En juillet 2023, notre comité de rédaction a été interpellé par plusieurs collectifs militants queer – dont le CRAQ, basé à Genève, qui nous signalaient collectivement un ensemble de problèmes dans un article récemment publié dans notre revue. Ces problèmes étaient en grande partie éthiques, et concernaient le traitement qui était fait des personnes trans et non binaires sur lesquelles un discours scientifique était produit. En particulier, la lettre soulevait d’une part l’absence de politique d’anonymisation qui rendait facilement reconnaissables ces enquêté.es et d’autre part des pratiques d’assignation de genre et de sexualité, réalisées sans que ces enquêté.es aient été informé.es ou consulté.es. Enfin, les signataires nous ont signalé les retombées négatives que ce manque de rigueur éthique a produit sur les personnes directement concernées par cette enquête.

Nous nous sommes saisi.es collectivement de la question, en demandant à cinq personnes (trois externes au comité, et deux membres du comité) d’examiner l’article au prisme de ces critiques et de leur expertise en matière de démarches éthiques en recherche auprès de groupes minorisés. Nous remercions très vivement ces cinq chercheur.es qui ont donné de leur temps pour relire ce texte et formuler un certain nombre de recommandations. Les rapports produits ont largement confirmé les critiques des collectifs, et l’auteur.e a choisi de retirer son article. Nous nous sommes excusé.es auprès des collectifs, et regrettons l’impact négatif que ce texte a eu.

La publication de cet article est de notre responsabilité collective, en tant que comité de rédaction. Au-delà des erreurs individuelles, il nous semble important de questionner les logiques plus structurelles qui ont permis que cela arrive.

Tout d’abord, la logique même de la recherche « sur projet », l’injonction à sans cesse publier, les rythmes de publication que nous nous sentons contraint.es à respecter, l’explosion des tâches d’évaluation, ainsi que la raréfaction des postes qui font peser toujours plus de travail sur toujours moins de personnes et des personnes toujours plus précaires. Tout cela nous a amené.es à ne pas accorder assez de temps et d’attention à l’évaluation de cet article.

Il nous est également apparu qu’avoir un comité de rédaction se revendiquant du féminisme, sensible aux enjeux de domination, ne suffisait pas pour assurer que toutes nos publications soient conformes aux principes auxquels nous adhérons, issus de diverses approches féministes (savoirs situés, intersectionnalité, transféminisme, entre autres). À l’heure où de plus en plus de recherches doivent être approuvées par des comités d’éthique (c’était le cas de la recherche en question), nous n’avons pas pris en main cet aspect directement, en examinant systématiquement cette dimension des articles à l’aune de nos propres principes et expertises.

Le dernier point renvoie à la précarité institutionnelle et, par conséquent, matérielle des chercheur.es trans, dans un contexte de transphobie diffuse et de faible reconnaissance générale des études queer, trans et intersexe sur le genre et les sexualités. Les travaux que mènent des chercheur.es minorisé.es sont souvent invisibilisés et méconnus. En parallèle, une forte charge pèse sur celleux qui se sont spécialisé.es dans le temps long sur ces questions ; il leur revient bien souvent d’évaluer un grand nombre de travaux, parfois au détriment de leurs propres recherches. En l’espèce, l’article avait sans doute été de prime abord évalué par des personnes moins familières de ces questions et enjeux.

Certains problèmes soulevés – pression à la publication, précarité et surtravail structurel dans le secteur - nous dépassent. Mais nous voulons essayer d’améliorer nos pratiques :

en ouvrant une discussion sur l’éthique de la recherche au sein du comité de rédaction pour mettre en adéquation nos principes avec notre travail en tant que revue ;

en modifiant notre grille d’évaluation et les instructions aux auteur.es. Les questions d’éthique sont désormais explicitement mentionnées et prises en compte dans le processus d’évaluation ;

en résistant à l’injonction à la productivité selon des temporalités préétablies qui vont à l’encontre de la réalisation d’un travail de publication de qualité.

en prenant la responsabilité de nos erreurs ou manquements en tant que collectif, en l’espèce publier ce texte, et en présentant de nouveau nos excuses aux personnes qui ont pu être affectées par cette publication.