés, digérés par la croissance urbaine après avoir été des môles de résistance. La plongée dans les passés successifs est au service de la compréhension du continuum du vaste chantier de la ville à la fois rebâtie sur elle-même et étalée. Les passés empilés mobilisés sont reliés à l’actuel. S’y télescopent les données livrées par le terrain et nos lectures et interprétations des cartes anciennes, du premier cadastre et des autres archives. Ce préalable permet d’évoquer les scénarios d’évolution de ces sites isolés puis attaqués par la conquête urbaine, résistants ou gommés en fonction des stratégies foncières menées. L’actuel passage à une ville douce, verte, amène et fertile change notre perception de ces lieux qui répondent assez bien aux attentes du Grenelle 2 de l’Environnement, en particulier à la reconnaissance des trames vertes et bleues dans la ville. Nos édiles, les aménageurs et encore tous ceux qui œuvrent à faire fonctionner des réflexes de gouvernance urbaine sont unanimes à penser à effectuer l’inventaire de ces héritages à protéger et dont on doit améliorer l’efficacité par la mise en réseau.

I. Genèse des lieux : confronter les apports des cartes anciennes au terrain

4La genèse du sujet invite à associer, combiner, télescoper trois questions. L’importance d’historiciser l’espace concerne des espaces révolus ou parvenus jusqu’à nous dans des relations espaces/temps plurielles, pas nécessairement très longues (ici trois siècles), mobiles (résister ou être dépassé, submergé par la croissance urbaine), en tenant compte des événements, des tensions, des aléas. Cette démarche permet d’intégrer le décalage qui sépare nos approches de ces legs d’avec le raisonnement de ceux qui conçurent ces aménagements dans leurs fonctionnalités et attentes initiales. D’abord, c’était le souci d’afficher sa réussite dans des investissements financiers importants. Ensuite, la recherche d’un bonheur tranquille, ce que traduit par exemple madame Vigée-Lebrun dans ses portraits intimistes. Enfin, la sensibilité à la nature plaidée par Rousseau et son protecteur le marquis de Girardin. L’énoncé de ces legs montre la variété des contenus de ces créations aristocratiques situées dans la première auréole de croissance hors les murs de la ville : château, communs, parcs avec leurs terrasses étagées, pièces d‘eau et fontaines (par exemple le nymphée du château de Gerbéviller), relais de chasse, garennes, allées boisées, etc. Pour éclairer cette filiation, le croisement des archives et du terrain est concrétisé par des études de cas.

A. Géohistoire

5Château, folies et parcs sont des objets anciens, nés avec l’ouverture de la ville hors de ses murs. Ils ont accepté une trajectoire architecturale (masse, forme, couleur dans le paysage), historique et écosystémique spécifique qui en amène quelques-uns jusqu’au temps présent. Initialement situés sur les marges du tissu urbain, ils connaissent des réorientations ou récupérations récentes dans le cadre de l’aménagement verdi des villes. Dans ce cas précis, la géohistoire participe à la compréhension de l’actuel, le temps étant un terrain à construire (Grataloup, 2005, p. 33) afin de relier l’initial (les objectifs poursuivis par le constructeur), les couches de travaux et destructions ultérieurs, et encore ce qui reste : les legs.

6La dissémination de ces biens insérés dans le paysage historique est attestée sur les plans et cadastres anciens, également dans les tableaux, estampes, dessins. Jean-Baptiste Claudot (1733-1805) présente Nancy et son environnement (tableau du château de Ludres vendu comme bien national et démoli en 1794, tableau du château de Gentilly avec ses allées de buis, ses alignements de taupières, huile sur toile du château de Malzéville aujourd’hui inséré dans le tissu urbain). André Joly ((1706-1781) évoque ce qui fut érigé par Léopold puis Stanislas, nous faisant par exemple connaitre le parc disparu du jardin des Goulottes (doc. 3). Comparés avec l’actuel, ces sites mettent en avant les pérennités, opérations de résilience et bifurcations insérées dans des changements spatiaux majeurs : la construction de lotissements aux détriments de ces propriétés, les emprises logistiques tracées, les abandons d’un seul tenant. Chaque ville demeure une aventure collective spécifique. L’historien D. Roche résume cet ensemble de paramètres dans une formule élégante (dans Gady et Pérouse de Montclos, 2005, p. 38) : « l’on peut lire dans le réseau des signes qui balisent et reconstituent leur histoire et leur espace ».

B. Des espaces affichés, verts et bleus

7Pour les élites, la villégiature fut une façon d’aborder autrement l’espace domestique et vivre la double résidence. Se déplacer hors la ville permettait de profiter de trois luxes : l’air bien ventilé, la lumière diffusée en abondance et l’espace disponible sans beaucoup de restriction sur des horizons ouverts, même si le propriétaire prenait soin de clore son bien (micro climat favorable au potager, à la fructification des arbres taillés en espaliers). Sur une faible échelle de distance, cette façon de vivre renoue un peu avec la mobilité de la cour. Elle affiche la recherche du bien-être terrestre. Elle sert à se prémunir des épidémies (typhus en 1741, dysenterie en 1744, typhoïde en 1745 à Metz). Elle expose la réussite sociale du propriétaire qui espère voir son bien érigé en fief. Le sujet évoqué interroge à la fois la place de la nature sur les marges de la cité et encore l’imaginaire que les bénéficiaires en font. Souvent, les toponymes confirment ces aspirations : la fréquence du lieu-dit Bellevue, plus spécifiquement Beauregard pour évoquer le panorama nancéien à partir de la cote du Bajocien. La nature périurbaine incarne hors les murs les bienfaits de la circulation de l’air, sa corruption étant alors approchée comme un problème irritant (Etlin, 2007). Elle est en connivence avec l’idée d’embellissement qui joint le pratique à l’agréable. Si chère à ce siècle, cette notion est pourtant aujourd’hui plutôt oubliée (Harouel, 1993 ; Claval, 2011) et mériterait d’être rétablie pour faire prospérer l’utopie urbaine. Le jardin, lieu où prospère l’imaginaire est au cœur du propos sur l’aménité créée par le cadre en cours d’agrandissement de la ville. Le sujet est déjà abordé par le jardinier de Louis XIV, La Quintinie (1690). Il voit dans le potager un objet de mise en scène « propre pour la promenade et pour l’agrément des yeux ».

8Cette perception est reprise par tous les commanditaires de châteaux et parcs du XVIIIe siècle, en particulier les grands collectionneurs d’arbres exotiques qui œuvrent à la suite de Buffon. Ils cherchent à jouer sur les couleurs des foliations des arbres pour obtenir des tons multicolores, chatoyants, qui participent à l’imaginaire. M. Figeac (2006) élève même le parc au rang de cabinet de curiosité à l’air libre. Il y voit une expression de l’esprit encyclopédique pour ce siècle qui est également celui de grandes expéditions qui réduisent les terra incognita. Les propriétaires mettent un point d’honneur à disposer d’espèces rares (Ginkgo, Tulipier), colossales (cèdres), atypiques (hêtre pourpre, tortillard) ou encore de fruitiers tels les orangers, les citronniers. Pour Andrée Corvol (2005), ces essences participent à l’idée de ville en majesté. Les résidences de villégiature se fondent dans un environnement vert, une mosaïque de vignes de proximité, de jardins, potagers, allées d’arbres, labyrinthes ; bref des objets de nature mis en théâtre si la topographie se prête à ce jeu mais aussi un émiettement parcellaire considérable. Pour les trois cantons de Nancy, le cadastre napoléonien comptabilise plus de 16 000 parcelles de vigne en 1852.

9L’embellissement rejoint l’utile en s’exprimant en dehors des canons du classicisme : l’alignement, la perspective, l’application des principes d’un urbanisme « frôleur ». Dans son cours d’architecture, Blondel (tome 4, chapitre V, p. 410) confirme ce propos, invite ses élèves « à concevoir que tout doit marcher ensemble, principalement lorsqu’il s’agit d’un projet d’embellissement d’une ville ». Ce questionnement n’a pas pris une ride par rapport au temps où l’abbé de Bouzey faisait construire son château de Laneuveville-devant-Nancy. Erigé entre 1750 et 1760, classé en 1958, ce petit château retient l’attention par l’harmonie de ses dimensions et surtout la connivence avec son environnement : le mur de terrasse en direction des jardins, le nymphée, l’escalier circulaire et la grille où figure les chiffres du propriétaire, enfin le parc et les fontaines. A la même époque, le domaine de Nabécor est la résidence d’été du noviciat jésuite, avec autour 2, 6 ha. de jardins, potager, verger (ADMM H 1939, 1768). A ces belles demeurent s’ajoutent de nombreuses « grosses campagnes », des résidences d’été parfois complétées par le signe distinctif et envié du colombier. Le cadastre napoléonien décrit ces biens, par exemple la campagne de monsieur Dépuis à Boudonville.

Document 1 : La campagne de monsieur Dépuis à Boudonville

Document 1 : La campagne de monsieur Dépuis à Boudonville

ADMM 1 fi 911, premier cadastre (cliché X. Rochel).

Cette grosse maison à cour fermée est complétée par des remises. La propriété est partiellement close. Un captage fait sur le ruisseau éponyme a permis la création d’une pièce d’eau. Un déversoir alimente ensuite deux bassins. Un parc à l’anglaise succède. Ce type de propriété obéit aussi à une fonction nourricière afin d’alimenter la table en légumes, fruits, etc.

C. Entre nature vécue, sublimée et rêvée, la traduction d’un certain art de vivre

10Couchée sur le papier par l’usage des cartes, la ville apparait en mouvement. A ce propos, S. Lavaud (p. 199) voit dans la carte « un instrument de recherche et de découverte. Avec elle des questions nouvelles émergent, des questions anciennes sont renouvelées lui conférant une valeur heuristique », ouvrant à la découverte. Cartes et plans se présentent dans des échelles variées qui autorisent les emboitements et les commentaires. J.-L. Fray (1997) en donne une synthèse en produisant dans la collection des Atlas des villes de France un tableau de Nancy comparable avec celui d’autres villes dans la mesure où les espaces urbains représentés obéissent à une grammaire unifiée. Au XVIIIe siècle, la démocratisation de l’usage des cartes et plans est en cours. Cette consommation sert à identifier, contrôler, organiser ou parfois seulement infléchir l’avancée des villes, tant intra- muros que sur les marges désormais associées à la dynamique du bâti. Il s’agit d’inventorier l’existant, de traduire les projets, de mettre en scène la cité. Nancy n’échappe pas à cette évolution, avec des cartes dont nous interprétons les sens dans des lectures décalées.

11La ville est abondamment cartographiée (Husson, 2009). Citons Vayringe (1732), Le Rouge (1752),Belprey (1754), Mique (1778) ; des auteurs qui intègrent les marges de la ville au tissu dense (des reproductions sont consultables sir le site BNF Gallica). Ces témoins d’une ville qui change traduisent des instantanés. Par exemple, Belprey montre la place Stanislas en cours d’inauguration, avec tout près de là les fossés et douves qui ne sont pas encore comblés. Beaucoup de productions se recopient, y compris en colportant des erreurs. Le siècle est à rendre flou la séparation entre la ville du dedans et du dehors. Les documents replacent la cité dans une approche fonctionnelle, avec les trajectoires des faubourgs, routes et ponts. Ces éléments dictent l’avenir des directions à prendre pour les perspectives urbaines, avec la part laissée aux espaces nourriciers, avec le semis des châteaux et « grosses campagnes » (doc.1). Des cartes dites topographiques utilisées comme titre de propriété ou projets d’aménagement sont dressées. Ainsi, en 1772, le plan Lavarenne (ADMM C 182) propose de lotir sur les emplacements des bastions de Salm et de Notre-Dame qui viennent d’être arasés. Des pièces justificatives servent à ester en justice. C’est par exemple le plan et ban d’Heillecourt établi sans date au cours de ce siècle (ADMM E 89). Identifiés, éventuellement datés, ces témoins peuvent se superposer, nourrir des comparaisons avec d’autres plans ou iconographies. Ce préalable énoncé, illustrons par trois exemples cette réalité foncière.

Document 2 : Le plan Mique de 1778 

Document 2 : Le plan Mique de 1778 

Nancy démembrée de son carcan fortifié et déjà partiellement digitée en faubourgs établis sur la terrasse non inondable ou en direction de la Meurthe le long d’une chaussée surélevée. En dehors de la zone d’étale des crues de la Meurthe conservée en potagers et prairies humides, des résidences, châteaux, parcs, garennes partagent l’espace avec la ceinture nourricière de proximité de la ville. La limite entre le dedans et le dehors qui individualisait la ville s’estompe. Etayons cette démonstration avec des cas concrets : le domaine de Monbois, le château de La Malgrange, la vaste propriété du chancelier La Galaizière à Neuviller.

12Le château de Monbois (actuel site de la plus ancienne Cité Universitaire de Nancy) fut érigé en fief en 1764 (Bouchot, 1931) pour récompenser F.-T. Thibault, lieutenant général du baillage de Nancy, propriétaire du lieu depuis 1740.L’accession au rang de fief apporte des privilèges, exemptions, droit d’exercer la justice, droit d’ériger un colombier de 200 nids. Au XVIIIe siècle, le jardin est arrosé par une dérivation du ruisseau de Boudonville. Il est agencé en escaliers, avec fontaines, jets d’eau, allées de citronniers et d’orangers plantés en caisses. Au total, la propriété s’étend sur 30 arpents (l’arpent de lorraine couvre 20,44 ares), avec des terres, des vergers, des vignes, des bois. Par la suite, en 1839, cette propriété fut amputée de 2/5 de sa superficie quand le tracé de la route royale conduisant à Toul quitte le chemin escarpé de la Foucotte pour suivre une courbe de niveau plus douce, localisée à la base de l’étage bajocien. En 1928, le bien disparait quand l’Université achète le terrain prévu pour bâtir la cité.

« Le sieur François Timothée Thibault est propriétaire sur le ban de Boudonville, faubourg et ban lieu de notre bonne ville de Nancy, d’une maison avec pavillon et de trois autres bâtiments, chapelle, orangerie, pressoirs, remises, écuries, dans un enclos de trente arpents de terre employés en parterre, bosquets, jardins, potagers, vergers, parcs, vignes, jets d’eau et fontaines ( ) dont l’ensemble fait une campagne utile et agréable ». Source A.D. de Meurthe-et-Moselle B 258, n° 27.

13Le château de La Malgrange est situé sur un promontoire, sur le territoire de la commune de Jarville. Il a connu plusieurs vies successives (Boyé, 1910 ; Voreaux, 1995) que l’on peut en partie suivre (ADMM B 11698, 1742). La Malgrange fut une manufacture de tapisseries (1719-1736). Précédemment, Léopold avait engagé des travaux conduits par Boffrand. Ils ne furent pas terminés. Le duc abandonne le projet de faire une résidence placée aux portes de Nancy, ne souhaitant pas à avoir à rencontrer dans sa capitale les troupes de la troisième occupation imposée par son oncle Louis XIV (1703-1714). Stanislas propose ensuite de nouveaux projets. Il fait raser l’édifice construit par Boffrand. Les pierres sont transportées à N.-D. de Bonsecours où le roi fait ériger un lieu de culte marial de style baroque. Le nouveau château est relié par une route rectiligne convergeant sur la route Nancy-Lunéville (1738). Le tracé est matérialisé par une double allée d’ormes. Vers 1745, André Joly peint une vue perspective des jardins dits des Goulottes. Ils ont été tracés par le jardinier Yves des Ours qui valorise la pente, dessine cinq parterres d’eau, crée des cascades et jets d’eau. L’ensemble est structuré autour d’un canal (ce qui est une prouesse quand on sait que le site ne dispose pas de ruisseau). Il sert d’axe de symétrie pour distribuer de chaque côté cinq allées d’arbres taillés à la française, plantés en quinconces. Au premier plan du tableau se trouve un bassin, avec balustrade et jet d’eau. En 1741, l’ensemble est traduit en carte par Drouin (ADMM B 11698) puis dans les plans conservés dans les carnets d’E. Héré (1751). Si les bâtiments qui ont abrité une école partir de 1836 sont conservés, toute l’ornementation évoquée a disparu et n’apparaît même pas sous la forme de trace sur une mission aérienne.

Document 3 : Le jardin des Goulottes avec en arrière-plan le château de La Malgrange.

Document 3 : Le jardin des Goulottes avec en arrière-plan le château de La Malgrange.

Tableau d’André Joly peint vers 1760 (Musée Lorrain, Nancy).

14Plus loin de Nancy, sur sa terre de Neuviller-sur-Moselle érigée en comté, le chancelier Chaumont de La Galaizière imposa en 1750 un remembrement cadastral inédit des terres (ADMM B 11924 à 11926) et fit réaménager le vieux château médiéval et les jardins attenants : 10 ha. de potager, une pièce d’eau de 60 m sur 25, un canal, des allées de charmilles. Derrière cet ensemble, 75 ha de bois avec un rond-point appelé l’Etoile. A cela s’ajoutent un parc étendu sur 86 ha. , 8 ha. de vignes et 4 ha. en vergers (ADMM Q418bis n°1).La résidence d’été du chancelier fut, avec force mobilisation de corvéables, reliée à la route Nancy-Charmes.

II. Etalement urbain et châteaux : étapes et scénarios

15Châteaux, parcs et folies sont des bornages pérennes, gommés ou encore digérés lors des différentes étapes de conquêtes de la ville sur ses marges. Ces châteaux ont signalé la puissance, la réussite ou encore le pouvoir de la noblesse de robe ayant acheté une charge transmissible. Fréquemment situés sur les lignes de source, près des captages ou bénéficiant d’une dérivation faite à la tête d’un ruisseau, ils sont ainsi assurés de disposer d’eau de bonne qualité. Cet avantage est particulièrement apprécié à Nancy où l’eau potable est rare, le caractère saumâtre des eaux de la Meurthe rendant cette ressource impropre à la consommation. Châteaux et villégiatures ont connu une première grande vague d’instabilité quand ils furent aliénés, vendus comme biens nationaux. Par la suite, les héritages, cessions, ventes, partages fragilisèrent la cohésion des biens, sauf s’ils échoyaient à une personne morale ou étaient achetés, voire donnés à une collectivité territoriale. En 1836, La Malgrange devient un établissement scolaire privé. Sans descendance, l’académicien Edouard Salin (1889-1970) donne l’essentiel du château de Montaigu à l’actuelle Métropole du Grand Nancy sous réserve que le lieu soit accessible au public. Modifier, faire évoluer invite à bousculer l’inertie foncière, souvent forte, particulièrement efficace si le parcellaire est très émietté ou à l’inverse dessiné par grosses mailles. Ces môles de résistance concernent en particulier les biens d’Eglise qui ne sont pas soumis à la logique des héritages mais ont été redistribués lors de la mise à disposition de la Nation par le texte du 2 novembre 1789.A Nancy-Nabécor, la vaste propriété des Jésuites s’étendait sur 9 hectares avant que l’ordre ne soit exclu du royaume. Après la révolution, ce bien déjà divisé échoit à J.-A. Génin, payeur du département du département de la Meurthe. Il utilise la maison de campagne (détruite en 1905) et crée le jardin. Il fait planter les arbres qui font encore sa beauté (séquoias pleureurs, tulipiers, cèdres). En 1902, il reste 7,5 hectares d’un seul tenant quand la municipalité a l’opportunité d’acheter ce bien qui jouxte le projet thermal Lanternier en cours de construction. En 1909, le quartier accueille l’exposition internationale de l’Est.

A. Digestion, enclavement, gommage

16La démonstration s’établit à partir d’études de cas.

17Créés avec des discontinuités nées de la présence de grandes propriétés, les faubourgs se sont progressivement digités et densifiés, jusqu’à devenir linéaires. Dans ces évolutions, les espaces verts ont été relégués à l’arrière, hors exposition à la vue. Développons le cas du faubourg étiré le long de la route conduisant de Nancy à Lunéville, via l’église de N.-D. de Bonsecours inaugurée en 1741.

Document 4 : Le faubourg Saint-Pierre en 1778

Document 4 : Le faubourg Saint-Pierre en 1778

Rectiligne, arboré, ce faubourg débute au-delà de la porte Saint-Nicolas, suit le tracé de la terrasse non inondable de la Meurthe qui conserve un cours anastomosé, un vaste lit majeur occupé par des prairies humides naguère activées en hydrosystème de défense. Le faubourg est encore très agreste (il est aujourd’hui en pleine ville), avec des jardins, des vergers, des clos de vignes. A côté de la paroisse Saint-Pierre et de son cimetière est dessinée la propriété des Missions Royales, avec de vastes jardins carroyés en 22 parcelles carrées ou rectangulaires, avec deux grandes allées de distribution. Stanislas confie à E. Héré la construction des bâtiments (1743) actuellement occupés par une antenne décentralisée de Sciences Po. Une lecture aérienne du site montre qu’il subsiste quelques lambeaux des jardins mais que l’essentiel est construit, y compris à l’arrière-plan où fut installée la maternité. (1907-1929).

18Abordons un autre scénario avec le quartier du domaine de Turique et de son voisin l’ermitage N.-D. des Anges. Nous disposons de sa description (ADMM H 2338) en 1701. Il s’agit d’une résidence d’été en partie conservée sur le campus SHS. L’édifice a bénéficié d’une procédure de classement à l’Inventaire. Le domaine est rattaché à la route de Toul dans son tracé d’avant 1839. La maison est entourée de vergers puis de terre. Le plan de 1778 (doc. 7) montre une configuration assez différente de la propriété, l’esprit des Lumières ayant contribué à la transformation de l’environnement. Des jardins à la française mettent en scène le domaine. La vigne s’est beaucoup étendue sur le bas du versant dessiné par le bajocien, avec une caténa de sols minces, pierreux, faciles à réchauffer. L’ermitage a également évolué, avec à proximité un labyrinthe circulaire inscrit dans un carré d’allées. Sous la monarchie de Juillet, l’usage de l’espace change avec la création du cimetière de Préville et l’arrivée des religieuses du Bon Pasteur sur le site de Turique. Elles installent une congrégation, ouvrent un pensionnat de jeunes filles et une école de garçons, ce qui devient ensuite le pensionnat Saint-Joseph (1874-1964). Après 1960, il est translaté sur Laxou, à l’orée de la forêt de Haye. Son emplacement est occupé par le CLSH inauguré en 1964 par G. Pompidou et le doyen J. Schneider. N.-D. des Anges n’échappe pas à l’étalement urbain, avec la création de nouvelles rues tracées vers 1880 pour organiser le bâti. A l’inverse, la densification de l’ilot Turique est tardive. Elle s’exprime dans les différentes étapes de la construction puis l’agrandissement du CLSH (bâtiment J, BU, maison de l’Etudiant, etc.)

Document 5 : Turique en 1778 dans son environnement de vignes, vergers, jardins

Document 5 : Turique en 1778 dans son environnement de vignes, vergers, jardins

B. Résistance

19Des châteaux, leurs allées arborées d’accès et leurs parcs, des bois marmenteaux ont pu résister au déferlement urbain, mais assez rarement en conservant l’intégrité des surfaces initiales

Malzéville

Document 6 Tableau de J.-B. Claudot présentant le château de Malzéville, paru dans le catalogue d’exposition dédié à cet auteur (2006)

Document 6 Tableau de J.-B. Claudot présentant le château de Malzéville, paru dans le catalogue d’exposition dédié à cet auteur (2006)

La propriété est ceinte de murs. Nous disposons de la vue sur les jardins, avec une double volée d’escaliers qui donne sur un jardin à la française puis des carrés de potager. Au-delà du mur méandre la Meurthe. Sur le versant figurent des vergers. Cette interprétation pourtant fidèle par le positionnement des bâtiments est contredite par les cartes. Naudin (entre 1729 et 1738) puis Mique (voir Doc. 5 B). Toutes deux montrent une occupation du sol dominée par la culture de la vigne en foule et la fermeture de la propriété par des haies.

Document 7 Détail du plan Mique de 1778 présentant le château de Malzéville dans son environnement viticole

Document 7 Détail du plan Mique de 1778 présentant le château de Malzéville dans son environnement viticole

III. Passage à une ville patrimoniale, verte, douce et nourricière : approches et transitions

20Les formes d’urbanisation passées superposées s’inscrivent encore dans les plans actuels des villes. La connivence tissée entre forme et fonction participe à un relatif immobilisme du foncier (Prêcheur, 1953). Les bornes qui ont résisté à l’étalement citadin reviennent en force dans les projets urbains, en particulier si la forme spatiale associée à la fonction initiale ont pu être pérennisées (Robert, 2003). Yi Fu Tuan (2006, p. 180-198) traduit cela dans une réflexion reliant temporalité et lieux. Selon cet auteur, cette connivence se décline en trois approches. Ce croisement assimile d’abord le temps au flot et le lieu à la pose. Ensuite, l’attachement au lieu est une fonction du temps. Enfin, le lieu est vu comme du temps rendu visible. Ces trois assertions rentrent tout à fait dans le déroulé de notre sujet.

21Les parcs et châteaux du Montet ou de Montaigu obéissent au triple schéma qui vient d’être énoncé. Les lieux sont des ancrages au temps qui s’est écoulé. Ils réfèrent à une histoire et nous pouvons en remonter la matrice grâce aux cartes, plans, tableaux anciens qui en conservent les étapes, les évolutions. Désormais situées en marges des espaces denses ou à densifier au nom de l’application des SCoT, ces bornes entrent dans des logiques de réseaux. Elles évoluent en sens et de fonctions. D’enclaves dans le tissu urbain qui les cerne, elles tendent à devenir des ilots d’aménité, des faire-valoir pour le territoire. Ainsi, les châteaux sont invités à sortir de la relative léthargie où ils étaient confinés. A Villers-lès-Nancy, le château et le parc de madame de Grafigny (sa correspondance est un monument de l’art épistolaire du siècle des Lumières) est refait, L’ensemble va abriter des expositions et servir de mairie annexe pour donner un cadre attractif aux cérémonies de mariage.

Document 8 : Parc de Brabois

Document 8 : Parc de Brabois

Cet extrait de la carte des Naudin (missionnés par le Roi de France, ces géographes travaillent en Lorraine entre 1729-1738) montre sur la périphérie S.E de Nancy plusieurs châteaux et maisons fortes dominant la ville. La carte est correctement orientée. Le domaine de Brabois est ceint de murs. Il est prolongé par un vaste parc également clos. La pelouse sèche qui sert d’espace de transition avec l’orée du massif de Haye a longtemps été conservée comme terrain de manœuvre.

Document 9 : Le parc de Brabois avant sa reconfiguration suite au passage de la tempête Lothar

Document 9 : Le parc de Brabois avant sa reconfiguration suite au passage de la tempête Lothar

La forme et le tracé des routes étoilées demeurent assez semblables à ce qui existait vers 1730. Le parc est assiégé par diverses générations de constructions et bâtiments publics associés au technopôle : IUT, école d’horticulture et du paysage, lycée hôtelier, CFA. La présence du camping de Nancy ajoutée au voisinage de l’hippodrome conserve un vaste espace naturel.

(cliché A. Humbert, LOTERR)

22Le château de Brabois a disparu, à l’exception des communs qui sont depuis 1921 propriété de Nancy. Récemment, des travaux d’envergure ont été réalisés pour établir un lieu de rencontre et d’échange au sein du technopôle H. Poincaré. Un CAPS (carrefour d’Accompagnement Public et Social) est également né. Sur ce lieu s’enracine aussi la charte forestière développée sur le massif de Haye, déclinée localement avec deux hectares de truffières expérimentales. En contre-bas du parc de Brabois, la propriété du Montet fut la résidence d’été du maitre de forge Alphonse Fould (1850-1913). Ce bien fut acheté par l’Université en 1950, avant que ne soit édifié le campus Sciences (1968-1971). Ce château domine les 35 ha. du jardin botanique créé en 1975. Il est actuellement co géré par l’U. de Lorraine et le Grand Nancy. Il vient de prendre le nom de Jean-Marie Pelt, pharmacien, écologue, chroniqueur nature.

Conclusion

23La partie théorique suivie d’une étude de cas appliquée à l’agglomération de Nancy montre la pertinence à relier dans une démarche de géohistoire les legs fonciers empilés et l’actuelle réalité du projet de ville verte. Les objets hérités datent de la période où la ville est sortie de son carcan de fortifications pour déborder sur sa banlieue retenue dans son sens étymologique premier. Bien visibles, ayant résisté au temps en trouvant de nouvelles fonctionnalités, ces éléments de respiration, d’aération comptent dans nos façons d’aménager/ménager le tissu urbain. Gommés, disparus ou seulement conservés en mémoire dans les tableaux et cartes anciennes qui mettent en scène la ville des Lumières, ces lieux renaissent dans une réflexion patrimoniale globale. Tous ces héritages ont modifié la nature ordinaire péri citadine. Chargés d’histoire, ils se prêtent à mettre en récit l’espace pour en rehausser la valeur, et derrière cela la fréquentation par des lacis, raccourcis invitant à la flânerie (Rochel et ali., 2017).

  • 1 Les deux modèles ont fréquemment tendance à cohabiter. En 1757, le parc du château de Montaigu (Lan (...)

24Dans les aventures urbaines qui s’enchainent et remodèlent à chaque génération le tissu des rues, trames, vides et pleins, ces espaces dessinent des bornes testées à la résistance derrière leurs clôtures et murs. Successions, partages, réussites ou déboires des lignées de propriétaires ont inégalement conservés ces biens dans la sphère privée. Au fil du temps, ils ont pu devenir des espaces publics ou intégrer le patrimoine de personnes morales. Ces statuts assurent ou favorisent leur pérennité. Encore faut-il que ces enveloppes foncières aient échappé aux lotissements, à la spéculation1, aux emprises cédées pour tracer des infrastructures, etc. Avec l’accélération de l’étalement porté par la période du « tout automobile » qui semble désormais être vue comme une sorte de parenthèse malheureuse dans l’histoire des villes, ces bornes connurent une érosion accélérée. Elles furent alors les victimes collatérales de tout ce qui contribuait à l’homogénéisation urbanistique : entrées de ville et trèfles autoroutiers, couple formé pars les ZAC et les marées pavillonnaires. Depuis peu, l’ambition de ville viable, économe, amène, aimable (Marthouzet, 2014) voire frugale (Haëntjens, 2011) invite à recomposer avec une ville territorialisée ou les trames et réseaux changent, se sont « grenellisés ». Dans ce contexte, les héritages péri centraux abordés prennent une nouvelle valeur portée par trois données : l’indéniable dimension patrimoniale des biens, la qualité de la nature ordinaire ou extraordinaire qui y est entretenue, en particulier si les collections d’arbres exotiques sont soignées, enfin les nouvelles fonctions qui peuvent être développées à partir de ces deux atouts (jardin botanique universitaire, habitat inféodé à des espèces-par exemple le pic épeiche dans le parc de Remicourt). Mis en relation, tous ces legs donnent de la cohésion au réseau des trames vertes et bleues qui fait respirer la cité. L’objectif initial évoqué par les mécènes des Lumières demeure d’actualité. Et nous restons dans le principe de l’utilité qui a conduit la pensée et les actions de ces générations éclairées.

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Notes

1 Les deux modèles ont fréquemment tendance à cohabiter. En 1757, le parc du château de Montaigu (Laneuveville-devant-Nancy) était étendu sur 25 ha quand le receveur général des fermes de Lorraine décide de transformer le pavillon de chasse en château. Depuis, cette surface a été plusieurs fois amputée pour construire des lignes de chemin de fer puis lotir. En 1970, Edouard Salin a cédé son bien à la collectivité sous réserve qu’il soit conservé comme espace ouvert au public et muséal, ce membre de l’Institut étant un savant spécialiste de l’histoire des métaux.

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Table des illustrations

Titre Document 1 : La campagne de monsieur Dépuis à Boudonville
Crédits ADMM 1 fi 911, premier cadastre (cliché X. Rochel).
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 311k
Titre Document 2 : Le plan Mique de 1778 
Légende Nancy démembrée de son carcan fortifié et déjà partiellement digitée en faubourgs établis sur la terrasse non inondable ou en direction de la Meurthe le long d’une chaussée surélevée. En dehors de la zone d’étale des crues de la Meurthe conservée en potagers et prairies humides, des résidences, châteaux, parcs, garennes partagent l’espace avec la ceinture nourricière de proximité de la ville. La limite entre le dedans et le dehors qui individualisait la ville s’estompe. Etayons cette démonstration avec des cas concrets : le domaine de Monbois, le château de La Malgrange, la vaste propriété du chancelier La Galaizière à Neuviller.
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 656k
Titre Document 3 : Le jardin des Goulottes avec en arrière-plan le château de La Malgrange.
Crédits Tableau d’André Joly peint vers 1760 (Musée Lorrain, Nancy).
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 522k
Titre Document 4 : Le faubourg Saint-Pierre en 1778
Légende Rectiligne, arboré, ce faubourg débute au-delà de la porte Saint-Nicolas, suit le tracé de la terrasse non inondable de la Meurthe qui conserve un cours anastomosé, un vaste lit majeur occupé par des prairies humides naguère activées en hydrosystème de défense. Le faubourg est encore très agreste (il est aujourd’hui en pleine ville), avec des jardins, des vergers, des clos de vignes. A côté de la paroisse Saint-Pierre et de son cimetière est dessinée la propriété des Missions Royales, avec de vastes jardins carroyés en 22 parcelles carrées ou rectangulaires, avec deux grandes allées de distribution. Stanislas confie à E. Héré la construction des bâtiments (1743) actuellement occupés par une antenne décentralisée de Sciences Po. Une lecture aérienne du site montre qu’il subsiste quelques lambeaux des jardins mais que l’essentiel est construit, y compris à l’arrière-plan où fut installée la maternité. (1907-1929).
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 619k
Titre Document 5 : Turique en 1778 dans son environnement de vignes, vergers, jardins
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 285k
Titre Document 6 Tableau de J.-B. Claudot présentant le château de Malzéville, paru dans le catalogue d’exposition dédié à cet auteur (2006)
Légende La propriété est ceinte de murs. Nous disposons de la vue sur les jardins, avec une double volée d’escaliers qui donne sur un jardin à la française puis des carrés de potager. Au-delà du mur méandre la Meurthe. Sur le versant figurent des vergers. Cette interprétation pourtant fidèle par le positionnement des bâtiments est contredite par les cartes. Naudin (entre 1729 et 1738) puis Mique (voir Doc. 5 B). Toutes deux montrent une occupation du sol dominée par la culture de la vigne en foule et la fermeture de la propriété par des haies.
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 554k
Titre Document 7 Détail du plan Mique de 1778 présentant le château de Malzéville dans son environnement viticole
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 658k
Titre Document 8 : Parc de Brabois
Légende Cet extrait de la carte des Naudin (missionnés par le Roi de France, ces géographes travaillent en Lorraine entre 1729-1738) montre sur la périphérie S.E de Nancy plusieurs châteaux et maisons fortes dominant la ville. La carte est correctement orientée. Le domaine de Brabois est ceint de murs. Il est prolongé par un vaste parc également clos. La pelouse sèche qui sert d’espace de transition avec l’orée du massif de Haye a longtemps été conservée comme terrain de manœuvre.
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 37k
Titre Document 9 : Le parc de Brabois avant sa reconfiguration suite au passage de la tempête Lothar
Légende La forme et le tracé des routes étoilées demeurent assez semblables à ce qui existait vers 1730. Le parc est assiégé par diverses générations de constructions et bâtiments publics associés au technopôle : IUT, école d’horticulture et du paysage, lycée hôtelier, CFA. La présence du camping de Nancy ajoutée au voisinage de l’hippodrome conserve un vaste espace naturel.
Crédits (cliché A. Humbert, LOTERR)
URL http://journals.openedition.org/geohist/docannexe/image/5970/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 737k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Husson, « Châteaux, folies, parcs et bois marmenteaux : genèse, évolutions, place dans l’actuel projet de ville »Revue de géographie historique [En ligne], 21-22 | 2022, mis en ligne le 19 octobre 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/geohist/5970 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geohist.5970

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Auteur

Jean-Pierre Husson

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