1Les Editions Autrement viennent de publier en septembre 2024 dans leur collection Atlas un riche et bel ouvrage de Denis Mercier consacré aux glaciers. Cet Atlas des glaciers de 95 pages au format 17×25 cm est organisé classiquement en cinq chapitres, composés de six à neuf doubles pages thématiques aux titres et style bien troussés, illustrés par de très nombreuses cartes et représentations graphiques réalisées par Gaëlle Sutton ˗ pour la plupart d’une très belle facture.

2Après une courte et dense introduction, le premier chapitre « Glacier ou glaciers ? » décline les différentes extensions, morphologies et temporalités des glaciers à travers le monde, depuis les immenses inlandsis des hautes latitudes jusqu’aux petits glaciers de paroi de la haute montagne. Le grand âge des glaces polaires est décrit et illustré, celui de l’Antarctique, avec son épaisseur maximale de 4,8 km dépassant de beaucoup celui du Groenland malgré ses 3 km d’épaisseur (1,5 million d’années minimum et 130 000 ans, respectivement). Parmi les glaciers de vallée, certainement les plus fréquentés, le glacier Fedchenko (Tadjikistan) se distingue par sa longueur de 80 km quand celui de Malaspina (Alaska) étale son immense lobe de piémont jusqu’à l’océan Pacifique. Les glaciers de cirque sont eux omniprésents dans les massifs montagneux, jusque dans la chaîne transantarctique qui en compte… 14 060 !

3Le chapitre suivant s’intéresse à la relation entre « Glaciers et climats », de l’échelle globale à celle locale. C’est ainsi que le bilan de masse moyen dans le sud de l’archipel du Svalbard est négatif depuis la fin des années 1950, tandis que les petits glaciers de paroi, malgré leur haute altitude, sont désormais menacés : leur superficie a été réduite de moitié depuis 1952 dans le massif du Mont Blanc. Alors que le front du glacier d’Aletsch, le plus long en Europe avec ses 24 km, devrait reculer de 5 km d’ici 2050, la Mer de Glace aura elle très probablement disparu en 2090. Si le climat gouverne la dynamique des glaciers, ceux-ci sont précieux pour documenter les paléoclimats : les nombreux forages réalisés en Antarctique, au Groenland et en haute montagne, présentés par trois cartes bienvenues, ont ainsi permis de reconstituer les variations passées de la température de l’air ˗ depuis 800 000 ans en Antarctique. Enfin, les interactions entre volcanisme et glaciers, ou les plages perchées résultant des hauts niveaux océaniques associés aux périodes interglaciaires, sont d’autres éléments originaux de ce chapitre.

4Le troisième chapitre porte sur « La fonte actuelle des glaciers », dont témoigne le recul des fronts depuis la fin du Petit Âge Glaciaire, mais qui s’est accélérée depuis les années 1980, ou que traduit l’élévation de 100-160 m de la ligne d’équilibre glaciaire dans les Alpes pour une augmentation de la température de l’air de 1 °C. Les marges désenglacées s’offrent à la colonisation végétale, un élément majeur dans la transition paraglaciaire, mais sont aussi le lieu de formation de lacs proglaciaires, dont la rupture des moraines qui les barrent peuvent engendrer des vidanges brutales aux effets catastrophiques à l’aval. La fonte des glaciers peut déstabiliser des versants, générateurs de tsunamis dans certains fjords, tandis qu’elle contribue à la submersion des deltas par le jeu combiné de l’élévation du niveau de l’océan et de leur subsidence (+3 m/siècle à Bangkok !). Enfin, elle aura des effets sur la ressource en eau, en particulier pour les 870 millions d’habitants qui vivent dans les bassins versants alimentés par les glaciers du Karakorum et de l’Himalaya, dont certains fleuves passeront d’un régime nivo-glaciaire à nivo-pluvial à la fin du XXI^e siècle, avec un moindre débit en été.

5Le quatrième chapitre évoque « Les glaciers disparus », présentant pour l’occasion les méthodes qui permettent la reconstitution de leurs extensions spatiales et de leur chronologie, depuis la Scandinavie jusqu’à l’archipel des Kerguelen en passant par les Alpes. Il discute des effets des variations de l’englacement sur l’altitude du socle rocheux ˗ le rebond isostasique du golfe de Botnie est encore de 8 mm/an alors que l’inlandsis a fini de disparaître il y a 9 700 ans ˗, sur le creusement des fjords des Andes méridionales, localisés sur les failles anté-quaternaires exploitées par les vallées fluviatiles préglaciaires, et sur la formation des cirques et des vallées glaciaires en association avec les dynamiques gravitaires de leurs versants.

6Le dernier chapitre traite de l’histoire commune « Des glaciers et des hommes », une histoire surtout récente (Inuit et Viking sont rapidement évoqués) qui commence avec l’exploration du Groenland à la toute fin du XIX^e siècle puis la conquête du pôle Sud au début du XX^e. Aujourd’hui, ce sont 29 Etats qui entretiennent des bases scientifiques en Antarctique, qui accueillent jusqu’à 4 000 résidents en été (dont 1300 pour la seule base états-unienne de McMurdo, fondée dès 1955) ˗ certaines devant être régulièrement déplacées du fait de la dynamique glaciaire. Stimulé par l’inscription de nombreux sites glaciaires au patrimoine mondial de l’Unesco, le tourisme « glaciaire » s’est fortement développé, jusqu’en Antarctique désormais, où le nombre des touristes (71 000 en 2022) a décuplé en trente ans. Mais si certains visitent les glaciers, d’autres y meurent, en particulier en haute montagne du fait des chutes de pierres et des avalanches de glace, comme l’illustrent particulièrement les nombreux accidents bien documentés au Mont Blanc du Tacul et dans le couloir du Goûter (massif du Mont Blanc). Le dernier thème abordé par D. Mercier dans son ouvrage prend la forme d’un clin d’œil autour de la glace de consommation, des glacières parisiennes à la success story de Terre Adélice en passant par les glaçons groenlandais dans les cocktails de Dubaï…

7Denis Mercier appelle dans sa conclusion à ne pas céder au catastrophisme voire à la peur devant les effets du changement climatique sur les glaciers, mais plutôt à se saisir des connaissances sur ceux-ci et les impacts de leurs dynamiques passée, actuelle et future pour agir afin de réduire les causes de ce changement climatique.

8Cet ouvrage contribuera sans nul doute à populariser ces connaissances, synthétisées ici à partir d’une vaste bibliographie proposée en annexe qui prend en compte de nombreuses publications scientifiques très récentes – à l’exemple d’une thèse de doctorat soutenue en…mai 2024 ! C’est un très bel exploit que d’avoir réussi à maitriser ce foisonnement de recherches pour en restituer tout le suc d’une manière aussi attractive. Le grand public intéressé par le sujet sera comblé, tandis que les étudiant.es ˗ pas seulement de géographie ˗ pourront se saisir de cette riche introduction à un champ de recherches à la fois actives et diverses.