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La révocation des institutrices antillaises sous Vichy (1940-1943)

The Dismissal of Female French Caribbean School Teachers under the Vichy Regime (1940-1943)
Clara Palmiste et Éric Jennings
p. 47-70

Résumés

Cet article analyse l’application à la Martinique et à la Guadeloupe de la loi du 11 octobre 1940 relative à la réglementation du travail féminin. Il permet de combler une triple omission historiographique : celle des institutrices dans l’histoire de l’éducation, celle de ce corps professionnel dans l’histoire des femmes et celle des femmes dans l’enseignement colonial. Il se propose d’examiner les modalités de mise en œuvre de la loi du 11 octobre 1940 dans la métropole et aux Antilles, son instrumentalisation par divers acteurs et les arguments mobilisés lors de son adoption dans le contexte antillais. Il appréhende ensuite à quel degré les institutrices antillaises furent touchées par ces mesures et les véritables motifs de leur révocation. Puis, il met en relief le contexte plus global d’une réorganisation administrative, scolaire et sociale dans laquelle s’inscrivent les révocations et les réactions des enseignantes antillaises face à ces réformes. L’article interroge également les continuités des discriminations subies par les femmes fonctionnaires avant et sous Vichy.

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Texte intégral

  • 1 Claudine Hazaël-Ambrosio, Moi, Jeanina, adolescente an tan Sorin, Gourbeyre, Éd. Nestor, 2013, p.  (...)

« L’organisation de l’école subit des transformations profondes [sous Vichy]. Au niveau du personnel pédagogique tout d’abord, les femmes, déjà nombreuses à l’époque dans l’enseignement, furent les premières à être victimes du sectarisme de l’État français. Les institutrices furent suspendues et renvoyées à la maison. Elles subissaient la devise de Travail-Famille-Patrie »1.

  • 2 Jean-Michel Barreau, « Vichy, idéologue de l’école », Revue d’histoire moderne et contemporaine, v (...)

1C’est ainsi qu’une habitante du Lamentin en Guadeloupe se remémore l’une des lois discriminatoires de Vichy et ses répercussions sur les enseignantes. Ces dernières se sont trouvées doublement stigmatisées sous le régime de Vichy : au titre de représentantes de la profession féminine la plus importante dans l’administration, mais également en tant que secteur désigné explicitement par le maréchal Pétain comme responsable de la défaite de 19402. Le présent article analyse l’application à la Martinique et à la Guadeloupe de la loi du 11 octobre 1940 relative à la réglementation du travail féminin. Parmi les femmes fonctionnaires, les institutrices des Antilles françaises furent tout spécialement touchées par ladite loi.

  • 3 Jean-Baptiste Bruneau, La Marine de Vichy aux Antilles, Paris, Les Indes Savantes, 2014 ; Richard (...)
  • 4 Archives nationales d’outre-mer [désormais ANOM], 1Affpol 768.
  • 5 Exception faite du cas Mayotte Capécia. Voir Myriam Cottias, Madeleine Dobie (dir.), Relire Mayott (...)

2L’application de la loi sur le travail féminin s’intègre dans le projet de transformation profonde de la société voulue par Vichy. De nombreux travaux ont étudié la politique pétainiste aux Antilles3 et ses conséquences : coupure graduelle des liaisons avec la métropole, mise en place d’un régime autoritaire et xénophobe, privation des droits et des acquis, dissolution des conseils élus4. Néanmoins, peu d’études se sont focalisées sur l’expérience des femmes antillaises durant cette période5.

3Les comparaisons entre les Antilles et la métropole par rapport à l’application de la loi du 11 octobre 1940 révèlent un effet de miroir déformant : après certaines péripéties surtout guadeloupéennes, les grandes lignes de ces mesures vichystes sont plaquées sur les Antilles, à l’image de l’appareil vichyste tout entier. Cependant, on observe en règle générale des sanctions plus sévères et moins de souplesse envers les institutrices antillaises que métropolitaines. La durée d’application de cette loi est par ailleurs plus importante dans les vieilles colonies. La métropole enregistre en 1942 un repli des mesures discriminatoires envers les femmes (nous y reviendrons plus loin), alors qu’aux Antilles elles perdurent jusqu’en 1943 au moment de leur ralliement à la France libre. Les commissions de révision n’achèvent leur travail qu’en 1947, en raison de la lenteur dans le traitement des dossiers d’indemnisation.

  • 6 Rebecca Rogers, « La sous-maîtresse française au XIXe siècle : domestique ou enseignante stagiaire (...)
  • 7 Jean-François Chanet, « Des institutrices pour les garçons. La féminisation de l’enseignement prim (...)

4Notre analyse se situe au carrefour de trois champs sous-étudiés, paradoxalement eux-mêmes tributaires de plus vastes domaines ayant fait l’objet d’une attention considérable. D’abord, l’historiographie a longtemps « laissé dans l’ombre » la figure de l’institutrice6. Jean-François Chanet a retracé l’arrivée importante de femmes dans le secteur de l’enseignement primaire en France entre 1880 et 1920, faisant des institutrices le « premier corps professionnel de la nation par leurs effectifs »7. Notre sujet, centré sur les Antilles, où la percée des institutrices dans l’administration coloniale a été observée dans les trois premières décennies du XXe siècle, interroge les freins mis à leur carrière à partir de 1940.

  • 8 Jean-François Condette (dir.), Les écoles en guerre. Acteurs et institutions éducatives dans les t (...)
  • 9 Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Paris, Perrin, 2012.

5Ensuite, si l’école des années de guerre a fait l’objet de plusieurs travaux, peut-on en dire autant du corps enseignant, a fortiori des institutrices8 ? Alors que certaines enseignantes résistantes ont attiré l’attention, comme Lucie Aubrac9, à notre connaissance aucun travail n’a été consacré jusqu’ici aux révocations d’institutrices en métropole, ce qui complique toute tentative de comparaison pour la réflexion que nous engageons ici sur le lien entre l’avènement de Vichy, la révocation d’institutrices et leur résilience. Ce travail s’inscrit au croisement des historiographies des femmes sous l’Occupation, de l’école et des discriminations induites par la situation coloniale.

  • 10 Rebecca Rogers, A Frenchwoman’s Imperial Story. Madame Luce in 19th century Algeria, Stanford, Sta (...)
  • 11 Antoine Abou, L’école dans la Guadeloupe coloniale, Paris, Éd. Caribéennes, 1988 ; Henry Delinde, (...)
  • 12 Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale, 1918-1957, Rennes, Presses unive (...)

6L’engouement historiographique pour l’enseignement colonial favorise ce projet, sous la forme de divers apports. Pour ne citer que quelques exemples, Rebecca Rogers a produit une fine analyse centrée sur l’Algérie. D’autres historiens ont traité de l’enseignement colonial en Afrique occidentale française et en Indochine10. Les écrits sur l’école coloniale aux Antilles ont également fourni de précieuses informations11. Toutefois, en dépit de travaux sur l’entrée des enseignantes laïques dans l’administration coloniale, les institutrices exerçant aux colonies elles-mêmes demeurent généralement dans l’ombre12.

7Plusieurs facteurs expliquent, toute proportion gardée, une application plus rigoureuse et plus durable aux Antilles qu’en métropole de la loi vichyste sur le travail féminin : d’abord, la Martinique et la Guadeloupe n’ont pas connu la même remise en question de ce texte que la métropole en 1941-1942 ; ensuite, la carrière d’institutrice a représenté dans l’entre-deux-guerres un débouché encore plus précieux pour les jeunes Antillaises que pour les métropolitaines ; enfin, Vichy était persuadé d’affronter aux Antilles une société encore plus décadente que dans la métropole, nécessitant, en vue du « redressement » recherché, un renforcement de la politique d’exclusion. Nous examinerons donc dans le détail les modalités de mise en œuvre de la loi du 11 octobre 1940 dans la métropole et aux Antilles, son instrumentalisation par divers acteurs et les arguments mobilisés lors de sa promulgation dans le contexte antillais. Dans un deuxième temps, nous verrons à quel degré les institutrices antillaises furent touchées par ces mesures et les véritables motifs de leur révocation, perceptibles à travers les dossiers de demande de réintégration et de redressement administratif. En dernier lieu, nous mettrons en relief le contexte plus global d’une réorganisation administrative et sociale dans laquelle s’inscrivent les révocations et les réactions des enseignantes antillaises. Pour ce faire, nous nous appuyons sur des archives guadeloupéennes et martiniquaises, spécialement des dossiers de révocation et de réintégration, ainsi que sur les Archives nationales d’outre-mer.

I. La loi du 11 octobre 1940 sur le travail féminin

  • 13 Miranda Pollard, Reign of Virtue: Mobilizing Gender in Vichy France, Chicago, University of Chicag (...)
  • 14 Michèle Bordeaux, La victoire de la famille dans la France défaite, Vichy 1940-1944, Paris, Flamma (...)
  • 15 Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, p. 126.

8La loi du 11 octobre 1940 sur le travail féminin constitue un texte sous-étudié par rapport aux autres mesures d’exclusion de Vichy. Elle démontre d’abord l’importance de la politique de natalité pour Vichy. Le premier article de la loi précise certes qu’elle est censée « lutter contre le chômage ». Il s’agit surtout, sous ce prétexte, d’amorcer le retour de la femme au foyer13. Pour reprendre une formule de Michèle Bordeaux, la loi d’octobre 1940 constitue « un plan gouvernemental maîtrisé d’expulsion des femmes du monde du travail »14. Francine Muel-Dreyfus analyse de manière convaincante les précédents nazis dont s’inspire Vichy pour l’élaboration de cette loi15.

1. La loi et son application en métropole et dans les autres colonies

  • 16 Ibid., p. 12-125 ; Dominique Rémy, Les lois de Vichy, Paris, Romillat, 1992, p. 92-97.

9Par cette loi d’octobre 1940, tout nouveau recrutement de femmes mariées dans le secteur public est interdit, y compris dans l’administration coloniale, mais des dérogations sont prévues pour celles dont le mari ne peut subvenir aux besoins du ménage ou celles qui, antérieurement à la publication de l’acte, ont réussi un concours de recrutement ou contracté un engagement à servir l’État. Elle octroie un pécule aux femmes quittant leur emploi pour se marier. L’article 7 précise que « les agents mariés du sexe féminin, employés dans les administrations, services ou entreprises […] et dont le mari subvient aux besoins du ménage, pourront être mis en congé sans solde ». L’article 8 met à la retraite d’office les femmes fonctionnaires âgées de 50 ans16.

  • 17 Pour les chiffres de révocations en métropole, cf. Linda Clark, The Rise of Professional Women in (...)

10Que révèle la comparaison avec la métropole et les autres « vieilles colonies » ? Entre novembre 1940 et juillet 1942, 8 000 institutrices et 300 enseignantes du primaire supérieur de métropole sont relevées de leurs fonctions en vertu de cette loi, soit 8,35 % des 99 325 institutrices métropolitaines exerçant en 193917. En Martinique et en Guadeloupe, on recense 134 révocations d’institutrices sur cette même période, ce qui représente 14,19 % des 944 institutrices en poste avant-guerre. Ainsi, le pourcentage des institutrices antillaises révoquées est presque le double de celui de leurs consœurs métropolitaines.

  • 18 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fay (...)
  • 19 Hélène Eck, « Les Françaises sous Vichy », in Michelle Perrot, Georges Duby (dir.), Histoire des f (...)

11En France métropolitaine, divers facteurs conjoncturels viennent infléchir la position de Vichy. Premièrement, comme le souligne Marc Olivier Baruch, plusieurs ministères cherchent à faire échouer la réforme fin 1940, l’estimant trop complexe, voire « chimérique »18. Deuxièmement, le nombre de prisonniers de guerre masculins, puis le recrutement de travailleurs masculins pour les usines allemandes qui réduit les réserves de main-d’œuvre, cumulé au besoin d’embauche de femmes dans des branches de l’administration en plein essor comme le ravitaillement, jouent un rôle important dans ce retournement de situation. Enfin, les démissions et demandes de mise en disponibilité croissantes émises par des enseignants en 1942, dues en partie au peu d’attractivité rémunératrice de la profession, modèrent également l’ardeur initiale des partisans de ce texte. Tant et si bien qu’en métropole en 1942, la loi sur le travail féminin n’est plus d’actualité. En septembre 1942, Vichy suspend, sans les abroger, les mesures à l’encontre des femmes employées. Dès lors, en métropole, certaines femmes mises à pied en 1940 et 1941, dont des institutrices, retrouvent des emplois dès 1942. Au final, on recense en métropole un accroissement du travail des femmes sur toute la période de la guerre19. En revanche, ce n’est pas le cas aux Antilles, où des dossiers de révision et de redressement administratif sont toujours en attente de traitement en 1947.

12Toutes les « vieilles colonies » ainsi que l’Algérie tombent sous le coup de la loi d’octobre 1940. Cependant, les facteurs atténuants que nous venons d’identifier pour la métropole y sont moindres. Certes, des Antillais ont été faits prisonniers en mai-juin 1940, mais le recrutement de travailleurs pour l’Allemagne n’est pas étendu outre-Atlantique. Par ailleurs, dans un contexte économique désastreux lié en partie à l’autarcie, les Antilles ne connaissent pas la même reprise économique que la métropole où les administrations hexagonales ne peuvent plus se passer de main-d’œuvre féminine en 1942. Enfin, en raison du décalage entre les contextes économiques métropolitain et antillais, la profession d’enseignant demeure, en 1942, économiquement attractive pour les hommes antillais.

  • 20 Michèle Marimoutou, « Marie-Aline Wuathion, Hussard noir de la République », conférence du 7 mars  (...)
  • 21 En 1941, Émile Devouton, inspecteur général des Affaires d’Outre-mer, est à la tête d’une mission (...)
  • 22 Edenz Maurice, Faire l’École dans une « vieille colonie ». Un État colonial aux prises avec le mon (...)

13Nous disposons d’informations partielles sur les révocations dans les autres vieilles colonies françaises. À l’île de la Réunion, la directrice d’école Marie-Aline Wuathion est révoquée par Vichy en décembre 1940 en vertu de cette loi. Parallèlement, elle est victime d’une autre mesure vichyste, la révision de sa nationalité française20. En Guyane, la loi sur le travail féminin est introduite et étendue aux enseignantes, du moins sur le papier. Toutefois, peu d’institutrices sont finalement révoquées, en raison d’une application modérée du texte de la part du gouverneur Robert Chot. L’attitude de l’inspecteur des colonies Émile Devouton21, qui fait preuve de zèle pour révoquer les institutrices en Martinique et en Guadeloupe mais qui salue la pondération en la matière de Chot en Guyane22, révèle la nécessité de prendre en compte les adaptations de la loi au contexte local. La position de la Guyane, en proie à des ambitions états-uniennes et brésilienne dès 1940, appelle certainement à une certaine prudence vichyste par rapport à d’éventuelles menaces. Il aurait été également plus difficile en Guyane de remplacer les enseignantes.

2. L’application aux Antilles

14Cette loi est-elle appliquée à la lettre aux Antilles ? Deux niveaux méritent d’être considérés : d’une part les modifications qui résultent d’une adaptation ultramarine et d’autre part le contexte de son entrée en vigueur. Les lois et règlements ne pouvaient être appliqués aux colonies qu’après publication d’un arrêté par le gouverneur, conformément aux dispositions du sénatus-consulte de 1854.

  • 23 Journal officiel de la Martinique [désormais JOM], 16 novembre 1940, p. 793.
  • 24 Archives départementales de Guadeloupe [désormais ADG], SC23 : Mission d’inspection. Compte-rendu (...)
  • 25 À titre de comparaison, l’indemnité mensuelle du directeur du cours Michelet était de 1 500 francs (...)
  • 26 ADG, SC17 : Sorin à Carcassonne, novembre 1941.

15Certains articles de la loi sont interprétés de façon plus stricte aux Antilles. L’article 11 indique la possibilité de recruter des femmes mariées, à condition que « le travail s’exerce d’une manière discontinue, à proximité de leur domicile, et ne les met[te] pas dans l’impossibilité d’accomplir les travaux de ménage »23. Pourtant l’administration coloniale, même disposant de cette marge très étroite, fait des choix plus catégoriques. Certaines difficultés en vue de l’application de la loi sont signalées, notamment les cas d’agents ayant moins de trois enfants et dont le mari subvient aux besoins du ménage24, et de couples de fonctionnaires du « cadre métropolitain », c’est-à-dire d’origine métropolitaine. Le revenu minimum pris en compte (20 000 francs25) quand la femme fonctionnaire a droit à pension et le maximum (26 000 francs) quand elle ne peut prétendre ni à pension, ni à l’ancienneté, sont réévalués pour les fonctionnaires du cadre métropolitain : « Des dispositions particulières ont été envisagées à l’égard des ménages métropolitains et le barème prévu pour les familles originaires de la colonie n’est pas celui qu’il y a lieu d’appliquer aux fonctionnaires originaires d’Europe »26. Le régime ne remet manifestement pas en cause l’écart de salaire existant depuis la fin du XIXe siècle entre les instituteurs du cadre métropolitain et ceux du cadre local. Il s’adapte tout au plus à la situation.

  • 27 Jacques Cantier, Éric Jennings (dir.), L’Empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, p.  (...)

16Nous l’avons vu, le mécanisme d’application de textes métropolitains aux vieilles colonies, le sénatus-consulte de 1854, ainsi que le poids de l’héritage colonial, s’avèrent déterminants dans la reproduction de la majorité des mesures et des instances de Vichy aux Antilles. Le secrétariat d’État aux Colonies de Vichy sert alors de « machine à reproduire la Révolution nationale »27. Divers intermédiaires sont ensuite impliqués dans l’application de la loi. Les inspecteurs des colonies, véritables passerelles entre le nouveau régime et les territoires ultramarins, jouent un rôle déterminant dans sa mise en œuvre. Leurs rapports et directives sont remis tant à Vichy qu’aux gouverneurs avec lesquels ils travaillent en étroite collaboration, chapeautés par le haut-commissaire, l’amiral Robert. Or, les inspecteurs invoquent régulièrement le chômage et la pression locale, persuadés que la loi répond à une forte demande antillaise.

  • 28 JOM, 16 novembre 1940, p. 792.
  • 29 ANOM, 1TEL721 : télégrammes, Vichy, 7 février 1941.
  • 30 Ibid.
  • 31 ANOM, 1TEL 721 : télégrammes 553 à 561.

17Le processus d’application de ce texte met en lumière deux situations distinctes en Guadeloupe et en Martinique. La loi entre en vigueur en Martinique par arrêté du 15 novembre 194028. Début 1941, l’inspecteur des Colonies Marcel Henri Carcassonne rappelle qu’à la mi-décembre 1940, le secrétaire d’État aux Colonies avait provisoirement reporté l’application de la loi sur le travail féminin, en attendant que soit rédigé un rapport du secrétaire d’État à l’Instruction publique. Or, martèle l’inspecteur, rien ne s’oppose désormais à l’application de ce texte à la Martinique. Il passe en revue les trois principales objections : la possibilité que les pertes d’emploi ne jettent des familles dans la misère, que les révocations ne compromettent la continuité de l’enseignement, et enfin que les renvois puissent susciter une opposition populaire. Sur le premier point, l’inspecteur assène : « une forte proportion des agents mariées ont épousé des fonctionnaires en mesure de subvenir largement sur leur seul traitement aux besoins du ménage »29. Autrement dit, le salaire de l’homme suffit. Puis, l’inspecteur se saisit de la deuxième objection : « l’application à la Martinique de la loi sur le travail de la femme n’entraînerait pas de difficulté sérieuse pour le fonctionnement du service »30. Enfin, il prend à bras le corps la troisième objection. Le vrai danger de révolte émane non de l’application de la loi, mais de sa non-application. Selon lui en effet, « les jeunes diplômés restés sans emploi peuvent un jour prochain constituer un danger pour l’ordre intérieur »31.

  • 32 ADG, L’Émancipation, 25 décembre 1903, n° 96.
  • 33 Archives départementales de Martinique [désormais ADM], 1T115 : lettre de Devouton, datée du 7 sep (...)

18D’après l’inspecteur, le remplacement d’institutrices mariées ou de plus de 50 ans par des jeunes hommes constitue à la fois un désir de la population locale, une soupape de sécurité pour le régime, ainsi qu’une pierre angulaire de la Révolution nationale. Il existe effectivement des réticences face au nombre croissant d’institutrices dans l’administration et à la concurrence qu’elles représentent dans les écoles mixtes ou de garçons, dénoncée dès le début du XXe siècle par des instituteurs sans emploi32. La priorité donnée à l’insertion de jeunes diplômés sans emploi dans l’enseignement primaire, jugés « plus faciles à former aux nouvelles méthodes », fait partie intégrante du projet visant à renvoyer les femmes mariées dans leur foyer et à accroître l’effectif masculin de l’enseignement primaire33.

  • 34 « Constant Sorin, nommé gouverneur de la Guadeloupe par Georges Mandel en avril 1940. Fidèle à l’a (...)
  • 35 ADG, SC19 : Pierre au ministère des Colonies, 15 novembre 1945.

19En Guadeloupe, le processus d’application de la loi sur le travail féminin est légèrement différent. Après-guerre, le gouverneur de la Guadeloupe, André Pierre, revient sur cette loi, précisant qu’elle « fut appliquée d’une façon brutale malgré un appel à modération du Pouvoir Central. Le gouverneur Sorin34 demanda que la mesure qu’il avait appliquée aux employées des administrations soit étendue aux institutrices pour satisfaire l’opinion publique »35. La véracité de cet argument de l’opinion publique s’avère impossible à vérifier dans un double contexte vichyste et colonial, même s’il ne fait aucun doute que la mesure profite aux instituteurs stagiaires.

  • 36 ADG, SC19 : rapport du bureau du personnel, 10 novembre 1941.

20Un rapport du 10 novembre 1941 émanant du bureau du personnel du gouverneur Sorin à Basse-Terre expose les méandres de l’application de la loi de 1940 à l’instruction publique en Guadeloupe. Il montre qu’en avril 1941, Sorin insiste auprès de Carcassonne « pour que la mesure soit généralisée, les disponibilités en personnel enseignant permettant d’assurer le fonctionnement de toutes les écoles primaires ». C’est donc sur l’insistance des gouverneurs et des inspecteurs sur place, invoquant à la fois le chômage et le manque de débouchés pour de jeunes diplômés de sexe masculin, que la mesure est appliquée en Guadeloupe par un arrêté du 27 mai 194136. Certains des motifs invoqués pour appliquer ce texte, comme le chômage, font écho au contexte métropolitain.

21Toutefois, si inspecteurs, gouverneurs et haut-commissaire partagent le même avis, quel frein a empêché l’application de la loi sur le travail féminin en Guadeloupe entre novembre 1940 et mai 1941 ? En juin 1941, l’autre inspecteur de Vichy aux Antilles, Émile Devouton, identifie clairement le coupable :

  • 37 Archives nationales de France, Pierrefitte, 3W331, 2575, N 96C : lettre de Devouton à Platon, le 1 (...)

« M. Grandjouan perdant […] de vue l’intérêt politique qu’il y avait à donner du travail à de nombreux jeunes gens diplômés sans emploi, et l’intérêt professionnel qu’il y avait à améliorer la qualité de son personnel, n’a consenti à appliquer la loi sur le travail féminin que sur l’insistance formelle de la Mission d’Inspection »37.

  • 38 ADG, SC66 : dossier Grandjouan.
  • 39 ANOM, Cab 42 : dossier Grandjouan.

22Ce même Jacques Grandjouan, professeur agrégé détaché à la Guadeloupe en novembre 1939 en qualité de chef de service de l’Instruction publique, paiera son obstruction. Il est en effet congédié par le gouvernement de Vichy le 26 octobre 1941, remis à la disposition de la métropole et affecté au lycée Marcelin Berthelot à Saint-Maur-des-Fossés en mars 1942. Sa mise à l’écart est due non seulement à son rôle dans cette affaire, mais aussi à ce qu’il est « entré en conflit avec la presque totalité du personnel ecclésiastique de la Guadeloupe à propos de l’horaire de l’enseignement religieux et des mouvements de jeunesse »38. Grandjouan formulera avec succès une demande de réparation matérielle en 1944-194539.

II. Dépolitiser l’administration et moraliser la société : les institutrices dans la tourmente

1. Le contexte d’avant 1940

  • 40 Clara Palmiste, « La sécularisation du personnel enseignant en Guadeloupe… », art. cit., p. 42.

23Cette loi frappe de plein fouet les institutrices des colonies, dont l’intégration au sein du personnel colonial s’était réalisée progressivement. La sécularisation du personnel enseignant, entre 1882 et 1906, permet, dans les décennies suivantes, l’entrée massive d’institutrices originaires de Guadeloupe et de Martinique dans l’enseignement primaire40. Au début du XXe siècle, peu d’opportunités de carrière sont offertes aux femmes des Antilles. Selon une revue féminine de 1912 :

  • 41 Pointe-à-Pitre, no 14, 30 mars 1912, p. 1.

« Aucune carrière sérieuse n’est en effet ouverte à nos filles. Celles qui peuvent arriver aux brevets de capacité n’aspirent qu’à être institutrices et c’est encore là une des meilleures voies où elles puissent s’engager, c’est celle qui offre le plus de garantie pour l’avenir ; le traitement encore qu’il soit modique, est cependant le plus élevé qu’une fille puisse avoir dans la colonie comme fonctionnaire »41.

  • 42 ADM, JOM : discours de distribution de prix au Pensionnat colonial, en 1906 et 1919.
  • 43 ADG, 1J148, op. cit., p. 254.

24En Martinique également, les femmes s’accrochent aux rares débouchés leur donnant une indépendance matérielle42. Malgré les inégalités de salaire avec les femmes originaires de la métropole et les hommes, le recrutement des institutrices locales progresse, donnant ainsi à ces dernières la possibilité d’accéder à un métier jouissant d’un certain prestige social. Et pourtant, les obstacles pour la mise en place d’un enseignement secondaire féminin et la formation des institutrices sont nombreux. En 1934, le gouverneur de la Guadeloupe menace de modifier le fonctionnement du cours Michelet, constitué en société privée en 1917 pour pallier l’absence de lycée pour filles43.

  • 44 Statistique générale de la France, Annuaire statistique, op. cit., p. 20.

25Aux Antilles, l’augmentation du nombre d’institutrices se poursuit durant la période de l’entre-deux-guerres : en 1938 (tableau 1), elles sont trois fois plus nombreuses que les instituteurs, tandis qu’en métropole l’année suivante, elles sont deux fois plus nombreuses (99 325 femmes pour 52 016 hommes)44.

Tableau 1 : état du personnel de l’enseignement officiel (1938-1940)

Colonies Catégories Hommes Femmes Totaux
Réunion (1940) Prof. répétiteurs 33
Surveillants d’internat 10
Instituteurs et institutrices 142 333 475
Total 541
Martinique (1938) Prof. agrégés 1 1 2
Prof. licenciés ou certifiés 52
Instituteurs et institutrices 190 599 789
Total 843
Guadeloupe (1938) Prof. Agrégés 3
Prof licenciés ou certifiés 26
Prof. adjoints, répétiteurs, etc. 26
Instituteurs, institutrices 133 345 478
Total 533
Guyane (1940) Prof. Agrégés 20 6 26
Instituteurs, institutrices 27 43 70
Divers 1 7 8
Total 48 56 104

Source : ANOM, FM 1ECOL 142 d. 119 : organisation de l’inspection conseil, septembre 1941.

26Instituteurs et institutrices constituent alors le corps le plus important parmi le personnel colonial. Le métier représente un tremplin vers d’autres services de l’administration coloniale (enregistrement, hôpital, secrétariat général, service des eaux et forêts, douanes, etc.). Malgré les recommandations de neutralité politique formulées par l’administration, de nombreux instituteurs et institutrices prennent une part active dans la politique locale.

  • 45 ADG, 1J148 : procès-verbaux des réunions des professeurs du Cours Michelet (1913-1934), p. 4 et 13 (...)

27Dans l’entre-deux-guerres, les femmes parviennent à accéder à certaines sphères qui jusqu’ici leur étaient fermées : en 1920 les jeunes filles préparant le baccalauréat en Guadeloupe sont autorisées à suivre les cours du lycée Carnot en qualité d’auditrices libres ; la loge maçonnique L’Émancipation féminine, créée en 1930, compte parmi ses membres actifs Olympe Claude, maîtresse de français au Pensionnat colonial de Fort-de-France ; Gerty Archimède est la première femme à s’inscrire au barreau de Pointe-à-Pitre en 1939, etc. Nonobstant ces avancées, certaines pratiques témoignent du rôle subordonné des femmes : les institutrices des cours secondaires quittent leur emploi au moment du mariage45.

  • 46 Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2008, p. 59.

28Vichy donne un cadre légal à des pratiques sociales qui existaient auparavant. De longue date un débat historiographique fait rage autour de la rupture ou de la continuité que représente 1940. S’il ne fait aucun doute que la loi sur le travail féminin constitue un nouvel outil au service d’un régime à la fois autoritaire et nostalgique, et marque à ce titre un retour en arrière et une rupture, il va sans dire qu’il s’inscrit également dans le sillage des pratiques de l’entre-deux-guerres. Ainsi, la pratique de devoir abandonner son poste en se mariant ne date pas des années 1940 et a été observée également en métropole où l’exercice d’une profession était généralement lié au célibat46. Elle va toutefois être régularisée et normalisée sous Vichy.

2. L’impact de Vichy

  • 47 ANOM, 1Affpol 76 : note secrète du 9 septembre 1940.

29La loi sur le travail féminin s’intègre dans un vaste projet de réorganisation de la société en France et dans les colonies. Vichy épure à tout-va en métropole, et davantage aux Antilles. Certains, à l’image du contre-amiral Rouyer, le principal responsable de la censure et de la propagande en Guadeloupe, perçoivent en effet dans le cas antillais une manifestation extrême de la « pourriture » morale de la Troisième République47.

30La réorganisation de l’administration dans les colonies vise à dépolitiser les services, à en éliminer l’intrigue et le favoritisme, comme le révèle le rapport du chef du bureau du personnel en 1942 :

  • 48 ADG, SC17 : lettre du chef de bureau du personnel Basse-Terre, 2 janvier 1942.

« Le fonctionnement des bureaux et des services, véritables cellules politiques, était le moindre souci des agents qui n’avaient qu’un objectif : parvenir à tout prix. Certains chefs de ces services eux-mêmes, n’osaient plus faire leur devoir en signalant les défaillances de leurs sous-ordres dont ils craignaient les relations »48.

  • 49 Georges Robert (1875-1965) : « Après avoir sollicité son rappel à l’approche de la guerre (août 19 (...)
  • 50 ADG, SC3974 : Robert à Sorin, 18 février 1941.

31L’amiral Robert49 et le gouverneur Sorin vont jusqu’à planifier le recrutement de fonctionnaires non originaires de ces colonies, voire l’échange de fonctionnaires entre les Antilles françaises et la Guyane, en mettant à la tête de chaque service un métropolitain ou un chef de service non originaire des Antilles, car « les Antilles ne doivent plus être un fief pour les Antillais »50.

  • 51 « Un appel du gouverneur de la Martinique », Bulletin hebdomadaire (Fort-de-France), n° 19, 7 mai (...)
  • 52 Jacques Dumont, L’Amère patrie : histoire des Antilles française au XXe siècle, Paris, Fayard, 201 (...)
  • 53 Léo Elisabeth, « Vichy aux Antilles… », art. cit., p. 163.

32La révocation des institutrices sous Vichy s’inscrit dans ce contexte, ainsi que dans deux autres : la crise économique que traversent les Antilles entre 1940 et 1943, et la vision pétainiste des femmes dans la société qui trouve certainement un terreau fertile aux Antilles. Le blocus anglo-américain modifie profondément les relations entre la métropole et les Antilles. Dans un discours de mai 1942, le gouverneur de la Martinique tente de faire ressortir une dimension positive de la pénurie que connaît alors la colonie, pressentant un avenir dans lequel des champs d’arachides pousseraient sur place, afin de produire de l’huile locale51. Il épouse ainsi une tendance récente, née de la quasi autarcie soudaine des Antilles, tendant à célébrer la création locale et les ersatz52. Les autorités de Vichy esquissent un monde manichéen : au règne des fonctionnaires corrompus et des institutrices vient se substituer un radieux avenir artisanal. En ce sens, nous rejoignons l’analyse de Léo Élisabeth qui perçoit la loi sur le travail féminin aux Antilles comme une arme parmi d’autres dans une vaste « guerre [de Vichy] contre les fonctionnaires de couleur accusés de trop aimer les élections »53.

  • 54 ADM, 2M 1615.
  • 55 Des deux restantes, l’une décéda et l’autre fut licenciée.
  • 56 ADG, SC17 : dossier 8.
  • 57 ADG, SC17 : note circulaire aux chefs de service, 6 décembre 1941.

33À la Martinique, la loi sur le travail féminin touche, sur toute la période de Vichy aux Antilles (juillet 1940-juillet 1943), quinze femmes aux PTT (Postes, télégraphes et téléphones), deux au secrétariat général, trois au service des contributions indirectes, deux au service du gouvernement, une à l’inspection du travail, une au service de la justice, une autre au conseil général, une au service de l’enregistrement, 69 dans l’enseignement primaire et huit professeures du Pensionnat colonial54. En Guadeloupe, au 15 décembre 1941 (tableau 2), 87 femmes fonctionnaires sont touchées par la loi sur le travail féminin : 74 titulaires et 13 auxiliaires. Elles sont réparties comme suit : 65 institutrices, neuf femmes au secrétariat général, trois à la santé, une à l’enregistrement, six aux transmissions et une au trésor55. Les institutrices en constituent la majorité : 36 sont mises en congé sans solde, 25 retraitées d’office, une retraitée à sa demande, une licenciée n’ayant pas droit à la retraite et deux mises en disponibilité spéciale56. Une note circulaire du gouverneur Sorin du 6 décembre 1941 exige de tous les services de l’administration une synthèse d’activité – depuis l’armistice jusqu’au 31 décembre 1941 – qui doit « faire ressortir l’effort de réorganisation poursuivi depuis cette époque, ainsi que toutes les mesures prises pour appliquer en Guadeloupe les principes de la Révolution nationale »57. Le chef du personnel réagit très vite en présentant un registre détaillé des fonctionnaires relevés de leur fonction, signe selon lui de « l’efficacité des mesures prises ».

Tableau 2 : situation des fonctionnaires touchés par les lois de Vichy en Guadeloupe, au 15 décembre 1941

Titulaires Auxiliaires
Retraités et licenciés : loi du 14 avril 1924 et décret du 1er novembre 1928 33 50
Démissionnaires : loi 13 septembre 1940 au sujet accès aux emplois publics 1 4
Loi du 3 octobre 1940 au sujet origine juive 1
Loi du 27 septembre 1940, relevé de leurs fonctions :
- retraités 48 75
- mise en disponibilité spéciale 25
- licencié 1
- reclassé 1
Loi sur le travail féminin (11 octobre 1940)
Congé sans solde 34 74 13
Retraitée sur demande intéressée 1
Disponibilité spéciale 2
Retraitée d’office 36
Institutrice licenciée n’ayant pas le temps voulu pour une retraite 1
Auxiliaires licenciées 13
Mesure disciplinaire :
- révoqués 5
- auxiliaires 11
Inaptitude professionnelle et physique :
- titulaires 8
- auxiliaires 10
Divers :
- titulaires 4
- auxiliaires 35
Loi du 11 août 1940 sur les associations secrètes :
- démissionnaires d’office 3
Total 204 143
À déduire :
- Fonctionnaire relevé puis reclassé 1 8 1
- Fonctionnaire mis en congé sans solde puis réintégrées 7
- Auxiliaire licenciée puis réintégrée par dérogation 1
TOTAL au 15 décembre 1941 196 122
318

Source : ADG, SC17. Situation au 15 décembre 1941.

  • 58 ADM, 2M 1616 et ADG, SC19.

34En touchant soixante-neuf institutrices en Martinique (soit 11,5 % de leur effectif) et soixante-cinq en Guadeloupe (soit 18,8 %), sans compter l’arrêt de recrutement de nouvelles enseignantes58, ce n’est pas tant les effets quantitatifs de la loi sur le travail féminin qui interpellent, que le coup porté à l’un des métiers symbole de réussite sociale pour les femmes. Encore plus qu’en métropole, l’enseignement primaire aux Antilles avait constitué le débouché majeur dans l’administration coloniale pour les jeunes femmes instruites.

  • 59 ADG, Journal officiel de la Guadeloupe [désormais JOG], 30 décembre 1941, p. 1489.
  • 60 JOM, 4 octobre 1941, p. 1032.
  • 61 ANOM, 1Affpol 2520, d. 9.

35Le régime de Vichy ne se contente pas de révoquer les institutrices déjà en poste, il cherche à assurer la pérennité de ses réformes. La dissolution par arrêté du 30 décembre 1941 du cours Michelet souligne la volonté des autorités de prendre en main la formation des futures institutrices59. Le Pensionnat colonial de Martinique ne connaît pas le même sort, mais l’arrêté du 4 octobre 1941 en désigne les membres du conseil60. La loge L’Émancipation féminine est dissoute dès novembre 194061.

3. D’autres sanctions à l’encontre des femmes employées

  • 62 ADG, SC17 : relevé des fonctionnaires ayant quitté l’administration.

36En dehors de la loi sur le travail féminin, les institutrices antillaises font l’objet d’autres sanctions : en Guadeloupe, huit sont relevées de leurs fonctions, en application de la loi du 27 septembre 1940, pour insuffisance de rendement (parmi elles, une majorité était en disponibilité depuis 1937) ; cinq licenciées pour limite d’âge ; quatre pour inaptitude professionnelle ou physique ; une par mesure disciplinaire ; deux pour démission et suppression d’emplois62.

  • 63 En métropole, la purge politique du corps enseignant comporte également des mutations vers d’autre (...)

37Outre les raisons invoquées par le gouverneur et l’inspecteur des Colonies pour justifier l’application de la loi, cette dernière est appliquée aux Antilles, comme en métropole, en guise de représailles envers les « opposants » au régime de Vichy63. Ces pratiques existaient dans l’entre-deux-guerres, comme l’indique une note sur la situation économique et morale de la Guadeloupe en 1920 :

  • 64 ANOM, Affaires politiques, Guadeloupe, carton 238, dossier 1450.

« En général, les agents publics de tout ordre sont très mécontents. Leur recrutement est arbitraire. Leur avancement est dominé par le favoritisme : les déplacements et révocations pour cause politique y sont très fréquents »64.

  • 65 Il est placé sous l’autorité du chef de l’instruction publique qui depuis le décret du 24 juillet  (...)
  • 66 ADG, SC20 : commission de réintégration et de redressement, 25 octobre 1944, p. 18.
  • 67 Ibid., p. 9.

38Ce qui change sous Vichy, c’est la révocation de certaines institutrices en raison de l’opinion ou de l’activité politique et syndicale de leur mari. Le chef de l’instruction primaire de Guadeloupe65, Félix Edinval, le rappelle lors d’une intervention à la commission d’intégration en 1944 : « quand on a mis les femmes en congé sans solde, c’était plutôt pour l’opinion de leur mari »66. L’exemple de Cécile Julan-Aphorsin, inquiétée en raison de l’activité de son mari, directeur-fondateur du journal Le réveil du Peuple67, est révélateur de cette offensive contre les opposants au régime. La lettre adressée le 18 août 1947 par Léonie Sanner, auxiliaire du service des contributions en Guadeloupe, au procureur général, président de la commission des fonctionnaires victimes de la loi du 11 octobre 1940, révèle que certaines femmes sont également inquiétées en raison de leurs propres opinions politiques :

  • 68 ADG, SC19 : d. 2 Travail féminin, lettre du 18 août 1947.

« Un arrêté du gouverneur du 26 mars 1941 a abaissé de 60 à 50 ans la limite d’âge du personnel auxiliaire féminin. Quelques jours après en vertu de ce texte, j’étais brusquement licenciée, pour compter du 1er avril 1941, de mon emploi d’auxiliaire permanent du service des Contributions […]. Or cet arrêté du 26 mars 1941, dont les effets étaient limités au 31 juillet suivant, prévoyait en outre des dérogations spéciales sans autres précisions, laissant ainsi présumer un esprit vexatoire des mesures individuelles prises, en conséquence, à l’égard de celles dont les opinions politiques ne cadraient peut-être pas assez avec le régime de l’époque »68.

  • 69 ADM, 1 M10609/A, Affaires diverses : Gaboly-Sufrin, août-novembre 1941.

39Plus qu’en métropole, les femmes font aussi l’objet de sanctions disciplinaires pour immoralité. Dans ce climat délétère, il suffit d’une rumeur, d’une dénonciation, ou même d’une lettre anonyme pour que l’administration mène une enquête. L’ouverture rapide d’une enquête par simple lettre anonyme adressée à l’inspection, dénonçant une veuve, institutrice à Tivoli (Fort-de-France), « connue pour ses débordements excessifs » et pour avoir entretenu pendant environ deux ans une relation avec le directeur d’école de Tivoli, l’illustre bien69.

  • 70 Les instituteurs et institutrices stagiaires laïques enseignent en vertu d’une délégation, en vue (...)

40Les rapports des commissions de réintégration et de redressement révèlent le poids des traditions vis-à-vis des filles-mères. Les rapports éclairent sur le zèle de certaines administrations en Guadeloupe, appliquant des sanctions beaucoup plus sévères que celles préconisées par le régime de Vichy, surtout envers les institutrices dont on attend une conduite exemplaire. De l’avis des membres de la commission de réintégration, la pression sociale qui pèse sur les institutrices en leur qualité de femme et d’éducatrice est antérieure au régime de Vichy. La discussion, très animée, entre les membres de la commission sur le cas d’une institutrice qui avait eu un enfant hors mariage et à laquelle on retire la délégation de stagiaire70 le 5 mars 1941, révèle l’intransigeance de l’administration en Guadeloupe face à toute « déviance morale » des femmes :

  • 71 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission de réintégration, 25 septembre 1944, p. 33-34.

« M. l’Inspecteur des affaires administratives : Il faut admettre que la question de moralité n’a pas existé seulement pendant les 3 ans de Vichy ; de tous temps elle a été soulevée ; et je me rappelle que chaque fois qu’il y avait des filles-mères dans l’enseignement, elles se retiraient.
M. le Président : Il y a une cote de moralité et de tenue.
M. le Chef de service : Il ne faut pas être inhumain.
M. le Président : De façon générale, l’institutrice qui ne prêchait pas d’exemple…
M. Chatelard : … aurait été traitée dans les mêmes conditions.
M. le Chef du bureau du personnel : En 1941 ou 1942, il y avait une institutrice qui avait été signalée à Vichy pour être relevée de ses fonctions parce qu’elle se trouvait dans une situation irrégulière. Vichy avait demandé de lui accorder son congé de maternité… À cette époque, l’administration a tenu tête ; l’institutrice a été relevée ; ensuite, elle a été reclassée dans un autre cadre… Donc, ici, nous étions plus durs que Vichy.
M. l’I.A.A. : Ici, on n’a fait qu’appliquer la tradition.
M. le Président : Il faut reconnaître que Vichy a été fantaisiste.
M. le Chef du bureau du personnel : Dans la métropole, on est plus souple sur ces questions.
M. le Président : Cela peut apparaître comme un accident… ; vous avez une jeune fille qui est trompée ; on peut passer l’éponge… tandis qu’ici, on était mieux placé pour apprécier la moralité…
L’I.A.A. : Ce que je veux dire, c’est que la mesure appliquée à cette institutrice n’était pas nouvelle ; elle n’avait pas été instituée par Vichy.
M. Chatelard : Même sans Vichy, on aurait pu lui appliquer cette mesure.
[…] M. le Président : Nous avons examiné les causes de l’éviction, et nous disons : si c’était le gouvernement de la République, aurait-elle subi la même peine ou non ? Nous disons : oui. D’autre part, est-ce pour hostilité au régime ou insuffisance professionnelle ?
M. le chef de service : Cela n’a rien à voir avec le régime »71.

41Même en 1944, ladite commission ne revient pas sur la décision, considérant que cela reste une faute suffisamment grave pour ne pas la réintégrer et que, par ailleurs, elle a été affectée à un autre service. D’autres cas traités par la commission de réintégration révèlent que sous Vichy, les institutrices filles-mères sont systématiquement relevées de leur fonction et affectées dans un autre service.

  • 72 Fabrice Cahen, « De l’efficacité des politiques publiques : la lutte contre l’avortement “criminel (...)
  • 73 Cyril Olivier, « Du “crime contre la race”. L’avortement dans la France de la Révolution Nationale (...)

42Mademoiselle Saint-Charles, auxiliaire au lycée Carnot, jugée pour avortement, est tout de même licenciée le 17 avril 1942, alors que la décision de justice avait conclu à un non-lieu à son égard, sans doute par manque de preuves. Là encore, la condamnation morale de l’avortement est antérieure à Vichy et puise une partie de ses racines dans les politiques natalistes de la Troisième République72. Toutefois, sous Vichy, la répression de l’avortement s’intensifie : dès février 1942, il est considéré comme crime d’État passible de la peine de mort73.

  • 74 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944, p. 47.

43En comparaison avec les institutrices, rares sont les dossiers où l’immoralité des instituteurs est pointée du doigt. Le seul cas explicitement abordé est celui d’un nommé Dorocant qui, en mars 1941, fait l’objet d’un rapport du chef de service lui enjoignant de clarifier sa situation familiale. Célibataire, il reconnaît quatre enfants de trois femmes différentes : il est licencié. Sa réintégration en 1944 suscite toutefois l’étonnement du chef de service : « J’émets un avis favorable, la majorité étant favorable… Mais c’est la porte ouverte à tous les scandales dans l’enseignement… »74.

  • 75 Ibid., p. 19-20.
  • 76 ADG, SC20 : procès-verbal de la commission de réintégration, 25 octobre 1944, p. 13.
  • 77 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944, p. 44.

44Les dossiers de redressement révèlent un acharnement envers les institutrices et le traitement pour le moins expéditif de certains dossiers. Les institutrices qui sollicitent l’admission à la retraite pour raison de santé sont licenciées ou subissent un retrait de fonction pour les motifs suivants : « esprit inerte et imperfectible – ne rend que de mauvais services – incapacité professionnelle »75. Certains dossiers de réintégration rendent compte des motifs de licenciement les plus fantasques, révélateurs de l’esprit vichyste. Madame Selbonne-Cotellon est ainsi suspendue de ses fonctions d’institutrice parce que ses enfants avaient mis, en son absence, un disque où figuraient la Marseillaise et l’Internationale76. L’intéressée demandera, en sus de sa réintégration, un dédommagement pécuniaire. Autre cas : le retrait de délégation d’une stagiaire pour incapacité professionnelle. La lecture de son dossier confirme qu’il n’y a aucune preuve attestant de cette incapacité77.

  • 78 ADG, SC20 : procès-verbal de la commission de réintégration, 25 octobre 1944, p. 18.
  • 79 Ibid., p. 10.
  • 80 Ibid., p. 18.

45Les dossiers de redressement évoquent à l’opposé le cas d’institutrices qui ont composé avec le régime : « Mlle Nelson a été une très mauvaise institutrice ; elle a été bien notée pendant le régime de Vichy »78. Ou encore le cas d’une institutrice détachée par le gouvernement de Vichy : « elle a été détachée au service de la jeunesse où elle a eu de bonnes notes ; mais au point de vue professionnel, elle ne nous a pas donné satisfaction »79. Certaines parviennent à se maintenir en service, en activant leur réseau : « Mme Duverly est restée en service ; elle a laissé le service parce qu’une institutrice, Mme Labiny qui venait de se marier, a écrit au gouverneur pour demander à rester en service »80. Les commissions de réintégration, composées d’anciens résistants ou de personnes victimes du régime, règlent également leurs comptes avec celles qui ont tiré profit du régime.

III. Réactions : protestations, réintégration et redressement administratif

  • 81 James Scott, La domination et les arts de la résistance, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.
  • 82 ADG, SC20 : procès-verbaux de réintégration et redressement. Commissions de révision, cas de Mme D (...)
  • 83 Ibid.

46Comment réagissent les enseignantes révoquées ? Le silence de la presse et des syndicats d’instituteurs et d’institutrices est révélateur de la censure et des mesures de coercition utilisées par le régime. En revanche, la documentation produite par les commissions de réintégration mises en place à partir d’août 1943 indique que les institutrices victimes de la loi de 1940 entretiennent une correspondance nourrie avec leur hiérarchie. Elles livrent, a posteriori, de précieuses informations sur leurs stratégies, véritables « armes des faibles »81 déployées pour contourner ladite loi ou pour protester contre leur licenciement. Peu avant son mariage, Madame Duverly-Larmonie obtient de son chef de service, de l’inspecteur des Colonies et du gouverneur, la promesse de rester en service, « car pour des raisons de famille, elle disait préférer rester célibataire si la loi sur le travail féminin devait lui être appliquée »82. Seulement, elle se marie et est mise en congé sans solde. Réintégrée aux termes de l’article 4 de l’ordonnance du 4 juillet 1943 du Comité français de libération nationale, elle demande alors une réparation pécuniaire. Le délégué du personnel corrobore ses dires, en évoquant le cas de sa femme (Moueza-Edinval), victime également de cette loi : « Alors qu’il ne percevait que 30 francs en sus du minimum fixé et que M. Poirier, secrétaire général lui a dit que c’est pour des raisons d’ordre syndical et d’ordre politique que sa femme avait été relevée »83.

  • 84 ADM, 1M 3465 : note 347 du 5 juillet 1941.
  • 85 ANOM, 1Affpol 769 : télégramme de Sorin au secrétariat d’État aux Colonies de Vichy, le 28 septemb (...)

47La loi sur le travail féminin entraîne des conséquences insoupçonnées et certainement contraires à l’effet souhaité. Ainsi, en juillet 1941, le chef du service de l’Instruction publique en Martinique enquête sur une enseignante au Pensionnat colonial pour déterminer si son mariage est bien dissous84. En effet, certaines clauses de la loi ne s’appliquant qu’aux femmes mariées, il s’avère désormais préférable d’être divorcée pour conserver son emploi. Dans ce même registre, en Guadeloupe, le 28 septembre 1942, le gouverneur Sorin saisit Vichy d’un problème délicat : « Une institutrice placée d’office en congé sans solde en vertu de la loi sur le travail féminin désire ouvrir une école privée. Je vous serais reconnaissant de me faire connaître si la législation permet d’accorder l’autorisation »85. Les archives ne livrent hélas pas la réponse du ministère, mais l’exemple montre la prise d’initiative et la résilience d’une institutrice révoquée.

  • 86 JOG, 21 août 1943, p. 432.
  • 87 ADG, SC20 : procès-verbal de réintégration, redressement. Commissions de révision, 24 octobre 1944

48Le décret du 7 août 1943 abroge aux Antilles les lois et décrets relatifs au travail féminin, à compter du 14 juillet 1943, date de leur ralliement à la France combattante86. La première commission de réintégration se tient en Guadeloupe le 19 août 1943. Par la suite, les commissions qui se tiennent en 1944 décident de laisser au conseil de l’enseignement primaire le soin de procéder au redressement de la situation administrative des instituteurs et institutrices, avant leur examen par la commission87.

49Toutes les femmes sont réintégrées progressivement en 1943-1944. Parmi les 64 institutrices réintégrées en Guadeloupe, dix furent admises à la retraite pour limite d’âge. La question épineuse du redressement administratif se pose et certaines institutrices, licenciées sans solde, vont jusqu’à réclamer une compensation financière. L’ordonnance du 2 octobre 1943 qui abroge en Guadeloupe la loi sur le travail féminin ne prévoyant pas de rappel de salaire pour les fonctionnaires de sexe féminin écartées pour des motifs autres que l’appartenance aux sociétés secrètes, l’origine juive ou l’hostilité envers le régime, les commissions de 1944 se trouvent dans l’incapacité de traiter les dossiers de demandes d’indemnisation. Ainsi, de nombreux dossiers où un dédommagement est réclamé obtiennent un avis défavorable, sont classés dans la catégorie « cas général » et renvoyés devant la commission suivante. Cette étape est donc la plus laborieuse car les commissions examinent les cas à la loupe, écartant les dossiers mentionnant des préjudices subis avant 1940 et ne relevant pas de la loi sur le travail féminin. Pourtant, les discriminations évoquées sont pratiquement semblables à celles que dénoncent les femmes fonctionnaires sous Vichy.

  • 88 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944.
  • 89 ADG, SC20 : procès-verbal de réintégration, redressement. Commissions de révision, 24 octobre 1944
  • 90 ADG, SC19 : dossier 2, relevé des demandes formulées par les agents victimes de la loi sur le trav (...)

50L’ordonnance du 4 juillet 1943 décompte la période de congédiement comme temps de service effectif et permet aux fonctionnaires évincés d’obtenir le paiement de leurs traitements, soldes et indemnités et les prestations réglementaires pour pension, à compter de la date de leur éviction. Les femmes victimes de la loi sur le travail féminin en sont exclues et les démarches pour obtenir gain de cause sont plus longues. Il ne semble pas que leurs cas aient constitué une priorité par rapport aux instituteurs licenciés pour des raisons politiques ou confessionnelles88. Cinquante membres du personnel enseignant protestent faute d’avoir reçu satisfaction quant à leur promotion. C’est à ce moment, à l’automne 1944, que les intéressés sont informés du retard dans leur avancement89. En Guadeloupe, jusqu’en août 1947, l’administration reçoit des demandes de réintégration de femmes (majoritairement institutrices) visées par l’article 8 de la loi sur le travail féminin qui dénoncent l’arbitraire de leur mise à la retraite d’office, en raison de leur âge90. Bien qu’il ne soit pas possible à ce stade de l’étude de dresser un bilan des réclamations et des mesures compensatoires, en raison de la dispersion des fonds d’archives (notamment pour la Martinique) et de la multiplication des commissions de révision et de redressement, les données disponibles permettent d’affirmer que les femmes touchées par la loi sur le travail féminin ont eu davantage de mal à obtenir leur reclassement, le rappel de salaire ou une indemnisation.

  • 91 ADG, PG 1012 : Cendrillon, 1948-1950.
  • 92 ADM, PER 130 : La Femme dans la Cité, 1945-1950.
  • 93 Ibid., no 1, 15 janvier 1945.
  • 94 La Femme dans la Cité, no 31, septembre-octobre 1947, p. 6.

51Malgré l’abrogation de la loi sur le travail féminin en 1943 et le retour progressif des femmes dans les administrations entre 1943 et 1944, la société antillaise reste longtemps marquée de l’empreinte des valeurs et de l’idéologie vichystes. L’analyse de la presse féminine en Guadeloupe (Cendrillon91, organe mensuel de la section guadeloupéenne de l’Union des femmes françaises, 1948-1950) et en Martinique (La Femme dans la Cité92, organe du Rassemblement féminin, 1944-1950) révèle des revendications pour la réforme du code civil, mais également une exaltation de la famille nucléaire et la lutte contre ses « ennemis – alcoolisme, taudis, tuberculose, immoralité »93. Cette liste d’ennemis est typiquement vichyste, bien que Vichy n’en détienne pas le monopole, car on la retrouve au cœur de tendances catholiques ou même des revendications des suffragettes, ce qui invite une fois de plus à creuser les liens de l’avant, pendant et après Vichy. Ce qui change par rapport à la période de Vichy, c’est l’attention portée dorénavant aux « femmes seules », celles qui élèvent seules leurs enfants et travaillent en même temps. Quant aux représentations du travail féminin, elles restent dépendantes de la classe sociale. Face aux privations de l’après-guerre, les femmes de la bourgeoisie de couleur impliquées dans l’action sociale accompagnent les « filles du peuple », afin de les former au métier d’employée de maison. Dans cet esprit, l’en-tête du journal Cendrillon représente une femme en train de repasser. Le métier d’institutrice reste un débouché honorable pour les jeunes filles : « Après le métier de mère, c’est, ne le pensez-vous pas, la profession d’institutrice qui est la plus belle ! »94.

Conclusion

52L’exportation aux Antilles de la loi sur le travail féminin découle d’une part d’un décalque de la Révolution nationale aux colonies souhaité par les inspecteurs et gouverneurs sur place, d’autre part d’un calcul consistant à penser que les révocations de femmes dans le service public pourraient contribuer à solidifier les assises du nouveau régime. L’épuration recherchée par le renvoi des femmes mariées et l’éviction d’éléments dont le travail ou les opinions ne correspondent pas au pétainisme laissent parfois place à des règlements de compte. Contrairement à la métropole, le régime ne fait pas marche arrière dans son application de la loi, qui touche finalement un pourcentage presque deux fois plus élevé d’institutrices antillaises que métropolitaines. L’existence de pratiques discriminatoires envers les femmes dans la période avant Vichy interroge leur continuité sous le régime de Vichy, qui leur donne un cadre légal.

  • 95 Archives de la République du Congo, GGAEF 82, tel 277C, 16 décembre 1943.
  • 96 Archives de la Fondation de Gaulle, F22-26, d. 1.

53Outre la lumière qu’elle jette sur la politique de Vichy aux Antilles, cette étude révèle les stratégies adoptées par les institutrices antillaises pour lutter contre une loi inique. L’une tente d’ouvrir sa propre école. D’autres jouent de tous les réseaux à leur disposition. Ainsi, depuis Brazzaville en décembre 1943, Félix Éboué saisit le ministre des Colonies à Alger pour « recommander de façon toute particulière Madame Altorn, institutrice [antillaise] dont la famille est très éprouvée suite aux actes de Vichy »95. Si le sort des enseignantes révoquées ne défraye pas la chronique de la presse locale, au moins le destin de l’une d’elles mobilise-t-elle l’ancien gouverneur de la Guadeloupe sous le Front Populaire (dont l’épouse Eugénie avait été institutrice en Guyane)96, devenu chef de file de la France combattante.

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Notes

1 Claudine Hazaël-Ambrosio, Moi, Jeanina, adolescente an tan Sorin, Gourbeyre, Éd. Nestor, 2013, p. 35.

2 Jean-Michel Barreau, « Vichy, idéologue de l’école », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 38, no 4, octobre-décembre 1991, p. 590-596 ; Rémy Handourtzel, Vichy et l’École, 1940-1944, Paris, Noêsis, 1997, p. 57-75.

3 Jean-Baptiste Bruneau, La Marine de Vichy aux Antilles, Paris, Les Indes Savantes, 2014 ; Richard Burton, « Vichysme et Vichystes à la Martinique », Cahiers du CERAG, no 34, février 1978, p. 1-101 ; Dominique Chathuant, « La Guadeloupe dans l'obédience de Vichy, 1940-1943 », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, no 91-94, 1992, p. 3-27 ; Léo Élisabeth, « Vichy aux Antilles et en Guyane, 1940-1943 », Outre-mers. Revue d’histoire, t. 91, no 342-343, 2004, p. 145-174 ; Éric Jennings, Vichy sous les tropiques, Paris, Grasset, 2004 ; Éliane Sempaire, La Guadeloupe an tan Sorin, 1940-1943, Fort-de-France, EDCA, 1984.

4 Archives nationales d’outre-mer [désormais ANOM], 1Affpol 768.

5 Exception faite du cas Mayotte Capécia. Voir Myriam Cottias, Madeleine Dobie (dir.), Relire Mayotte Capécia. Une femme des Antilles dans l’espace colonial français, Paris, Armand Colin, 2012.

6 Rebecca Rogers, « La sous-maîtresse française au XIXe siècle : domestique ou enseignante stagiaire ? », Histoire de l’éducation, no 98, 2003, p. 37.

7 Jean-François Chanet, « Des institutrices pour les garçons. La féminisation de l’enseignement primaire en France, des années 1880 aux années 1920 », Histoire de l’éducation, no 115-116, 2007, p. 192 ; Mona Ozouf, Jacques Ozouf, La République des instituteurs, Paris, Gallimard, 1992.

8 Jean-François Condette (dir.), Les écoles en guerre. Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières, XVIIe-XXe siècles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014 ; Matthieu Devigne, L’école des années noires : une histoire du primaire en temps de guerre, Paris, Presses universitaires de France, 2018.

9 Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Paris, Perrin, 2012.

10 Rebecca Rogers, A Frenchwoman’s Imperial Story. Madame Luce in 19th century Algeria, Stanford, Stanford University Press, 2014 ; Trinh Van Tao, L’école française en Indochine, Paris, Karthala, 2000 ; Pascale Bezançon, Une colonisation éducatrice ? L’expérience indochinoise (1860-1945), Paris, L’Harmattan, 2002 ; Thuy Phuong Nguyen, L’école française au Vietnam de 1945 à 1975, Amiens, Encrage, 2017 ; Harry Gamble, Contesting French West Africa: Battles over Schools and the Colonial Order, 1900-1950, Lincoln, University of Nebraska Press, 2017.

11 Antoine Abou, L’école dans la Guadeloupe coloniale, Paris, Éd. Caribéennes, 1988 ; Henry Delinde, Politique d’éducation et d’instruction en Martinique, 1635-1883, thèse, histoire, université Paris 7, 1999 ; Sylvère Farraudière, L’école aux Antilles françaises. Le rendez-vous manqué de la démocratie, Paris, L’Harmattan, 2007 ; Bénédicte Fortier, La naissance de l’instruction publique aux vieilles colonies. Du Code noir vers l’émancipation-assimilation, Paris, Dalloz, 2003 ; Philippe Delisle, Histoire religieuse des Antilles et de la Guyane françaises, Paris, Karthala, 2013.

12 Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale, 1918-1957, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; Simon Duteil, Enseignants coloniaux. Madagascar, 1896-1960, thèse, histoire, université du Havre, 2009 ; Clara Palmiste, « La sécularisation du personnel enseignant en Guadeloupe (1880-1914). Enjeux sexués et raciaux en contexte colonial », Clio. Femmes, genre, histoire, no 50, 2019, p. 37-61.

13 Miranda Pollard, Reign of Virtue: Mobilizing Gender in Vichy France, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 153.

14 Michèle Bordeaux, La victoire de la famille dans la France défaite, Vichy 1940-1944, Paris, Flammarion, 2002, p. 143.

15 Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, p. 126.

16 Ibid., p. 12-125 ; Dominique Rémy, Les lois de Vichy, Paris, Romillat, 1992, p. 92-97.

17 Pour les chiffres de révocations en métropole, cf. Linda Clark, The Rise of Professional Women in France, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 250 ; pour le total des institutrices métropolitaines, voir Statistique générale de la France, Annuaire statistique, Paris, Imprimerie nationale, 1939, p. 20.

18 Marc Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, p. 111.

19 Hélène Eck, « Les Françaises sous Vichy », in Michelle Perrot, Georges Duby (dir.), Histoire des femmes, vol. 5, Paris, Plon, 1992, p. 199 ; Linda Clark, The Rise of Professional Women…, op. cit., p. 258-261 ; Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, op. cit., p. 125 ; Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit., p. 113 ; Matthieu Devigne, L’école des années noires, op. cit., p. 72.

20 Michèle Marimoutou, « Marie-Aline Wuathion, Hussard noir de la République », conférence du 7 mars 2018, Saint-Denis de la Réunion ; Claire Zalc, Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy, Paris, Seuil, 2016 ; Évelyne Combeau-Mari, Cédric Hossen, « Enseignement et jeunesse », in Évelyne Combeau-Mari, Edmond Maestri (dir.), Le régime de Vichy dans l’océan Indien, Paris, SEDES, 2002, p. 189-191.

21 En 1941, Émile Devouton, inspecteur général des Affaires d’Outre-mer, est à la tête d’une mission d'inspection aux Antilles et en Guyane, assistant les hauts fonctionnaires locaux dans la mise en place du nouveau régime. ANOM, Inventaire 2 APOM 1 à 5.

22 Edenz Maurice, Faire l’École dans une « vieille colonie ». Un État colonial aux prises avec le monde scolaire de la Guyane française, thèse, histoire, Sciences Po Paris, 2018, p. 358-362.

23 Journal officiel de la Martinique [désormais JOM], 16 novembre 1940, p. 793.

24 Archives départementales de Guadeloupe [désormais ADG], SC23 : Mission d’inspection. Compte-rendu de Carcassonne au sujet loi sur travail féminin, Basse-Terre, 21 mai 1941.

25 À titre de comparaison, l’indemnité mensuelle du directeur du cours Michelet était de 1 500 francs en 1934. ADG, 1J148 : procès-verbaux de réunions des professeurs du cours Michelet (1913-1934), p. 247.

26 ADG, SC17 : Sorin à Carcassonne, novembre 1941.

27 Jacques Cantier, Éric Jennings (dir.), L’Empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 24.

28 JOM, 16 novembre 1940, p. 792.

29 ANOM, 1TEL721 : télégrammes, Vichy, 7 février 1941.

30 Ibid.

31 ANOM, 1TEL 721 : télégrammes 553 à 561.

32 ADG, L’Émancipation, 25 décembre 1903, n° 96.

33 Archives départementales de Martinique [désormais ADM], 1T115 : lettre de Devouton, datée du 7 septembre 1941, au secrétaire d’État aux Colonies Charles Platon concernant la réforme de l’enseignement à la Martinique.

34 « Constant Sorin, nommé gouverneur de la Guadeloupe par Georges Mandel en avril 1940. Fidèle à l’amiral Robert qui le laisse assumer, sous son contrôle extérieur, la conduite de la politique de l’île ». Voir Richard Château-Degat, « Le patriotisme français des Antillais : An tan Robè e an tan Sorin (1939-1943) », Outre-Mers. Revue d’histoire, t. 101, 2013, p. 18.

35 ADG, SC19 : Pierre au ministère des Colonies, 15 novembre 1945.

36 ADG, SC19 : rapport du bureau du personnel, 10 novembre 1941.

37 Archives nationales de France, Pierrefitte, 3W331, 2575, N 96C : lettre de Devouton à Platon, le 16 juin 1941.

38 ADG, SC66 : dossier Grandjouan.

39 ANOM, Cab 42 : dossier Grandjouan.

40 Clara Palmiste, « La sécularisation du personnel enseignant en Guadeloupe… », art. cit., p. 42.

41 Pointe-à-Pitre, no 14, 30 mars 1912, p. 1.

42 ADM, JOM : discours de distribution de prix au Pensionnat colonial, en 1906 et 1919.

43 ADG, 1J148, op. cit., p. 254.

44 Statistique générale de la France, Annuaire statistique, op. cit., p. 20.

45 ADG, 1J148 : procès-verbaux des réunions des professeurs du Cours Michelet (1913-1934), p. 4 et 136. C’est le cas de deux institutrices en 1915 et 1924.

46 Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2008, p. 59.

47 ANOM, 1Affpol 76 : note secrète du 9 septembre 1940.

48 ADG, SC17 : lettre du chef de bureau du personnel Basse-Terre, 2 janvier 1942.

49 Georges Robert (1875-1965) : « Après avoir sollicité son rappel à l’approche de la guerre (août 1939), il est nommé Commandant en chef de l’Atlantique ouest et Haut-commissaire de France aux Antilles, St-Pierre et Miquelon et en Guyane ». Voir Richard Château-Degat, « Le patriotisme français des Antillais », art. cit., p. 168.

50 ADG, SC3974 : Robert à Sorin, 18 février 1941.

51 « Un appel du gouverneur de la Martinique », Bulletin hebdomadaire (Fort-de-France), n° 19, 7 mai 1942, p. 581-583.

52 Jacques Dumont, L’Amère patrie : histoire des Antilles française au XXe siècle, Paris, Fayard, 2010, p. 114-118.

53 Léo Elisabeth, « Vichy aux Antilles… », art. cit., p. 163.

54 ADM, 2M 1615.

55 Des deux restantes, l’une décéda et l’autre fut licenciée.

56 ADG, SC17 : dossier 8.

57 ADG, SC17 : note circulaire aux chefs de service, 6 décembre 1941.

58 ADM, 2M 1616 et ADG, SC19.

59 ADG, Journal officiel de la Guadeloupe [désormais JOG], 30 décembre 1941, p. 1489.

60 JOM, 4 octobre 1941, p. 1032.

61 ANOM, 1Affpol 2520, d. 9.

62 ADG, SC17 : relevé des fonctionnaires ayant quitté l’administration.

63 En métropole, la purge politique du corps enseignant comporte également des mutations vers d’autres départements. Voir Rémy Handourtzel, Vichy et l’École, op. cit., p. 74-75.

64 ANOM, Affaires politiques, Guadeloupe, carton 238, dossier 1450.

65 Il est placé sous l’autorité du chef de l’instruction publique qui depuis le décret du 24 juillet 1895 est le proviseur du lycée Carnot, lui-même sous l’autorité du gouverneur.

66 ADG, SC20 : commission de réintégration et de redressement, 25 octobre 1944, p. 18.

67 Ibid., p. 9.

68 ADG, SC19 : d. 2 Travail féminin, lettre du 18 août 1947.

69 ADM, 1 M10609/A, Affaires diverses : Gaboly-Sufrin, août-novembre 1941.

70 Les instituteurs et institutrices stagiaires laïques enseignent en vertu d’une délégation, en vue de leur titularisation. La perte ou retrait de délégation est une mesure disciplinaire.

71 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission de réintégration, 25 septembre 1944, p. 33-34.

72 Fabrice Cahen, « De l’efficacité des politiques publiques : la lutte contre l’avortement “criminel” en France, 1890-1950 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 58, 2011/3, p. 99.

73 Cyril Olivier, « Du “crime contre la race”. L’avortement dans la France de la Révolution Nationale », in Christine Bard, Frédéric Chauvaud, Michelle Perrot, Jacques-Guy Petit (dir.), Femmes et justice pénale, XIX-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 254.

74 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944, p. 47.

75 Ibid., p. 19-20.

76 ADG, SC20 : procès-verbal de la commission de réintégration, 25 octobre 1944, p. 13.

77 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944, p. 44.

78 ADG, SC20 : procès-verbal de la commission de réintégration, 25 octobre 1944, p. 18.

79 Ibid., p. 10.

80 Ibid., p. 18.

81 James Scott, La domination et les arts de la résistance, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.

82 ADG, SC20 : procès-verbaux de réintégration et redressement. Commissions de révision, cas de Mme Duverly, octobre 1944, p. 9 et p. 24.

83 Ibid.

84 ADM, 1M 3465 : note 347 du 5 juillet 1941.

85 ANOM, 1Affpol 769 : télégramme de Sorin au secrétariat d’État aux Colonies de Vichy, le 28 septembre 1942.

86 JOG, 21 août 1943, p. 432.

87 ADG, SC20 : procès-verbal de réintégration, redressement. Commissions de révision, 24 octobre 1944.

88 ADG, SC20 : procès-verbal de la 2e commission réintégration, 25 septembre 1944.

89 ADG, SC20 : procès-verbal de réintégration, redressement. Commissions de révision, 24 octobre 1944.

90 ADG, SC19 : dossier 2, relevé des demandes formulées par les agents victimes de la loi sur le travail féminin.

91 ADG, PG 1012 : Cendrillon, 1948-1950.

92 ADM, PER 130 : La Femme dans la Cité, 1945-1950.

93 Ibid., no 1, 15 janvier 1945.

94 La Femme dans la Cité, no 31, septembre-octobre 1947, p. 6.

95 Archives de la République du Congo, GGAEF 82, tel 277C, 16 décembre 1943.

96 Archives de la Fondation de Gaulle, F22-26, d. 1.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clara Palmiste et Éric Jennings, « La révocation des institutrices antillaises sous Vichy (1940-1943) »Histoire de l’éducation, 153 | 2020, 47-70.

Référence électronique

Clara Palmiste et Éric Jennings, « La révocation des institutrices antillaises sous Vichy (1940-1943) »Histoire de l’éducation [En ligne], 153 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/5173 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoire-education.5173

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Auteurs

Clara Palmiste

Université des Antilles

Éric Jennings

Université de Toronto, Canada

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