1 La géographie des frontières en France a été grandement renouvelée depuis la fin des années 2010. De nombreux ouvrages et études ont été publiés pour la préparation des concours d’enseignement en géographie, au début des années 2020, parallèlement à l’intégration de ce sujet dans les nouveaux programmes d’enseignement secondaire au niveau du lycée, suscitant un nouvel éveil auprès d’un public plus large. Parmi ceux-ci, l’ouvrage collectif réalisé sous la direction de Matthieu Grandpierron et Christophe Réveillard mérite d’être signalé par la somme des connaissances réunis et la qualité des analyses liées à la diversité des auteurs.

2 En effet, la première qualité de ce volume de 453 pages, destiné à un public averti et curieux, est de traiter ce sujet à travers une pluralité d’approches en géographie politique et en géopolitique d’une part, dans d’autres disciplines comme la science politique et le droit d’autre part. Il présente ainsi un éventail de points de vue et d’interprétations sous la forme d’une synthèse globale. L’introduction générale des deux co-directeurs met en évidence notamment la nécessité de cette nouvelle approche de la frontière tant la réflexion sur ce sujet a évolué depuis vingt ans, c’est-à-dire depuis la prise de conscience de la production croissante des frontières internationales. Parallèlement, les nouveaux enjeux géopolitiques et géostratégiques à l’échelle mondiale, depuis le début des années 2010, accentuent la question centrale des limites territoriales des États dont le principe est ancien et reconnu depuis les accords de Westphalie de 1648. Entre autres exemples, la nouvelle posture internationale des États émergents remet en cause les grands principes de l’ordre international, notamment ceux de la souveraineté de certains États et du statut de leurs frontières internationales. Les tensions les plus importantes se cristallisent ainsi sur leur localisation dans tous les espaces (terre, mer, air, spatial, cyber) comme sur l’enjeu de leur reconnaissance par la communauté internationale. Les auteurs de l’ouvrage conduisent ainsi à s’y intéresser de manière à avoir une vue d’ensemble du sujet tout en le traitant à un bon niveau d’analyse.

3 La seconde qualité de cette publication apparaît dans la diversité des compétences des auteurs réunis en un seul volume. Non seulement géographes et historiens sont sollicités, comme dans d’autres publications du même type, mais aussi des juristes, politistes, philosophes et littéraires. De cette diversité de points de vue résulte « une approche multi-paramétrée de la notion de frontière à travers une grande multitude d’exemples concrets » (introduction générale, p. 28). La structure d’ensemble, composée de cinq parties, est révélatrice des thématiques diverses et complémentaires. La première partie aborde la contextualisation du sujet à partir de cas concrets de l’Antiquité (comme l’inévitable étude du Limes romain) à la Première Guerre mondiale (qui participe à la construction des nouvelles frontières en Europe et dans certaines parties du monde). La deuxième met en évidence la dimension sensible des frontières comme objet de tensions dans certaines régions (Moyen-Orient, Chine, Russie, Union européenne, Arctique, Afrique). La troisième traite d’un autre sujet, plus rarement envisagé, qu’est « l’usage stratégique de la frontière » dans le Lawfare et la politique extérieure des États, soit l’usage du droit comme outil d’influence et de revendications plus larges. Les articles portant sur la frontière dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice, sur les entités contestées et les identités (Transnistrie par exemple) sont particulièrement intéressants. La quatrième partie met en valeur l’approche géographique, qui apparaît cependant dans d’autres articles liés à la géographie historique ou l’approche territorialisée du droit, notamment la représentation cartographique comme outil politique et les justifications géographiques dans les revendications de certaines puissances. Enfin, la dernière partie s’intéresse aux représentations géopolitiques de la frontière dans les œuvres politiques, littéraires et philosophiques, notamment dans des situations spécifiques en Europe et dans le monde, comme celle de la centralité romaine dans la géopolitique italienne avant 1943 ou celle de l’Eurasie dans la construction du régime soviétique et dans la politique russe actuelle. C’est cette diversité des interprétations et des analyses liées à des expertises complémentaires qui en fait un ouvrage à découvrir et d’un grand intérêt pour comprendre les incertitudes géopolitiques actuelles.

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