1Aujourd’hui, la survenue de bizarreries dans le ciel fait penser au cosmos lointain (explosion d’étoiles, OVNI…) et mène immédiatement à un buzz sur les réseaux sociaux. Mais il y a un peu plus de 100 ans… c’était bien différent. Au tout début de la météorologie scientifique, à côté des professionnels, de très nombreux amateurs scrutaient le ciel, notaient les excès, mesuraient la température, appliquaient même les toutes nouvelles méthodes statistiques pour faire des « pronostics » du temps des jours et saisons à venir. Ils voulaient participer à la révolution de la prévision en mettant fin aux sornettes des dictons et almanachs.
2André des Gachons est l’un d’entre eux. L’artiste peintre, spécialiste de miniatures, s’enthousiasme pour la météorologie. Il conjugue ses deux passions - le dessin et la météo- en peignant chaque jour le ciel vu de son village champenois. Cette mise en mémoire a pour objectif la mise au point d’une méthode fiable de prévision. Parfois, il est interloqué par la physionomie du ciel et ses changements rapides. En particulier, il s’étonne :
3- de l’apparition de nuages inconnus, sortant des classifications par leur forme, leur couleur, leur soudaineté. En résumé, sur la présence des nuages bizarres car rares,
4- ou de la survenue de compositions de nuages et de météores communs mais encore inexplicables pour lui parce que ses connaissances sont lacunaires.
5En 1878, à Paris, un service de météorologie est créé indépendamment de l’Observatoire. Il se nomme : Bureau central météorologique (BCM). Alfred Angot, son directeur de 1908 à 1920, rationalise l’héritage d’Urbain Le Verrier. Il normalise les appareils et les relevés qui sont centralisés pour effectuer une prévision « scientifique » du temps (Locher Fabien, 2009). Les données proviennent d’une quinzaine d’observatoires officiels (Parc Saint-Maur, Bureau central météorologique, tour Eiffel de Paris, Besançon, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Perpignan, Toulouse, Mont Aigoual, Pic du Midi, Puy de Dôme et Mont Ventoux) et privés, comme celui de Paul Garrigou Lagrange, à Limoges et celui de Léon Teisserenc de Bort à Trappes. Elles sont complétées par des relevés effectués dans des stations au moins trois fois par jour (à 6, 13, 21 h, Angot Instructions, page 6) de la pression barométrique, la température et l'humidité de l'air, l'état du ciel (nébulosité en 1/10 et types de nuages), la direction et la force du vent, et une fois par jour de la pluie et des températures extrêmes.
6Mais le nombre de données est insuffisant. Alors, pour la température et les précipitations, il est nécessaire d’ajouter des observations hors des villes. Pour ce faire, le BCM utilise des bénévoles (instituteurs le plus souvent, employés des Ponts et chaussées, forestiers, etc.). Ils doivent aussi noter l'heure du commencement et de la fin des orages, et les dates des stades de végétation et des migrations des oiseaux. Leurs relevés journaliers sont reportés à la fin de chaque mois sur des feuilles spéciales fournies par le BCM (Figure n°1).
Document 1 : Fiche à remplir par le bénévole
7André des Gachons, devient, à 42 ans, en 1913, un des bénévoles de la commission départementale de la Marne. C’est un peintre de métier, qui a exposé dans des galeries renommées, principalement connu comme décorateur et illustrateur d’éditions rares de grands auteurs. Après la naissance de son fils, deux ans auparavant, il est venu s’installer à La Chaussée-sur-Marne, entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François. Sa belle-famille y possède une maison bourgeoise à l’entrée du village. Le jardin est grand et André, passionné de sciences atmosphériques, y installe une station météorologique et un observatoire astronomique. Dès lors, chaque jour jusqu’à sa mort, il va scruter le ciel et remplir une fiche de relevés météo.
8Mais, André des Gachons est un observateur bénévole original, bizarre. Il ne répond pas exactement à la demande. Certes, il regarde le baromètre, le thermomètre, sans doute l’uvométre (ancien nom du pluviomètre), le psychromètre, l’anémomètre… Mais il ajoute une, deux, voire trois aquarelles de ciel selon les époques (Figure n°2). Il n’effectue pas les relevés à heure fixe, sa préférence va aux heures de l’après-midi (2/3 entre 13h30 et 20 h). Son regard l’attire vers le couchant et donc l’ouest au sens large, car il sait que c’est de là que viendra le temps des heures à venir.
9Entre 1913 et 1951, André des Gachons va constituer ainsi une archive unique des caractéristiques météorologiques à La Chaussée sur Marne. Comme tous les bénévoles méritants, il est décoré de la médaille de Le Verrier. À la fin de sa « carrière » en 1951, il a numéroté 77 000 planches datées. Si bien que, même si les trois quarts d’entre elles sont perdues ou inaccessibles car dispersées dans des collections privées, il est possible d’interpréter leur contenu à la lueur des connaissances actuelles.
Document 2 : Une fiche journalière à deux aquarelles conçues par André des Gachons
10Comme tous les bénévoles français, André des Gachons a lu les « instructions pour servir à l'observation des nuages » de Poey (1865, 1872). Il connaît aussi vraisemblablement les atlas des nuages avec photographies de Hildebrandsson et ses collaborateurs (1890, rééd. en 1896 et 1910). Il sait reconnaître les nuages répertoriés. Pour les nommer, la page 65 des Instructions d’Angot (1881) est claire sur la nomenclature à utiliser. Au lieu de « ciel moutonné de petits nuages arrondis occupant souvent le zénith » (Lamarck, 1802), on parlera de « cirrocumulus ». Le peintre, qui écrit peu, utilise donc la classification latine, héritée de Luke Howard … et validée par l’Organisation météorologique mondiale en 1830, 1841 et 1880 lors des ajouts du nimbostratus, du stratocumulus et du cumulonimbus.
11Pour reconnaître un nuage, André des Gachons peut se référer à l’Atlas international des nuages de 1910, qui définit dix genres de nuages selon leur altitude (moins de 2 km, entre 2 et 7 km, au-dessus de 5 km) et leur apparence. Chaque genre est subdivisé en espèces, qui décrivent la forme et la structure interne, et en variétés, selon la transparence et l’agencement de leurs éléments. Cette catégorisation est encore en usage aujourd’hui. Mais, un ciel nuageux, c’est un assemblage de nuages superposés et mobiles, ce qui rend son interprétation plus complexe que la lecture planche après planche de l’atlas.
12Parfois, même des nuages « nouveaux » échappent à cette nomenclature. Certains ne seront baptisés que récemment comme les traînées d’avion (homogenitus) et les nuages d’incendies (pyrocumulus). Ils apparaissent dans le ciel champenois à l’époque d’André des Gachons. Pendant la guerre de position et ses tranchées, de l’automne 1914 au printemps 1918, La Chaussée sur Marne n’est qu’à une trentaine de kilomètres du front. Le village accueille même une maison du soldat que rejoignent les poilus revenus des premières lignes. La guerre est omniprésente même si André des Gachons ne la regarde pas. Par son caractère industriel, elle modifie le ciel vers le nord et l’est, et s’impose parfois au peintre. Les obus, les mines, les gaz, sans parler des avions et des ballons vont investir le ciel. Ils créent, par exemple, des nuages artificiels visibles à des dizaines de kilomètres. André des Gachons en peint très peu sauf cas exceptionnel de bruit assourdissant, comme ce fut le cas le 30 juillet 1916 (Figure n°3). A 7 h du matin, il est réveillé par un vacarme inattendu et regarde vers le front. Un nuage sorti d’un petit bois atteint vite 150 m de haut. Il est composite, l’arrière est gris clair, au centre s’élève un panache gris foncé, le centre est noir, deux colonnes fines et blanches s’en détachent… André note : « bombardement d’une tranchée à la grenade »… il est plus probable qu’un dépôt de munitions a pris feu suite à un bombardement ou une mauvaise manutention. Le nuage spectaculaire est éphémère ; il se dissout vite dans l’atmosphère.
Document 3 : Fiche du 30 juillet 1916
13À une autre occasion, le 9 janvier 1916, André des Gachons s’interroge sur l’influence d’une bataille sur l’état du ciel. Il note les heures de canonnade (13h, 15h30, puis le roulement intense jusqu’à 16h15). En début d’après-midi, il écrit : « ciel chargé de stratocumulus et de cumulonimbus. Les nuages venant du front ont-ils subi une influence par les obus ? Je ne le pense pas, car aujourd’hui il pleut. C’est à cause du changement du vent venant de l’ouest, de l’élévation du thermomètre et de la baisse du baromètre sur lesquels les obus n’ont aucune influence. Ces études faites avant la grande attaque sont d’un aspect tourmenté. Le ciel pendant et après l’attaque est très ordinaire et presque uni ».
14Les nuages insolites sont soit le résultat d’une explosion de cuves de chlore, documenté par l’armée (317e RI) ou d’obus lacrymogènes lancés en grand nombre par l’artillerie allemande. Un autre jour, le 27 septembre 1916, il immortalise, dans le bleu du ciel, une suite de micro-cumulus issus de tirs de canons de DCA sur un avion.
15Tous les nuages artificiels, plus ou moins inquiétants, fascinent le météorologiste amateur par leur singularité : nés au sol, sans relation avec les vents dominants, aux tons de gris multiples... Il ne sait pas les nommer et s’interroge sur leur provenance et leur effet sur les mécanismes atmosphériques, sur le dérangement possible des lois de « la nature ». On peut aussi penser que le peintre n’est pas insensible à leur esthétique.
16En 1908, Henri Poincaré écrit : « Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de peine à prédire le temps avec quelque certitude ? Pourquoi les chutes de pluie, les tempêtes elles-mêmes nous semblent-elles arriver au hasard, de sorte que bien des gens trouvent tout naturel de prier pour avoir la pluie ou le beau temps, alors qu’ils jugeraient ridicule de demander une éclipse par une prière ? ».
17Et, en effet, au début du 20e siècle, dans la France paysanne, pour expliquer les caprices du temps, on se fie plus aux dictons et aux almanachs qu’au BCM. Certains néophytes passionnés par la météo se persuadent d’avoir trouvé une méthode de prévision. Par exemple, Victor Papon publie en 1911 « Une révolution en météorologie. Théories nouvelles et entièrement inédites, opposées en grande partie à ce qui a été dit jusqu’à ce jour sur les phénomènes atmosphériques », une cinquantaine de pages qui exposent l’effet des mouvements internes de la planète sur le temps qu’il fait.
- 1 Successeurs des « Guides Joanne » en 1916, les « Guides bleus » sont publiés sous la direction de M (...)
18André des Gachons est plus modeste et moins péremptoire. Après la première guerre mondiale, il publie sa méthode dans des encyclopédies et des guides grand public où il mêle un court texte à des planches de ciels en couleur (Tabeaud et Browaeys, 2022). Il rédige par exemple, un chapitre, « Notions météorologiques à l’usage du touriste » qui sera inséré dans les ouvrages de la collection des « Guides bleus1 » de chez Hachette (document n°4). Il y annonce : « La méthode que nous proposons est la recherche de la probabilité du temps par la physionomie du ciel et des nuages, la marche des instruments météorologiques, l’observation de la courbe barométrique et thermométrique sous la forme de diagrammes météorologiques ».
Document 4 : Extrait de la planche des Guides bleus
19Cette méthode est le fruit d’une observation systématique et méticuleuse des caractères de l’atmosphère à La Chaussée et d’interrogations sur l’origine du temps qu’il fait, son devenir, ses rythmes. Par exemple, il trouve bizarre les changements rapides du ciel en avril 1916. Pourtant, c’est un mois d’avril ordinaire, ce dont il est bien conscient. Au tout début du mois, puis entre le 10 et le 22, le temps est venteux et pluvieux. Les écarts thermiques entre le jour et la nuit sont faibles comptes tenus de la couverture nuageuse. A partir du 23, le temps est plus ensoleillé et plus chaud avec des maximales autour de 16°C. André des Gachons constate que pour « une dizaine de jours » après le 10, dans un flux d’ouest rapide, les vents au sol tournent dans toutes les directions, divers types de nuages apparaissent puis disparaissent, l’air ne se réchauffe pas comme il le devrait avec l’avancée du jour, des averses discontinues interviennent (tableau n°1)… Il en cherche la logique en multipliant les mesures et les aquarelles de ciel. Sa vision du ciel, qui reprend largement les savoirs vernaculaires (couleur, voile, etc.) est restreinte à ce qui est appréhendé depuis le sol et n’intègre donc pas toute la colonne troposphérique où se joue le temps qu’il fait. Il ne sait pas nommer ce qu’il observe. Et l’espèce de Bande dessinée qu’il réalise décrit mais n’explique pas le phénomène observé.
20A La Chaussée sur Marne, en 1916, André des Gachons ignore tout des avancées rapides des services météorologiques de l’armée en guerre et des idées des chercheurs professionnels de l’Institut de géophysique de Bergen, qui vont entrer dans l’histoire de la météorologie, pratiquement au même moment.
Tableau n°1 : Récapitulatif des notes d’André des Gachons du 14 au 17 avril 1916
jour
|
heure
|
nuage
|
température
|
Direction du vent
|
notes
|
14/04
|
12h20
|
Cu
|
|
SW
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|
|
22 h
|
|
|
W
|
averse
|
15/04
|
7 h 40
|
|
4°C
|
|
|
|
8 h
|
|
5°C
|
W
|
|
|
8 h 30
|
|
4°C
|
|
averse
|
|
9 h
|
|
5°C
|
|
|
|
10 h 15
|
|
4°C
|
|
averse
|
|
10 h 30
|
|
2°C
|
|
|
|
midi
|
|
7°C
|
|
|
|
12 h 20
|
Cu
|
|
|
|
|
13 h
|
Rouleau Cunb et Cu
|
|
E
|
|
|
13h 30
|
|
|
|
|
|
13 h 40
|
|
|
NW
|
pluie
|
|
14 h
|
|
2°C
|
W
|
|
|
15h- 16 h
|
|
|
|
Forte pluie
|
|
18 h 15
|
Acu isolé
|
7°C
|
W
|
|
|
18 h 30
|
ACu isolé
|
8°C
|
E
|
|
16/04
|
|
|
|
N
|
Belle journée nuageuse
|
17/04
|
15 h
|
Cunb
|
|
SW
|
|
|
17 h
|
Stratus
|
|
W
|
|
21Pour qualifier ces « tempêtes », le vocabulaire des chercheurs évolue à la fin du 19e siècle. Aux « ondes atmosphériques » mobiles (Adolphe Quételet, 1853), succèdent les bourrasques (Hyppolyte Marié Davy, 1873) puis les « creux » ou « dépressions ». Ces mots empruntés à la topographie viennent de la lecture des cartes en isobares dressées pour une vue « synoptique » de l’atmosphère -la première est une reconstitution du 7 septembre 1863. D’emblée, la forme rotatoire autour d’un creux est évidente ainsi que la progression d’ouest en est. C’est d’ailleurs pour partie ce qu’observe André des Gachons (le vent qui tourne, la baisse de pression, le flux vers l’est) et ses conclusions ne diffèrent guère de celles des prévisionnistes professionnels. Le mouvement va se poursuivre et le BCM alerte ainsi les ports sur des « probabilités du temps pour le lendemain ». Ils sont, toutefois, incapables de prévoir le lieu et le moment d’apparition du creux de la dépression car les mesures de l’état initial ne sont pas suffisantes (en nombre et en qualité). Ils se contentent d’appréhender leur mobilité… Il en sera ainsi jusqu’à la première guerre mondiale.
22Pendant le conflit, bien qu’habitant près du front de Champagne, André des Gachons ignore tout des transformations de la science météorologique à cause même de la guerre. La prévision du BCM est inadaptée aux besoins de l’artillerie, de l’aérostation, de l’aviation et des compagnies Z dédiées aux gaz de combat et de leur mobilisation simultanée lors d’une bataille. Dès 1915, les Services géographiques de l’armée ont un service dédié, puis le commandement se dote d’un Bureau météorologique du ministère de la guerre (BMMG). Il installe 80 stations de relevés le long du front, recrute et forme des soldats. Il mobilise aussi les savoirs de tous les scientifiques de l’époque pour passer à quatre relevés par jour, pour améliorer les appareils de mesure, pour comprendre la physique de l’air en altitude, pour imaginer de nouvelles méthodes de prévision du temps à venir. A la demande du Général Bourgeois, le jeune Philippe Schereschewsky recrute dans le Service Météorologique aux Armées tous ses amis de la promotion 1911 de l’École Polytechnique : Philippe Wehrlé, Robert Bureau, Robert Weissenburger, Robert Cavenel, René Grandpierre. Début 1916, le service est opérationnel avec même un réseau d'observations en altitude et des méthodes de prévision à court terme à partir de calcul mathématique sur les variations des creux barométriques (Guilbert, 1914). La marginalisation du BCM prend fin en 1920 avec la fusion des services militaires et civils dans l’Office national météorologique (ONM) rattaché aux Travaux publics, mais sous la direction de l'ancienne météorologie militaire.
23En même temps, Wilhem et Jacob Bjerknes, à Bergen, cherchent à théoriser le fonctionnement de l’atmosphère et tentent d’utiliser des équations différentielles. L‘échec de prévision par modélisation leur donne l’opportunité de proposer une méthode d’extrapolation visuelle du cheminement et de l’évolution des « fronts » et leurs tourbillons sur les cartes synoptiques . L’école norvégienne nomme « théorie des fronts » cette méthode pragmatique, qui mixe la mécanique des fluides, les données récoltées au sol et en altitude (Bjerknes, 1919 puis 1923). Elle facilite la prévision météorologique indispensable à l’aéronautique si bien qu’elle s’impose rapidement même si ce n’est pas une découverte révolutionnaire pour la majorité des météorologistes. L’outil visuel distingue sur les bulletins quotidiens le front froid du front chaud en 1929 avec des pointillés puis un trait à barbules en 1937. Ce dessin est repris dans tous les manuels pendant près d’un siècle. Le terme de front, par analogie avec les armées en guerre en 1914-18 permet de dater cette découverte tout en la qualifiant.
24Bjerknes et al. dessinent les perturbations frontales vues de dessus et en coupe (Figure n°5). Sur les cartes barométriques au sol, dans les centres de basse pression, les vents convergent et en se rencontrant les masses d’air chaudes venues des tropiques sont soulevées par les masses d’air polaire plus denses. Le long des discontinuités, donc des fronts, les mécanismes d’ascendance se traduisent par un défilé rapide de nuages. Dans l’air froid, apparaissent des nuages d’altitude (alto-) de plus en plus bas au passage du front chaud qui s’accompagnent de précipitations peu denses, puis vient le secteur chaud au ciel couvert de stratiformes. Puis brutalement surgit une instabilité que traduisent les cumuliformes donnant des averses drues lors du passage du front froid. Ce dernier se déplaçant plus vite que le front chaud finit par le rattraper et c’est l’occlusion. A l’arrière l’air froid subsident rend la visibilité excellente.
25C’est ce scénario à épisodes qu’André des Gachons a sans doute essayé de reconstituer... par une suite d’aquarelles à un rythme infra journalier inhabituel pour lui.
Document 5 : Cyclone norvégien avec fronts en plan et en coupe, tel que figuré dans l’article de 1923
26Entre les deux guerres, vers 1938 avec Carl Rossby, les connaissances aéronautiques ont montré que vers 15-20 km d’altitude, la théorie frontale n’est pas opérante… et qu’elle ne s’applique pas non plus aux régions situées entre les tropiques. Les cyclones y ont des spécificités reconnues un siècle auparavant (Piddington, 1839) qui ont imposé de qualifier par un adjectif (cyclone tropical/cyclone norvégien) les noyaux de basse pression par opposition aux noyaux de haute pression (anticyclone).
27Quel sens peut-on donner aujourd’hui à ces interrogations sur les bizarreries du ciel peintes par André des Gachons ? Les nuages de guerre ont heureusement disparu des ciels de Champagne alors même que les images de bataille (photographies, films) se sont banalisées sur les écrans. Quant aux perturbations, comme les giboulées d’avril 1916, la science les a expliquées...
28André des Gachons a continué son travail de bénévole, jusqu’à sa mort, en 1951. Il fut certainement très déçu de ne pas être entré dans l’histoire de la météorologie, et même de la science en général avec ses études du rayonnement nocturne. Petite consolation, il a constitué une archive de ciels en couleur qui donne une image, une ambiance, une « météo » aux multiples témoignages de soldats de la grande guerre… Il entre ainsi par la petite porte dans l’histoire alors même que l’histoire de l’art commence à le reconnaître pour son travail sériel.
29Même son activité de bénévole, certainement importante pour lui, est remise en cause. Ces 3000 praticiens ont voulu a minima apporter leur pierre à la connaissance locale et régionale des phénomènes météorologiques. Ils se voyaient comme la mémoire du temps local qu’ils pouvaient restituer sans emphase, contrairement à la presse, la radio, la télévision et les réseaux sociaux. Or, depuis 2022, parce qu’ils sont de plus en plus difficiles à dénicher, Météo France leur substitue 750 stations automatiques. Déjà original à son époque avec ses aquarelles, l’imagier météorologiste André des Gachons aurait bien du mal à avoir un successeur au 21e siècle.
30La volatilité de la mémoire du temps s’accompagne d’une amnésie de l’histoire des sciences et des techniques. A l’heure des scenarios du futur climat à 100 ans, qui se souvient que la science météorologique n’a que 150 ans, tant elle se mêle à une météorologie populaire vieille comme le monde ?