• 2 Toutes les citations de cet article sont issues d’une traduction personnelle de l’espagnol (castill (...)

L’important, c’est d’être un sujet politique pour revendiquer des droits, nous sommes des citoyennes […] le système essaiera toujours de faire en sorte que les marginalisés n’y arrivent pas, mais n’oublions pas que c’est par les marges qu’il y a de grands changements sociaux et politiques2.

Dans son discours, Janet rappelle que les interdits qui visent les travailleuses du sexe, en limitant leur accès à la ville ainsi qu’à un certain nombre de droits sociaux, les réduisent à un statut d’individu de second rang : leur combat cible donc en priorité la reconnaissance de leur citoyenneté.

2La trajectoire militante des trois fondatrices et porte-paroles du collectif des Putas indignadas est remarquable à bien des égards : par la diversité du répertoire d’action qu’elles ont mobilisé, par l’évolution de la prise en considération de leur lutte par des acteur.rices territoriaux.ales locaux.ales ou encore par la longévité de leur mobilisation, en considérant le peu de ressources avec lesquelles elles ont commencé leurs actions militantes. Afin d’apporter un éclairage sur ces trois aspects de leur lutte, cet article propose de revenir en détail sur un mode d’action privilégié par le collectif : la pratique du squat militant, non résidentiel, aux côtés de groupes de riverain.es. Dans un contexte où leur présence dans les espaces publics officiels est criminalisée, les squats apparaissent comme des lieux où il est possible de revendiquer « le droit à avoir des droits » et d’incarner un rôle de sujet politique en assumant des responsabilités auprès d’une communauté de voisin.es (Arendt, 1973 [1951]). À partir de l’hypothèse que ces squats constituent des espaces d’intégration et de reconnaissance sociale pour les groupes marginalisés, malgré leur dimension illégale, il s’agira d’interroger la manière dont l’implication des travailleuses du sexe dans ces lieux occupés a contribué à légitimer leur présence dans l’espace public et à faire reconnaître leur statut de citoyennes.

3Il nous faut d’abord clarifier ce que nous entendons par citoyenneté dans cet article : nous privilégierons une lecture de celle-ci à partir du concept des « actes de citoyenneté » développé par Engin F. Isin et Greg M. Nielsen (2008) dans la perspective de dépasser la conception traditionnelle d’une citoyenneté faite de droits et de devoirs civiques au regard d’un État. Ce concept permet notamment d’analyser les actes qui expriment une volonté politique délibérée, même critiques à l’égard du pouvoir dominant, comme une mise en pratique de la citoyenneté à travers le rôle de « citoyen.nes activistes » (Isin, 2009 ; Isin et Nielsen, 2008). Se dessine ainsi un cadre pour étudier les expériences politisées subjectives de populations privées de droits et dépourvues d’une citoyenneté administrative, comme les mobilisations sociales de personnes sans papiers par exemple (Rigo, 2010 ; Nyers et Rygiel, 2012). Suivant cette idée que la citoyenneté ne se limite pas à un statut administratif, Phil Hubbard démontre que certaines pratiques sexuelles influencent significativement l’accès à l’espace public et donc l’accès à des droits fondamentaux (Hubbard, 2001). Ses travaux mettent en évidence le fait que les individus aux pratiques sexuelles non normatives deviennent, à différents degrés, des citoyen.nes de second rang. La prostitution, en plus d’être considérée comme une pratique sexuelle « immorale » (Mathieu, 2015 ; Chimienti, 2008 ; Sanselme, 2004 ; Estebanez et Raad, 2016), se révèle être dans de nombreux cas une ressource économique pour des personnes migrantes, parfois sans papiers (Lévy et Lieber, 2009). Souligner ce phénomène permet de rappeler la complexité des facteurs qui influencent la reconnaissance de la citoyenneté des travailleuses du sexe.

4En Europe, la prostitution dans la rue se déploie surtout dans des zones urbaines délimitées et contrôlées, appelées quartiers rouges. La localisation contrainte de l’accès à l’offre de services sexuels dans la ville vise à contenir la « panique morale » suscitée par la présence visible des travailleuses du sexe (Ashworth et al., 1988 ; Van Liempt et Chimienti, 2017). Les quartiers rouges, souvent situés près des centres-villes et fréquentés par d’autres populations précaires (consommateur.rices de drogue, personnes pratiquant la mendicité…), sont aujourd’hui ciblés par des dynamiques de gentrification qui poussent ces groupes d’indésirables – auxquels les travailleuses du sexe sont associées – à délocaliser leur présence hors du centre-ville (Hubbard, 2001 ; Hubbard et Sanders, 2003 ; Hubbard, 2017 ; Mayer, 2017). L’exclusion sociospatiale de ces populations des espaces urbains où leur présence était jusqu’alors tolérée soulève la question de leur stratégie de résistance pour trouver une place dans la ville. La pratique du squat définie comme « l’occupation illégale de lieux en vue de leur habitation ou de leur utilisation collective » (Péchu, 2009, 524) apparaît dans ce contexte comme une stratégie polyvalente offrant, selon les cas, une alternative au logement (Bouillon, 2009 ; Pruijt, 2012 ; Aguilera, 2017), un accès à des lieux où faire communauté (Estany, 2010) et des espaces de militantisme (ibid. ; Di Masso, 2012 ; Martínez, 2007) – et parfois, tout cela en même temps.

5D’un point de vue théorique, l’analyse de la pratique du squat résidentiel a nourri une littérature qui explore les mécanismes de reconnaissance sociale à l’œuvre dans ces espaces par le prisme du droit au logement (Aguilera et Bouillon, 2013) et du droit à la ville (Martínez, 2020) et l’a plus rarement fait à travers les « actes de citoyenneté », utilisés surtout pour analyser des squats habités par des populations migrantes (Dadusc et al., 2019). De manière générale, la littérature scientifique s’intéresse peu à l’usage des squats à des fins non résidentielles et encore moins aux situations dans lesquelles des travailleuses du sexe ont intégré cette pratique à leur répertoire d’action collective (Tilly, 2008). En effet, les mobilisations de travailleuses du sexe qui consistent à occuper des espaces pour revendiquer des droits ont été qualifiées soit « d’improbables », comme le fait Lillian Mathieu dans son travail sur l’occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon en 1975 (Mathieu, 1999, 2001), soit de « tentatives pour récupérer la rue » par Phil Hubbard dans son travail sur les occupations de l’espace public à Londres et à Paris en 2000 et 2002 (Hubbard, 2004). De plus, ces formes de mobilisations ont été analysées comme des phénomènes temporaires, conjoncturels et souvent tributaires de l’assistance externe des milieux associatifs (Mayer, 2015 ; Le Bail, 2015 ; Devillard et Le Saulnier, 2020). Ainsi, cet article vise à enrichir la littérature scientifique sur les modalités d’expression de la citoyenneté, les différentes pratiques du squat et les processus de passage au politique de populations vulnérables. Il s’agira de se demander comment la pratique du squat non résidentiel dans la trajectoire militante de femmes travailleuses du sexe peut devenir un moyen d’œuvrer en faveur de la reconnaissance de leur citoyenneté. Comment la pratique du squat, inscrite dans le temps long, devient-elle une méthode pour légitimer leur présence dans la ville et favoriser leur insertion dans des espaces de débat institutionnalisés ?

7À travers une analyse des politiques de criminalisation de la prostitution de rue à Barcelone, cet article examine tout d’abord la manière dont la pratique du squat est intervenue dans la trajectoire des membres du collectif des Putas Indignadas et dans les réseaux de voisinage du quartier du Raval. Dans un deuxième temps, l’article présente les cas de deux « squats de quartier », qui permettront d’apporter un éclairage empirique sur les stratégies utilisées par les travailleuses du sexe pour acquérir une légitimité en tant que sujet politique à faire partie d’une sphère publique – dans le sens habermassien. Enfin, dans un troisième axe, nous examinerons la manière dont les squats deviennent des espaces publics alternatifs et ont facilité l’intégration des membres du collectif dans le débat public sur la prostitution ainsi que leur reconnaissance en tant que citoyennes à plusieurs échelles.

Stratégies légales et politiques urbaines : criminaliser la prostitution dans l’espace public de Barcelone

8L’approche géographique privilégiée dans cet article nous invite à présenter, en premier lieu, l’évolution du contexte de marginalisation sociospatial à laquelle sont exposées les travailleuses du sexe de rue à Barcelone. L’inventaire des stratégies d’exclusion employées par la municipalité permettra de présenter le quartier du Raval comme un espace de convergence de diverses luttes urbaines dans lesquelles la pratique du squat s’intègre au répertoire d’action militant de plusieurs groupes locaux composés de voisin.es.

Répression de la pratique de la prostitution de rue dans l’espace public à Barcelone

10Les premières archives situant la prostitution dans le Raval datent de 1339 (Fernández González, 2014). La rue d’En Robador y est citée comme le pôle principal des activités liées au travail du sexe et le demeure aujourd’hui. Anciennement ouvrier, le quartier est à présent habité par une population issue à 50 % de l’immigration et est l’un des plus pauvres de la ville (Martínez-Rigol, 2015). Malgré sa situation géographique attractive au centre de la vieille ville, le Raval a la réputation d’être un quartier chaud réunissant « des images de pauvreté, criminalité, drogue, trafic » (Séchet, 2009). Les travailleuses du sexe, visées par une forte stigmatisation, font partie de ce décor négativement connoté et se retrouvent au cœur d’une logique de marginalisation institutionnelle et spatiale qui ne tolère leur présence dans la ville que dans cette zone urbaine déconsidérée (Sibley, 1995, 206 ; Hubbard, 1997). À partir des années 1990, de grands travaux urbains ont transformé le paysage du quartier : un musée d’art contemporain – le MACBA – et une université ont été construits dans le nord entre 1995 et 2006. Parallèlement, dans le sud du quartier, une avenue centrale, nommée la Rambla du Raval, a vu le jour en 2001, suivie d’un hôtel de luxe en 2008 et d’une filmothèque inaugurée en 2012.

13La carte et la photographie rendent visible cette frontière aussi symbolique que physique entre le neuf et l’ancien, qui a renforcé l’identification des travailleuses du sexe à des groupes d’indésirables (Estebanez et Raad, 2016) en les tenant à l’écart d’un paysage urbain contemporain aseptisé. Cette frontière trahit aussi l’intention des acteur.rices municipaux.ales de simplifier le contrôle et la surveillance des travailleuses du sexe à l’échelle d’une seule rue à l’aide d’un dispositif de caméra (voir la carte). Ces nouvelles politiques municipales visant à lutter contre l’image de quartier chaud du Raval ont surtout contribué à précariser et invisibiliser les travailleuses du sexe en enclavant leur mobilité à la rue d’En Robador et en augmentant leur clandestinité dans la ville (Campmajó, 2018).

14La lutte contre la pratique de la prostitution dans l’espace public s’est accompagnée d’une lutte dans des espaces moins visibles, où les travailleuses du sexe travaillent et vivent. Le parc résidentiel ancien de la rue d’En Robador et ses alentours ont été déclarés comme des espaces prioritaires à réhabiliter (en jaune sur la carte) à l’arrivée de Xavier Trias à la municipalité (Masala, 2016 ; Clua, 2021). Ce projet consiste au rachat des immeubles par la municipalité afin d’en rénover les appartements. L’objectif annoncé dans une vidéo promotionnelle « n’est pas de reloger des habitants du quartier mais plutôt d’inviter des habitants du reste de la ville à venir y vivre » (Mairie de Barcelone, 2015). En d’autres termes, il s’agit d’encourager un renouvellement du tissu social du quartier en favorisant l’arrivée de foyers plus aisés (Lundsteen, 2021 ; Fernández González, 2022, 149). En réalité, cette stratégie vise également à réprimer l’occupation illégale d’appartements vides utilisés par les prostituées pour exercer leur métier à l’abri des regards plutôt que dans la rue, dans des halls d’immeuble ou des parkings.

Les Putas indignadas : entrer dans un espace de lutte pour faire entendre sa voix

Le jeudi 19 mars, nous avons subi une nouvelle fermeture d’une de nos maisons […]. La mairie conjugue ses politiques policières répressives dans le Raval avec ses plans de « réinsertion » en échange du rachat d’amendes [projet de l’agence ABITS] qui n’entraînent que plus de précarité et de dépendance aux services sociaux. Elle s’est également consacrée à l’achat du parc immobilier du quartier dans le but d’expulser et de le nettoyer. Ces politiques ne visent pas seulement les travailleuses du sexe, elles visent à préparer le centre-ville pour les touristes, les spéculateurs et les « voisin.es dignes ». Nous ne sommes pas les premières expulsées, et nous ne serons pas les dernières […]. La violation de nos droits est constante malgré le fait que nous ayons offert notre aide en tant que groupe pour trouver de réelles améliorations à la coexistence dans notre quartier [référence au terme utilisé dans l’ordonnance civique] et malgré le fait que nous soyons celles qui connaissent le mieux les réalités de l’exclusion et de la traite.

17Dans cette lettre, les membres du collectif mettent en évidence l’écart qui existe entre les discours officiels prônant leur insertion sociale et la réalité des politiques de criminalisation qui les visent. Dans un contexte où elles ont choisi d’exercer la prostitution, elles soulignent l’hypocrisie des arguments moraux et paternalistes (Vartabedian, 2011 ; Motterle, 2018) qui les tiennent à l’écart du débat public sur leur propre condition. Elles dénoncent le fait que le seul espace de dialogue avec les autorités locales qui leur soit accessible soit encadré par l’agence ABITS qui, en leur proposant de racheter leurs amendes contre des heures de participation à des dispositifs d’insertion (prévention des MST, formations professionnelles…), les relègue à un statut de victime et ne les reconnaît pas comme étant des actrices économiques indépendantes.

L’élargissement de la lutte pour préserver sa place dans la ville : le Raval, un quartier rebelle

19Dans la lettre ouverte à destination du maire, les travailleuses du sexe rappellent qu’elles ne sont pas les seules cibles des politiques municipales menées dans le quartier : elles intègrent leurs revendications au contexte sociospatial du Raval et s’assimilent à un groupe d’individus plus largement touché.es par les dynamiques de gentrification. De nombreux.ses riverain.es ont fortement critiqué les récents travaux de rénovation urbaine, considérant qu’ils sont destinés aux touristes et à des catégories aisées de la population. Cela a eu pour effet de renforcer, chez les habitant.es, le sentiment d’appartenance territoriale au Raval, à son histoire ouvrière et à son identité de quartier populaire (Cuesta Avila, 2011 ; Ter Minassian, 2012). La crise économique de 2008, la crise du logement en Espagne (Degen, 2017) ainsi que l’intensification des mouvements sociaux urbains comme le mouvement des Indignés en 2011 ont donné un nouvel élan à l’action directe locale (Nez, 2018). La perte de confiance envers les institutions gouvernementales a entraîné la formation de nombreux groupes d’entraide informels de voisinage (ibid.). Ces groupes ont pour objectif d’améliorer les conditions de vie des riverain.es et s’approprient des modes d’action militants à la marge de la légalité. Dans le Raval, certains groupes viennent en aide à des familles précaires qui squattent leur logement individuel, d’autres luttent contre la présence de narcotrafiquant.es en empêchant leur installation dans des « narcopisos » (narco-appartements qui servent à la vente de drogue) ou bien apportent leur soutien aux travailleur.euses en situation irrégulière. Le collectif des Putas indignadas fait partie de cet écosystème de groupes solidaires qui ont en commun le fait d’habiter le même quartier et de lutter contre les dynamiques de gentrification (Rossini, 2023).

20Ces réseaux d’entraide locaux forment une communauté d’expériences dans laquelle les savoir-faire militants sont mis en commun afin de lutter contre des injustices vécues collectivement (Kakpo, 2006). La pratique du squat à usage collectif s’est progressivement intégrée au répertoire d’action de ces groupes de riverain.es. Bâtisses en ruines et terrains vagues sont ainsi aménagés en squats de quartier et offrent des espaces privilégiés pour aborder collectivement des problématiques de la vie quotidienne autour de diverses actions militantes (distributions alimentaires, ateliers créatifs, cours de sport, débats, projections de films…). Ainsi, les squats apparaissent comme des espaces qui polarisent les luttes urbaines et réunissent des acteur.rices de différents horizons sociaux et politiques : au regard de la marginalisation que les travailleuses du sexe expérimentent quotidiennement dans la ville, quelle place trouvent-elles dans ces espaces urbains alternatifs ?

Études de cas de squats de quartier : des espaces de reconnaissance sociale

21Si « chaque fonction sociale s’inscrit dans son espace propre » (Badie et Perrineau, 2000), les travailleuses du sexe à Barcelone, criminalisées dans l’espace public et chassées de leur lieu de travail, se retrouvent sans espace qui leur soit réservé, et sont donc doublement exclues de la ville et de la société. Dans ce contexte de double mise à l’écart, nous élargirons le concept d’espace public à l’ensemble des modalités et des lieux participant à la formation du débat public, que Jürgen Habermas qualifie de « sphère publique » (Habermas et al., 1974). Il conceptualise cette sphère publique comme un espace de débat, physique et symbolique, qui permet de construire une opinion publique éclairée en respectant des principes de transparence, de rationalité et d’égalité d’accès aux discussions. Cet espace conçu comme un « idéal bourgeois » consacré à la participation citoyenne est donc intrinsèquement lié à la possibilité de s’exprimer, de se visibiliser et de participer à un débat public mais conserve un certain nombre de facteurs excluants comme le genre (Fraser, 1990), auquel on peut ajouter l’assignation raciale, le statut social… Ainsi, limiter les interactions des travailleuses du sexe de rue avec le reste de la société ne revient pas seulement à invisibiliser leur présence : il s’agit de nier leur existence dans cette sphère publique à partir d’arguments excluants – principalement moraux – afin de les empêcher d’accéder à une reconnaissance en tant que citoyennes de plein droit.

22Cette deuxième partie présente les résultats d’une enquête menée sur deux squats de quartier qui se sont révélés être des lieux de valorisation des compétences des membres du collectif des Putas indignadas, leur permettant d’incarner divers rôles au sein des mobilisations locales de riverain.es. Les deux sites occupés diffèrent dans leurs temporalités et leurs projets mais l’implication des travailleuses du sexe dans chacun de ces squats témoigne de l’évolution de leur place au fil du temps dans les réseaux d’entraide locaux. À travers ces deux exemples, nous montrerons comment l’engagement des travailleuses du sexe dans les squats devient un moyen pour elles de se réapproprier les représentations sociales négatives qui les visent et de trouver un espace propre où leur présence est perçue comme légitime.

Àgora Juan Andrés Benítez : construire une légitimité et des alliances dans la communauté de voisin.es

23La mort de Juan Andrés Benítez, un jeune riverain du quartier, survenue à la suite d’un contrôle de police le 5 octobre 2013, a provoqué une vague de protestations dans le quartier du Raval (Assemblea del Raval, 2018, 17-32). Un groupe de soutien a été créée par des voisin.es afin de dénoncer l’impunité dont ont bénéficié les policiers impliqués dans l’affaire. Un des premiers collectifs à répondre à l’appel à mobilisation a été les Putas indignadas. C’est la première fois que les travailleuses du sexe de la rue d’En Robador se sont impliquées en tant que collectif dans une lutte à l’échelle du quartier (Motterle, 2018). Leur expérience des violences policières a été un argument important dans leur engagement. La mobilisation s’est rapidement renforcée avec l’accumulation de témoignages de voisin.es qui partagent, du fait de leur statut social, de leur genre, de leurs origines et de leur orientation sexuelle, l’expérience des persécutions policières. S’ajoute à cela le sentiment commun de vivre dans un quartier stigmatisé et d’être pris pour cible par la police dans le cadre d’un « nettoyage social » (ibid.). Campagnes d’affichage, manifestations, conférences de presse, enquêtes indépendantes ont constitué le répertoire d’action initial de la mobilisation. Un an après l’homicide, les membres du groupe de soutien ont décidé d’occuper un terrain vague situé dans la rue où le décès avait eu lieu. Le terrain, propriété d’une banque et inutilisé depuis 2009, a alors été nettoyé, décoré et aménagé en jardin par des voisin.es bénévoles. La vocation de ce lieu, nommé l’Àgora Juan Andrés Benítez, était et est encore aujourd’hui « d’ancrer une lutte sociale historique de quartier, contre la marginalisation et la précarité » (Assemblea del Raval, 2018, 31-32). Il constitue une « consolidation spatiale où se localisent le tissu associatif et des mouvements sociaux critiques des politiques urbaines » (ibid.). L’autogestion est choisie comme méthode d’organisation, les décisions sont prises lors d’assemblées ouvertes et hebdomadaires dans lesquelles les porte-paroles des Putas indignadas siègent. Le lieu accueille plusieurs types d’événements militants (réunions, rencontres) et solidaires (distributions alimentaires…) et se dit ouvert à tous et toutes.

25En 2021, un conflit sur les règles de savoir-vivre dans l’Àgora a opposé différents collectifs et voisin.es participant aux assemblées du squat. Ce conflit a donné lieu à l’organisation d’une assemblée de crise, cruciale pour l’avenir de l’espace. À la suite d’un vote, la décision a été prise de confier la gestion du lieu occupé au collectif des Putas indignadas. Leur engagement dans le projet de l’Àgora, mis à l’épreuve du temps, leur a permis d’acquérir une solide légitimité pour s’en occuper. Peu après cet événement, les porte-paroles du collectif ont été agressées physiquement par un ancien membre de l’assemblée qu’elles avaient expulsé à la suite de son comportement violent dans l’espace (insultes, tentative d’effraction pour entrer dans le squat la nuit). Cet événement a mené à une action en justice au terme de laquelle il a été interdit à l’agresseur d’approcher les membres du collectif. Janet qualifie cette décision juridique en faveur des travailleuses du sexe comme étant unique : non seulement elles ont eu gain de cause mais, en plus, elles ont été présentées durant la procédure comme des « voisines participant à un projet communautaire » et non comme des travailleuses du sexe. D’après les membres du collectif, la prise en compte de leur plainte en tant que voisines montre un élargissement, à l’échelle judiciaire, de la reconnaissance sociale qu’elles expérimentent déjà à l’échelle du squat.

27Ce premier exemple met en évidence un phénomène de redéfinition des rôles sociaux et des identités sociales des travailleuses du sexe. Le squat apparaît comme un moyen de requalifier la « conscience sociale que l’individu a de lui-même » à partir de ce que sa « relation aux autres confère à sa propre existence » (Di Masso, 2012 ; Fischer, 2020). Les membres du collectif, par leur participation à la gestion du squat, s’affranchissent d’une identité stigmatisée qui les réduit à leur profession négativement connotée. Elles se mettent en scène dans l’Àgora, non pas comme des prostituées mais comme des voisines fiables, solidaires et loyales dotées de compétences de gestion. Leur engagement à effectuer des tâches quotidiennes de préservation du squat (nettoyage, ouverture et fermeture du lieu, participation aux assemblées, gestion des conflits entre usager.ères du lieu) a contribué à légitimer leur parole et leur rôle au sein du réseau de soutien de l’Àgora. En se visibilisant en tant que voisines, les membres des Putas indignadas ont donc forgé l’identité sociale qui correspond à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, devenant ainsi des visages familiers dans le squat et par extension dans le quartier. De cette manière, elles ont créé de nouvelles alliances avec différents collectifs de voisin.es qui ont rejoint les rangs de leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits en tant que travailleuses du sexe (Motterle, 2016 ; Mata et Clua, 2020). Le choix de se retirer du projet de l’Àgora, loin d’être un acte de résignation, traduit la nécessité de préserver leur bonne réputation auprès du réseau d’allié.es qu’elles se sont constitué dans et par le squat.

28Au-delà d’apporter des éléments empiriques pour comprendre le rôle que jouent les travailleuses du sexe dans un squat de quartier, l’exemple de l’Àgora donne une perspective dans le temps long de l’évolution de leur place dans les réseaux locaux de voisinage. L’exemple du squat de la chapelle de la Misericordia, que nous présentons ci-dessous, intervient cinq ans après le début de l’occupation de l’Àgora et n’a duré que quelques mois. Ce dernier permet d’illustrer le statut que le collectif a acquis au fil des années au sein de ces réseaux d’activistes du quartier, initialement composés de voisin.es et qui se sont progressivement élargis pour intégrer d’autres acteur.rices locaux.ales.

La chapelle de la Misericordia : mettre en pratique des compétences

30Mener à bien cette mobilisation a nécessité la mise en pratique d’un certain nombre de compétences relatives à la pratique du squat (Bouillon, 2007). La diversité des profils des acteur.rices de la protestation était notamment visible par l’hétérogénéité de leurs savoir-faire militants. Les compétences des Putas indignadas en matière de squat, acquises durant près de dix années de pratique au sein des mueblés squattés mais également au sein de l’Àgora Juan Andrés Benítez, furent un atout dans la concrétisation de ce projet protestataire. Pour Janet, cette expérience – vécue comme un moment d’empowerment – a permis de mettre en lumière l’expertise du collectif de travailleuses du sexe :

La Misericordia, quand nous l’avons occupée, les gens n’étaient pas habitués à faire des choses un peu informelles, mais nous, on était habituées. On a organisé l’équipe de nettoyage qui a beaucoup attiré l’attention car « comment des putes peuvent organiser tout ça ? » […] Donc, nous étions là, nous avons fait la permanence du lieu de dimanche à dimanche, de 7 heures du matin à 10 heures du soir. Nous voulions appuyer nos compagnonnes du CAP et les différents collectifs. Il y avait plein de collectifs, mais qui étaient composés de personnes qui avaient un travail et qui vivaient dans des appartements – pas des squats –, donc nous, on savait comment faire avec les Mossos et avec la Garde urbaine [polices locales]…

32Le rôle pédagogique que les membres du collectif ont joué dans cette protestation collective permet d’appréhender une nouvelle fois le squat comme un lieu de redéfinition de l’identité sociale. En proposant sorte d’expertise informelle, elles renversent les schémas de domination qui les catégorisent comme des personnes vulnérables et sans ressources (Mathieu, 2015) en faisant la démonstration aux yeux de la communauté de voisin.es de leur capacité d’action en tant que militantes et sujets politiques. L’audience élargie des acteur.rices impliqué.es dans le squat de la chapelle leur a permis d’amplifier la portée de leur discours contre la stigmatisation de leur profession. Leur mobilisation a servi indirectement à médiatiser leur propre lutte et à trouver de nouveaux.elles allié.es, notamment au sein du monde médical et politique.

Le squat : un espace de redéfinition des normes

33Ces deux exemples mettent en évidence que la mise à l’écart sociospatiale des travailleuses du sexe dans la ville est contrebalancée par leur volonté de prendre part à des actions collectives, notamment au sein des squats de quartier. Ces squats deviennent des lieux d’interaction et de représentation sociale qui contribuent à façonner une expérience personnelle située en fonction des relations avec autrui et avec la société environnante (Di Masso, 2012). Les squats sont des espaces où s’engager revient à prendre part aux « affaires de la cité » (Battegay, 2011), regroupant un certain nombre de caractéristiques qui nous permettent de nous rapporter au concept de sphère publique de Habermas. Dans la trajectoire urbaine des travailleuses du sexe, le squat a permis la création d’un « espace propre », plus accessible que l’espace public, qui rend possible la mise en acte de la citoyenneté à travers la performance d’un rôle politique dans des luttes sociales locales (Isin et Nielsen, 2008 ; Isin, 2009). Rappelons que l’ordonnance civique, en plus de criminaliser le travail du sexe, l’identifie à une pratique incompatible avec la citoyenneté et le civisme : par leur engagement, les travailleuses du sexe remettent en cause les valeurs morales utilisées pour justifier leur marginalisation en se réappropriant le registre de l’illégalité à travers des actions menées conjointement avec des habitant.es du quartier. Grâce à leur engagement dans ces actions collectives, le curseur de la moralité n’est plus défini par le positionnement des pouvoirs publics à l’égard des travailleuses du sexe mais par les interactions sociales directes de voisin.es à voisin.es, notamment au sein des espaces occupés. Dès lors, la participation des membres des Putas indignadas dans les squats permet d’observer un processus de redéfinition de ce qu’est un.e « bon.ne voisin.e » et un.e « mauvais.e voisin.e » (Stokoe et Wallwork, 2003), à défaut de réévaluer les critères institutionnels qui définissent le.a « bon.ne ou mauvais.e citoyen.ne ». Par leur dimension illégale, les squats sont des lieux où faire partie du corps citoyen, notamment dans un contexte de marginalisation sociospatiale (Lacore, 2003). En ce sens, ils matérialisent une sphère publique « non libérale, non bourgeoise et concurrente aux espaces publics » officiels (Fraser, 1990).

34Ainsi, ces deux études de cas illustrent comment la reconnaissance des travailleuses du sexe en tant que citoyennes passe, dans un premier temps, par leur accession à des espaces où elles peuvent se visibiliser et s’exprimer. Ces espaces d’expression se construisent dans les squats à défaut d’avoir accès à l’espace public officiel. Dans une troisième partie, afin de rendre plus visible l’articulation entre la mise en acte de la citoyenneté et la pratique du squat, nous proposons une réflexion théorique sur la participation citoyenne facilitée par la pratique du squat. Cela nous permettra d’établir un lien, dans un second temps, entre la chronologie de l’accession aux espaces de débat public institutionnels par les membres du collectif des Putas indignadas et leur engagement dans les squats de quartier.

Squatter pour négocier une place dans l’espace public

35Les deux exemples ont montré que les squats remplissent une fonction sociale et politique primordiale dans la reconnaissance de la légitimité des populations marginalisées à faire partie du corps politique et du débat public et dans la reconnaissance de leur agentivité. Ils peuvent également servir de porte d’entrée pour s’insérer (de manière non conventionnelle) dans des espaces de débats institutionnels. En d’autres termes, dans la mesure où les squats permettent de performer la citoyenneté, ils aident à être reconnu.e comme citoyen.ne par les institutions.

Redéfinir la participation citoyenne en squattant

38Dans ces deux exemples, squatter devient à la fois un mode d’expression situé à la marge de la légalité et une démarche de participation citoyenne « par les actes » (Isin et Nielsen, 2008), dans laquelle l’habitant.e se positionne en acteur.rice décisionnel.le. Notons également que l’absence de bureaucratie dans les squats permet à celles et ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques, ou qui sont analphabètes de participer au projet collectif avec un fort niveau de responsabilité. Ce procédé se révèle être, sans surprise, nettement plus inclusif que les dispositifs de participation citoyenne mis en place par la municipalité. Le squat constitue donc une occasion d’intégrer le débat public. Il s’agira de mettre en évidence que les squats de quartier ont joué un rôle d’accélérateur pour la reconnaissance de l’agentivité et de la légitimité des travailleuses du sexe en tant que sujets politiques et citoyennes par les institutions.

La chronologie d’une conquête : du squat à la scène politique

39La participation des Putas indignadas dans la gestion des squats de quartier a marqué un tournant important dans leur trajectoire militante : on observe, à partir de ce moment, une accélération de leur incorporation au débat public. Dans les rapports de police datant de 2011, qui concordent avec la prise de poste du maire Xavier Trias, le travail du sexe de rue, même lorsque c’est une activité économique choisie, est criminalisé au même titre que les situations de traite. À partir de 2014, ces mêmes rapports font état d’une réduction des sanctions contre les travailleuses du sexe, présentée comme le résultat de la répression de la prostitution menée les années précédentes. Cependant, ce changement coïncide avec le premier dialogue mené entre les autorités municipales et le collectif des Putas indignadas, qui ont été invitées, pour la première fois, à plaider leur cause devant le conseil municipal. C’est également en 2014, année de l’occupation de l’Àgora Juan Andrés Benítez, que le collectif des Putas indignadas apparaît pour la première fois comme interlocuteur dans le rapport de l’agence ABITS (dispositif municipal chargé des questions liées à la prostitution) : les membres du collectif ont en effet été conviées aux côtés de neuf entités institutionnelles, dont Médecins du Monde et la Croix-Rouge, pour assister à l’annonce des objectifs annuels de l’agence municipale. La même année, elles ont été sollicitées pour réaliser plusieurs tables rondes en face à face avec les représentant.es municipaux.ales afin de « recueillir de nouvelles propositions et ouvrir un espace de négociation » (ABITS, 2014, 92). À partir de 2015 et l’arrivée de la maire Ada Colau, les rapports de police font une différence entre le trafic d’êtres humains, contre lequel la police lutte toujours, et la prostitution qui n’est plus mentionnée comme un phénomène à réprimer. Il semblerait donc que la consultation du collectif ait entraîné une transformation de la rhétorique institutionnelle à leur égard et une réévaluation de l’orientation des actions politiques menées au sujet de la prostitution.

41Entre 2014 et 2017, les Putas indignadas ont notamment réussi à négocier un statut particulier pour les travailleuses du sexe en situation irrégulière ainsi qu’un dispositif de défense en cas d’abus de la part des forces de l’ordre à l’échelle de Barcelone. Janet explique qu’elles sont parvenues à faire en sorte que toutes les travailleuses du sexe possèdent une carte sanitaire. Ce document permet d’accéder aux soins de santé gratuitement et sert de pièce d’identité lors des contrôles de police si la travailleuse n’a pas de papiers. Si l’une des membres du collectif subit une situation de violence policière, un canal de discussion leur permet de communiquer rapidement entre elles afin de permettre à la victime, même si elle se trouve en situation administrative irrégulière, de porter plainte avec l’aide d’une des porte-paroles du collectif qui donnera son identité pour qu’elle puisse témoigner. Janet raconte :

• 22 La loi Mordaza est issue d’une modification du Code pénal donnant plus de pouvoir d’arbitrage aux f (...)

En fait, ici [à Barcelone], rien ne s’applique à nous, ni l’ordonnance civique, ni la loi Mordaza, ni la loi sur les étrangers22. […] Nous sommes parvenues à faire partie des tables rondes organisées par la municipalité. On s’est retrouvées tantôt avec des Mossos, tantôt avec des Gardes civiles, des avocats, des acteurs territoriaux, des associations qui travaillent sur le territoire. À ces rencontres, on présente les problèmes des compagnonnes, la violence qu’elles subissent et comment les acteurs chargés de ces sujets devraient les gérer[…]. Maintenant, on ne parle plus de prostitution sans notre voix.

Conclusion

44Les squats, dans leur dimension illégale, composent des espaces de redéfinition des normes d’accès à l’espace urbain et remettent ainsi en question les processus d’exclusion, de contrôle et de domination structurelle à l’œuvre dans les espaces publics. Par défaut, ces lieux constituent des espaces d’action et de visibilisation privilégiés pour les travailleuses du sexe du Raval, et pour celles et ceux qui sont chassé.es, comme elles, des espaces publics de la ville. Les études de cas de l’Àgora Juan Andrés Benítez et de la chapelle de la Misericordia montrent que les travailleuses du sexe, stigmatisées et marginalisées dans les espaces publics, deviennent des actrices de premier plan dans les luttes sociales de quartier au travers de leur engagement dans les squats. Les membres du collectif des Putas indignadas ont trouvé dans ces squats de quartier des lieux où faire société, mettre à profit leurs compétences et faire entendre leur voix auprès d’un groupe de voisin.es devenu.es des allié.es de leur lutte.

45Dans ce contexte, la pratique du squat ne constitue pas seulement une stratégie pour trouver une place dans la ville, elle contribue à définir les contours d’un nouveau rôle social. L’élargissement de leurs cercles de sociabilité et la reconnaissance de leur savoir-faire leur a permis d’être considérées comme des citoyennes légitimes à plusieurs échelles. Tout d’abord, à l’échelle des squats, dans lesquels le partage de leur expertise informelle et leur engagement dans des mobilisations collectives leur ont donné accès à un large spectre de responsabilités. Puis à l’échelle du quartier, où elles ont intégré l’écosystème des réseaux de solidarité mélangeant riverain.es, collectifs, personnel de santé, membres de partis politiques, en devenant un groupe de référence dans les actions menées dans le Raval. Pour finir, à l’échelle de la ville et de la région, où elles ont pu être reçues dans un cadre institutionnel par les acteur.rices politiques en tant qu’interlocutrices directes pour parler des questions liées à la prostitution.

46L’étonnante longévité du collectif, au regard des travaux réalisés sur les mobilisations des travailleuses du sexe et des populations vulnérables (Siméant, 1998 ; Mathieu, 2001), s’explique en partie par la diversification de leurs engagements militants à plusieurs échelles, la solidité et la diversité de leurs alliances avec les acteur.rices territoriaux.ales et l’intégration graduelle du collectif dans les débats publics, qui confère à ses trois représentantes des responsabilités politiques de plus en plus importantes. Il s’agit pour elles de continuer à occuper la sphère publique institutionnelle dans laquelle elles ont négocié leur place en tant que sujets politiques afin de poursuivre leur combat pour la reconnaissance du travail du sexe et, à terme, sa légalisation.

47Cet article vient donc enrichir une littérature déjà existante sur les mobilisations sociales des travailleuses du sexe mais apporte une perspective dans le temps long et donne de nouveaux éléments empiriques pour analyser les squats comme des espaces d’expression de la citoyenneté et comme des vecteurs d’insertion sociale. En effet, l’introduction des travailleuses du sexe du collectif dans les squats de quartier a entamé et solidifié un processus d’intégration multiscalaire dans lequel elles prouvent, par leurs actes, leur rôle de citoyennes dans la vie civique et urbaine. Dans un contexte où les dynamiques d’exclusion sociospatiales se traduisent dans les espaces publics officiels, les squats ont constitué l’ancrage spatial d’une sphère publique alternative où le concept de citoyenneté se définit par un processus de reconnaissance collective fondé sur des valeurs communes favorisant le passage au politique des travailleuses du sexe dans un milieu institutionnalisé.