1La France vit un moment mémoriel, fondé sur une infinité de mémoires, chaotique et difficile à déchiffrer. La société est traversée par une multitude de récits et de contre-récits, de narrations, de contre-narrations, d’énonciations du passé. Une demande sociale et des revendications mémorielles complexes, ciblent plus particulièrement, d’une part, un souci de rendre les figures féminines davantage visibles et d’autre part, une remise en question de la mémoire coloniale. Ces revendications s’appuient sur la mise en avant de figures d’incarnation (héros/anti-héros, personnalités, modèles martyrs), tant féminines que masculines.
2Le pays commémore beaucoup les grandes pages de son histoire. Ce qui alimente une surenchère, un trop-plein de célébrations (parfois des sur-célébrations), de commémorations, d’évocations, d’anniversaires, d’hommages. Il n’existe pas de mémoire en soi (Chevallier, 2020). Pour la faire advenir il faut des entrepreneurs de mémoire. Les mémoires sont soutenues par des actes, des rituels, des contextualisations (Chevalier, op. cit.).
- i Les enquêtes se sont déroulées en mars, avril et mai 2023. La méthodologie de travail s’appuie sur (...)
3L’acte mémoriel central et fondamental dans le pays réside dans l’hommage, qui peut être collectif ou individuel. Toutes les institutions républicainesi, certaines collectivités territoriales, procèdent à des hommages : le Panthéon (Bélaval, 2013), l’Hôtel des Invalides (Rieucau, 2023), le Palais du Louvre, l’Arc de Triomphe, le Mont-Valérien, la crypte de la Sorbonne, les cimetières (Père Lachaise, Passy, Montmartre, Montparnasse) (Delon, 2017), la Mairie de Paris.
- ii Le moteur de recherche Google, à la rubrique : lieux de mémoires parisiens, recense les emplacement (...)
4L’ensemble de ces actes mémoriels questionne le concept de lieux de mémoireii (Knafou, 2012). Ce sont des lieux de mémoire collective (Delon, op. cit.), des lieux de construction mémorielle : monuments, bâtiments publics, musées, mémoriaux, cimetières (Chevallier, op. cit.).
- iii Un odonyme est un nom de lieu qui se réfère à une voie de circulation. Par extension, il concerne l (...)
5Une première partie traitera des architectures monumentales nécessaires et dédiées aux commémorations et aux hommages : dômes, places, cours, esplanades. Un deuxième temps analysera les deux principaux piliers mémoriels parisiens et nationaux : le monument du Panthéon et l’Hôtel des Invalides. Enfin, un troisième mouvement décryptera les institutions mémorielles concurrentes du Panthéon : les Invalides, l’Arc de Triomphe, le Mont-Valérien et le rôle déterminant de la Mairie de Paris, d’une part dans l’attribution des odonymesiii (nomenclatures et équipements), d’autre par pour les hommages rendus au moyen des plaques commémoratives.
6Les termes coupole et dôme sont synonymes dans leur emploi courant. Dans le vocabulaire technique de l’architecture, ils revêtent des sens distincts. Pour les architectes la coupole est à l’intérieur d’un toit en demi-sphère, le dôme à l’extérieur.
7La coupole est emblématique de la façon dont une civilisation définit sa relation avec le cosmos et dont les puissants lient leurs pouvoirs terrestres à un droit divin (Terrin, 2006). La coupole n’est pas limitée à l’architecture musulmane, elle existe dans d’autres religions et civilisations. Certaines coupoles recouvrent les habitations les plus modestes, d’autres servent à couronner un palais. Beaucoup sont réservées à des édifices sacrés, pour abriter des rites funéraires (Terrin, op. cit.). Les coupoles tiennent toujours une place exceptionnelle dans l’architecture. Mausolées impériaux, baptistères chrétiens, mosquées et marabouts islamiques (Rieucau, Souissi, 2016), panthéons, capitoles républicains, tous ces édifices incitent au recueillement (Terrin, op. cit.).
8Les coupoles sont davantage présentes dans l’architecture islamique que dans aucune autre civilisation (Terrin, op. cit.). Les coupoles musulmanes se sont développées pendant dix siècles, entre l’océan Atlantique et le fleuve Indus, marquant de nombreux paysages, dont elles forment le principal élément unificateur (Terrin, op. cit.). L’arrondi du toit de la coupole, dans l’islam, représente une voûte céleste qui signifie la transcendance de l’homme vers Dieu (Rieucau, 2020). La coupole du musée du Louvre d’Abu Dhabi, conçue par l’architecte français Jean Nouvel, inaugurée en 2017, constitue une métaphore du cosmos, inscrite dans la tradition de l’architecture arabe, qui est liée à la géométrie et à la lumière (Rieucau, op. cit.). Construite en inox, de forme aplatie, d’une taille exceptionnelle (180 mètres x 39 mètres), elle est percée de 1 800 trous.
9En 1774, après une grave maladie, dont il attribue la guérison à l’invocation de sainte-Geneviève, Louis XV fait le vœu de consacrer à la sainte, un édifice prestigieux, sous la forme d’une nouvelle basilique. L’ampleur du projet sert la volonté politique de Louis XV. Situé au cœur du quartier de la contestation religieuse, les jansénistes opérant à proximité, le nouvel édifice a pour objectif de rétablir le prestige d’une église divisée. Le projet de nouvelle basilique est confié en 1755 à l’architecte Soufflot, son collaborateur Rondelet achève l’édifice en 1790.
10Soufflot a exercé une forte influence sur le mouvement architectural néo-classique. Il a également travaillé à la rénovation du Louvre. Il s’inspire du modèle représenté par le Panthéon de Rome, un temple païen transformé en église chrétienne (Delon, op. cit.). Le dôme s’inspire des grands exemples de la Renaissance. L’architecte prend également modèle sur Saint-Paul à Londres et sur l’Hôtel des Invalides. De l’architecture antique, l’édifice utilise la forme du temple à colonnades. Établi au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, le dôme du Panthéon culmine à 83 mètres. Il superpose trois calottes, dominées par une croix. Le monument du Panthéon déploie un paysage monumental et mémoriel (Gauchon, 2007). À l’intérieur, sous la coupole, se trouvent les plus anciennes peintures et fresques, commencées sous le Premier Empire et terminées sous la Restauration, montrant l’apothéose de Sainte-Geneviève. Sur le fronton, à l’extérieur, un bas-relief distribue des couronnes de laurier aux grands hommes.
11L’Hôtel des Invalides (document 1), dont la construction est ordonnée par Louis XIV, est achevé en 1674, afin d’accueillir des soldats blessés, malades ou âgés et les invalides des armées. L’établissement assure plusieurs fonctions : hôpital, hospice, caserne et couvent. Il est administré par un gouverneur. Cet immense complexe architectural constitue un des chefs-d’œuvre de l’architecture classique française. Il se compose de l’Hôtel des Invalides, de la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides dite « l’église des soldats », édifiée sous le dôme doré, d’une nécropole militaire, de musées, d’organismes de la mémoire des anciens combattants. Sa cour d’honneur s’inspire de celle du palais de l’Escurial à Madrid. Le dôme prend également pour modèle, l’hospice de la Salpêtrière, ainsi que l’hospice des Incurables. Le dôme, de forme ovoïde, culmine à 90 mètres, surmonté d’un lanternon entièrement doré, portant la hauteur totale à 107 mètres. À l’intérieur, prennent place deux coupoles en pierre de taille. Le dôme doré, aujourd’hui désacralisé, imprègne, par sa hauteur et sa magnificence, l’ensemble du paysage urbain du VIIe arrondissement de Paris.
Document 1 : L’Hôtel des Invalides
Le complexe mémoriel de l’Hôtel des Invalides et de la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides. Louis XIV ordonna la construction des Invalides, qui fut achevé en 1674. La cathédrale abrite les sépultures de militaires illustres (Foch et Lyautey), ainsi que le caveau de Napoléon.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2022
12Le terme place, d’emploi très général, désigne le plus souvent un lieu public. Les places constituent des espaces dégagés à l’intérieur d’une ville, consacrés à plusieurs usages : la rencontre, la promenade, les affaires, les parades, les cérémonies utiles au consensus collectif (Brunet, Ferras, Théry, 2005).
13Le terrorisme international (Maroc), la contestation de pouvoirs non démocratiques (Ukraine, Égypte, Turquie, etc.), instrumentalisent les places, pour déstabiliser un pays ou contester un pouvoir.
14La place Jemaa el-Fna à Marrakech, au Maroc, constitue un haut lieu touristique et patrimonial. L’Unesco l’a classée, en 2001, au patrimoine oral et immatériel de l’humanité. La complexité du lieu s’appuie sur ses symboliques, ses usages, ses acteurs. Pour les Marrakchis, cette place est un lieu de rencontres, de divertissement, de consommation. Ce lieu, par ses symboliques multiples, la diversité de ses usages, le nombre de ses acteurs, est aussi un espace d’enjeux et de tensions. Il oppose les défenseurs du tourisme et ceux qui privilégient la patrimonialisation. Il sert de contact entre une culture populaire et le tourisme international. Il peut également être le siège d’attentats, tel celui du 28 avril 2011 (Oiry-Varacca, Gauthier, 2011).
15La place Taksim, à Istanbul, en Turquie,est un espace très convoité, sur lequel depuis 2018, s’élève une imposante mosquée, à la taille disproportionnée. À proximité de ce lieu, s’élèvent trois églises, dont l’église grecque orthodoxe Ana Triada et, à quelques mètres, une statue commémorant la fondation de la République par Atatürk. Cette place est considérée comme le cœur névralgique de la rive européenne de la ville. Elle a longtemps attiré les touristes européens, les jeunes Stambouliotes, dans ses restaurants et ses cinémas. Depuis l’affermissement du pouvoir autocratique de Recep Tayyip Erdoğan, au pouvoir depuis 2002, ces équipements culturels et récréatifs ont majoritairement fermé et se sont déplacés sur la rive asiatique de la ville. Par contre, la construction de cette nouvelle mosquée provoque la recomposition de la fréquentation du lieu, en attirant un nombre croissant de touristes, issus des pays arabes du golfe Arabo-Persique. Cette clientèle est séduite par les valeurs conservatrices et religieuses instaurées par le pouvoir de l’AKP (Parti de la justice et du développement), qui mêlent islam et libéralisme économique, que symbolisent les mosquées et de vastes centres commerciaux (malls).
16La place Maïdan ou place de l’Indépendance, à Kiev, en Ukraine, est ainsi dénommée depuis 1991, date de l’indépendance du pays, aux dépens de la Russie. L’odonymie fluctuante du lieu reflète les enjeux qui traversent la société ukrainienne (Révolution dite « Orange » fin 2004, marquée par des valeurs pro-démocratiques et pro-européennes).
17Il en va de même au Caire, en Égypte, avec la place Tahrir, ou « place de la Libération », lors du « printemps arabe » de 2011. Cet espace public a été longuement occupé dans la période qui a précédé la chute du Président Hosni Moubarak.
18Dès 1763, Soufflot dessine une place monumentale, dans laquelle, une école de droit est bâtie à partir de 1771, ainsi qu’une école de théologie (actuelle mairie du Ve arrondissement de Paris), qui répondent à l’architecture de l’église Sainte-Geneviève. La place du Panthéon (document 2) déploie un espace densément monumentalisé.
19En 1949, sur la place du Panthéon, sont portés les restes de Victor Schoelcher (1804-1893) et de Félix Éboué (1884-1944), deux figures de l’abolition de l’esclavage, avant leur transfert dans le monument. Le président François Mitterrand, en mai 1981, choisit cette place pour son investiture. Mais, au XXIe siècle, la place du Panthéon est sous-utilisée lors de la visite de dirigeants étrangers, sauf demande personnelle de chefs d’État en visite en France, désireux de connaître le lieu, ainsi que le monument national. La place du Panthéon est suffisamment vaste pour accueillir quatre compagnies militaires, ce qui sied à la réception de chefs d’État étrangers (Bélaval, op. cit.). Mais, dans le protocole d’accueil de ces personnalités, la tombe du soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe, est davantage utilisée (Bélaval, op. cit.).
Document 2 : La place du Panthéon
Cette place monumentale a été dessinée en 1763, par l’architecte Jacques-Germain Soufflot.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
20Une esplanade est un lieu aplani, découvert, dégagé, à des fins de défilés et de parades militaires (Brunet, Ferras, Théry, op.cit.). La place Rouge à Moscou, la place Tien An Men à Pékin, sont des esplanades.
21L’esplanade des Invalides, vaste espace vert parisien, est créée au XVIIIe siècle. Située entre la place des Invalides et le Quai d’Orsay, elle donne sur la façade nord de l’Hôtel des Invalides. Lors de l’Exposition universelle de 1900, elle fut reliée aux Champs-Élysées par le pont Alexandre III. À l’époque contemporaine, nombre de cortèges syndicaux s’y forment, avant de poursuivre leurs itinéraires à travers Paris (Rieucau, 2023).
22Si les valeurs attachées au Panthéon sont connotées laïques et républicaines, d’autres lieux publics, en particulier les grandes places de la capitale, sont en lien avec des valeurs davantage conservatrices. L’esplanade du Louvre serait un lieu neutre, mais évoque également le bonapartisme et la royauté. L’investiture du Président Macron, en 2017, initialement prévue au Champ-de-Mars, devant la tour Eiffel, s’est déroulée sur l’esplanade du Louvre ou cour Napoléon. À l’inverse, les places de la République et de la Bastille seraient associées à la gauche, alors que celle de la Concorde serait davantage en lien avec les partis conservateurs.
23Une cour est un espace vide et plan, mais délimité et servant d’espaces de manœuvre et de communication (Brunet, Ferras, Théry, op. cit.). Une hiérarchie des cours existe dans les palais, châteaux et monuments (avant-cour, cour d’honneur, cour des communs). La cour s’oppose au jardin. Elle n’est pas cultivée, son sol est inerte, voire revêtu.
24La cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides (document 3) s’inspire de celle du palais de l’Escurial à Madrid. Napoléon 1er, dont la statue en pied, le représentant en petit caporal, trône dans ce lieu, procède, en 1804, à la première remise d’une Légion d’honneur. Depuis 1840, avec le retour des cendres de l’Empereur, l’ « hommage national » se fait dans la cour d’honneur. Cette reconnaissance constitue une distinction officielle. Il s’agit d’un hommage rendu aux soldats tués au combat. L’éloge funèbre est prononcé par le Président de la République. Le drapeau français est déposé sur le cercueil.
Document 3 : La cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides
L’architecture de la cour d’honneur des Invalides s’inspire de celle du palais de l’Escurial à Madrid.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2022
25Cette vaste cour s’ouvre vers l’extérieur, et déploie une perspective, en direction du Carrousel, petit arc de triomphe érigé en 1805, pour célébrer les victoires militaires de l’empereur Napoléon 1er, puis au-delà vers le jardin des Tuileries. Depuis 1989, cette esplanade (document 4) accueille la pyramide du Louvre, décidée par le président François Mitterrand, qui constitue l’entrée principale du musée éponyme. L’usage d’une pyramide est symbolique et démonstratif (Brunet, Ferras, Théry, op. cit.). L’intérêt touristique de cette pyramide renforce l’attractivité du musée du Louvre, premier établissement au monde pour le nombre de visiteurs, avant 2020 et l’épidémie mondiale de la Covid 19. Le quai François Mitterrand borde le musée du Louvre, côté Seine. Le président Emmanuel Macron, lors de son investiture, en 2017, est venu à pied, depuis la Cour Carrée, jusqu’à l’Esplanade du Louvre et sa pyramide, dans la pénombre, rappelant la marche de François Mitterrand, en 1981, lors de son investiture au Panthéon.
Document 4 : La cour Napoléon ou Esplanade du Louvre
La cour Napoléon déploie une large perspective, en direction de l’Arc de triomphe du Carrousel, érigé en 1805, puis au-delà vers le jardin des Tuileries. En son centre, depuis 1989, elle accueille la pyramide du Louvre.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
26De style Renaissance, elle constitue une des cours du Palais du Louvre et abrite la chapelle des caryatides. Cette cour (document 5), de taille moyenne, comporte trois entrées ouvertes au public, en communication avec le quartier environnant. Cela la rend facile à fermer, et à privatiser temporairement, lors des cérémonies d’hommages. Elle accueille les hommages de personnalités artistiques, dont le dernier en date est celui de Pierre Soulages (1919-2022), le 2 novembre 2022, rendu, au nom de l’ensemble de la nation, par le président Emmanuel Macron. André Malraux, en 1963, prononçait une puissante oraison funèbre pour les obsèques de George Braque, puis en 1965, il célébra le génie de Le Corbusier.
Document 5 : La Cour carrée du Louvre
Cette cour, de taille moyenne, de style Renaissance, abrite la chapelle des caryatides.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
27En 1791, le monument néo-classique est transformé en Panthéon national. Par deux fois, l’immense sanctuaire retrouve son rôle d’église (de 1806 à 1831, puis en 1852), avant d’être définitivement réinvesti de sa destination républicaine en 1885, à l’occasion des funérailles de Victor Hugo (1802-1885). Préalablement Napoléon 1er, en 1806, décide d’un double statut du bâtiment, le hall principal étant rendu au culte et la crypte réservée aux gloires nationales (Delon, op. cit.).
28Un foisonnement de termes qualifie ce monument : sanctuaire du Panthéon, capitole républicain, nécropole des grands hommes (document 6), nécropole nationale, lieu de mémoire collective (Delon, op. cit.). La devise du lieu s’appuie sur la formule : « science et conscience ». Le Panthéon devient le lieu des combats politiques, moraux et sociaux. Le monument honore les valeurs et l’esprit nés du Siècle des Lumières, la lutte pour la liberté et l’opposition à la colonisation et à l’esclavage, le courage et la Résistance, qui est également à l’honneur dans l’Hôtel des Invalides (Rieucau, 2023).
Document 6 : Le Monument du Panthéon
En 1791, ce monument néo-classique est transformé en Panthéon national. Par deux fois, il retrouve son rôle d’église (de 1806 à 1831, puis en 1852), avant d’être définitivement réinvesti de sa fonction républicaine en 1885.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
29Le Panthéon qui reçoit les héros du récit national porté par l’État, est considéré comme le lieu-symbole de la République et de la laïcité. Le transfert des restes ou des cendres d’une personnalité au Panthéon relève de choix politiques, davantage que d’enjeux historiques.
30Sous la Révolution, deux philosophes intègrent le Panthéon, Voltaire en 1791 et Jean-Jacques Rousseau en 1794. Sous l’Empire, l’explorateur Louis-Antoine Bougainville, sous la Restauration Jacques-Germain Soufflot, rejoignent ce lieu de mémoire. Les dignitaires de l’Empire ont été inhumés sur décret de Napoléon Ier. La IIIe République y fait entrer Victor Hugo en 1885, Émile Zola en 1908, Léon Gambetta en 1920 et Jean Jaurès en 1924. La Ve République panthéonisera : Jean Moulin (1899-1943) en 1964, Jean Monnet en 1988, Nicolas de Condorcet en 1989, Pierre et Marie Curie en 1995, André Malraux en 1996, Alexandre Dumas en 2002.
31La crypte du Panthéon constitue un dédale mémoriel fort complexe. Léon Gambetta (1838-1882), fondateur de la IIIe République, est honoré par une urne porphyrique contenant son cœur, placée dans l’escalier d’accès à ce lieu souterrain (document 7). Le vestibule abrite les sépultures de deux philosophes emblématiques du Siècle des Lumières, Voltaire (document 8) et Rousseau. La crypte recèle également les sépultures de grands écrivains, Victor Hugo, Émile Zola et Alexandre Dumas. Elle accueille les restes de grandes figures de la lutte pour l’égalité et contre l’esclavage, Victor Schoelcher, Félix Éboué en 1949 et honore Aimé Césaire. De grandes voix de la démocratie, à l’aube de la Révolution, y sont rassemblées, Condorcet et Monge ainsi que l’abbé Grégoire. Le courage et la Résistance trouvent leur place avec Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette, Jean Moulin, et Jean Zay. André Malraux (transfert des cendres en 1996) y côtoie Jean Monnet. Plus récemment, y sont reçus Pierre et Marie Curie, Maurice Genevoix en 2020, Simone Veil et son mari (2018). Depuis novembre 2021, Joséphine Baker complète la liste des figures panthéonisées.
Document 7 : L’urne porphyrique contenant le cœur de Léon Gambetta (1838-1882), dans la crypte du Panthéon
La crypte du Panthéon renferme également les sépultures de Voltaire, Rousseau, Zola, Alexandre Dumas, Aimé Césaire, Condorcet, Jean Moulin, André Malraux, Pierre et Marie Curie, ainsi que celles d’autres grandes figures.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
Document 8 : La statue de Voltaire dans la crypte du Panthéon
Le Panthéon, qui se revendique de la devise « science et conscience », honore largement les philosophes du Siècle des Lumières (Rousseau, Voltaire, Diderot, Condorcet).
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
32Aucun musicien n’est entré au Panthéon, Alexandre Dumas, ayant été préféré à Hector Berlioz. Un collectif, en 2020, demande la panthéonisation de Rimbaud, décision écartée par le chef de l’État de l’époque. D’autres personnalités militent sans succès pour l’instant, pour l’entrée du philosophe Denis Diderot.
33La panthéonisation prend peu en compte les figures féminines et laisse à l’écart les personnalités étrangères, seulement au nombre de six. Peu de figures d’incarnation féminine son honorées : la philosophe Simone Weil, l’exploratrice Alexandra David-Néel (première femme à se rendre dans la cité interdite de Lhassa), Aliénor d’Aquitaine, la résistante Simone Veil, Germaine Tillion, et Joséphine Baker. Une campagne existe autour de la demande de panthéonisation d’Olympe de Gouges (1748-1793). D’autre part, le marquage très genré des abords du monument déploie encore un hôtel des Grands Hommes.
34Actuellement, il existe trois formes d’hommages au Panthéon : la tombe, l’inscription (ou apposition d’une plaque) individuelle ou collective, le monument lui-même individuel ou collectif (Bélaval, op. cit.). Les tombes sont très largement les plus nombreuses. Les inscriptions se situent dans la crypte : les morts des Révolutions de 1830 et de 1848, les Justes de France, Aimé Césaire, Toussaint Louverture et Louis Delgrès (1766-1802), mais également dans la nef (inscriptions aux écrivains combattants des deux guerres mondiales, tels Antoine de Saint-Exupéry et Henri Bergson). Les monuments ou statues sont au nombre de deux dans la partie basse (statue de Voltaire, urne monumentale de Gambetta) (document 8). Mais c’est la nef qui rassemble les plus nombreux monuments : monument à la Convention Nationale, aux héros de la bataille de Valmy, aux héros et morts inconnus de la Première Guerre mondiale, les monuments « à la gloire des généraux de la Révolution », au « orateurs et publicistes de la Restauration », à « Diderot et aux Encyclopédistes », enfin à Jean-Jacques Rousseau. Le symbole de la tombe marque davantage les esprits que les autres hommages (Bélaval, op. cit.) Dans un grand nombre de situations, une inhumation n’est pas possible, il s’agit d’un transfert des cendres.
35L’art urbain institutionnel, financé et encadré par les institutions muséales, enrichit les abords de deux lieux de mémoire parisiens, l’Hôtel des Invalides et le Panthéon. Christian Guémy, alias C215, réalise dans Paris et sa banlieue, des graffitis historiques éphémères. Cet artiste, également historien de l’art de formation, travaille à partir de photographies, puis exécute des graffes, au pochoir ou à la bombe. Dès 2002, il réalise, d’abord dans le XIVe arrondissement de Paris, le parcours Femmes de la Résistance.
36Puis, en 2018, afin de donner de la valeur au concept de panthéonisation, ce graffeur réalise une exposition dans la crypte du Panthéon, à l’initiative de la Réunion des musées nationaux qui gèrent le monument. Puis, dans un deuxième temps, il représente, en extérieur, dans les rues du Ve arrondissement, situées autour de cette institution nationale, vingt-huit portraits de personnalités historiques panthéonisées, dites « les Illustres ». Les principales figures historiques sont : Germaine Tillion, Antoine de Saint-Exupéry, Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau, Aimé Césaire, Joséphine Baker, Simone Veil. Il opère sur différents supports : murs délabrés, boîtes aux lettres détournées (customisées), meubles ou boîtiers électriques. Trois œuvres ont résisté au passage du temps, en 2023, celle de Denis Diderot (document 9), celle de Jean-Jacques Rousseau et de Bougainville (document 10), représentée pour cette dernière, sur un boîtier électrique, à proximité de l’Institut de Géographie. Christian Guémy, par ses œuvres éphémères territorialisées dans le quartier latin, rappelle la mémoire de ces grandes figures de l’Histoire de France.
Document 9 : Portrait de Denis Diderot représenté par un graffe, sur la place du Panthéon
L’art urbain institutionnel, au moyen d’œuvres éphémères, localisées dans le quartier latin, autour du Panthéon, représente en extérieur les « Illustres », ou principales figures panthéonisées ou célébrées dans le sanctuaire national. L’artiste urbain C-215 a réalisé, au pochoir, ce portait de Diderot, en accord avec les Monuments Historiques.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
Document 10 : le portrait de l’explorateur Louis-Antoine de Bougainville, représenté sous la forme d’un graffe, sur une installation électrique, devant l’Institut de Géographie de Paris.
Le graffeur et les Monuments Historiques ont respecté une logique d’implantation, en localisant cette représentation de l’explorateur Bougainville, à proximité des Instituts de Géographie et d’Océanographie. Bougainville (1729-1811) fut un officier de marine, un écrivain et un philosophe, auteur du Voyage autour du monde.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2023
37Cet artiste de rue, très concerné par les lieux de mémoire parisiens, a opéré également dans le VIIe arrondissement de Paris, autour de l’Hôtel des Invalides, dans le quartier dit le Gros Caillou (Rieucau, 2023). En 2022, cet artiste collabore avec le Musée de l’Ordre de la Libération, lors de l’exposition Entre Ombre et Lumière. En parallèle, grâce à des accords passés avec ce musée, il représente en extérieur, des portraits d’une vingtaine de Compagnons de la Libération. Par ses œuvres, il souhaite poser la question de l’héroïsme.
38Avec 700 000 entrées annuelles, le monument du Panthéon arrive au quatrième rang des monuments gérés par le Centre des Monuments Nationaux dont le Mont-Saint-Michel et l’Arc de Triomphe à Paris (1,4 millions d’entrées) (Bélaval, op. cit.). Ce monument est distancé, en Île de France, par la cathédrale Notre-Dame de Paris (13,6 millions de visiteurs), la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (10,5 millions de visiteurs), le musée du Louvre (8,7 millions de visiteurs), la Tour Eiffel (7,1 millions de visiteurs) et le domaine du château de Versailles (6,7 millions de visiteurs) (Bélaval, op. cit.).
39L’Hôtel des Invalides, décidé par Louis XIV, est terminé en 1674. En tant que « panthéon militaire », il est le lieu de ceux qui sont morts pour la nation. Il constitue le site emblématique de la mémoire de l’armée française. Il abrite les sépultures de militaires illustres : le cœur du maréchal Vauban, le caveau de Napoléon 1er depuis 1861, ceux des maréchaux Lyautey, Foch, Leclerc, Juin, et celui de Rouget de Lisle. Il abrite le Musée de l’Armée, celui des Plans-Reliefs et le Musée de l’Ordre de la Libération. Le Musée de l’Armée, créé en 1905, se revendique tel un lieu qui se confond avec l’Histoire de France, de Louis XIV à la Ve République.
40Dans la tradition militaire française, les Invalides sont un lieu d’hommages. L’hommage constitue une distinction officielle qui s’adresse aux soldats tués au combat. L’éloge funèbre est aujourd’hui prononcé par le Président de la République, le drapeau français est déposé sur le cercueil. Depuis 1840, avec le retour des cendres de Napoléon 1er, l’hommage national se fait dans la cour d’honneur. Napoléon 1er (document 11) entretient une relation particulière avec cette institution militaire, dans laquelle il procède, en 1804, à la première remise d’une Légion d’honneur.
Document 11 : La statue de Napoléon 1er dans la cour des Invalides
Cette représentation de l’Empereur se situe à proximité de l’entrée de la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides et domine la cour d’honneur de l’Hôtel Invalides.
Source : Cliché Jean Rieucau, 2022
41Aujourd’hui, les hommages demeurent majoritairement rendus aux militaires. Mais le nombre des personnalités civiles honorées, de profils très variés, est en augmentation (le commandant Cousteau, l’abbé Pierre, Michel Rocard, Simone Veil, Jean d’Ormesson, Charles Aznavour, Jean-Paul Belmondo). Le 11 mars 2023, le Président Macron a rendu hommage aux victimes des attentats de Paris en 2015 et de Nice en 2016, dans la cour d’honneur des Invalides. Longtemps connoté tel un lieu « conservateur », les Invalides ont perdu cette connotation.
42Dans le Gros-Caillou (Rieucau, 2023), le tombeau de Napoléon 1er, le Musée de l’Ordre de la Libération, sous-tendu par la personnalité du général de Gaulle, sont les curiosités principales, recherchées par les visiteurs internationaux (document 12). Les visiteurs français privilégient davantage la visite de l’ensemble de l’Hôtel des Invalides : la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, le Musée de l’Armée, celui de l’Ordre de la Libération. Dans cette partie du VIIe arrondissement, les touristes nationaux découvrent également les statues-monuments de Vauban, Gallieni, Fayolle et Lyautey (Rieucau, op. cit.). Moins connu, le musée des Plans-Reliefs, qui occupe une des ailes de l’Hôtel des Invalides, en présentant des forts et des citadelles militaires, contribue à renforcer la mémoire du fait militaire dans le quartier du Gros-Caillou. Il draine également des visiteurs français (Rieucau, op. cit.).
43Le terme hommage demeure le plus utilisé en français, mais en contrepoint, le mot « femmage », ou honneur rendu à une femme, fait son apparition. De même le concept de matrimoine est défendu par des mouvements féministes, pour rééquilibrer l’usage du vocable patrimoine. Le terme heritage, dans la langue anglaise, de nature générique, semble davantage consensuel.
44Un hommage national est une cérémonie officielle, généralement destinée aux militaires morts pour la France, même si certaines personnalités civiles au destin exceptionnel, ont été honorées après leur décès. La cérémonie constitue une distinction officielle de la République. Elle se déroule aux Invalides ou au Panthéon, dans un cadre protocolaire très précis, articulée autour du discours et de l’éloge funèbre prononcés par le chef de l’État, qui préside la cérémonie et passe les troupes en revue. Le cercueil du ou de la défunt(e) est recouvert d’un drapeau tricolore.
45Le Panthéon n’est pas le seul monument où la République rende hommage à de grandes figures de l’Histoire de France. D’autres nécropoles existent, chargées d’une valeur commémorative éminente et reconnue : l’Hôtel des Invalides, l’Arc de Triomphe, mais aussi le Mont-Valérien, la crypte de la Sorbonne (Bélaval, op. cit.), ainsi que plusieurs cimetières parisiens.
46Avec l’armistice de la Seconde Guerre mondiale, une loi désigne le pied de l’Arc de Triomphe, pour recevoir les cendres du soldat inconnu (Delon, op. cit.), où son inhumation s’est faite, symboliquement, le 11 novembre 1920. Dès lors, une fragmentation, ainsi qu’une concurrence, entre les lieux de mémoire, se mettent en place.
47La colline du Mont-Valérien est située dans les Hauts-de-Seine, à douze kilomètres à l’ouest de Paris. À partir de 1841, est bâtie la forteresse du Mont-Valérien, pour protéger la capitale. Durant la Seconde Guerre mondiale, entre 1941 et 1944, cette colline constitue le principal lieu d’exécution de résistants (un millier de personnes), dans la Clairière des Fusillés, par les Allemands. En contrebas de ce lieu, le général de Gaulle, le 16 juin 1960, inaugure le Mémorial de la France combattante, en l’honneur des résistants et des déportés. Depuis cette date, chaque année, le président de la République participe à un hommage national. Le 18 juin 2023, le Président Emmanuel Macron célèbre l’appel du 18 juin du général de Gaulle, puis se recueille, d’une part dans la crypte du mémorial où sont inhumés seize corps, d’autre part dans la Clairière des Fusillés.
48Plusieurs cimetières parisiens constituent des lieux de mémoire. En 1804, un décret impérial décide de la création de nouveaux cimetières, hors des limites de la ville. À l’ouest le cimetière de Passy, au nord celui de Montmartre et au sud celui de Montparnasse. Le cimetière de Montmartre, situé au cœur d’un quartier hyper-touristique (surtourisme), abrite aujourd’hui les tombes de hauts gradés, morts pour la France (maréchal Lannes). Il renferme également les sépultures du musicien Offenbach, des hommes de lettres : Stendhal, Alfred de Vigny, et celles de figures récentes du monde de la musique : Dalida, France Gall et Michel Berger.
49Le nom du confesseur de Louis XIV, François d’Aix de La Chaise, fut adopté par les Parisiens, pour nommer le cimetière éponyme, couvrant 44 hectares. Le cimetière du Père Lachaise honore collectivement les morts de plusieurs guerres, par des plaques commémoratives : « À la mémoire des morts pour la France » (sans la citer, il s’agit de la guerre d’Algérie), « La Mairie de Paris, à ses militaires morts et disparus pendant la guerre d’Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc, 1952-1962 », « Avenue des combattants étrangers morts pour la France ». Le Mur des Fédérés désigne le mur sud, siège de violents combats, à l’intérieur de l’enceinte même du cimetière, en 1871, où furent exécutés les Communards survivants.
50Au cimetière du Père Lachaise, certaines sépultures individuelles, très célèbres et internationalement reconnues, y reposent. Si depuis 2010, un portrait de Chopin (1810-1849), qui s’installa à Paris en 1831, se trouve au Panthéon, le musicien est enterré au Père Lachaise, mais son cœur est conservé dans l’église Sainte-Croix à Varsovie (Delon, op . cit.).
51Un des rares cimetières privés de Paris, celui de Picpus, établi au 35 rue de Picpus, dans le XIIe arrondissement, se présente tel un « cimetière historique ». Créé en juin 1794, il accueille des sépultures de la haute aristocratie française, dont certaines figures ont été exécutées sous la Terreur (1 306 victimes enterrées dans une fosse commune). Il comporte la tombe du marquis de La Fayette et celle du poète André Chénier.
52La commission de la Mémoire et du Monde Combattant de la mairie de Paris intervient en matière d’hommages publics et de nomenclatures officielles ou odonymes. Depuis 2001 jusqu’à 2021, cette collectivité en dresse un inventaire exhaustif (Patrice, 2022).
53La demande sociétale pour honorer des figures d’incarnation (seulement 14% de personnalités féminines) suit une courbe exponentielle, qui oblige la Mairie de Paris à nommer de micro-espaces, des lieux infimes, entraînant un gonflement de la nomenclature. Coins et recoins sont dénommés, qualifiés. Les odonymes sont contextualisés et le moins possible débaptisés. Les stèles et les plaques commémoratives, apposées cette collectivité territoriale, participent largement du paradigme victimaire (rafles, déportés, torturés, fusillés, dénonciations, enfants détenus, martyrs, lutte des sans-papiers, victimes d’attentats, victimes d’incendies, massacres, femmes victimes de violences, victimes de génocides, victimes des accidents du travail, victimes de bombardements, droits de l’enfant, etc.).
54Nombre de lieux nouvellement nommés concernent : des allées, des allées à l’intérieur d’un parc (allée Michel Berger au parc Monceau, des passages (Miriam Makeba), des quais (François Mitterrand), Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, Aimé Césaire), des promenades, des esplanades (des Villes Compagnons de la Libération), des places (de l’émir Abd El-Kader) (Rieucau, 2022), des jardins (Anne Frank, Mulâtresse Solitude, Isabelle Eberhardt, des Grands explorateurs, des Mères-et-Grands-Mères-de-la-place-de-Mai), des jardins-promenades, des coulées (coulée verte René Dumont), des parcs (Clichy-Batignolles-Martin Luther King), des mails (Pierre Desproges) (Patrice, op. cit.).
55Ces emplacements relèvent de la symbolique et sont généralement dépourvus d’une adresse postale (adressage). Ces micro-espaces nommés sont également des carrefours (général Pâris de Bollardière), des passerelles (Simone de Beauvoir, Arletty, Maria Casarès, Emmanuelle Riva, Léopold Sédar Senghor), des parvis (Parvis Notre-Dame-Place Jean-Paul-lI, Parvis du tribunal de Paris, Parvis de la Bibliothèque nationale de France), des passages (Susan Sontag), des terrasses, des pelouses, des jardinets, des placettes, de petits ponts, des pistes cyclables, des boulodromes, des ruelles, un archipel (Archipel des Berges de la Seine Niki de Saint-Phalle), des belvédères, des cours (Patrice, op. cit.).
56La recherche linguistique, la variété des échelles géographiques, la diversité des personnes honorées, rivalisent d’originalité : le square de la Raffinerie Say, la résidence sociale, l’espace numérique, le centre d’animation (René Goscinny), le centre Paris Wangari Muta Maathai (prix Nobel de la paix kenyane), le café sportif, la salle de boxe, la piste d’athlétisme, l’archipel (des Berges de la Seine Niki de Saint-Phalle, la pelouse (Billie Holliday), le petit-pont (cardinal Lustiger, situé à l’une des extrémités du parvis de Notre-Dame-Jean-Paul-II, les cendres de Jean Moulin columbarium du Père Lachaise) (Patrice, op. cit.).
57L’intense demande d’espaces pour nommer les lieux débouche sur la construction d’odonymes doubles (générique/spécifique). Le spécifique se compose d’un patronyme (anthroponyme). Il s’agit : Jardin d’agronomie tropicale-René Dumont, Parc Clichy Batignolles-Martin Luther King, Jardins des Grands Moulins-Abbé-Pierre, square du Temple-Elie Wiesel).
58Les objectifs recherchés, selon la mairie de Paris, visent à renforcer une cohérence nominale par quartier (passerelles de comédiennes sur le canal Saint-Martin). À proximité des cafés littéraires des Deux Magots, du Café de Flore, sont mises en avant les dénominations littéraires : parvis Juliette Gréco, place Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre.
59Les plaques bleues émaillées permettent d’introduire, de raconter l’histoire d’un pays dans l’espace public (Dutour, 2006). La contextualisation des plaques introduit des fragments d’histoire. Aujourd’hui, les attributions des noms de rue par les municipalités, se font dans un contexte de saturation mémorielle et nominale.
60Certaines plaques commémoratives dont les personnalité sont également choisies par la commission de la Mémoire et du Monde Combattant de la mairie de Paris innovent par leurs énonciations singulières : « cénotaphe à la mémoire de Maurice Audin », « dénonciation des zoos humains », « impacts de balles de la Libération de Paris», « J’accuse d’Émile Zola ».
61L’histoire et la mémoire ne cessent de rattraper le temps présent. La résurgence de la mémoire coloniale oblige le pays à regarder son histoire en face. Il est impossible de se débarrasser du passé. Coller à son histoire, sans l’instrumentaliser, sans repentance excessive, devient la ligne centrale de la politique mémorielle des Pouvoirs Publics français. Dans un pays qui s’interroge sur son destin collectif, les plus hautes institutions de l’État commémorent et rendent hommage, de manière croissante, à des figures exceptionnelles, censées engager l’ensemble de la nation.
62Deux institutions nationales conservent, en matière d’hommage, leur primauté, le Monument du Panthéon et l’Hôtel des Invalides. La panthéonisation demeure l’acte suprême de la reconnaissance d’une mémoire individuelle ou collective. Certains hommages rendus dans la Cour d’Honneur de l’Hôtel des Invalides consacrent des personnalités que l’État se doit d’honorer, mais qui ne seront pas panthéonisées. Le Palais du Louvre tente également de participer à ces distinctions nationales (hommage national au peintre Pierre Soulages, en 2022). Chaque grande institution, en dépit de leur mise en concurrence, conserve sa spécialisation. Ainsi se spécifient : « le Panthéon des Grands Hommes », le « Panthéon Militaire pour les Invalides » et la « Maison des Artistes » pour le Louvre. La Mairie de Paris s’interpose, de manière croissante, tel un opérateur de mémoire, pour la statuaire et les effigies, pour l’attribution des odonymes (nomenclatures et équipements), ainsi que pour l’apposition de plaques commémoratives des grandes femmes et des grands hommes de la nation.