Résumés
Partant du constat singulier d’une culture de masculinité viriliste, s’exprimant entre autres dans la passion du duel et de la beuverie, dans les corporations étudiantes allemandes à la fin du XIXe siècle, cet article tente de retracer les origines de ces traditions à l’époque moderne. Il analyse la constitution dans les universités protestantes d’un écosystème particulièrement favorable à ces pratiques, fondé sur une « liberté académique » étendue et un développement hypertrophié des rites de passage. Il interroge ensuite son évolution à l’aide du concept de masculinité hégémonique et de la théorie des trois ordres pour comprendre comment le type idéal de l’étudiant passe dans cette période de la figure du clerc à celle de l’officier, en dressant une typologie des pratiques démonstratives de la virilité, au sommet desquelles se situent les querelles d’honneur et le duel. La particularité germanique d’une forte présence nobiliaire et de la pratique des exercices équestres dans les universités a également facilité son imitation dans le costume et l’habitus des étudiants. Mais cette influence a contribué aussi à proposer un modèle de masculinité plus policé au XVIIIe siècle, entrant en conflit avec le modèle grossier du « garçon » (Bursche) comme avec celui toujours présent de l’érudit ou du théologien.
Beginning with the specific observation of a virilist culture, manifested, among other things, through a zeal for duelling and drinking within German student fraternities in the late 19th century, this article seeks to trace the origins of these traditions back to the early modern period. It examines how Protestant universities created an ecosystem particularly convenient for such practices, characterised by extensive ‘academic freedom’ and an exaggerated development of rites of passage. It then explores its evolution through the lens of hegemonic masculinity and the theory of the three orders, aiming to understand how the ideal student figure transitioned during this period from that of a cleric to an officer. This analysis includes a typology of practices that signify virility, with honour disputes and duels being the most prominent examples. The Germanic distinctiveness of a prominent nobility and the practice of equestrian activities at universities also encouraged its adoption in students' attire and ‘habitus’. However, this influence also led to the development of a more refined model of masculinity in the 18th century, which clashed with the cruder archetype of the ‘boy’ (Bursche) and the enduring figure of the scholar or theologian.
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Plan
I. Facteurs structurels et culturels
1. L’écosystème particulier des universités protestantes allemandes
2. Rites de passage : la fabrique du « garçon »
Les « garçons »
La déposition
Le Pennalismus
II. Pratiques virilistes et violentes du monde étudiant
1. Démonstrations, provocations et affrontements collectifs
2. Querelles d’honneur et duels
III. L’influence de l’habitus nobiliaire et militaire
1. La forte fréquentation nobiliaire des universités
2. L’enseignement et la pratique des « exercices » de cavaliers
3. Imitation du costume et de l’habitus
Conclusion : quel héritage, quelle représentativité, quelle signification ?
Aperçu du texte
Au XIXe siècle, l’université allemande suscite l’intérêt et l’admiration des observateurs étrangers pour son organisation et ses performances scientifiques, qu’on attribue alors volontiers au modèle posé par Wilhelm Humboldt lors de la fondation de l’université de Berlin en 1810. En revanche les mœurs étudiantes apparaissaient très arriérées et pour le moins étonnantes. L’université contemporaine de l’Empire wilhelminien est en effet le meilleur exemple, en dehors des académies militaires, d’institution d’enseignement supérieur où se cultive une masculinité viriliste. Il est caractéristique de cette configuration que l’expression allemande de « bourgeoisie académique » ait fini par désigner non pas les intellectuels des milieux universitaires, mais une classe conservatrice et autoritaire aux commandes de la société, qui doit sa vision du monde au formatage de ces corporations qui structurent alors la sociabilité étudiante.
Des reporters étrangers ont donné sur ces pratiques les descr...
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Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Luc Le Cam, « L’université allemande comme lieu de construction de la masculinité hégémonique à l’époque moderne », Histoire de l’éducation, 162 | 2024, 87-133.
Référence électronique
Jean-Luc Le Cam, « L’université allemande comme lieu de construction de la masculinité hégémonique à l’époque moderne », Histoire de l’éducation [En ligne], 162 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2027, consulté le 16 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/10244 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1387r
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