KERGOAT (Prisca) et MAILLARD (Dominique) (dir.), Garçons et filles en apprentissage. Représentations, transformations, variations
KERGOAT (Prisca) et MAILLARD (Dominique) (dir.), Garçons et filles en apprentissage. Représentations, transformations, variations, Toulouse, Céreq/Octares, 2022, 212 p.
Texte intégral
1L’ouvrage dirigé par Prisca Kergoat et Dominique Maillard regroupe quinze chercheurs et chercheuses autour de « la plus ancienne figure du jeune travailleur et de la jeune travailleuse » (p. 11) que constitue l’apprenti et ambitionne d’étudier des facettes souvent invisibles d’une modalité de formation, l’apprentissage, présentée actuellement de façon très valorisante. Mobilisant une perspective socio-historique centrée sur le XXe siècle, le livre est organisé en quatre parties comportant douze chapitres plaçant au centre des réflexions « ses principaux protagonistes » (p. 12), que sont les filles et les garçons apprentis.
2Au fil la lecture, c’est une plongée dans des périodes, des secteurs d’activité et des niveaux de formation différents qui est proposée permettant de dépasser une vision potentiellement uniforme, car, comme le rappellent les autrices dans leur conclusion, « l’apprenti au singulier n’a de fait jamais existé » et cela d’autant plus que « le terme même d’apprenti prête à confusion » reflétant « tant la diversité des milieux professionnels que les conflits et débats qui opposent les acteurs du monde politique, économique et éducatif » (p. 200). Cette hétérogénéité constitue une difficulté que cette publication contribue à dépasser par la richesse des questionnements traités et des perspectives proposées sans toutefois épuiser le sujet.
3Appréhender l’apprentissage implique de saisir l’articulation entre l’école, le travail et les entreprises régulièrement saisie sous le prisme de la logique adéquationniste. Une telle lecture a été relayée en 2018 par la ministre du Travail qui affirmait que le développement de l’apprentissage était un moyen de lutter « efficacement contre le chômage » (p. 109). Il n’est alors pas surprenant que l’adoption de la loi du 5 septembre 2018 dite « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » ait, notamment, augmenté la limite d’âge à 29 ans pour accéder à l’apprentissage, confié le pilotage aux branches professionnelles mais également abrogé l’inspection de l’apprentissage et facilité l’ouverture des centres de formation des apprentis (CFA). Soutenu par la puissance publique, « valorisé par le patronat et promu par les différents gouvernements » (p. 12), l’apprentissage se développe actuellement par le haut, c’est-à-dire dans l’enseignement supérieur, alors qu’il était une figure de la formation des « cols bleus » de sorte qu’on assiste à une « désouvriérisation de l’apprentissage » (p. 201).
4Depuis un siècle, l’apprentissage a donc connu d’importantes transformations présentées dans ce compte rendu en trois points transversaux. Le premier est relatif à la question de sa légitimité saisie par ceux qui sont censés la mettre en œuvre. Que cela soit la déconstruction de l’idée répandue au début du XXe siècle d’une « crise de l’apprentissage » (Stéphane Lembré), les divergences entre branches professionnelles concernant la place accordée à l’apprentissage suite au vote de la loi du 24 juin 1936 sur les conventions collectives (Laure Machu) ou le déclin progressif de l’apprentissage artisanal devenu une formation « surannée [et] trop éloignée des progrès scientifiques et techniques » (p. 105) dans un contexte de faible niveau scolaire des apprentis et de développement des formations en écoles (Marc Suteau), l’apprentissage suscite des débats. Dans cette perspective, le chapitre proposé par Dominique Maillard montre les cadres d’analyse distincts entre les travaux statistiques centrés sur l’insertion dans lesquels les apprentis sont décrits comme un groupe participant à faire de l’apprentissage un attribut individuel et les recherches sociologiques montrant la « pluralité de réalités » des apprentis (p. 46) et les diversités des expériences rencontrées.
- 1 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995.
5Un deuxième point transversal renvoie précisément aux expériences des apprentis. Dans l’artisanat, des années 1930 aux années 1960, période étudiée par Cédric Perrin, les apprentis sont principalement des garçons « issus de catégories populaires modestes » (p. 85), formés aux métiers du bâtiment et de l’alimentation (p. 88), confrontés à des conditions de travail difficiles et ne percevant, le plus souvent, aucun salaire (p. 89). Sur la période contemporaine, Gilles Moreau et William Salze mobilisent la notion d’affiliation théorisée par Robert Castel1 pour saisir les parcours d’apprentis dans le bâtiment et les travaux publics et montrer qu’une « relation de formation ne s’établit jamais “hors sol” ». Dès lors, le vécu de l’apprentissage résulte de l’articulation entre les motivations du jeune, son expérience en CFA et en entreprise. Fanny Renard et Sophie Denave nous conduisent dans les secteurs de l’automobile et de la coiffure, spécialités dans lesquelles « la concurrence est forte pour décrocher un contrat d’apprentissage » (p. 142), pour étudier les socialisations professionnelles et montrer que tous les jeunes « adhèrent davantage à la formation en entreprise » qu’à l’école (p. 152). Accéder à l’apprentissage signifie avoir dépassé la sélection importante à laquelle se heurtent les candidats. À ce titre, le chapitre proposé par Prisca Kergoat est éclairant. En étudiant les « jeunes recalés » (p. 113), souvent des filles, des jeunes paupérisés et issus de l’immigration, elle souligne que « l’apprentissage ne manque ni de candidats, ni de candidates, il manque de places » (p. 115) de sorte que les apprentis répondent souvent, in fine, aux profils attendus par les employeurs.
6Le dernier point fait explicitement référence aux modalités de recrutement des apprentis. Nicolas Hatzfeld et Emmanuel Quenson étudient ainsi les écoles de constructeurs automobiles de 1919 à 1989 et montrent comment la formation a été utilisée pour produire des « futurs ouvriers “loyaux” » (p. 69) et « conformes à l’organisation taylorienne et fordienne du travail » (p. 78), mais que progressivement, ces entreprises ferment leurs écoles notamment face au développement d’une offre de formation dans le cadre scolaire. En contre-pied à ces apprentis « historiques », trois chapitres s’intéressent aux apprentis, de plus en plus nombreux, du supérieur. Ils sont inscrits, par exemple, en gestion des entreprises et des administrations à l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Longwy (Jean-Luc Deshayes) ou candidats à une formation d’ingénieurs (Arnaud Pierrel). Les auteurs soulignent, ici encore, la sélection opérée, à l’instar de l’école d’ingénieur où les filles sont sous-représentées et où les entreprises mobilisent le modèle du technicien comme catégorie de jugement (p. 18) des candidats. Enfin, Maël Dif-Pradalier analyse un dispositif peu connu, le groupement d’employeurs d’insertion et de qualification (GEIQ) qui permet à de grandes entreprises d’« atteindre des objectifs en termes de politique de diversité et de RSE » (p. 169) et constitue une forme d’usage stratégique de l’apprentissage non réductible au seul objectif de formation.
- 2 Laurence Congy, L’alternance, Passeport pour l’emploi, Paris, Onisep / Nathan, 1995.
- 3 Lucie Tanguy (dir.), L’introuvable relation formation-emploi, Paris, La Documentation française, 19 (...)
7En plaçant les jeunes, garçons et filles, au cœur de ce livre, les auteurs ont eu pour ambition de donner à voir la réalité d’une voie de formation, l’apprentissage, qui, après avoir été décriée, est redevenue attractive dans un contexte de tensions sur le marché du travail. Toutefois, il ne peut être réduit à un « passeport pour l’emploi »2, car de nombreux jeunes restent à la porte. Comme le défendait Lucie Tanguy, ce n’est pas la formation qui crée l’emploi3, de sorte que si la rhétorique d’un accès facilité au marché du travail est séduisante, cet ouvrage permet de rappeler que l’envers du décor de l’apprentissage est historiquement plus contrasté que certains slogans le laissent entendre.
Notes
1 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995.
2 Laurence Congy, L’alternance, Passeport pour l’emploi, Paris, Onisep / Nathan, 1995.
3 Lucie Tanguy (dir.), L’introuvable relation formation-emploi, Paris, La Documentation française, 1986.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Nicolas Divert, « KERGOAT (Prisca) et MAILLARD (Dominique) (dir.), Garçons et filles en apprentissage. Représentations, transformations, variations », Histoire de l’éducation, 162 | 2024, 321-324.
Référence électronique
Nicolas Divert, « KERGOAT (Prisca) et MAILLARD (Dominique) (dir.), Garçons et filles en apprentissage. Représentations, transformations, variations », Histoire de l’éducation [En ligne], 162 | 2024, mis en ligne le 07 décembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/10597 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13885
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