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N° 17 — Âges de la vie, âges à l’écran : passages, seuils, transitions et évolutions genrées

Coordination du numéro : Mathieu Arbogast (chercheur associé au Cems & Cresppa-GTM), Adrienne Boutang (Université de Bourgogne-Franche-Comté)

Comment les seuils et transitions liés aux grandes « étapes de la vie » sont-ils abordés, en particulier au prisme du genre, dans les films et les séries ? Cette question est au cœur des récits et des représentations mais elle constitue aussi un enjeu majeur des carrières des comédiennes et comédiens. À travers elle sont mobilisées des enjeux qui touchent à la fois au biologique – la réalité de la croissance ou du vieillissement – et au culturel – la présence de constructions culturelles et de normes que les œuvres peuvent refléter, amplifier ou déconstruire (Foucart 2003, Sermon 2014). Au-delà du seul deux-poids/deux mesures (« double-standard ») du vieillissement (Sontag 1972) qui pénalise les femmes, la dimension de genre a une importance considérable à toutes les étapes de la vie. Chaque âge est marqué par des normes et des rapports de genre, rejoués et accentués à chaque transition d’un âge à un autre (qu’il s’agisse d’âge biologique ou d’âge social, Rennes 2019). Les socio-démographes parlent de la « transition vers l’âge adulte » (Bidart 2006, Billari et Liefbroer 2010) qui est fortement genrée, mais les autres périodes de vie aussi sont concernées par le passage d’un âge à un autre. Ce dossier résolument pluridisciplinaire s’intéressera tout particulièrement aux périodes de passage – que ce dernier soit brutal ou progressif – et à la manière dont les rapports de genre s’entrelacent avec les âges.

Au théâtre, de la comédie antique au classicisme français, la répartition des rôles par un système codifié en fonction, notamment, de l’âge des personnages, a construit un système de typage et d’« emplois » appuyé sur des stéréotypes dont on peut aujourd’hui encore retrouver la trace dans les représentations audiovisuelles (Martinez 2015 ; Candiard 2015 ; Vialleton 2015) : jeunes premiers qui peinent à trouver des rôles d’hommes mûrs, enfants stars dont la carrière s’interrompt lorsqu’apparaissent les premiers signes de puberté, comédiennes condamnées à des rôles secondaires passé le cap des cinquante ans – une dure réalité évoquée avec humour en 2015 dans le sketch d’Inside Amy Schumer intitulé « Last F**kable Day », réunissant des comédiennes nord-américaines Tina Fey, Julia Louis-Dreyfus et Patricia Arquette au moment où elles sortent de l’économie du désir. Ce sont précisément les perturbations et les transitions d’un âge – et d’un « emploi » – à l’autre que ce numéro de la revue Genre en séries va interroger, ainsi que la manière dont elles remettent en question les normes intériorisées, dans comme hors des œuvres.

Il s’agit ici de s’intéresser à la rencontre, et parfois à la contradiction, entre les narrations audiovisuelles, qui construisent leur temporalité propre, et l’évolution des corps des acteurs·trices, soumis au passage du temps et au changement. On connait le poncif théorique qui fait du cinéma, art du mouvement, le médium le plus adapté à la représentation du changement et des métamorphoses. Dans les faits, cependant, ces deux temporalités – réelle et fictionnelle – peuvent parfois rentrer en dissonance – de l’« impossible vieillissement » des stars iconiques (Courcoux, Le Gras, Moine 2017), régulièrement traité par les age studies nord-américaines, au problème des évolutions physiques irrégulières des interprètes des adaptations d’Harry Potter, et autres récits de coming-of-age adolescents, dont la puberté a contraint les producteurs à de nombreux ajustements scénaristiques.

Films et séries regorgent de représentations de transitions d’un âge à un autre, et la métamorphose réelle du corps des acteurs·trices peut y prendre des formes très diverses. Tout d’abord, les fictions peuvent saisir des personnages à des moments charnières, et figurer des corps en transition, explorant, par exemple, les premiers pas dans la puberté féminine (Naissance des pieuvres, Céline Sciamma, 2007), les peurs suscitées par l’entrée dans l’univers adulte de la paternité (En cloque, mode d’emploi/Knocked Up, Judd Apatow, 2007) ou l’impact du vieillissement sur l’identité féminine (Qu’est-il arrivé à Baby Jane/Whatever Happened to Baby Jane, Robert Aldrich, 1962). Les récits audiovisuels se font alors les relais des traditionnels « rites de passage » culturels marquant le basculement d’un état, ou d’un statut, à un autre – et il arrive aussi qu’ils documentent la disparition de ces seuils, ou la perturbation des étapes habituelles provoquée par la logique de « confusion des âges » au sein des sociétés occidentales contemporaines (Deschavanne et Tavoillot 2007). Que deviennent les notions de jeunesse et de vieillesse si la mort a été éradiquée (Ad vitam, Thomas Cailley et Sébastien Mounier, 2018) ? Que provoque l’arrivée de la ménopause (Better Things, Pamela Adlon et Louis C.K., 2016) ou son invraisemblable inversion (Nona et ses filles, Valérie Donzelli, 2021) ? Comment analyser l’interruption, ou l’accélération imaginaire des dynamiques de vieillissement dans les récits fantastiques ou de science-fiction (Time Out, Andrew Niccol, 2011 ; Old, Night Shyamalan, 2021) ? En quoi ces réinventions fictionnelles peuvent-elles constituer les manifestations d’un processus de « déni » du vieillissement repéré par Marc Augé (2014) ?

Certaines œuvres choisissent d’exploiter à l’intérieur de la fiction l’évolution des corps de leurs acteurs, en superposant des images de leurs interprètes à différents moments de leur vie, de manière ponctuelle – flashback dans lequel des images d’archives montrent l’interprète plus jeune (L’Anglais/The Limey, Steven Soderbergh, 1999) – ou structurelle : citons par exemple la lente maturation des personnages et comédien·nes de Boyhood (Richard Linklater, 2014) ou d’Anna 6-18 (Nikita Mikhalkov, 1994) qui creuse une « matière temporelle » ancrée dans le corps de ses comédien·nes. La forme sérielle, avec ses « récits au long cours » étirées sur des années ou des décennies, a encore amplifié la rencontre entre les corps changeants des interprètes et l’évolution des personnages – on peut penser à la lente maturation de jeunes adultes (F.R.I.E.N.D.S, créée par David Crane et Martha Kauffman, 1994-2004), à l’évolution des rapports parents-enfants au fil des saisons (Gilmore girls, créée par Amy Sherman- Palladino, 2000-2006 ; Fais-pas ci, fais pas ça, créée par Anne Giafferi et Thierry Bizo, 2007-2017) ou encore aux sagas ou séries dont une partie du casting reste pendant plus de 20 ans (les filles de Julie Lescaut, adolescentes à la saison 1, adultes à la saison ultime 22 ans plus tard). Et si certaines œuvres adolescentes ont fait accepter à leurs spectatrices un décalage manifeste entre âge des personnages et celui des comédien·nes (les teen movies aux États- Unis, souvent interprétés par des acteur·rices ayant largement dépassé l’adolescence), les séries adolescentes tendent à renouveler leurs interprètes dès que ces derniers atteignent un âge critique. Leur vieillissement peut également conduire à modifier en profondeur les représentations au sein d’une franchise cinématographique étendue sur plusieurs années ou en faire le ressort d’un rebond de carrière, comme c’est le cas, par exemple, de la figure du « cowboy vieillissant » incarnée par John Wayne (Bonamy, 2014) ou du refus d’accepter le déclin de la puissance virile dans la série cinématographique Expendables : Unité spéciale/The Expendables, scénarisée par Sylvester Stallone, dont les différents volets sont sortis entre 2010 et 2023 marquée par une forte intertextualité avec les œuvres de la force de l’âge des acteurs principaux.

C’est donc aux transformations et aux seuils, comme objets de fiction, sujettes parfois à des conventions reconnaissables, mais aussi comme contraintes créatives mettant parfois les fictions en contradiction avec elles-mêmes, que nous nous intéresserons. Nous souhaitons inviter à une réflexion qui prenne en compte la complexité des « âges de la vie » (subjectifs, chronologiques…), des processus évolutif lié à l’âge et à ses différentes dimensions, que ce soit dans les récits (représentation d’une vie ou d’une longue période) ou à leurs marges (étude d’une carrière) ainsi que les périodes de transition (premières règles, entrée dans la sexualité, fin de l’adolescence, premiers signes de la vieillesse…), dans une perspective genrée et intersectionnelle. Coordonné par des chercheur.es en cinéma et en sociologie, le dossier se veut ouvert à une pluralité d’approches et de disciplines.

Axes de réflexion indicatifs

  • Seuils, transitions et périodes charnières dans les récits audiovisuels et articulation avec la temporalité narrative. Repérage de schémas-types (rites de passage, schémas de formation, initiation, déclins, régressions, perturbations intergénérationnelles) ou de la transgression/déconstruction de ces derniers et des normes qui les sous-tendent, en particulier dans la mesure où celles-ci sont liées au genre.

  • Utilisation des altérations liées à l’âge par les récits. Évolutions physiques des personnages et/ou des interprètes telles qu’elles sont, par exemple, masquées ou exploitées au sein des fictions, ou encore reconstruction fictive de ces altérations (maquillage, performances, etc.) et variations genrées de ces dernières.

  • Contradictions ou tensions entre les normes culturelles définissant les comportements appropriés selon les âges et les représentations proposées à l’écran : reproduction ou questionnement des mécanismes normatifs liés, par exemple, à l’articulation entre l’âge et les sexualités. Jeux avec le processus de « typage » des personnages lié à l’âge, détournement ou subversion. Conflits ou tensions entre un « type » de personnage et un modèle de comportement ou le choix d’un interprète pour l’incarner.

  • Analyse du jeu et de la performance chez les comédien.nes dans le cadre de récits mettant en œuvre les évolutions liées à l’âge.

  • Analyse des seuils, tournants et transitions dans les carrières des interprètes, et de leur éventuelle intégration dans les œuvres.

  • Plus largement, évolution du rapport au genre avec l’âge et/ou articulation entre l’âge, l’identité de classe et de génération, le genre et les sexualités.

Modalités de soumission des propositions d’articles

Les articles soumis ne doivent pas avoir fait l’objet de publication dans une autre revue ou actes de colloque. Les propositions veilleront à expliciter et justifier l’approche disciplinaire et/ou méthodologique, ainsi que la façon dont elles se situent dans la littérature existante sur le genre et de quelle manière les problématiques d’âge sont abordées.

Rédigées en français ou en anglais, elles seront composées d’un argumentaire de 500-800 mots, d’une bibliographie et d’une notice biographique. Elles sont à envoyer aux coordinateur·rices du numéro (mathieu.arbogast@orange.fr et adrienneboutang@yahoo.com) en mettant la revue en copie

(genreenseries[at]gmail.com) avant le 15 décembre 2022. Une réponse sera donnée autour du 15 janvier. Les articles devront être rendus pour le 30 avril 2023. Ils seront ensuite soumis à une expertise en double aveugle pour une publication prévue en automne 2023.

Bibliographie

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