• 2 Décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013 relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles ma (...)
• 3 Daniel Frandji, Renaud Morel, La réforme des rythmes scolaires et les projets éducatifs territoria (...)
• 4 Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, (...)
• 5 Claude Durand-Prinborgne, Jacques Fialaire, Espace et temps scolaires à l’épreuve de la décentrali (...)
• 6 Circulaire n° 2013-036 du 20 mars 2013 publiée au Bulletin officiel de l’Éducation nationale [déso (...)
• 7 Agnès Van Zanten, « Relation École/collectivités locales », in Philippe Champy, Christiane Étévé, (...)

1Ces lignes écrites au début du siècle dernier, tout en pointant plusieurs enjeux de l’aménagement des rythmes scolaires, témoignent de l’ancienneté d’une question éducative qui dépasse largement la scolarité élémentaire et les frontières hexagonales. Elles ne sont pourtant pas sans rappeler certaines polémiques qui ont alimenté les débats éducatifs entre 2008 et 2017, en particulier dans le contexte de la mise en œuvre progressive, puis des assouplissements de la réforme des rythmes scolaires quotidiens et hebdomadaires dans les écoles primaires de 2013. Celle-ci, portée par Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale (2012-2014), affichait comme objectif l’amélioration des apprentissages fondamentaux (répartis sur cinq matinées au lieu de quatre) et la prévention de la fatigue des élèves, par la réduction de la durée des journées de classe. Cette réorganisation des temps d’enseignement était complétée par la mise en place d’activités périscolaires, en y associant les acteurs éducatifs locaux2. Rapports publics et enquêtes scientifiques songent aussitôt à imputer ce changement à « un train de réformes plus vaste mis en place par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 » dont l’origine remonterait à la campagne présidentielle de François Hollande3. « Il est commode d’identifier une réforme par un nom de ministre et une date », rappelle Antoine Prost, mais « cette vision ponctuelle masque que beaucoup de réformes se démultiplient et s’étirent dans le temps »4. D’autres travaux l’inscrivent plus largement dans une logique de décentralisation et de territorialisation des politiques éducatives depuis le milieu des années 1980, car la mise en œuvre des rythmes scolaires à l’école primaire repose alors sur l’échelon local5. Ces deux explications se complètent plus qu’elles ne s’excluent, mais omettent que, dans le domaine de l’éducation, les pratiques d’acteurs précèdent fréquemment le droit et devancent l’action de l’État. Par exemple, les projets éducatifs territoriaux (PEDT), dispositifs qui structurent l’action éducative des communes depuis 2013 (à l’occasion de la nouvelle organisation du temps scolaire), sont les héritiers de politiques municipales mises en œuvre dès les années 19706. Ainsi, la réforme de 2013 est en réalité davantage un aboutissement qu’un nouveau départ. Le système éducatif connaît en effet de profondes transformations qui tiennent autant aux évolutions de la société qu’aux politiques publiques promues par diverses autorités responsables, dont l’histoire et le rôle restent en grande partie à écrire7.

• 8 Paul Gerbod, « Les rythmes scolaires en France : permanences, résistances et inflexions », Bibliot (...)
• 9 Marie-Madeleine Compère, Philippe Savoie, « Temps scolaire et condition des enseignants du seconda (...)
• 10 Franck Sérusclat, Saint-Fons. Que fait-on à l’école ?, Villeurbane, Mario Mella, 1993 ; Georges Fo (...)
• 11 David Pioli, « La place de l’enfant dans l’institution scolaire à travers les débats syndicaux des (...)
• 12 Paul Gerbod, « Les rythmes scolaires en France… », art. cit., p. 447.
• 13 Décret n° 2017-1108 du 27 juin 2017 relatif aux dérogations à l’organisation de la semaine scolair (...)

2La question des rythmes scolaires a très peu intéressé les historiens de l’éducation comme le faisait déjà remarquer, en 1999, Paul Gerbod dans un article pionnier qui met au jour des permanences et des ruptures depuis le XVI^e siècle8. Pourtant deux ans plus tôt, l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Madeleine Compère avait fait du temps scolaire un véritable objet historique étudié entre le XVI^e siècle et le début du XX^e siècle. Mais, dans cet ouvrage qui fait le choix d’une perspective comparatiste européenne, le cas français est relativement peu étudié et le chapitre qui lui est consacré se focalise sur l’enseignement secondaire et le point de vue des enseignants9. Auparavant, le sujet était par ailleurs resté l’objet d’une littérature d’expérience et de témoignage10. Depuis, des travaux de psychologues, de géographes et de sociologues de l’éducation se sont surtout focalisés sur les conséquences de la réforme de 2013 et sur les acteurs socio-éducatifs ou familiaux11. Pourtant, « les rythmes scolaires constituent une composante pédagogique essentielle [et] leur organisation […] a fait l’objet, depuis les débuts de l’institution scolaire et universitaire, de multiples remaniements »12. Parce que la profondeur historique de ce « serpent de mer » des politiques éducatives reste méconnue pour la période précédant les années 1980, cet article propose d’en retracer les évolutions et les aléas sur près d’un siècle, de la première commission ministérielle sur le surmenage scolaire (1929), dont l’étude suppose, pour en comprendre les motivations, de revenir sur les transformations depuis la deuxième moitié du XIX^e siècle, à la réforme des rythmes scolaires de 2013, révisée en 201713. Il fait l’hypothèse d’un basculement dans les années 1960. Avant cette décennie, des projets d’aménagement des temps scolaires (déconnecté de la question des vacances) servaient un enseignement rénové (partie I). À partir des années 1960, la question des congés rejoint celle des rythmes et l’enseignement est subordonné au travail et aux loisirs dans les tentatives de réorganisation des rythmes dans leur ensemble (partie II). Cependant, l’article qui suit ne prétend pas présenter les conclusions d’un travail ciselé et clos mais souhaite poser les jalons d’une histoire complexe, que d’autres études pourront compléter, discuter et approfondir.

• 14 François Grèzes-Rueff, Jean Leduc, Histoire des élèves en France, de l’Ancien régime à nos jours, (...)
• 15 Claire Leconte, Des rythmes de vie aux rythmes scolaires, op. cit., p. 145.
• 16 Romuald Gaillard, Hygiène des lycées et collèges et des institutions de jeunes gens, Paris, impr.  (...)
• 17 Victor de Laprade, L’éducation homicide. Plaidoyer pour l’enfance, Paris, Didier, 1868 (2^e éd. 186 (...)
• 18 Ibid., p. VII.

4La question de l’organisation du temps scolaire apparaît dès la fin du XIX^e siècle et est posée à travers le problème du surmenage. Celui-ci est abordé pour la première fois, en 1848, par le ministre de l’Instruction publique Hippolyte Carnot, qui constitue une commission d’enquête sur la durée du travail dans les lycées. Celle-ci s’intéresse en particulier aux liens entre l’emploi du temps et la santé des élèves. Le terme de surmenage n’apparaît toutefois qu’en 1872 dans une circulaire adressée aux proviseurs par le ministre Jules Simon14. L’Académie de médecine a aussi commencé à se préoccuper de l’organisation des temps scolaires au milieu du XIX^e siècle, l’une de ses commissions suggérant « une diminution du temps des études, une augmentation de la durée des récréations, l’introduction d’exercices corporels pour compenser un travail cérébral excessif et les inconvénients d’une vie trop sédentaire »15. Des médecins hygiénistes se saisissent alors du sujet16. Celui-ci est surtout et fortement évoqué pour l’enseignement secondaire, car « c’est là que se constitue la classe cultivée ; c’est là que s’élève ou s’abaisse le niveau intellectuel d’une nation », écrit Victor de Laprade, académicien et ancien professeur à la faculté des lettres de Lyon, dans son Éducation homicide en 186717. Ce « plaidoyer pour l’enfance » livre alors une vigoureuse critique de l’école assise et immobile18.

• 19 Ibid., p. 55-60.
• 20 Annie Tschirhart, « Rôle et évolution de l’hygiène scolaire dans l’enseignement secondaire de 1800 (...)
• 21 Bulletin administratif du ministère de l’instruction publique, 1868, n° 172, p. 325, cité par Fran (...)
• 22 Pierre Arnaud, Les savoirs du corps. Éducation physique et éducation intellectuelle dans le systèm (...)
• 23 Évelyne Héry, Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au lycée, 1870-1970, Rennes, Pr (...)
• 24 Gustave Lagneau, « Du surmenage intellectuel et de la sédentarité dans les études », Bulletins de (...)
• 25 Aimé Riant, Le surmenage intellectuel et les exercices physiques, op. cit., p. 121-122.
• 26 Arrêté du 12 juin 1890, Bulletin administratif de l’instruction publique, n^o 911, 28 juin 1890, p. (...)
• 27 Antoine Prost, « Réforme et processus de réforme », in Jean Rakovitch, Où vont les pédagogues ? Re (...)
• 28 Circulaire du 7 juillet 1890, Bulletin administratif de l’instruction publique, n° 913, 12 juillet (...)
• 29 Évelyne Héry, « Les professeurs de lycée et l’application de la réforme de 1902 », in Pierre Caspa (...)
• 30 Victor de Laprade, L’éducation homicide, op. cit., p. VIII et 31-41 ; Antoine Prost, Éloge des péd (...)

5Ces critiques de l’institution scolaire sont aussi une réaction aux méthodes de travail intensives qui se développent dans les lycées pour préparer le baccalauréat19. C’est notamment pour limiter la surcharge des programmes des lycées que Victor Duruy entend lier le développement des langues, du dessin et de la gymnastique à la suppression des vers latins et à la réduction des heures de grec20, citant en exemple le système anglais et recommandant de donner des leçons et des devoirs moins lourds, notamment en histoire21. Cela reste cependant insuffisant pour la Société d’anthropologie de Paris et l’Académie de médecine, qui font de la question du surmenage et de la fatigue intellectuelle un véritable problème de santé publique et souhaitent des réformes plus profondes. Celles-ci sont détaillées dans une résolution du docteur Brouardel, adoptée par l’Académie de médecine en 1888 et adressée aux pouvoirs publics, explique Pierre Arnaud : suppression de l’internat, journée scolaire de huit heures maximum, organisation des activités intellectuelles en alternance avec des jeux, des chants et des exercices physiques, organisation de séjours de plein air à la campagne ou au bord de mer22. En plus de la réduction des programmes des lycées (obtenue en 189023), les médecins demandent qu’un contrôle continu remplace le baccalauréat et que les heures ainsi soustraites soient consacrées aux exercices physiques24. Ces réclamations sont également liées à la question patriotique après la défaite de 1870 : le système scolaire allemand est érigé en modèle car la place accordée à la gymnastique, aux promenades et aux exercices physiques dans ses établissements secondaires expliquerait la supériorité de l’Allemagne sur la France25. L’arrêté du 12 juin 1890 relatif à l’emploi du temps dans les lycées et les collèges prévoit dès lors un maximum d’heures de travail sédentaire (classes et études) fixé à 6 heures quotidiennes dans les classes primaires et élémentaires, 8 heures en sixième et cinquième, puis à 10 heures dans les classes suivantes26. Cet arrêté – élément de la réforme de Léon Bourgeois préparée par une commission installée en 1888 et présidée par l’ancien ministre Jules Simon27 – réduit également d’une demi-heure certaines séquences qui duraient deux heures auparavant (histoire, langues vivantes)28, puis la réforme de 1902 tente de réviser les pratiques pédagogiques et fixe à une heure la durée d’un cours dans le premier cycle (de la sixième à la troisième)29. Par ailleurs, l’arrêté du 12 juin 1890 prévoit une récréation d’un quart d’heure toutes les deux heures pour les petites classes du lycée où, auparavant, les élèves passaient environ onze heures « enclavés entre un banc et une table » dans l’espace clos d’un établissement caserne30. Ce quotidien diffère de celui des classes des « écoles du peuple ».

• 31 Antoine Prost, Regards historiques sur l’éducation en France, XIX^e-XX^e siècles, Paris, Belin, 2007 (...)
• 32 Loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, article 2, JORF, 29 mars 1882.

6Dans l’enseignement primaire, même si le jeudi sans classe pour permettre l’enseignement religieux existait déjà au XVI^e siècle31, la laïcisation de l’école publique contribue à y organiser durablement la semaine scolaire. La loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire prévoit que « les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires »32. Le règlement scolaire modèle du 18 janvier 1887 fixe la durée hebdomadaire d’enseignement à trente heures. Celles-ci sont réparties sur les cinq autres jours de la semaine, soit 6 heures par jour (3 heures le matin et 3 heures l’après-midi), les heures d’entrée et de sortie pouvant là aussi être adaptées aux réalités locales.

• 33 Olivier Hoibian, « L’œuvre des "caravanes scolaires" : un programme d’éducation globale à la périp (...)
• 34 Bernard Andrieu, « Fatigue intellectuelle », in Philippe Zawieja (dir.), Dictionnaire de la fatigu (...)

7À la fin des années 1880, la question du surmenage intellectuel et de la sédentarité émerge dans l’enseignement primaire, dans le contexte d’une véritable campagne de mobilisation de la bourgeoisie cultivée contre le surmenage scolaire et la fatigue des élèves, qui prend corps dans les milieux politiques, médicaux et éducatifs ainsi que dans différentes instances publiques33. Les débuts de l’école de Jules Ferry coïncident ainsi avec le lancement de vastes enquêtes sur la santé des élèves34. En 1886, le ministre Marcellin Berthelot installe par exemple une commission d’étude – à laquelle il participe et comprenant des membres du Conseil supérieur de l’Instruction publique (CSIP) et du corps médical – chargée de revoir les programmes, jugés encyclopédiques, les rythmes scolaires et les conditions d’hygiène dans les écoles :

• 36 Ibid., p. 311-312.
• 37 Olivier Hoibian, « L’œuvre des "caravanes scolaires"… », art. cit., p. 30.

8La commission réussit cependant à préciser une répartition du temps scolaire entre enseignement intellectuel, manuel ou physique, et récréations, celle-ci variant de la section enfantine au cours supérieur36. La même année (1887), l’Académie de médecine crée d’ailleurs une commission sur « le surmenage intellectuel et la sédentarité dans les écoles » : son rapport publié en août 1887 préconise une diminution des heures d’enseignement au bénéfice des « exercices du corps »37. Mais il n’y a pas unanimité au sein du corps médical sur le sujet : Félix Lobligeois, médecin-inspecteur des écoles de la ville de Paris, qui plaide pour une gradation des heures de classe quotidiennes selon l’âge des élèves, a par exemple un avis opposé :

• 39 Instructions complémentaires du 27 août 1927 relatives à l’application du nouveau plan d’études se (...)
• 40 Évelyne Héry, Un siècle de leçons d’histoire…, op. cit., p. 208.

9Cependant, la principale préoccupation réglementaire fut, jusqu’au milieu du XX^e siècle, la durée des vacances : la tendance est à la convergence des calendriers annuels des ordres primaire et secondaire (voir encadré). L’arrêté du 11 février 1926 aligne par ailleurs les programmes des écoles primaires et des petites classes des lycées, mais l’horaire hebdomadaire de ces dernières reste fixé à 25 heures, de la onzième à la septième39. L’un des enjeux de ce débat est aussi la place des humanités classiques face au développement des disciplines scientifiques dans les cursus secondaires. Cependant, dans les classes secondaires des lycées et collèges, la réforme des programmes de 1925 « entraîne, pour les élèves, un surcroît de travail en classe et hors de classe, la question du surmenage rebondit »40.

• 41 Voir sa notice biographique dans le Dictionnaire des parlementaires français. En ligne : <http://w (...)
• 42 Archives nationales [désormais AN], F17/17500 : ministère de l’Instruction publique, enseignement (...)
• 43 Ibid., Rapport de la commission ministérielle du surmenage scolaire, 1930.
• 44 Ibid., réunion du 29 octobre 1929.
• 45 Ibid., AJ/16/8787 : commission de surmenage, 1929-1930, réunion du 20 mars 1930.
• 46 Ibid., F/17/17500 : Rapport de la commission ministérielle du surmenage scolaire, 1930.
• 47 Patrick Garcia, Jean Leduc, L’enseignement de l’Histoire en France. De l’Ancien Régime à nos jours(...)
• 48 Yves Verneuil, « Les organisations corporatives des professeurs de lycée et les associations de sp (...)

10En 1929, le ministre de l’Instruction publique Pierre Marraud, par un arrêté du 25 juillet, décide de nommer une commission afin de procéder à « une enquête sur la question des horaires et sur le surmenage scolaire » dans l’enseignement secondaire : celle-ci mobilise des personnalités comme l’historien Victor Bérard41 (sénateur et président de cette commission) et le directeur de l’École centrale Léon Guillet, des professeurs agrégés (siégeant au CSIP), des médecins, des représentants des syndicats enseignants et des associations de spécialistes comme l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public (APMESP), la Société des professeurs d’histoire-géographie (SPHG), la Société des professeurs de français et de langues anciennes (la Franco-ancienne) et l’Union des physiciens, et enfin (fait nouveau) la Fédération nationale des associations de parents d’élèves des lycées et collèges42. Lors des réunions, qui se tiennent presque chaque semaine d’octobre 1929 à juin 1930, les débats sont organisés et orientés dans trois directions : la réalité du surmenage et ses conséquences sur la santé et la formation intellectuelle des élèves ; les causes du surmenage (programmes, horaires, méthodes et exigences des enseignants) ; les remèdes à y apporter et en particulier la réduction des programmes et des horaires43. Sur le premier point, une certaine unanimité se dégage, avec des nuances cependant car l’APMESP et la SPHG considèrent qu’il n’y a pas de surmenage global mais des élèves surmenés44. Selon la commission, le surmenage est constant durant l’année scolaire et ne se borne pas à la période des examens et concours, mais semble plus marqué à certaines étapes de la scolarité (sixième, seconde). Elle considère que la vie familiale est une cause importante de surmenage des enfants45. En revanche, sur les deux autres points, les projets ministériels se heurtent aux résistances des associations de spécialistes, qui n’acceptent pas l’allègement des programmes et des horaires de leurs disciplines, préconisé par le rapport de la commission46. La SPHG et l’APMESP avancent qu’une telle décision aurait un effet contraire, celui d’aggraver le surmenage, notamment par une hausse des devoirs à la maison. Les conclusions de la commission sont cependant validées par le CSIP en février 1931 et, bien que la SPHG soit longuement reçue par le directeur de l’enseignement secondaire, Francisque Vial, à la rentrée 1930 à propos des réductions prévues par la commission, l’horaire de base de l’histoire en classe de sixième et de cinquième est par exemple abaissé de deux heures à une heure et demie47. En réalité, les avis des associations de spécialistes divergent et les spécialités disciplinaires s’opposent sur les allègements malgré les efforts du Syndicat national des professeurs de lycée, qui a créé une commission interne sur le même sujet, pour tenter de coordonner les points de vue48. Au total, les horaires hebdomadaires de l’enseignement secondaire ne diminuent guère et augmentent même pour les classes de quatrième et de philosophie (voir tableau 1).

• 49 Paul Hunziker, « La question du surmenage scolaire », Revue des deux mondes, vol. 55, n^o 1, 1^er ja (...)

11Une certaine continuité prévaut donc durant l’entre-deux-guerres. Cependant, le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay porte un regard nuancé sur la question du surmenage scolaire, sujet classique de griefs dans la presse et parmi les parents d’élèves49 :

• 51 Bulletin de l’enseignement primaire, département de la Somme, n^o 6, septembre-novembre 1937, p. 32 (...)
• 52 Instructions du 30 septembre 1938 relatives à l’application des arrêtés du 30 août 1937 et du 11 a (...)
• 53 Antoine Prost, « Les instructions de 1938 », in Antoine Prost (dir.), Jean Zay et la gauche du rad (...)
• 54 Jean-François Condette, « Les loisirs dirigés dans les collèges et les lycées (1937-1939) : stimul (...)

12Dans les écoles primaires, des réductions d’horaires sont expérimentées dès l’année scolaire 1936-1937 dans les départements du Loiret, de l’Aude et de la Meurthe-et-Moselle : chaque jour, une demi-heure est consacrée à l’éducation physique et sportive, et un après-midi par semaine à des activités de plein air. Elles sont étendues au cours de l’année scolaire 1937-1938 à d’autres départements, dont la Somme, les Landes, le Cher, la Savoie par exemple51, puis généralisées à l’ensemble des écoles primaires du territoire métropolitain en 1938-1939. Les instructions ministérielles du 24 septembre 1938 précisent que la scolarité hebdomadaire continue à comporter trente heures. Mais l’enseignement proprement dit se trouve allégé de six heures dont la moitié consacrée à des exercices de sport et de plein air et l’autre à des modes d’éducation plus libres, moins asservis aux méthodes qui s’imposent à l’intérieur de la classe. Cette politique s’inscrit plus largement dans la politique éducative de Jean Zay, notamment la réforme des méthodes pédagogiques (souhaitée par les mouvements liés à l’éducation nouvelle) et le développement de l’éducation physique et des sports, y compris dans les collèges et lycées où les instructions ministérielles de 1938 demandent aux professeurs de « mesurer le travail, le proportionner […] au temps dont dispose l’élève pour l’accomplir »52. Comme le note Antoine Prost, « dans tout le second degré, l’arrêté du 22 mai 1937 qui prescrit une demi-journée par semaine d’éducation physique en plein air permet également de consacrer aux loisirs dirigés le samedi après-midi, mais à titre facultatif »53. Ceux-ci sont d’une grande variété (activités théâtrales, radio, cinéma, journalisme scolaire, travaux manuels, ateliers caritatifs, sorties pédagogiques), mais l’application de la réforme rencontre bien des problèmes, notamment de fréquentation ou matériels, ainsi que le montre Jean-François Condette54. Dans les écoles primaires, après l’arrêté du 22 mai 1937, une circulaire ministérielle d’août 1937 rappelle les principes généraux de cette politique qui propose de réserver un après-midi (trois heures) par semaine aux « activités dirigées » ainsi qu’à la pratique sportive, soit 10 % de l’horaire hebdomadaire de l’école primaire :

• 56 Jean-François Condette, « Les loisirs dirigés dans les collèges et les lycées… », art. cit.

13Cependant, ces bonnes volontés enseignantes finissent par s’essouffler alors que les moyens financiers et humains accordés restent limités, d’autant que le contexte politique et budgétaire est de moins en moins favorable aux réformes portées par Jean Zay, peu soutenues par sa propre famille politique et inachevées lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale56.

• 57 Stéphane Rials, Oppressions et résistances, Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 250.
• 58 AN, F/17/14276 : Instructions sur l’enseignement d’éducation générale et sportive dans les écoles (...)
• 59 Matthieu Devigne, L’École des années noires. Une histoire du primaire en temps de guerre, Paris, P (...)
• 60 « Lutte contre le doryphore » [note de l’inspecteur d’académie], Bulletin de l’enseignement primai (...)
• 61 « Rapport sur la situation matérielle de l’enseignement primaire dans le département de la Somme p (...)
• 62 Ibid., p. 271.

14Le régime autoritaire de Vichy annonce une rupture dans la politique éducative, mais poursuit cet effort : selon Stéphane Rials, « Vichy fut moins audacieux, mais Carcopino, dans le primaire, développa les classes-promenades au moins une fois par semaine, et dans le secondaire, les méthodes anglaises : disciplines intellectuelles le matin et autres activités l’après-midi »57. Dans les écoles primaires et l’enseignement secondaire, les nouveaux programmes de 1941 prévoient ainsi une « éducation générale et sportive » incluant éducation physique et sportive, gymnastique, jeux, travaux manuels, secourisme et chant58. Sa mise en application rencontre cependant des difficultés, tant au niveau de l’équipement sportif (et des travaux à financer par les municipalités) que de la formation des personnels parfois réticents59. De plus, les contraintes de l’Occupation et du temps de guerre peuvent dénaturer les pratiques prescrites. D’une part, les écoliers peuvent être mobilisés à l’occasion des classes promenades, pour la lutte contre le doryphore dans les champs de pomme de terre par exemple60. D’autre part, la réquisition d’écoles primaires, pour le logement des troupes ou le stockage de matériel militaire, oblige l’organisation de classes à mi-temps selon l’horaire 9 h-13 h et 13 h 30-17 h 30, avec cours le jeudi, mais « ces classes de quatre heures sont trop longues pour les petits, […] la discipline difficile et l’attention instable »61. Enfin, le rationnement et les pénuries alimentaires ne permettent pas toujours aux enfants de s’alimenter convenablement, ce qui n’est pas sans incidence sur leur santé, leur scolarité et restreint la pratique sportive à l’école62.

• 63 Arrêté du 27 juin 1945 sur les horaires et les programmes du second degré, article 3, JORF, 1^er ju (...)
• 64 Antoine Savoye, « Langevin et l’expérience des Classes nouvelles, une préfiguration de la Réforme (...)
• 65 Ibid., p. 112-113.

15À la Libération, les réformes de la décennie écoulée inspirent la commission Langevin-Wallon (1944-1947) mais la demi-journée consacrée au plein-air ou aux activités dirigées dans le second degré est supprimée dès 1945 par René Capitant, premier ministre de l’Éducation nationale du Gouvernement provisoire de la République française63. Jusqu’en 1952, c’est donc l’expérience des classes dites « nouvelles » qui sert de prolongement aux initiatives des années 1930, notamment avec un emploi du temps quotidien divisé entre apprentissages fondamentaux le matin et activités manuelles, artistiques et éducation physique l’après-midi64. La mise en œuvre est progressive dans les classes de premier cycle des lycées et collèges et concerne près de 1 000 établissements et 18 000 élèves au début des années 195065.

• 66 « L’alimentation des enfants dans ses rapports avec l’attention scolaire » [rapport de l’inspecteu (...)

16Le contexte de l’après-guerre soulève aussi la question des liens entre la santé des enfants et les apprentissages scolaires, tandis que le développement de la chronobiologie et de la psychologie de l’enfant dans les années 1950 contribue à l’émergence de la notion de rythmes scolaires66. La question de l’organisation du temps scolaire commence alors à diviser une société française en pleine mutation. Comment trouver un équilibre entre les travaux intellectuels et d’autres types d’activités (loisirs, sport, sorties) ? Au-delà du conflit entre spécialistes disciplinaires qui se greffe au débat plus ancien entre humanités et spécialités, le problème des rythmes scolaires s’inscrit également dans un mouvement plus large de transformations du système éducatif.

• 68 Jean-Michel Chapoulie, « Une révolution dans l’école sous la IV^e République ? La scolarisation pos (...)

17Dès le milieu des années 1950, un véritable mouvement de fond bouscule la longue tradition d’organisation du temps scolaire. Ce mouvement est tout d’abord concomitant d’un profond changement démographique. Celui-ci est dû, à la fois, au baby-boom et à l’allongement des scolarisations qui précèdent la mise en œuvre de la réforme Berthoin (1959) et de la réforme Fouchet-Capelle (1963) créant respectivement les collèges d’enseignement général et les collèges d’enseignement secondaire68. Une nébuleuse réformatrice – sur laquelle nous reviendrons ensuite – composée d’enseignants, de médecins, d’associations, de syndicats, de hauts fonctionnaires, etc., estime désormais que ces changements imposent de réformer plus globalement les rythmes scolaires et les méthodes pédagogiques.

• 69 Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public.
• 70 Cité par Paul Gerbod, « Les rythmes scolaires en France… », art. cit., p. 469.

18Les critiques contre l’encyclopédisme et le surmenage rejaillissent à propos du lycée : elles proviennent à la fois des organisations de parents d’élèves et du milieu médical. Ainsi, en 1955, la revue de la Fédération des associations de parents d’élèves des lycées et collèges (devenue Fédération des PEEP69 en 1966), La Voix des parents, pointe à l’issue d’une enquête le temps de travail hebdomadaire des lycéens, estimé à plus de 40 heures70. Certains professeurs considèrent en revanche que le surmenage est un faux problème, qui serait la conséquence de la démocratisation :

• 72 Le conseil de la recherche pédagogique est une instance du ministère de l’Éducation nationale. Il (...)
• 73 Robert Debré, Daniel Douady, La fatigue des écoliers dans le système scolaire actuel, recherche de (...)
• 74 Marcel Bataillon, André Berger, François Walter, Rebâtir l’École, Paris, Payot, 1967, p. 1. Pour u (...)
• 75 Marcel Bataillon et al., Rebâtir l’École, op. cit., p. 41 et 53.
• 76 AN, 19880114/1 : Lettre aux parents, supplément à la lettre d’information, n^o 21, mars 1968.

19Plus globalement, le rapport Debré-Douady, remis au conseil de la recherche pédagogique72 en 1962, relie fatigue des élèves et rigidité des programmes scolaires. De même, en 1964, le chronobiologiste Alain Reinberg démontre l’importance des rythmes de l’enfant pour comprendre l’origine de leur fatigue et les variations de leur attention intellectuelle73. S’appuyant sur ces travaux, l’association Défense de la jeunesse scolaire (DJS), créée en 1963 et regroupant des enseignants, des hauts fonctionnaires, des pédiatres et des parents d’élèves, « se propose d’obtenir, pour les écoliers, collégiens et lycéens de France, une éducation scolaire plus saine et plus raisonnable que celle qu’ils subissent aujourd’hui »74. Celle-ci, selon DJS, est « une atteinte portée à leur équilibre nerveux » à l’origine de fatigue et de stress par surmenage scolaire75. Les journées trop longues et trop chargées, le temps passé par les élèves à être immobiles, « l’ambition excessive des programmes constitue[nt] un très grave obstacle à l’entrée en plus grand nombre d’enfants de milieux modestes dans l’enseignement secondaire »76. Outre un allègement des savoirs enseignés, les membres de l’association proposent deux récréations par demi-journée ainsi qu’une véritable refonte des rythmes scolaires en privilégiant le travail intellectuel le matin. Le ministère expérimente au demeurant une telle formule dès 1963-1964 avec les premiers essais du tiers-temps pédagogique.

• 77 Circulaire n° IV 69-371 du 2 septembre 1969 sur l’aménagement de la semaine scolaire dans les écol (...)
• 78 Assemblée nationale, débats parlementaires, compte-rendu intégral des séances, questions orales, 5 (...)
• 79 AN, 19880114/14 : DJS, vie scolaire : rythmes scolaires, groupe d’étude sur la fatigue scolaire, 1 (...)

20Une coopération avec le ministère de la Jeunesse et des Sports – à laquelle sont associés des médecins et des psychologues – débouche en effet sur l’expérimentation des classes dites à mi-temps pédagogique et sportif dans des écoles primaires et à horaire aménagé dans des collèges car elles comportent douze ou neuf heures d’éducation physique hebdomadaire, sieste, goûter et étude du soir dirigée par des professeurs. Ces expérimentations dans cinquante classes de sixième et cinquième et quatre-vingts classes d’écoles primaires apparaissent vite « comme des tentatives sporadiques soumises à autorisation » pour utiliser un horaire de trois à douze heures afin de développer des activités sportives et artistiques77. Dès 1965, quand les parlementaires se penchent sur les rythmes scolaires lors de la discussion du budget de l’Éducation nationale pour 1966, le député centriste Paul Séramy en demande la généralisation tandis que des élus locaux dénoncent les effets négatifs des transports scolaires, alors en plein développement, sur la santé des enfants qui « subissent de ce fait un surcroît de fatigue, ce qui évidemment porte préjudice à l’enseignement »78. Parallèlement aux commissions Rouchette et Lichnerowicz sur l’enseignement du français et des mathématiques, le ministre Christian Fouchet installe une commission de réflexion sur la fatigue des élèves, conduite par l’inspecteur général René Haby79.

• 80 « Éducation : vers la semaine des pas-de-jeudi », L’Express, 9 octobre 1967.
• 81 « Les parents sont partagés sur la date du congé hebdomadaire », Le Monde, 10 octobre 1967.
• 82 AN, 71/AJ/89 : Musée pédagogique : mouvement de mai 1968 en province, rapports sur les questions p (...)
• 83 AN, 20110361/13, dossier EN 46 : les 27 points de M. Alain Peyrefitte (plan de réformes), point 9 (...)

21Lucien Neuwirth, député gaulliste de la Loire, relance le débat à l’occasion de la rentrée 1967. Dans une question orale posée le 18 septembre dans l’hémicycle, l’élu prône un allègement des programmes et une adaptation des horaires, en demandant au ministre de l’Éducation nationale Alain Peyrefitte « s’il envisage, ainsi que l’ont réalisé la plupart des États modernes de libérer la journée du samedi », en remplacement du jeudi, dans la perspective d’un meilleur équilibre familial en fin de semaine car « donner le jeudi aux enfants et le samedi aux parents est une incohérence, autant sur le plan pratique que sur le plan psychologique »80. Selon un sondage effectué au même moment par la SOFRES (Société française d’enquête par sondages), 48 % des parents d’élèves restent favorables au congé hebdomadaire du jeudi et 42 % donnent leur préférence au samedi – 70 % estimant qu’un seul jour de repos dans la semaine est suffisant –, quand 10 % se montrent favorables à un partage du repos hebdomadaire entre le mercredi après-midi et le samedi après-midi, solution notamment défendue par l’association DJS81. Les projets élaborés dans les établissements du premier comme du second degré au cours des événements de mai-juin 68 témoignent aussi des attentes des enseignants et des lycéens mobilisés : les premiers demandent une diminution de l’horaire hebdomadaire de 30 à 27 heures, réparties du lundi au vendredi, et des classes à mi-temps dans les écoles où le mercredi après-midi serait consacré à la formation continue, quand les seconds réclament un allègement des horaires et des programmes dans les lycées82. Auparavant, la commission ministérielle de la rénovation pédagogique installée par Alain Peyrefitte en février 1968 avait envisagé une diminution de l’heure de cours, mais moins pour modifier les rythmes d’apprentissage des élèves que pour alléger les effectifs par classe sans recourir à des recrutements supplémentaires d’enseignants (dont le service reste le même)83. En revanche, la commission B du colloque « Pour une école nouvelle » réuni à Amiens en mars 1968 formule des projets d’aménagements horaires de l’école maternelle au lycée afin de prendre en compte la formation culturelle des élèves, idées partiellement prises en compte dans les années 1970-1980 :

• 85 Nous empruntons cette expression à la sociologue Ludivine Balland, « Une mobilisation décalée : le (...)

23À partir des années 1960, la question des rythmes scolaires entre pleinement dans « l’espace du débat public »85 puis devient une dimension des politiques publiques, de plus en plus territorialisées. Réorganisations pédagogiques et de la forme scolaire, ouverture de l’école, attention croissante portée à l’intérêt de l’enfant, contribuent notamment à réordonner les rythmes scolaires, autour de la semaine en particulier, mais ces évolutions se heurtent à d’autres intérêts, dans le monde du travail ou le secteur des loisirs par exemple.

• 86 Arrêté du 7 août 1969 sur l’aménagement de la semaine scolaire et la répartition de l’horaire hebd (...)
• 87 Pierre Kahn, « La pédagogie primaire entre 1945 et 1970 : l’impossible réforme ? », Le Télémaque, (...)
• 88 AN, 19790793/13 : note d’Henri Gauthier pour la Division de la vie scolaire, 15 mai 1972.
• 89 Tels sont les mots du ministre de l’Éducation nationale, Olivier Guichard, répondant au député cen (...)

24Les mesures prises au tournant des années 1960-1970 dessinent une nouvelle organisation de la semaine et de la journée scolaires mais continuent à porter essentiellement sur des aménagements pédagogiques, qui sont du ressort du ministère. En 1969, l’arrêté du 7 août et la circulaire du 2 septembre modifient l’organisation pédagogique de l’école primaire : la durée hebdomadaire de la classe passe ainsi de 30 à 27 heures, les cours du samedi après-midi sont supprimés pour les élèves, ce qui doit permettre aux maîtres de se consacrer à leur « perfectionnement pédagogique ». Le « tiers-temps » pédagogique est instauré : 10 heures pour le français et 5 heures pour le calcul – matières dites fondamentales qui, parce qu’elles nécessitent davantage d’attention, doivent être enseignées le matin et entrecoupées de deux récréations de 10 minutes (jusqu’au cours élémentaire, une seule au cours moyen) prélevées sur ces séances –, 6 heures pour l’éducation physique et sportive (EPS) et 6 heures pour les disciplines d’éveil à répartir sur les après-midis86. Ces dernières sont divisées en deux types d’activités : les unes à dominante intellectuelle (histoire, géographie, sciences) et les autres à dominante esthétique (arts plastiques, éducation musicale)87. Ce nouvel aménagement de la semaine scolaire « ouvre la voie à une transformation graduelle de l’enseignement préscolaire et élémentaire », selon la circulaire d’application du 2 septembre 1969. La libération des cours du samedi après-midi est étendue aux collèges et lycées par la circulaire du 9 juin 1970, mais cette mesure n’est que « recommandée, dans la mesure du possible »88. En 1969-1970, les vacances de février et de la Toussaint sont doublées à 8 jours, puis ramenées à 4 jours dès 1970-1971 afin de répondre « au vœu de la majorité des parents que leurs occupations professionnelles empêchent de s’occuper de leurs enfants les jours ouvrables »89.

• 90 AN, 19780674/11 : Réflexions du groupe d’inspection générale vie scolaire sur l’aménagement de la (...)
• 91 L’École libératrice, n^o 29, 10 mai 1968, p. 1490 ; AN, 19780674/11 : Henri Gleizes, La semaine con (...)
• 92 Ibid., p. 3-4.
• 93 Julien Cahon, « Changer le bâti scolaire pour réformer l’éducation ? », Les Cahiers pédagogiques, (...)
• 94 Fondation Jean-Jaurès (archives du Parti socialiste), 2EE2 : groupe de travail École et collectivi (...)
• 95 AN, 19780674/11 : Henri Gleizes, La semaine continue dans les établissements du second degré, grou (...)

25Concernant l’organisation de la semaine et de la journée scolaire dans le second degré, le groupe « vie scolaire » de l’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) mène une série d’enquêtes à partir de 1970. Un premier rapport remis en 1970, qui conclut notamment à « l’inhumanité de la vie scolaire imposée à nombre d’élèves », propose des aménagements mineurs quant aux heures de fonctionnement des établissements du second degré et, « sur le plan de la pure prospective, [suggère] de rechercher si cette notion de journée aménagée ne trouverait pas sa pleine résonance au service de la semaine continue »90. Un deuxième rapport suit dès 1971 et fait l’hypothèse d’un report, du jeudi au mercredi, de la journée d’interruption hebdomadaire des classes pour proposer « une semaine plus équilibrée » – par ailleurs réclamée par le Syndicat national des instituteurs (SNI) depuis le congrès de Nice de 1968 – et le transfert des cours du samedi matin au mercredi matin. Mais, selon l’auteur du rapport, « la semaine continue dans le second degré appellera vite une mesure semblable dans le premier degré : les familles admettraient mal que certains de leurs enfants soient en classe le samedi matin, cependant que d’autres seraient à la maison »91. Ce même rapport présente les avantages supposés de la semaine continue : « influence sur la vie familiale (deux jours pleins réservés au cadre familial en fin de semaine) […], allègement des transports et de la fatigue des élèves […], meilleur rendement des investissements dans les installations immobilières, la semaine de 5 jours permettant de placer deux jours par semaine les établissements dans le circuit général (maisons de jeunes, centres, culturels, formation permanente, etc.) […] »92. Ce dernier aspect renvoie en réalité à une nouvelle conception du bâti scolaire liée à la rénovation pédagogique prônée dans les années 196093. Certains élus locaux revendiquent il est vrai une intervention accrue dans les politiques éducatives et des prérogatives élargies, en particulier dans la gestion des activités périscolaires et l’utilisation des locaux scolaires94. Le rapport de 1971, qui postule l’urgence d’une telle réforme, propose le lancement de travaux préparatoires et l’expérimentation de nouveaux rythmes scolaires95.

• 96 Syndicat général de l’Éducation nationale-Confédération française démocratique du travail.
• 97 AN, 19780674/11 : DIPRE, rythmes scolaires, compte-rendu de la réunion du 12 janvier 1972, 21 janv (...)
• 98 AN, 19780674/11 : DIPRE, rythmes scolaires, compte-rendu de la réunion du 12 janvier 1972, 21 janv (...)

26Le dossier des rythmes scolaires est alors confié à la Direction de la prévision (DIPRE) du ministère et un groupe de travail est installé en 1972. Dès la première réunion, sous la direction de Raymond Weil (recteur adjoint de l’académie de Paris), celui-ci affirme la nécessité de penser rationnellement les modifications du temps scolaire hebdomadaire et quotidien en lien avec les changements des rythmes annuels, ce qui est aussi une demande du SNI et du SGEN-CFDT96. Mais pour les cadres du ministère, « il semble prudent de ne pas vouloir tout changer à la fois », d’autant que deux expérimentations sont en cours depuis la rentrée 1971 dans tous les établissements, publics comme privés, de Niort (Deux-Sèvres) et Vitry-le-François (Marne)97. À Niort, une ville considérée comme « témoin du monde tertiaire » où « la plupart des femmes travaillent », est mise en place la « semaine harmonisée » – selon les mots du maire socialiste René Gaillard – c’est-à-dire un découpage en neuf demi-journées de cours, du lundi au vendredi, avec suppression des cours du samedi matin dans les écoles maternelles et élémentaires et report de ceux-ci le mercredi matin dans le second degré. Les débats internes au groupe de travail ministériel montrent cependant la volonté de ne pas nationaliser la décision à venir sur le sujet, mais de la généraliser à l’échelon régional en construction, afin de prendre en considération les contraintes locales et la demande sociale, en laissant une liberté d’organisation au niveau rectoral, solution à laquelle s’oppose le Syndicat national des enseignements de second degré (SNES) – hostile à la décentralisation éducative – car « doit être ouverte une discussion générale sur l’ensemble des conditions de travail des élèves et des maîtres et, par conséquent, il faut éviter les solutions de type local ou partiel qui permettent finalement au pouvoir d’avancer petit à petit ses pions dans l’indifférence générale »98.

• 100 AN, 19790793/13 : « Le nouvel aménagement de la semaine scolaire », note à l’attention de M. Moret (...)
• 101 Ibid.
• 102 Arrêté du 27 juin 1945 sur les horaires et les programmes du second degré, JORF, 1^er juillet 1945, (...)
• 103 AN, 19790793/13 : note de Germaine Rose sur l’état actuel de la semaine nouvelle à Niort pour l’IG (...)
• 104 Ibid. : note à l’attention de monsieur le ministre : aménagement de la semaine scolaire, projet de (...)

28Les résultats de la consultation nationale sont cependant peu concluants. D’une part, « les rapports des recteurs et des inspecteurs d’académie sont difficilement exploitables », comme le révèle une note confidentielle du cabinet Guichard100. D’autre part, « les résultats de la consultation permettent difficilement de dégager une solution nationale » : ils divergent selon « les catégories de personnes interrogées (enseignants, parents d’élèves, collectivités territoriales, autorités religieuses, etc.) […], la question se pose de façon très différente en zone urbaine et en zone rurale » et de façon moins aiguë dans le second degré, en particulier dans les lycées101. En effet, dans ces établissements, la coupure du milieu de semaine n’existe pas en réalité (et ce depuis le XIX^e siècle) : comme le rappelle l’article 3 de l’arrêté du 27 juin 1945 qui fixe les horaires des établissements du second degré, la semaine scolaire est de cinq jours et la matinée du jeudi peut être occupée par des cours dans le second cycle102. Cela est d’autant plus vrai dans les lycées et collèges techniques, où il faut inclure les horaires d’ateliers et où les aménagements d’horaires se révèlent compliqués103. La note interne destinée à Olivier Guichard fait d’ailleurs état d’une demande générale de report de la coupure hebdomadaire au mercredi mais aussi d’un rejet de la libération des cours du samedi par leur transfert au mercredi et propose de « multiplier les points d’expérience » et de « régionaliser la réforme »104.

• 105 Arrêté du 12 mai 1972 relatif à l’interruption des classes au cours de la semaine scolaire, JORF, (...)
• 106 Guy Georges, « L’organisation du temps de travail scolaire », L’École libératrice, n^o 33, 12 mai 1 (...)
• 107 AN, 19790793/13 : Germaine Rose (IGEN-VS), « Rapport sur l’expérience de la semaine scolaire de Ni (...)
• 108 Ibid. : note sur le report des cours du samedi matin au mercredi : état de la situation à la rentr (...)
• 109 Ibid., p. 2.
• 110 La circulaire du 27 mars 1973 met « à compter de la rentrée 1973, 10 % de l’horaire annuel à la di (...)

29Alors qu’une circulaire est un temps envisagée, c’est un arrêté, le 12 mai 1972, qui détermine le report de la journée d’interruption hebdomadaire des classes du jeudi au mercredi, pour le premier comme le second degré105. La Fédération de l’éducation nationale (FEN) et le SNI, qui considèrent cet arrêté comme la « suite logique » de celui de 1969, émettent de fortes réserves sur le report des cours du samedi au mercredi, réserves fondées sur l’intérêt pédagogique, la qualité d’une coupure d’une demi-journée et ses conséquences sur l’enfant106. Les premières évaluations de l’expérience niortaise sont par ailleurs contrastées, même si celle-ci satisfait la grande majorité des élèves et des parents107. Des reports de cours du samedi au mercredi sont expérimentés à travers le pays, de la maternelle au lycée, dès la rentrée de septembre 1972 et en grande partie poursuivis au cours de l’année 1973-1974 : 136 écoles élémentaires et 220 établissements du second degré, dont 101 collèges d’enseignement technique (CET), soit respectivement 0,26 %, 3,37 % et 8,43 % du réseau national de ces catégories d’établissements108. Cependant, 33 écoles primaires ont souhaité arrêter l’expérience à la fin de l’année scolaire 1972-1973, soit plus des deux tiers des demandes de suppressions d’expériences (46), car « elles se heurtent à un problème non négligeable : la fatigue des enfants qui sont très jeunes et s’adaptent mal à une suite de cinq levers matinaux »109. Le ministère de l’Éducation nationale tente, à nouveau et selon des logiques différentes, de repenser les rythmes scolaires en lien avec la pédagogie, avec l’instauration de la réforme dite des « 10 % » de Joseph Fontanet dans le second degré (1973)110 puis la création d’une Mission à l’action culturelle en milieu scolaire et des projets d’activités culturelles et éducatives (PACTE) par le ministre de l’Éducation nationale Christian Beullac (1978-1979). Mais, sur cette question, tout n’est pas qu’une affaire pédagogique ou de santé des élèves, comme le rappelle le recteur Henri Gauthier dans une note interne au ministère :

• 112 Ibid., 19790793/12 : secrétariat général de l’inspection académique du Finistère, réponse à l’enqu (...)
• 113 Bernard Toulemonde, Petite histoire d’un grand ministère : l’Éducation nationale, Paris, Albin Mic (...)
• 114 « Les chefs d’établissement restent divisés sur le problème des rythmes scolaires », Le Monde, 13  (...)
• 115 Michel Peuchmaurd, « Quatorze villes veulent aménager leur temps », Informations sociales, bulleti (...)

30Par ailleurs, la pression des professionnels du tourisme et des transporteurs est souvent forte. Dans l’académie de Rennes, par exemple, le syndicat des transporteurs routiers du Finistère milite pour la semaine continue et le long week-end car « la libération complète du samedi permettrait de disposer de deux journées complètes pour l’organisation de voyages et d’excursions diverses »112. De même, c’est après les Jeux olympiques d’hiver de Grenoble que les vacances d’hiver (une semaine) sont créées, en 1972, ainsi que le découpage des académies en trois zones. Au cours de cette période, la question des vacances scolaires rejoint ainsi celle de l’organisation de la journée et de la semaine, à travers la question des loisirs et de leur place dans la société. Ce développement des loisirs met en jeu de puissants intérêts économiques, avec l’industrie touristique tout d’abord, mais également l’organisation des transports routiers, ferroviaires et aériens et le souci de fluidifier les circulations. C’est également un enjeu social, plus de la moitié des Français partant en vacances l’été au début des années 1970, 15 % profitant alors également des sports d’hiver113. Pour certains proviseurs, cette semaine de vacances est « une aberration pédagogique si l’on se place du point de vue des enfants », mais les chefs d’établissements sont en réalité très divisés. Ainsi, dans les rangs du Syndicat national des personnels de direction de l’enseignement secondaire (SNPDES), affilié à la FEN, certains demandent la suppression de cette semaine de vacances car les « petits congés démobilisent les élèves », quand d’autres estiment qu’ils sont trop courts car « cela ne permet pas à l’administration d’un établissement de se reposer »114. La question des rythmes scolaires est aussi l’un des nombreux paramètres des politiques d’aménagement du temps, prises en compte de manière croissante dans la seconde moitié des années 1970 par les pouvoirs locaux dans la conception et la gestion des équipements publics, les plans de circulation des transports en commun ou la régulation de la circulation automobile en ville115.

• 116 Paul Gerbod, « Les rythmes scolaires en France… », art. cit., p. 470.
• 117 Bernard Toulemonde, Petite histoire d’un grand ministère, op. cit., p. 161-162.
• 118 Archives de la région Picardie, 3002P/1979/18 : recueil des actes administratifs, n^o 18, mai 1979, (...)
• 119 « Le docteur Lagarde déclare : À l’école comme à la maison, l’enfant est surmené », La Croix, 12 m (...)

31La saisine du Conseil économique et social (CES) par le ministère, en août 1978, suscite deux nouveaux rapports (l’un du recteur Magnin, l’autre du docteur Lévy) et des propositions prenant en compte « l’intérêt prioritaire de l’enfant »116. Cette formule présente une grande difficulté selon Bernard Toulemonde : « l’intérêt de l’enfant est une notion que personne n’a pu définir dans sa totalité scientifiquement et ne varietur. […] Ainsi, chacun invoque l’intérêt de l’enfant tel qu’il le perçoit, le plus souvent de bonne foi, et cet intérêt correspond aussi, comme par hasard, aux intérêts matériels et moraux qu’il défend »117. Mais le débat sur une éventuelle réforme des rythmes scolaires se concentre de nouveau essentiellement sur l’année scolaire, que le rapport du CES préconise de calquer sur l’année civile, ainsi que sur la durée des vacances d’été. L’étalement de ces dernières (du 15 juin au 15 octobre) et leur zonage sont envisagés par Christian Beullac et le délégué interministériel à la qualité de vie Jean-Claude Colli pour écrêter les traditionnelles pointes de juillet-août tant sur les routes que sur les lieux de vacances, et aussi valoriser le capital productif du pays en évitant la coupure complète de l’été. Les syndicats enseignants s’opposent alors vivement à ces projets. Les instances politiques régionales sont d’ailleurs consultées118. Le débat porte aussi sur une réduction des vacances d’été car « nos enfants oublient tout » selon une tribune polémique d’un professeur agrégé d’anglais : une mesure que réclame depuis plusieurs années la Fédération des PEEP mais à laquelle s’opposent le SNES et le SNALC119.

• 120 « Le week-end : un danger pour les écoliers » (interview du recteur Pierre Magnin), Le Point, 8 ja (...)

32La question des rythmes scolaires hebdomadaires réapparaît rapidement après qu’une circulaire ministérielle du 5 août 1977 autorise les inspecteurs d’académie pour les écoles et les chefs d’établissements des collèges et lycées à instaurer la semaine continue en principe sans l’avis des responsables municipaux, culturels, religieux et médicaux. Des critiques émanent alors tout particulièrement de ces deux derniers milieux, car la coupure du milieu de semaine est traditionnellement réservée à la catéchèse par l’Église catholique. Celle-ci craint « des comportements familiaux de désengagement » alors que le mercredi libre serait un jour « hors de la mouvance du monde des adultes ». Le rapport du recteur de l’académie de Strasbourg, Pierre Magnin, remis en janvier 1979 au nom de la section Éducation du Conseil économique et social, se prononce contre les longs week-ends en arguant qu’une coupure de deux jours pleins est mal supportée par les enfants et à l’origine de perturbations le lundi120.

• 121 Julien Cahon, « Les municipalités socialistes et l’École, 1971-1989 », art. cit., p. 76-79.
• 122 Franck Sérusclat, « Saint-Fons (Rhône). De nouveaux rythmes pour les écoliers. Un maire témoigne » (...)

33De nouvelles expérimentations apparaissent au tournant des années 1970-1980, comme à Saint-Fons (Rhône) où le sénateur-maire Franck Sérusclat (PS) met en place, avec l’appui du délégué interministériel chargé de l’amélioration de la qualité de vie, l’idée d’« espace éducatif global concerté » dans les écoles et le collège de sa commune121 : la journée d’école prend fin à 15 h 30 pour laisser place, jusqu’à 17 heures, à des activités sportives et culturelles prises en charge par d’autres acteurs éducatifs (parents, bénévoles associatifs, professionnels de l’animation). Le libre choix de ces activités périscolaires (gratuites et non obligatoires) et de leur fréquence hebdomadaire était laissé aux familles. La demande de ces dernières étant forte pour un transfert du samedi matin au mercredi matin, la semaine s’achevait le vendredi122. Cependant, derrière une unanimité apparente des acteurs éducatifs, convaincus de la nécessité de réformer les rythmes scolaires, les divergences sur la nature de ces changements sont réelles.

• 123 AD Oise, 37Jp27 : lettre d’Alain Savary sur la consultation-réflexion sur l’école aux recteurs d’a (...)
• 124 AN, 19880108/19 : circulaire n^o 84-481 sur l’aménagement du temps scolaire dans le premier degré – (...)

34La loi du 22 juillet 1983 redéfinit les rapports entre l’École et les collectivités territoriales, en reconnaissant aux maires des compétences nouvelles : utilisation des locaux scolaires en dehors des périodes d’enseignement, pour l’organisation d’activités culturelles, sportives ou socio-éducatives (article 25), promotion des activités complémentaires et facultatives, à l’intention des élèves, pendant les heures d’ouverture normales des établissements scolaires (article 26) et possibilité de modifier les heures d’entrée et de sortie des établissements scolaires (article 27). Les résultats de la consultation-réflexion nationale sur l’école lancée par le ministre Alain Savary en janvier 1983 auprès des acteurs et partenaires locaux du système éducatif témoignent aussi de la forte demande de révision des rythmes scolaires, qui doit passer selon eux par le développement de l’EPS et le recours à des intervenants extérieurs pour la musique, mais « les solutions proposées sont si souvent divergentes qu’aucune synthèse ne peut être envisagée »123. Malgré la démission du gouvernement Pierre Mauroy et le remplacement d’Alain Savary par Jean-Pierre Chevènement provoqués par la querelle scolaire en juillet 1984, la consultation-réflexion sur l’école débouche sur la circulaire Calmat-Chevènement du 13 décembre 1984124.

• 125 Ibid. : circulaire n^o 85-126 sur l’aménagement du temps scolaire dans le premier degré – développe (...)
• 126 AD Oise, 1646W11 : Roger Bambuck, « Aménagement des rythmes de vie de l’enfant », 1990, p. 35 (fas (...)
• 127 Jean-Jacques Sarfati, « Réflexions générales sur la politique de partenariat à l’école », Éducatio (...)

35Cette dernière prolonge les aménagements du temps scolaire expérimentés les années précédentes et souhaite leur extension progressive dans les établissements du premier degré : elle incite les écoles, les communes et l’ensemble des acteurs éducatifs à collaborer étroitement sur un projet éducatif favorisant le développement d’activités socio-culturelles, et reposant sur des modifications de l’organisation du temps scolaire au bénéfice des élèves125. L’annexe de la circulaire propose deux schémas concernant la place des activités éducatives périscolaires, l’un se situant sur les fins d’après-midi, l’autre sur la pause méridienne élargie, avec maintien des cours le samedi matin dans les deux cas. Ces projets, fondés sur le volontariat, étaient soumis par la commune à l’État, pour accord et financement, sous la forme de contrats Aménagement du temps scolaire (ATS) : environ 800 furent élaborés pour 200 000 enfants en 1985-1986, leur nombre passant à 1 200 pour 300 000 enfants l’année suivante126. « C’est [aussi] vers le milieu des années quatre-vingts que le terme de partenariat apparaît dans les Bulletins de l’éducation nationale », selon Jean-Jacques Sarfati127. Cette politique de partenariat local et de contractualisation entre l’État, les collectivités territoriales et les acteurs éducatifs locaux est amplifiée par la suite.

• 128 AN, 19880108/7 : réunions de cabinet des 19 septembre 1984, 10 octobre 1984 et 30 avril 1985. À pa (...)
• 129 Cette division des rythmes en trois catégories est celle de la chronobiologie : circadiens (inféri (...)
• 130 AN, 19880108/19 : dossier préparatoire de la direction des écoles (service de l’éducation physique (...)
• 131 Ibid. : Dr Guy Vermeil, « Propositions pour un meilleur aménagement des temps de travail à l’école (...)
• 132 Ibid. : « Rythmes scolaires », note de Francine Best, directrice de l’INRP, 8 mai 1985 ; « Réflexi (...)
• 133 Ibid. : « Rythmes scolaires », Note des PEEP sur les « Rythmes scolaires », 52 propositions, s.d.
• 134 Ibid. : service de l’information et des relations publiques du ministère de l’Éducation nationale, (...)
• 135 AN, 19880108/19 : service de l’information et des relations publiques du ministère de l’Éducation (...)
• 136 Ibid., p. 241.
• 137 « Les enseignants : non à l’étalement des vacances », Le Matin, 19 décembre 1979.

36La question du choix de la journée hebdomadaire libre (mercredi ou samedi) fait aussi l’objet d’une réflexion au sein du cabinet Chevènement puis dans le cadre des travaux de la commission horizontale de rénovation de l’enseignement du premier degré à partir de février 1985128. La Direction des écoles (DE) du ministère formule sur ce point des hypothèses ambitieuses d’aménagement des temps de scolarité des enfants articulant les temps de l’enfant, de l’enseignant, de la famille et de la société d’une part, et les rythmes circadiens, ultradiens et infradiens129 d’autre part, qui rejoignent les vœux des personnalités consultées130. Le ministre souhaite des solutions envisageables à la lumière des travaux scientifiques conduits sur ce thème, explicitement relié au problème de l’échec scolaire, et « des mesures simples et réalistes susceptibles d’être transcrites dans la vie de nos enfants »131. Parmi celles-ci, seul le calendrier annuel 7/2, c’est-à-dire 7 semaines de travail et 2 semaines de vacances, finalement adopté pour l’année scolaire 1986-1987 avec des vacances d’été de 9 semaines programmées du 30 juin au 3 septembre, a cependant la faveur des partenaires consultés (syndicats enseignants et fédérations de parents d’élèves notamment). En revanche, les modalités de réorganisation des rythmes hebdomadaires et quotidiens ne font toujours pas consensus et le ministère ne tranche pas132. Par exemple, la Fédération des PEEP met en avant la « fatigabilité du long week-end » et défend la semaine de 6 jours (avec cours les mercredis et samedis matins), afin de dégager « plus d’heures efficaces d’acquisition »133. Cette solution n’a pas les faveurs des associations sportives ni de l’Église catholique, groupe de pression influent qui s’arc-boute alors sur la défense du « mercredi libre » au prétexte que la semaine continue accentuerait la baisse de fréquentation du catéchisme qui concerne des enfants de 8 à 12 ans, donc scolarisés dans le premier degré134. Sur le dossier des rythmes scolaires, Bernard Toulemonde, directeur des affaires générales du ministère, déclare publiquement que l’administration a le souci de tenir compte de deux préoccupations : la décentralisation et le respect du temps du catéchisme135. Désormais envisageable, la régionalisation de la décision, testée entre 1980 et 1982 pour le calendrier annuel (confié aux recteurs), s’avère très complexe et source de confusion : cette option hybride est « écartée par les groupes de pression pour une autre raison moins explicite. Elle présente trop de risques et d’aléas, alors que les canaux habituels d’influence leur sont bien connus »136. Les syndicats enseignants s’y opposent également, car « sous couvert de régionalisation, on va tenter d’aggraver les conditions de travail des enseignants », selon Étienne Camy-Peyret, secrétaire général du SNES137. En revanche, dans le second degré, l’autonomie des collèges et lycées, devenus établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) avec la loi de 1983 pose la question des rythmes quotidiens et hebdomadaires différemment : les conseils d’administration des collèges et lycées décident des horaires et des jours d’ouverture mais les horaires hebdomadaires des enseignements sont toujours régis par les programmes disciplinaires et les cours y sont nécessairement étalés sur cinq jours, compte tenu des contraintes d’organisation des emplois du temps.

• 138 Pierre Magnin, L’organisation des rythmes scolaires, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, oc (...)
• 139 « Le calendrier scolaire 1986-1987 », Le Monde, 20 décembre 1986.
• 140 Janine Tillard, « Le développement personnel et l’intégration sociale des jeunes par les loisirs » (...)
• 141 AD Oise, 37Jp27 : ministère de l’Éducation nationale, mission de la planification, « Les situation (...)

37L’alternance politique, après les élections législatives de 1986 remportées par la droite, coïncide avec la commande de nouveaux rapports par les pouvoirs publics. Celui du recteur Magnin, remis au ministre René Monory, préconise des rythmes scolaires prenant en compte les rythmes biologiques de l’enfant, notamment ses besoins de sommeil, avec un allègement de la journée compensé par une réduction des vacances, un étalement de la semaine sur quatre jours et demi (avec intégration de six heures consacrées aux sports, à la pratique musicale et autres activités esthétiques) et une coupure effective le mercredi pour les élèves jusqu’à la classe de quatrième138. Sur ce dernier point, le ministre maintient le statu quo (pas de report du samedi matin au mercredi) et renvoie au local les possibles aménagements et les tensions qui les accompagnent, tandis que le calendrier annuel 7/2 est abandonné. « Le grand débat sur les rythmes scolaires engagé par René Monory a finalement accouché d’une souris », peut-on lire dans Le Monde 139. L’année scolaire 1987-1988 voit aussi l’application de la circulaire Bergelin (secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports) qui porte uniquement sur les rythmes extra-scolaires et crée les « contrats bleus » associant l’État, les collectivités locales et le milieu associatif (environ 2 900 communes et 760 000 enfants concernés), avant que la circulaire Jospin-Bambuck du 2 août 1988 sur l’aménagement des rythmes de vie de l’enfant et des jeunes (ARVEJ) ne revienne à une liaison étroite entre temps scolaire et extra-scolaire dans le cadre de projets éducatifs globaux (environ 3 000 communes et 950 000 enfants, dont des écoles maternelles). Créés en 1989, les 3 500 contrats d’aménagement du temps de l’enfant (CATE), qui concernent 1,5 million d’élèves, sont en partie étendus à des contrats ville-enfant-jeune (CVEJ) en 1990140. Cette politique s’inscrit dans la dynamique initiée dans les années 1970 : l’ouverture de l’école à son environnement socio-culturel141.

• 142 Georges Fotinos, François Testu, Aménager le temps scolaire, op. cit., p. 33.
• 143 Alain Houchot, Yves Moulin, Jean Vogler, Les effets de la semaine de quatre jours, IGEN-IGAENR, ra (...)

38La loi d’orientation du 10 juillet 1989, dite loi Jospin – la première, dans l’histoire de l’école, à inscrire dans un texte législatif l’organisation annuelle et hebdomadaire du calendrier scolaire (article 9)142 – donne une assise réglementaire à ces questions, en rendant obligatoire le projet d’établissement afin de définir une politique éducative locale, par le biais d’actions pédagogiques, d’activités scolaires ou périscolaires. Les rythmes scolaires sont l’objet d’un rapport annexé à cette loi : celui-ci précise que « son objectif est de mieux organiser les activités scolaires dans la journée, dans la semaine, dans l’année ». Le calendrier scolaire est désormais défini pour trois ans : principales nouveautés, un retour au 7/2 et un troisième trimestre qui déborde sur la première semaine de juillet. L’arrêté du 1^er août 1990 ramène l’horaire hebdomadaire d’enseignement dans les écoles primaire à 26 heures. Dans un cadre décentralisé, la loi Jospin rend possible des assouplissements locaux des règles nationales concernant les horaires de l’école. Un décret du 22 avril 1991 laisse ainsi aux inspecteurs d’académie la possibilité de choisir entre trois modèles d’organisation de la semaine scolaire pour les écoles primaires : le statu quo avec mercredi libre et classe le samedi ; la semaine de 5 jours avec libération du samedi ; enfin, la semaine de 4 jours avec réduction de la durée des grandes vacances. Les modifications des rythmes scolaires hebdomadaires se font donc au cas par cas, à l’échelle locale, avec des garde-fous : le volume horaire annuel de cours doit notamment rester le même pour tous (d’où une réduction des vacances de 12 jours pour les écoles faisant le choix de la semaine de 4 jours), la journée de classe ne peut excéder 6 heures, et une concertation doit être engagée avec les associations de loisirs, l’Église catholique et les transporteurs. Le décret Jospin établit ainsi un cadre juridique national pour des aménagements locaux : à la rentrée 1992, 10 % des écoles primaires ont opté pour la semaine de quatre jours143.

• 144 « Vers la semaine de 4 jours », Vendredi (revue hebdomadaire du Parti socialiste), 2 octobre 1992  (...)
• 145 Alain Houchot, Yves Moulin, Jean Vogler, Les effets de la semaine de quatre jours, op. cit., p. 4- (...)
• 146 « Les conseils d’école sont consultés sur l’organisation de la semaine », Le Monde, 23 juin 1994.
• 147 « Les instituteurs parisiens protestent contre la dérèglementation du temps scolaire », Le Monde, (...)
• 148 Direction de l’information légale et administrative, « Les rythmes scolaires ». En ligne : <http:/ (...)

39Durant les années 1990, la semaine de quatre jours avec compensation s’impose dans un nombre grandissant d’écoles primaires144. Jusqu’à un quart d’entre elles font ce choix dans l’enseignement public, près de la moitié dans le privé145. En 1994, dans le cadre de la mise en œuvre de son « nouveau contrat pour l’École », le nouveau ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou, lance une consultation des conseils des écoles primaires sur l’organisation de la semaine scolaire et l’éventuelle libération du samedi matin : 40 000 conseils d’école sur 55 000 interrogés répondent, dont 38,4 % se prononcent pour une semaine de quatre jours par libération du samedi matin avec un raccourcissement des vacances scolaires et 20 % pour une semaine de quatre jours de 6 h 30146. Les syndicats enseignants du premier degré (SE-UNSA et SNUDI-FO) soutiennent encore plus massivement la semaine de quatre jours, notamment à Paris147. Le maintien du statu quo, avec samedi matin travaillé, ne remporte que 15 % des suffrages, devant le report simple du samedi matin au mercredi qui fait le plus mauvais score148. La semaine de quatre jours a aussi les faveurs des parents. Cependant, la Fédération des PEEP combat la semaine scolaire de quatre jours et soutient un allègement horaire de la journée en fonction de l’âge des enfants.

• 149 Commissariat général du Plan - Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques, L (...)
• 150 Hubert Montagner, En finir avec l’échec scolaire : l’enfant, ses compétences et ses rythmes, Paris (...)
• 151 AN, 19880108/19 : « Réflexions de la FCPE sur l’aménagement du temps scolaire », 6 mai 1985 ; « Un (...)
• 152 Ibid. ; AN, 19880108/19 : « Contribution de la Fédération des SGEN-CFDT au débat sur les rythmes s (...)
• 153 Yves Bottin, Michel Delaunay, Sonia Henrich, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primair (...)

40À partir des années 1990, divers rapports d’étude et d’évaluation rappellent les effets de l’aménagement du temps scolaire sur le niveau de fatigue des écoliers ou sur la qualité des apprentissages149. Dans un ouvrage au titre évocateur, En finir avec l’échec scolaire : l’enfant, ses compétences et ses rythmes, le psychophysiologue Hubert Montagner souhaite en finir avec une journée scolaire « encore trop longue par rapport aux possibilités objectives des enfants »150. Dès 1982, le colloque sur « les rythmes de la vie et l’espace chez l’enfant et l’adolescent » organisé à Besançon par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) avec le SNI-PEGC, la Ligue française d’hygiène mentale et Hubert Montagner, préconise la prise en compte des capacités de la mémoire de travail et de vigilance des enfants. Il propose la concentration des activités scolaires entre 9 h et 11 h 30 puis 15 h et 17 h 30 et place le repas, un temps de repos et des activités culturelles et sportives entre 11 h 30 et 15 h151. Les conclusions de ce colloque, comme les discours syndicaux et médicaux par ailleurs, témoignent aussi d’un glissement de la question des rythmes scolaires vers les enjeux de l’individualisation de l’enseignement, de la pédagogie de soutien, de la lutte contre l’échec et les inégalités scolaires152. Une référence explicite à la réussite scolaire apparaît pour la première fois dans un texte officiel en 1990, avec la circulaire du 18 mai : cet objectif est situé en dernière position après le développement de l’autonomie, la socialisation et l’insertion sociale et culturelle, mais toutes les circulaires reprendront dorénavant et en premier lieu cet objectif153. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1995, que Jacques Chirac mène sur le thème de la fracture sociale, Guy Drut, ancien champion d’athlétisme et député du Rassemblement pour la République (RPR) de Seine-et-Marne, plaide pour un allègement des rythmes scolaires quotidiens, selon lui l’une des principales causes de l’échec scolaire, et pour l’organisation d’activités périscolaires sportives et culturelles notamment au bénéfice des enfants des familles populaires, ce qui implique une semaine scolaire de cinq jours et une réduction de trois semaines des vacances estivales :

• 155 Archives de l’Assemblée nationale : compte-rendu intégral des débats, déclaration de politique gén (...)
• 156 AN, 697/AP/178 : Philippe Séguin et Thierry Sourdot, « À Épinal, l’école au rythme de l’enfant », (...)
• 157 AN, 697/AP/204 : temps scolaire et temps de l’enfant, dispositifs d’aménagement mis en place à Épi (...)
• 158 « Un premier bilan rendu public aujourd’hui. Guy Drut : Généraliser les nouveaux rythmes scolaires (...)
• 159 « 10 questions que l’on se pose sur Claude Allègre », Le Figaro magazine, 10 septembre 1997 ; « Cl (...)
• 160 Monique Cartigny, « Table ronde sur les rythmes scolaires et les programmes organisée par Monsieur (...)
• 161 « Un troisième trimestre en peau de chagrin », Le Monde, 25 mai 1991 ; « Le gâchis de juin », La C (...)

41Après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, la réforme des rythmes scolaires est confiée à Guy Drut devenu ministre de la Jeunesse et des Sports (et non au ministre de l’Éducation nationale), qui s’appuie sur la politique municipale menée à Épinal par Philippe Séguin, un modèle et un laboratoire pour le RPR155. Dans cette ville, à partir de la rentrée 1989, les vacances d’été sont raccourcies et la semaine scolaire passe de 27 h à 22 h 30, du lundi au vendredi avec repos le mercredi après-midi, soit cinq matinées et un après-midi consacré au sport, et trois après-midis d’activités sportives et culturelles organisés par la collectivité locale156. Guy Drut lance une nouvelle expérimentation libérant trois après-midis par semaine pour le sport et la culture sur 170 sites pilotes, sur la base du volontariat157. Les résultats, concluants, incitent Jacques Chirac à les généraliser158, mais la dissolution de l’Assemblée nationale et la perte des élections législatives par la droite l’en empêchent. Pour Claude Allègre, ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement formé en 1997 par Lionel Jospin, « il ne doit pas y avoir une matinée avec cartable et une après-midi sans cartable. Cette conception a conduit soit à confier complètement l’après-midi à des intervenants extérieurs à l’école ; soit à rendre aux familles les enfants à partir de 14 heures »159. La consultation des syndicats d’enseignants et des fédérations de parents d’élèves, organisée par le ministère le 2 septembre 1997, achève d’enterrer « les expériences Drut », qui font alors l’unanimité contre elles160. De même, ces organisations déplorent toutes « le zonage des vacances d’hiver dans l’unique intérêt du tourisme, ainsi que le troisième trimestre ‟croupion’’ » mais divergent sur les solutions pour y remédier. Par exemple, afin d’éviter « le gâchis de juin » dans les lycées, la Fédération des PEEP propose de remplacer l’examen terminal du baccalauréat par un contrôle continu. Cette proposition provoque l’ire d’une partie des syndicats enseignants. Le SNES y voit un danger car « les détracteurs habituels du baccalauréat utilisent ces dysfonctionnements pour le discréditer ». Majoritaire dans les lycées, le SNES considère aussi que les élèves doivent avoir « la possibilité de passer les examens et d’être orienté en dehors des périodes de vacances », tandis que le SNALC préfère un remplacement « des commissions d’appel [des propositions d’orientation] amputant le troisième trimestre par un examen d’appel »161.

• 162 Yves Bottin, Michel Delaunay, Sonia Henrich, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primair (...)
• 163 « Les rythmes scolaires mobilisent les évêques », La Croix, 13 juin 1997.
• 164 Circulaire n° 98-119 et n° 98-144 sur l’aménagement des temps et des activités de l’enfant - mise (...)

42À la fin des années 1990, la semaine de cinq jours reste très répandue, avec des différences régionales cependant. Selon deux rapports de l’inspection générale, dans plus de 70 % des écoles, celles-ci fonctionnant le samedi matin dans 90 % des cas, le samedi sans école reste très demandé, notamment par les parents d’élèves et les enseignants162. C’est également la position de la ministre déléguée à l’Enseignement scolaire Ségolène Royal, qui souhaite un report de la classe du samedi au mercredi matin afin que le samedi soit consacré à la famille. Mais l’Église catholique reste attachée au « mercredi libre » et la conférence des évêques de France rappelle « la nécessité d’un temps pour la formation spirituelle et morale des enfants »163. La circulaire du 9 juillet 1998, cosignée par Ségolène Royal, Marie-George Buffet (ministre de la Jeunesse et des Sports), Catherine Trautmann (ministre de la Culture) et Claude Bartolone (ministre délégué à la Ville), crée les contrats éducatifs locaux (CEL) : ils ont vocation à intégrer les contrats ARVEJ, en vue d’organiser les activités périscolaires (accueil avant et après la classe, transport, restauration, activités du mercredi) et extra-scolaires (week-ends, vacances) des écoles et des collèges, afin d’équilibrer ces temps avec le « temps des apprentissages scolaires, qui relève de la responsabilité de l’Éducation nationale »164.

• 165 « La semaine des quatre jours n’a plus la cote », Libération, 27 août 2001 ; « Après dix ans d’eng (...)
• 166 Marie-Josèphe Challamel, René Clarisse, Francis Lévi et al., Rythmes de l’enfant : de l’horloge bi (...)
• 167 Dominique Borne, François Perret, L’emploi du temps des élèves au lycée. Rapport à M. le ministre (...)

43Le début des années 2000 correspond à une éclipse de ce sujet. « Après dix ans d’engouement, la semaine de quatre jours à l’école ne séduit plus », explique Le Monde, mais, en 2004, un tiers des écoles primaires ont choisi la semaine de quatre jours et le débat se déroule localement, dans le cadre académique ou départemental tandis que les familles recomposées questionnent aussi les rythmes scolaires165. Quelques rapports continuent par ailleurs à être publiés. L’un d’eux, rédigé par des experts de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), recommande d’éviter la semaine de quatre jours pour les écoliers tout en garantissant le repos du mercredi, et de retarder l’heure d’entrée quotidienne pour les collégiens et lycéens afin de respecter le changement se produisant à l’adolescence dans la structure du sommeil166. Un autre, de l’inspection générale, sur l’emploi du temps des lycéens, considère que les EPLE profitent insuffisamment de l’autonomie dont ils disposent depuis quinze ans dans le domaine de l’organisation du temps167 :

• 169 Antoine Prost, « Un Munich pédagogique », Le Monde, 28 mai 2008.
• 170 Yvan Touitou, Pierre Bégué, Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant, Académie nationale (...)
• 171 Odile Quintin, Christian Forestier, Des rythmes plus équilibrés pour la réussite de tous, rapport (...)
• 172 Ibid., p. 13-27 et 34.
• 173 « Rythmes scolaires : sous Sarkozy, ‘‘on n’était pas prêt’’, dit Chatel », L’Obs, 20 novembre 2013

44Le 28 août 2006, jour de rentrée anticipée pour les écoles françaises ayant choisi la semaine de quatre jours, le ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, déclare, à l’occasion de la visite d’une de ces écoles dans le département de la Somme, rejeter l’idée d’une généralisation de cette organisation. Mais le débat est relancé en 2008 lorsque son successeur, Xavier Darcos, décide de supprimer les classes du samedi et de réduire la semaine à 24 heures pour les écoliers (quatre journées de six heures), les enseignants gardant un service prévu de 27 heures. Dans une tribune, l’historien Antoine Prost s’y oppose vigoureusement en dénonçant une « catastrophe » qui se déroule dans l’indifférence générale, car réduire la durée d’enseignement, c’est réduire son efficacité, augmenter l’échec scolaire, notamment dans les classes populaires169. En mai 2010, la Cour des comptes publie un rapport sévère sur les politiques publiques d’éducation et la semaine de quatre jours en particulier. Au même moment, d’autres rapports estiment que la semaine de quatre jours est trop fatigante pour les élèves et prennent position pour un retour à la semaine de cinq jours, plus favorable aux apprentissages170. Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale de 2009 à 2012, organise une réflexion à partir de juin 2010 : est installée une Conférence nationale sur les rythmes scolaires, dont le comité de pilotage est présidé par Odile Quintin, ancienne directrice générale de l’éducation et de la culture à la Commission européenne, et par le recteur Christian Forestier. Dans le même temps, l’expérimentation « Cours le matin, sport l’après-midi » est mise en place pour trois ans dans 121 établissements, dont plus de 80 collèges171. Le rapport d’orientation du comité, rendu en 2011, préconise un retour à une semaine scolaire de quatre jours et demi et un allègement à cinq heures de la journée scolaire, qui se terminerait à 15 heures pour toutes les classes du premier degré et du collège jusqu’à la classe de cinquième, et serait prolongée jusqu’à 17 heures par un accompagnement éducatif, à l’initiative de l’Éducation nationale ou des municipalités. Le lycée est écarté de la réflexion globale, centrée sur les années de la scolarité obligatoire : des aménagements sont néanmoins souhaités mais concernent davantage l’année scolaire et les vacances qu’une réorganisation des temps pédagogiques quotidiens ou hebdomadaires172. Les calendriers de l’Éducation nationale étant fixés pour les trois prochaines rentrées scolaires, une éventuelle réforme ne peut être appliquée avant 2013. Le gouvernement formé par Jean-Marc Ayrault, dans lequel le portefeuille de l’Éducation nationale est confié à Vincent Peillon, prend appui à la fois sur des conclusions de la « conférence Chatel » et la concertation « pour la refondation de l’École de la République ». Luc Chatel déclare dès novembre 2013 adhérer au principe mais combattre le pilotage de la réforme des rythmes scolaires dans les écoles primaires mise en place par Vincent Peillon173. Celle-ci est actée par décret du 24 janvier 2013, qui revient sur la semaine de quatre jours en faveur d’une semaine de neuf demi-journées et fixe, pour une durée hebdomadaire de 24 heures d’enseignement sur 36 semaines, une répartition des cours sur neuf demi-journées, dont le mercredi matin, selon une formule très proche de celle expérimentée à Saint-Fons dans les années 1970-1980 :

• 175 Le décret du 7 mai 2014 autorise des dérogations, notamment le regroupement des temps quotidiens d (...)
• 176 Association des maires de France, « Enquête sur la réforme des rythmes scolaires », 99^e congrès de (...)
• 177 « Samedi : la bataille de la libération », Le Monde de l’éducation, n^o 217, juillet-août 1994, p.  (...)
• 178 « Rythmes scolaires : les communes à l’heure des choix » [dossier], La Gazette des communes, 12 ju (...)

45Cette réforme est appliquée dès la rentrée 2013 par les communes volontaires, puis généralisée lors de l’année scolaire 2014-2015. Avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017, les maires ont la possibilité de revenir sur cette réforme contestée, déjà assouplie par Benoît Hamon qui succède à Vincent Peillon en avril 2014175. Le financement de la réforme est le premier motif d’insatisfaction des maires, qui évoquent également la pression des parents et des enseignants176. En réalité, depuis les années 1990, peu de municipalités ont été à même de consentir un effort financier qui s’avérait considérable177. Un rapport sénatorial rappelle par ailleurs qu’aucune évaluation scientifique des conséquences de la réforme sur les apprentissages ou la fatigue des écoliers n’a été effectuée178. Le retour à la semaine de quatre jours apparaît comme un non-sens pédagogique selon plusieurs spécialistes de sciences ou d’histoire de l’éducation : selon eux, la semaine de quatre jours entraîne mécaniquement une diminution des jours de classe – une tendance séculaire (voir tableau en annexe) – et un recul inévitable des performances du système éducatif français et de ses élèves :

• 180 DEPP, « Les organisations du temps scolaire… », op. cit., p. 16.

46Au même moment, un rapport de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) conclut cependant que « les effets des organisations du temps scolaire sur le niveau des élèves, lorsqu’il y en a, sont d’une ampleur très limitée, et largement inférieure aux différences de réussite scolaire observées selon les caractéristiques sociales et culturelles des élèves »180.

• 181 Jean-Paul Delahaye, « La réforme des rythmes scolaires », in Alain Bergounioux, Gilles Finchelstei (...)

47Ainsi, des années 1960 aux années 2010, le débat et les changements se centrent progressivement sur la semaine scolaire puis le premier degré. Le premier tournant (1969-1972), en supprimant une demi-journée (le samedi après-midi), ouvre la possibilité de déplacer le samedi matin au mercredi ; le second (dans les années 1990-2000) débouche sur sa suppression, quasi irréversible en 2008. Entre temps, à partir des années 1980, les politiques d’expérimentation de la décennie précédente sont renforcées par la décentralisation éducative, une politique contractuelle et le renforcement des liens avec les partenaires éducatifs locaux et l’engagement complémentaire des collectivités locales dans l’action de l’Éducation nationale. Durant ce demi-siècle, les réformes oscillent cependant entre une ambition nationale et une gestion décentralisée – l’une n’étant d’ailleurs pas exclusive de l’autre – afin de tenir compte de spécificités locales. La première se confronte bien souvent à des acteurs aux intérêts très divergents et à une pression sociale, quand la seconde se heurte au principe d’universalité du système éducatif français. Aussi, se pose la question de la continuité et de la cohérence de ces réformes, subordonnées à l’ensemble de l’organisation sociale et économique, mais les logiques politiques, partisanes et gouvernementales peuvent aussi peser lourdement181.

• 182 Pierre Arnaud, Les savoirs du corps…, op. cit., p. 57-85.

48Au XIX^e siècle et pendant le premier XX^e siècle, le surmenage scolaire désigne autant la volonté de changer les rythmes scolaires et les préoccupations hygiénistes face au surmenage, que le problème récurrent des horaires et des programmes trop lourds dans l’enseignement secondaire. La politique scolaire de Jean Zay inaugure cependant les premières tentatives d’une nouvelle organisation du temps scolaire passant par un changement des pratiques pédagogiques. Celles-ci sont partiellement prolongées dans les années 1940, mais cette dimension n’est plus centrale ensuite. Pierre Arnaud considère même que les instructions ministérielles de 1946 sont sur ce point en recul par rapport à celles de 1937 et 1938182. À partir des années 1950, le droit aux loisirs, le développement des départs en vacances et l’action influente de divers groupes de pression changent la donne, sans faire totalement disparaître la question récurrente de la fatigue des élèves : c’est aussi le temps de l’émergence de la psychologie de l’enfant, de la chronobiologie et de la notion de rythmes de l’enfant. À partir des années 1980, les rythmes scolaires sont aussi envisagés comme un levier des politiques de réussite éducative dans le premier degré. La critique des rythmes scolaires se développe en effet dans un contexte où l’échec scolaire devient synonyme d’exclusion sociale : dès la fin des années 1970, le chômage de la jeunesse non qualifiée prend de l’ampleur tandis que la transformation progressive du système éducatif révèle les limites de la méritocratie de l’école républicaine.

• 183 Antoine Prost, Du changement dans l’école…, op. cit., p. 314-315.
• 184 Ibid., p. 316-325.
• 185 Bernard Toulemonde, Petite histoire d’un grand ministère, op. cit., p. 236.
• 186 Marie-Madeleine Compère (dir.), Histoire du temps scolaire en Europe, op. cit., p. 9.

49Aussi, depuis l’entre-deux-guerres, commissions et rapports se succèdent, a priori sans lendemain, mais souvent, les politiques éducatives relatives aux rythmes scolaires héritent partiellement et en les transformant de propositions et d’expérimentations antérieures, ce qui du reste n’est pas spécifique à cette question183. De plus, les expériences s’avèrent souvent difficiles à dupliquer. Autrement dit, les ingrédients sont connus, mais pas la recette. Alors que les promoteurs des réformes des rythmes scolaires ont privilégié une approche globale du sujet, la démarche suivie a plutôt été de procéder à des aménagements partiels et des retouches successives. Presque tous les gouvernements et tous les ministres, de droite comme de gauche, s’y sont plus ou moins employés. Les réformer, ne serait-ce que tenter de le faire, c’est aussi se heurter à un certain nombre de blocages, d’inerties, de résistances et d’intérêts, de la part des syndicats d’enseignants, des parents, de groupes de pression et de l’opinion publique, mais là encore, cela est le propre de toutes les réformes en éducation184. Comme l’explique Bernard Toulemonde, « avec les rythmes scolaires, le ministère de l’Éducation nationale se trouve en situation de ne satisfaire réellement personne et donc de mécontenter un peu tout le monde tant les intérêts en jeu sont contradictoires »185. Plus largement, « le temps scolaire peut être considéré comme un des lieux révélateurs d’une société toute entière » car il est un temps social parmi d’autres et sa remise en cause vient très souvent de l’extérieur de l’école186.

• 187 « Rythmes scolaires : les communes satisfaites du retour à la semaine de quatre jours », Le Monde, (...)
• 188 « Rythmes scolaires. Priorité aux enfants », Le Quotidien de Paris, 15-16 novembre 1986 ; « L’écol (...)
• 189 DEPP, « Les organisations du temps scolaire… », op. cit., p. 76.

50Depuis les années 2000, le débat s’est ainsi focalisé sur la libération du samedi et la semaine de quatre jours dans le premier degré. Ces deux organisations – l’une n’entraînant pas nécessairement l’autre –apparaissent commodes voire irréversibles, car elle s’inscrit notamment dans le cadre de la société des loisirs, auxquels la grande majorité des Français accordent une part grandissante. À la rentrée 2018, 85 à 90 % des communes représentant environ 80 % des élèves sont ainsi revenues à la semaine de quatre jours, une décision prise pour trois ans et renouvelable par les conseils d’école187. À cette occasion, comme depuis les années 1980, pédagogues et médecins considèrent que les enjeux éducatifs et les élèves sont les grands oubliés des organisations du temps scolaire188. Cependant, en France comme dans les autres pays d’Europe, « aucun type d’organisation [du temps scolaire] ne garantit en lui-même une meilleure réussite à l’école ni n’améliore automatiquement l’égalité des élèves face à la réussite » 189. Le débat est-il clos pour autant ?