• 2 Nancy Christie, Michael Gauvreau (dir.), The Sixties and Beyond: Dechristianization in North Ameri (...)

3Pour Jean-Marie Lustiger, comme pour Jean-Paul II qui en a fait l’un des principaux leviers de sa « nouvelle évangélisation », ces JMJ sont susceptibles de remédier à la « panne » des vecteurs traditionnels de transmission. Étudier ces grandes fêtes itinérantes comme des dispositifs d’éducation et de socialisation religieuses permet de saisir comment une institution confessionnelle, l’Église catholique, a cherché, depuis le milieu des années 1980, à s’adapter à la fin des identités religieuses héritées2.

• 3 Andrew Lynch, « Social Theory, Theology, Secularization and World Youth Day », New Zealand Sociolo (...)
• 4 Archives du Conseil pontifical pour les laïcs [désormais ACPL].
• 5 France, Canada, États-Unis et Philippines.

4Cette problématique a déjà été développée dans des travaux sociologiques, principalement anglo-saxons, menés « à chaud », dans le sillage d’une des éditions3. Il s’agit ici de la reprendre selon une perspective d’histoire globale à partir de plusieurs matériaux : documentation conservée au Vatican4 et dans les archives ecclésiastiques de quelques-uns des pays où les JMJ ont fait escale5, entretiens avec d’anciens protagonistes, données statistiques sur le rapport des jeunes à la religion, écrits pontificaux destinés à la jeunesse, etc. Après avoir présenté le contexte dans lequel les JMJ sont apparues, j’analyserai les moyens qu’elles mettent en œuvre pour « transmettre la religion » avant d’évaluer leurs effets sur le court et le moyen terme.

• 6 Roland J. Campiche (dir.), Cultures, jeunes et religions en Europe, Paris, Cerf, 1997, p. 64.
• 7 Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien, op. cit., p. 153.
• 8 Roland J. Campiche (dir.), Cultures, jeunes et religions en Europe, op. cit., p. 23 et 32.

5Les JMJ sont à saisir comme une tentative d’adaptation à l’affaiblissement de la transmission intergénérationnelle de la religion au cours des années 1960 et 1970 en Europe. Alors que les parents, même s’ils étaient personnellement éloignés de la religion, continuaient à faire baptiser leurs enfants et les inscrivaient au catéchisme, la « reproduction » confessionnelle tend alors à devenir de moins en moins automatique, de par la diminution de la socialisation religieuse au cours de l’enfance. L’enquête européenne de 1990 sur les valeurs montre que les personnes nées entre 1961 et 1972 sont 61 % à considérer avoir été « élevées religieusement » contre 69 % des personnes nées entre 1946 et 1960, et 78 % des personnes nées entre 1931 et 19456. Alors qu’à l’école, l’éducation religieuse disparaît ou entre en crise, les parents, même quand ils sont croyants, tendent à laisser de plus en plus de liberté à leur progéniture quant au choix des convictions ultimes. Guillaume Cuchet relève que ceux des années 1960, nés pendant ou avant la guerre, privilégient la négociation avec leurs adolescents en matière de religion, peut-être parce qu’ils les considèrent comme plus éduqués qu’eux7. Les parents des années 1970 amplifient cette attitude, du fait de leur valorisation de la liberté de conscience. La religion tend à cesser d’être un héritage pour devenir une option posée à l’issue d’un cheminement8.

• 9 Les créations, à partir des années 1840, des patronages, des aumôneries lycéennes puis, au début d (...)

6Dans ce contexte de sécularisation et de privatisation du croire, la période de la jeunesse devient encore plus cruciale pour l’Église catholique. Elle n’est plus seulement un temps de la vie durant lequel il faut protéger les acquis du baptême et du catéchisme, à travers des dispositifs de « persévérance »9, mais aussi un moment de première annonce du message chrétien. Que la socialisation religieuse ait été ou non assurée durant l’enfance, la jeunesse devient l’âge de l’adhésion personnelle et choisie à l’Église catholique. Jean-Paul II en prend acte, positivement, dans sa lettre apostolique Dilecti Amici (1985, § 3 et 13) : « [La] richesse [de la jeunesse] consiste à découvrir et en même temps à planifier, à choisir, à prévoir et à assumer les premières décisions personnelles, qui auront de l’importance pour l’avenir […]. La jeunesse est ‘‘le sculpteur qui sculpte toute la vie’’ […] ».

• 10 Jean-Marie Swerry, Christian Biot, Monique Chomel, Pierre de Givenchy, Jean Peycelon, Transmettre (...)
• 11 David Jacobus Bosch, Bruno Chenu, Jean-Marie Aubert, Jean-François Zorn, Dynamique de la mission c (...)
• 12 La Documentation catholique, 4 décembre 1977, p. 1018.

8Cette adaptation de la papauté à l’évolution sociale qui fait de la jeunesse le moment du choix autonome des convictions est facilité par l’évolution de la pensée catholique sur l’évangélisation lors du concile Vatican II (1962-1965). La répudiation de toute contrainte en matière de foi, la sacralisation de la liberté de conscience ainsi que la promotion du dialogue (Ad Gentes, § 12 et 13) trouvent un écho important chez les catéchètes et les aumôniers de jeunes. On passe d’une « théologie objectiviste de la grâce sacramentelle », selon laquelle la foi se développe naturellement chez un enfant qui est considéré comme appartenant de droit à l’Église (il suffit donc, après son baptême, d’encadrer ses pratiques et de lui transmettre des connaissances religieuses), à une théologie qui valorise la liberté de l’acte de foi et le consentement du sujet à la proposition qui lui est faite10. Ce déplacement, que l’on retrouve à la même époque dans le protestantisme11, a pu favoriser le glissement de l’attention pastorale de l’enfance vers la jeunesse : il amène en effet à privilégier l’adhésion au christianisme à un âge où les choix peuvent être librement posés. De manière significative, dans le rapport final du synode sur la catéchèse de 1977, le catéchuménat, une formation propre à l’adulte converti, devient le modèle de la socialisation religieuse12.

• 14 Denis Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, P (...)
• 15 Denis Pelletier, « Religion et politique autour de Mai 68 », Socio, n^o 10, mars 2018, p. 87-100 ; (...)
• 16 René Rémond, Aimé Savard, Aimé Savard interroge René Rémond. Vivre notre histoire, Paris, Centurio (...)
• 17 Feliciano Montero-Garcia, « La crise de la JEC en Espagne », in Gérard Cholvy (dir.), Mouvements d (...)
• 18 Lodewijk Winkeler, « Au-delà du concile : le catholicisme néerlandais, un laboratoire de renouveau (...)
• 19 Marta Margotti, « À la gauche de Dieu. Une géographie de la contestation catholique en Italie dans (...)
• 20 Le Monde, 13 novembre 1970.
• 21 Jaime M. Pensado, « A"Third Way" in Christ. The Project of the Corporation of Mexican Students (CE (...)

10Ironiquement, c’est au moment où les responsables catholiques placent leurs espoirs dans la nouvelle génération que celle-ci prend ses distances avec l’Église institutionnelle. Les années 1965-1975 sont en effet marquées par la multiplication des conflits entre les jeunes catholiques et les évêques. Les mouvements de jeunesse deviennent le lieu privilégié de la « crise catholique »14. Dans toute l’Europe occidentale, la fin du concile Vatican II, puis les contestations des années 1968, accompagnent la structuration d’un gauchisme chrétien. Qu’ils se proclament « chrétiens marxistes » ou « chrétiens critiques », les jeunes catholiques qui y adhèrent ont en commun de mobiliser la « rhétorique révolutionnaire » et l’« utopie communautaire » pour contester les structures de l’Église15. En France, en 1965, Mgr Veuillot, archevêque-coadjuteur de Paris et président de la Commission épiscopale du monde scolaire entre en conflit ouvert avec les responsables de la Jeunesse étudiante chrétienne, qu’il trouve trop engagés dans les combats politiques et pas assez dans la mission apostolique16. Des dynamiques similaires s’observent en Espagne, où la Jeunesse étudiante chrétienne rompt avec l’épiscopat (mars 1967)17, aux Pays-Bas, où le cardinal Alfrink et la paroisse étudiante d’Utrecht bataillent à propos de la célébration de l’eucharistie par des aumôniers protestants (carême 1969)18 ou en Italie, où les années 1968 libèrent les désirs de changements, jusqu’alors bridés par l’épiscopat, d’une partie de la jeunesse catholique19. Le mouvement ne se cantonne pas à l’Europe de l’Ouest mais s’observe aussi dans les pays du Sud, notamment aux Philippines20 et au Mexique21.

• 22 Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien, op. cit., p. 142‑154.
• 23 Pierre-Albert Chassagneux, « Aujourd’hui l’Église », Le Monde, 26 décembre 1975.
• 24 Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. 4 : l’école et (...)
• 25 Ibid., p. 569‑576 ; Danièle Hervieu-Léger, Vers un nouveau christianisme : introduction à la socio (...)

11À côté de ces conflits, l’ampleur du décrochage religieux qui s’opère au milieu des années 1960 constitue un deuxième symptôme de la rupture entre une partie significative de la jeunesse et l’Église catholique. Il était traditionnel, depuis la Révolution française, qu’une partie des 15-25 ans cesse de se rendre à l’église après la « communion solennelle », mais la désertion des baby-boomers et de leurs successeurs apparaît sans commune mesure avec celles des précédentes générations22. La fréquentation des aumôneries des lycées passe de 70 % en 1955 à 10 % en 197523. La dynamique est analogue pour les patronages, les mouvements d’Action catholique et dans une moindre mesure les scouts et les guides, dans un contexte de désaffection généralisée des mouvements de jeunes, bien au-delà du champ religieux : à partir du début des années 1960, les jeunesses communistes, les colonies de vacances, les mouvements laïques d’éducation populaire sont également récusés : « On réclame plus d’intimité en même temps que plus de responsabilité, et l’on reproche aux mouvements leur pesanteur hiérarchique »24. Dans un contexte de décloisonnement des campagnes, d’exode rural, et de desserrement du contrôle parental sur les fréquentations juvéniles, ces groupes n’apparaissent plus comme nécessaires pour rencontrer des « copains ». Le développement d’une sous-culture jeune de masse répond par ailleurs à la fonction d’identification que permettaient ces structures, qu’elles soient confessionnelles ou non25.

• 26 Albert L. Descamps, « Le Synode épiscopal, Rome (27 septembre-26 octobre 1974) », Revue théologiqu (...)
• 27 La Documentation catholique, 4 décembre 1977, p. 1017.

12En 1974, lors du synode des évêques sur l’évangélisation, si l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine apparaissent comme des continents religieusement dynamiques, dont les nouvelles générations sont intéressées par la communication du message chrétien, les Églises d’Europe et dans une moindre mesure d’Amérique du Nord sont présentées comme confrontées à la « désaffection des jeunes »26. Trois ans plus tard, lors du synode sur la catéchèse de 1977, les évêques notent que le dispositif éducatif du catholicisme est en crise : « nombre d’enfants et de jeunes ont difficilement l’occasion de rencontrer l’Église sur leur chemin. Souvent, le catéchiste se heurte à l’indifférence et même au refus »27.

• 28 José Casanova, Public Religions in the Modern World, Chicago, University of Chicago Press, 1994 ; (...)

13Face à l’échec apparent de la prophétie conciliaire, Paul VI maintient le cap d’une appréciation positive des nouvelles générations mais cherche à développer une nouvelle pastorale de la jeunesse. Dans Evangelium Nuntiandi (1975), il dessine le cap d’un « retour aux fondamentaux ». La crise traversée par l’Église manifesterait une forme de sécularisation interne, qui serait un effet pervers d’un excès d’engagement dans les questions temporelles. La priorité donnée aux engagements sociaux et politiques par les mouvements de jeunes proches de la théologie de la Libération aurait fait perdre de vue les préoccupations spirituelles et religieuses, à commencer par l’annonce « claire, sans équivoque » de Jésus-Christ. Tout en appelant l’Action catholique « à redécouvrir la passion pour l’annonce de l’Évangile », Paul VI met fin au quasi-monopole dont celle-ci disposait en matière d’apostolat de la jeunesse depuis Pie XI, en valorisant les « communautés nouvelles » de laïcs, créées pour les unes dans l’après-guerre en Italie (Focolari, Communion et Libération), en Espagne (chemin néocatéchuménal) ou en France (Taizé), pour les autres au début des années 1970 (communautés de l’Emmanuel, du Lion de Juda, etc.), dans le sillage du « Renouveau charismatique » nord-américain. Ces mouvements, qui ont en commun de mettre au premier plan la spiritualité et de contester la modernité sécularisée, participent de la « revanche de Dieu », un phénomène global qui caractérise la seconde moitié des années 1970 et la première moitié des années 1980, et qui se caractérise par les tentatives de groupes juifs, chrétiens ou musulmans pour remettre le religieux sur le devant de la scène publique28. Ces communautés, notamment l’Opus Dei et Communion et Libération, conjuguent une stratégie de « rechristianisation par le haut », qui passe par l’investissement des lieux du pouvoir politique et économique, avec une volonté de « rechristianisation par le bas », c’est-à-dire à partir des masses. Elles sont notamment très actives auprès des jeunes qu’elles réussissent à attirer, notamment dans des grandes rencontres : les Focolari organisent chaque année depuis 1971 le GenFest, un festival qui rassemble des dizaines de milliers de jeunes, tandis que la communauté de Taizé réunit 40 000 jeunes chrétiens dans le cadre d’un « concile des jeunes » organisé à la fin du mois d’août 1974.

• 29 ACPL, Czestochowa : Jean-Paul II, « Lettre à l’occasion du séminaire d’études sur les JMJ », 8 mai (...)
• 30 Max Weber, L’éthique économique des religions mondiales, 1915-1920, repris dans Max Weber, Sociolo (...)
• 31 Jean-Paul II, « Message aux jeunes du monde à l'occasion de la II^e Journée mondiale de la jeunesse (...)

14Jean-Paul II prolonge et accentue le tournant amorcé par Paul VI, auquel il succède en octobre 1978. Les JMJ, dont le « but premier » consiste à « recentrer la foi et la vie des jeunes sur la personne du Christ, pour qu’il devienne le point de référence constant29 » sont, d’une certaine manière, une mise en œuvre de la stratégie élaborée par son prédécesseur. Elles visent à transmettre aux jeunes qui y participent une religiosité de « virtuose », au sens où l’entend Max Weber, c’est-à-dire un rapport intensif avec « les biens de salut suprêmes »30. Les messages préparatoires aux JMJ, envoyés pour aider les jeunes à s’y préparer, expriment clairement cette priorité : « Je veux vous inviter tous, écrit Jean-Paul II à l’occasion de la JMJ de Buenos Aires de 1987, à croître en humanité, à donner priorité absolue aux valeurs de l’esprit, à vous transformer en ‘‘hommes nouveaux’’, reconnaissant et acceptant de plus en plus la présence de Dieu dans votre vie, la présence d’un Dieu qui est Amour […] »31.

• 32 Il propose notamment cette stratégie aux évêques français lors de visites ad limina. Voir : Bernar (...)
• 33 Gérard Defois, « Annonce explicite et visibilité de l’Église », in Gérard Cholvy, Bernard Comte,Vi (...)
• 34 Jean Rigal, « La Nouvelle Évangélisation », Nouvelle revue théologique, t. 127, n^o 3, 2005, p. 436 (...)
• 35 Richard W. Flory, Donald E. Miller (dir.), GenX religion, New York, Routledge, 2000 ; Charles Merc (...)

15Les grandes rencontres initiées par le pape sont ordonnées à une conversion individuelle, qui doit permettre dans un second temps les combats pour un monde plus juste. Outre la réaffirmation du primat de l’intériorité, on retrouve dans les JMJ un autre héritage de Paul VI, à savoir la reconnaissance et l’intégration des ressources des « communautés nouvelles ». C’est un prêtre de « Communion et Libération », Massimo Camisasca, qui a l’idée de l’organisation, à l’occasion de l’année 1984 (mille neuf cent cinquantième anniversaire présumé de la mort de Jésus-Christ), d’un « Jubilé des jeunes ». Le programme de cinq jours, qui constitue la matrice des futures JMJ, reprend beaucoup d’ingrédients propres aux nouveaux mouvements catholiques, très investis (notamment Communion et Libération et les Focolari) dans les préparatifs : importance de l’émotion et de la fête, mise en jeu du corps à travers le pèlerinage ou les prières gestuées, intégration des codes de la culture jeune notamment d’un point de vue musical, choix de l’intervention ponctuelle et de l’événementiel, accent mis sur la pratique des « sacrements » (quatre eucharisties et une forte incitation à la confession) et sur la transmission des contenus de la foi (trois catéchèses). De par toutes ces caractéristiques, le rassemblement participe à l’installation de la « nouvelle évangélisation » comme moyen de « reconquête » pour le catholicisme (il est d’ailleurs significatif que Jean-Paul II utilise pour la première fois ce mot l’année même, 1983, des préparatifs de ce jubilé)32. Ce nouveau paradigme marque une rupture avec la pastorale de l’« enfouissement » (promue par certains textes de Vatican II et selon laquelle les chrétiens devaient agir humblement et discrètement dans la société, « comme le levain dans la pâte »33), de par un retour au principe de visibilité et, partant, à l’annonce explicite et visible du message chrétien, notamment par l’utilisation de toutes les ressources possibles des moyens de communication34. Le succès du rassemblement (300 000 participants) semble montrer la pertinence de cette nouvelle approche, dans un contexte de crise des idéologies séculières et de renouvellement générationnel : les membres de la « Génération X », qui arrivent sur les rivages de la vingtaine en ce début des années 1980, semblent moins allergiques à l’institution religieuse que les baby-boomers35.

• 36 Sud-Ouest, 25 août 1997, p. 2.

17Sur le moment, elles apparaissent comme une modalité très efficace de diffusion du message catholique. Les chiffres spectaculaires de participation (jusqu’à 4 millions à Manille en 1995) sont bien supérieurs à la moyenne non seulement des rassemblements religieux mais aussi des manifestations culturelles, politiques et sportives organisées sur la voie publique. L’engouement populaire est d’autant plus remarquable si l’on tient compte non seulement des personnes qui se déplacent physiquement pour participer aux cérémonies, mais aussi des téléspectateurs qui assistent indirectement à l’événement par l’intermédiaire de leur petit écran : c’est ainsi que la veillée de la JMJ de Paris (août 1997), diffusée en direct sur France 2, est regardée par 3,5 millions de personnes, trois fois le nombre d’individus présents sur l’hippodrome de Longchamp où elle se déroule36.

• 37 Dans la mesure où l’enseignement catholique australien scolarise près de la moitié des élèves (Mic (...)
• 38 Richard Rymarz, « Who goes to World Youth Day? Some data on under-18 Australian participants », Jo (...)
• 39 Jean-Philippe Warren, « “Un chrétien seul est un chrétien en danger”», art. cit., p. 148.

18L’extraordinaire dynamique d’agrégation part du noyau de jeunes qui restent socialisés dans le catholicisme. Les délégations étrangères, notamment, sont très majoritairement constituées d’individus religieusement fervents. L’enquête menée par Richard Rymarz sur les adolescents scolarisés dans des lycées catholiques de la région de Melbourne illustre la force de l’ancrage confessionnel des jmjistes étrangers : l’affiliation et l’implication spirituelles du petit groupe d’élèves qui se sont inscrits à la JMJ de Cologne de 2005 apparaissent nettement plus fortes que celles du groupe témoin d’élèves issus des mêmes établissements37 : 79 % contre 14 % disent assister régulièrement à la messe, 51 % contre 7 % sont membres d’un groupe dans leur paroisse, 40 % contre 3 % participent à une activité religieuse dans leur lycée et 39 % contre 16 % prient au moins une fois par semaine. Ce contraste est lié au fait que, pour pouvoir financer leur voyage et leur séjour en Allemagne, ces lycéens devaient obtenir une aide de la part de leur paroisse ou de leur lycée, aide souvent conditionnée à la préexistence d’un investissement spirituel tangible. L’inscription à la JMJ nécessitait par ailleurs une forte motivation et supposait de participer à des réunions obligatoires de préparation38. En Australie comme ailleurs, ces rencontres préliminaires renforcent l’ardeur de ces jeunes virtuoses de la foi. Jean-Philippe Warren note, à partir de son observation de jeunes Québécois inscrits à cette même JMJ de Cologne, le processus de transformation à l’œuvre : les réunions destinées non seulement à se préparer spirituellement mais aussi à organiser le séjour, planifier les activités, récolter des fonds, provoquent un déplacement des objectifs initiaux : « Ils se laissent peu à peu prendre au jeu et les motivations culturelles cèdent devant la volonté d’un ‘‘partage du cœur’’ »39.

• 40 Philippe Portier, « L’Église catholique dans l’espace public en régime de “'seconde modernité'”. L (...)
• 41 Archives de l’archidiocèse de Québec, fonds JMJ 2002, boîte 18-420 : homélie de Mgr Couture, s.d. (...)
• 42 Conseil pontifical pour les laïcs, Que cherchez-vous jeunes pèlerins ? Jean-Paul II à Santiago de (...)
• 43 Archives de la Catholic Bishops’ Conference of the Philippines (Manille) : compte rendu de l’assem (...)

19Le mélange entre « convaincus », « tièdes » et « touristes » est sans doute plus important chez les pèlerins « indigènes », pour qui l’effort que demande l’inscription à la JMJ est plus mesuré. Cela dit, comme les étrangers, une partie de nationaux passent, avant l’événement, par des rites préparatoires qui « construisent doctrinalement »40 le voyage et permettent de « purifier » les motivations par trop profanes. En amont de la JMJ de Toronto (2002), l’évêque de Québec, Mgr Maurice Couture, s’emploie à faire entrer les jeunes inscrits dans la logique du pèlerinage au cours de « journées de ressourcement ». Ce qui fera le succès du rassemblement, leur dit-il, ce sera de s’être préalablement « endimanché » l’âme41. Cette activité de formation du « noyau dur » des futurs jmjistes vise à ce que l’expérience qu’ils s’apprêtent à vivre soit réellement structurante dans leur itinéraire personnel. Mais, comme le suggère le lien établi par Mgr Couture entre préparation spirituelle et réussite collective, ces épreuves préliminaires visent aussi à alimenter la dynamique de mobilisation. Avant même que l’événement ait commencé, elles transforment d’ailleurs les « ouvriers de la première heure » en ambassadeurs. Dans une enquête effectuée auprès d’un échantillon de participants à la JMJ de Compostelle (1989), ce sont les amis qui apparaissent comme le principal vecteur d’inscription (35,3 %), devant les paroisses (20,5 %), les mouvements et les associations (14,3 %) et les revues et quotidiens (8,9 %)42. Un jeune enrôlé est donc susceptible d’attirer un ou deux de ses contemporains. La mise en condition de cette « avant-garde » a aussi pour but d’en faire, le moment venu, le foyer de la contagion émotionnelle qui gagnera la foule. Comme le résume le secrétaire des évêques philippins peu de temps avant la JMJ de Manille, le dispositif préparatoire doit permettre que les jeunes « brûlent déjà d’enthousiasme quand le pape arrivera »43.

• 44 Libération, 25 août 1997, p. 6.
• 45 Évaluation de la JMJ de Rome, automne 2000, archives de la Conférence des évêques catholiques du C (...)
• 46 Danièle Hervieu-Léger, « Introduction », in Danièle Hervieu-Léger (dir.), Les Journées mondiales d (...)
• 47 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, P (...)
• 48 AIJML : intervention de Bénédicte au cours de la conférence de presse donnée par J.-M. Lustiger le (...)
• 49 Jean-Philippe Warren, « “Un chrétien seul est un chrétien en danger”…», art. cit., p. 151.

20De fait, l’énergie est au rendez-vous avant même que l’avion du pontife n’atterrisse. L’arrivée des premières délégations, puis la cérémonie d’ouverture présidée par l’évêque de la ville d’accueil, donnent lieu aux premières scènes de liesse, que l’« échauffement » préalable ne suffit pas à expliquer. La félicité collective est en effet aussi liée au fait que le noyau dur des participants est constitué de catholiques convaincus mais souvent inhibés, dans la mesure où ils ont le sentiment d’être à contre-courant de leur entourage : « Chez moi dans mon boulot, ça fait ringard d’être catholique » confie Marie-Ange, 30 ans, au quotidien Libération lors de la JMJ parisienne de 199744. Pour ces jeunes croyants qui ont le sentiment d’être minorisés et isolés, la réunion avec des contemporains qui vivent dans les mêmes situations qu’eux est extrêmement réconfortante : « Les jeunes ont été submergés d’émotion en voyant tous ces jeunes réunis qui partageaient la même foi » analyse la responsable de la pastorale des jeunes de Moncton (Canada) à l’issue de la JMJ de Rome45. Les jmjistes éprouvent une forme de fierté liée à la force du nombre46. On est tenté ici de faire un parallèle avec ce qu’Émile Durkheim analyse à la lecture des descriptions ethnographiques des rassemblements des sociétés traditionnelles australiennes, après de longues périodes de dispersion : « Le seul fait de l’agglomération agit comme un excitant exceptionnellement puissant. Une fois les individus assemblés, il se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte à un degré extraordinaire d’exaltation »47. Si l’événement est dynamisant, ce n’est pas uniquement parce qu’il réunit des semblables habituellement atomisés, mais aussi parce qu’il fait se rencontrer des différences ordinairement disjointes. Une scène de fraternisation entre jeunes issus de pays s’étant fait la guerre, un Notre-Père main dans la main chacun dans sa langue, une poignée de main avec « quelqu’un qui a une autre tête, une autre couleur »48 sont autant d’expériences qui génèrent le sentiment exaltant d’une « solidarité humaine qui transcende, sans chercher à les abolir, les différences et les frontières »49.

• 50 George Weigel, Witness to hope: the biography of Pope John Paul II, New York, Cliff Street Books, (...)

21L’arrivée du pape, figure totémique qui permet la coalescence des participants, fait monter d’un cran l’enthousiasme. Les phénomènes observés dès le début du pontificat de Jean-Paul II se reproduisent à chaque édition, quand bien même le vieillissement et la maladie amenuisent la vigueur et la force de séduction du pape polonais, et se poursuivent, dans une moindre mesure, avec ses successeurs. À Denver (1993), le pilote de l’hélicoptère, vétéran du Vietnam, aurait eu du mal à garder le contrôle de son appareil au moment de la descente vers le Mile High Stadium, à cause des acclamations des 90 000 jeunes qui créaient des turbulences50.

• 51 Le Parisien, 25 août 1997, p. 9.
• 52 Fabien Gaulué, « Le pari de popularité des JMJ 97 : chronique d’une mobilisation juvénile “mouveme (...)

22La concentration de ces pèlerins catholiques, remplis d’énergie par leur rencontre, a un effet de ralliement à l’événement par ondes concentriques. Les premiers touchés sont les jeunes catholiques qui se sont inscrits au rassemblement sans être totalement convaincus de son intérêt. Lors de la JMJ de Paris en 1997, Pierre, étudiant versaillais de 18 ans, qui a un peu hésité avant de participer « parce que l’ambiance de messe [le] rebutait » et qu’il a tendance « à douter de [ses] convictions religieuses » confie qu’il a été « pris par l’ambiance » et qu’il s’est « vu faire des choses qu’[il] n’aurai[t] jamais cru faire avant » : « Je me suis même baladé dans Paris avec le tee-shirt des JMJ alors qu’au début de la semaine, je refusais de le porter »51. Les catholiques qui ont entendu parler de l’événement, mais qui n’ont pas franchi le pas de l’inscription, soit que ce genre de rassemblement les indispose ou les indiffère, soit qu’ils se soient éloignés de l’Église, constituent une autre réserve de pèlerins. Certains qui, bien que non pratiquants, « gardent une connivence culturelle avec le christianisme et un attachement aux valeurs évangéliques » et ont, à ce titre, accepté de participer à l’accueil des pèlerins étrangers, se laissent gagner par l’enthousiasme général. La Croix raconte l’histoire de ce couple de Pau (Sud-Ouest de la France), qui décide de sauter dans un car pour Paris après avoir hébergé deux Seychellois : « Mon mari, qui n’est pas croyant, a été émerveillé. Moi, dont la foi est plus que tiède, je me suis sentie revivre »52.

• 53 « Denver Mayor Recalls », National Report, 6 septembre 1993.
• 54 Krissi Jimrouglou, World Youth Day 1993, a Pilgrimage of Faith, 1994 [mémoire universitaire souten (...)
• 55 « Neighbors open hearts to walkers », The Denver Post, 15 août 1993 [traduit par nous].

23Au-delà des catholiques culturels, le déploiement de l’événement provoque aussi la bienveillance, voire l’adhésion, d’individus qui ont un rapport très distendu ou inexistant avec le catholicisme, mais qui se retrouvent confrontés aux jmjistes sans l’avoir choisi. À Denver, alors que certains riverains des sites de rassemblement avaient exprimé leurs appréhensions et leur mécontentement, les habitants qui n’ont pas déserté les lieux réagissent dans l’ensemble très positivement à l’arrivée des pèlerins53 : « Voir ces milliers de jeunes gens positifs unis pour l’occasion renforce ma foi dans la jeunesse et montre qu’il y a de l’espoir pour le futur » confie une Denverite au jeune sociologue Krissi Jimrouglou, lui-même touché par une déambulation improvisée dans sa ville envahie de jmjistes : « à la fin de la nuit, j’étais moi aussi transformé par l’énergie collective de mes pairs »54. Le samedi, le long du parcours qui relie le centre-ville de Denver et le parc naturel où la veillée a lieu, une partie du voisinage se mobilise pour soutenir les pèlerins dans leur marche, en les saluant, les applaudissant ou en leur offrant des rafraîchissements. Des relations d’estime réciproque se nouent entre indigènes et étrangers, les premiers admirant la jeunesse et la ferveur des seconds qui louent en retour la gentillesse de leurs hôtes et la beauté de leur région. Selon le Denver Post, même les forces de l’ordre sont conquises. Mike Anderson, un officier de police chargé de superviser l’encadrement s’émerveille : « Ils sont polis, respectueux, c’est vraiment un régal »55.

• 56 Henri Tincq, entretien avec l’auteur, 28 novembre 2017.
• 57 Rocky Mountain News, 16 août 1993 [traduit par nous].
• 58 Fabien Gaulué, « Le pari de popularité des JMJ 97…», art. cit., p. 26.

24La bascule s’observe aussi parmi les nombreux journalistes qui couvrent l’événement. Leur volonté de neutralité initiale peut être submergée par l’intensité du rassemblement : « Quand on est sur le lieu, on peut être gagné par l’émotion, on sent que quelque chose se produit » confesse Henri Tincq, qui a couvert toutes les JMJ de Jean-Paul II pour Le Monde, à l’exception de celle de Denver56. Par leur intermédiaire, les médias d’information, et notamment la télévision, tendent à devenir, avec les jeunes et le pape, la troisième force de communication du message. En 1993, le Rocky Mountain News raconte l’histoire d’une femme divorcée, mère d’un enfant de 11 ans mentalement retardé. Bien qu’habitant à moins d’un mile du Cherry Creek Park où doit s’achever la JMJ de Denver, elle n’a pas prévu de s’y rendre, n’étant pas spécialement religieuse. Mais, voyant par hasard des images de la veillée sur sa télévision machinalement allumée, elle est touchée par le témoignage d’un jeune paralysé expliquant au pape comment sa foi l’aide à surmonter son handicap. Elle décide de participer à la messe finale du lendemain : « Quelque chose m’a dit d’y aller. Je ne dis pas que j’ai entendu une voix me disant d’y aller, mais… »57. Pour la JMJ de Paris, Fabien Gaulué suppose que le plus gros des effectifs ayant rempli l’hippodrome de Longchamp lors des célébrations finales « pourrait bien correspondre à une catégorie de jeunes socialisés dans l’enfance au catholicisme, faiblement impliqués depuis, et pour lesquels la diffusion télévisée d’images positives de cette grande fête chrétienne a pu raviver une conscience confessionnelle assoupie »58.

• 59 Le Monde, 18 août 1997, p. 6 ; Yves Lambert, « Un regain religieux chez les jeunes d’Europe de l’O (...)
• 60 Voir par exemple le témoignage d’Olga Sakun dans Marian Duda (dir.), VI Swiatowy Dzien Mlodziezy. (...)

26Concernant le sentiment de faire partie de l’Église catholique, la JMJ semble avoir un effet positif sur le court terme. Le rassemblement de Paris (1997) a sans doute contribué à renforcer le sentiment d’identification des jeunes Français au catholicisme : le pourcentage des 18-29 ans se présentant comme catholiques augmente de quatre points entre 1990 et 1999, alors qu’il avait baissé de 14 points entre 1981 et 199059. Mais plus que par les statistiques, dont l’interprétation est toujours délicate, les adhésions sont documentées par des témoignages recueillis par des journalistes ainsi que par des lettres reçues par les organisateurs. L’édition de Czestochowa (1991), notamment, provoque la conversion de plusieurs dizaines de jeunes soviétiques ayant participé au rassemblement sans avoir reçu d’éducation religieuse60.

• 61 Claude Dargent, « Changements religieux, espace public et croyances en Europe », in Pierre Bréchon (...)
• 62 Michael Lipka, « Millenials incriseasingly are driving growth of ‘‘nones’’», Pew research Center [ (...)
• 63 Yves Lambert, « Développement du hors-piste et de la randonnée », in Pierre Bréchon (dir.), Les va (...)
• 64 Doris Lamontagne, entretien avec l’auteur, 8 janvier 2015.

27Cette dynamique semble cependant limitée dans le temps. Pour la période postérieure à 1999, les chiffres de l’enquête européenne sur les valeurs dans les quatre pays européens ayant accueilli une JMJ sont orientés à la baisse, excepté pour la Pologne61. Des dynamiques analogues s’observent aux États-Unis, où ce sont les « nones », c’est-à-dire ceux qui refusent toute affiliation, qui deviennent au fil des années 2000 et 2010 les plus nombreux chez les 18-24 ans, au détriment notamment du catholicisme62. Cela n’a évidemment pas de sens d’interpréter ces chiffres à l’aune de la JMJ de Denver qui n’avait concerné que 0,5 % des jeunes Américains vingt ans auparavant, mais cette mise en perspective permet de nuancer l’idée parfois avancée selon laquelle les JMJ provoqueraient un retour durable des jeunes vers le catholicisme. L’« inefficacité » de moyen terme des JMJ en termes d’appartenance semble liée au fait que les conversions qu’elles provoquent ne sont pas assez nombreuses pour compenser les départs. Bien que le nombre absolu de baptêmes d’adultes et d’adolescents provoqués par les JMJ, et d’autres dispositifs pastoraux, augmente, il ne compense pas la croissance encore plus importante des défections63. Par ailleurs, les consolidations des appartenances ainsi que les conversions provoquées par les JMJ peuvent être de courte durée. Dans la suite du parcours de vie des jmjistes, l’influence du conjoint, ou du milieu professionnel, semble souvent plus forte que celle de l’événement qui reste néanmoins « un souvenir auquel ces jeunes se réfèrent de temps en temps »64.

• 65 Yves Lambert, « Un regain religieux chez les jeunes… », op. cit., p. 68 et 80.
• 66 Ibid., p. 73 ; Claude Dargent, « Quatre croyances en progression », in Pierre Bréchon, Frédéric Go (...)
• 67 Stefania Palmisano, Lorenzo Todesco, « The gender gap in religiosity over time in Italy: Are men a (...)
• 68 Yves Lambert, « Un regain religieux chez les jeunes… », art. cit., p. 76‑77.

28Du point de vue de l’évolution des croyances, l’effet JMJ est encore plus difficilement décelable. La confrontation des statistiques des pays européens où une JMJ a eu lieu avec celles de l’ensemble de l’Europe occidentale fait apparaître des tendances, mais pas d’effet systématique sur la période 1981-1999. Si l’Espagne enregistre, chez les 18-29 ans, une baisse de la croyance en Dieu, à la vie après la mort, à l’Enfer et au Paradis alors qu’elle a accueilli la JMJ de 1989, la France et la Pologne connaissent des augmentations supérieures à la moyenne65, dans un contexte général de regain spirituel chez les jeunes66. C’est en Italie, pays ayant accueilli le plus de JMJ et de grands rassemblements catholiques, que la revitalisation des croyances catholiques semble la plus complète, notamment chez les hommes67. En plus de ces comparaisons internationales, on peut mettre au crédit des JMJ le fait que la progression des croyances soit plus forte chez les jeunes qui s’identifient comme catholiques que chez ceux qui s’identifient comme protestants. En 1999, les premiers sont 82 % à croire en Dieu (contre 80 % des 18-29 ans catholiques de 1981) tandis que les seconds ne sont que 56 % (un chiffre en baisse par rapport aux 58 % de 1981) 68.

• 69 Richard Rymarz, « The Impact of World Youth Day », art. cit., p. 390.
• 70 Richard Rymarz, « It’s Not Just Me Out There: Type A Pilgrims at World Youth Day », Australian e-J (...)
• 71 Roberta Ricucci, « Giovani et la GMG. La “memoria” di un’ esperienza », in Franco Garelli, Raffael (...)
• 72 Conseil pontifical pour les laïcs, Que cherchez-vous jeunes pèlerins ? op. cit., p. 197.
• 73 Réginald Richard, Religion de l’adolescence, adolescence de la religion : vers une psychologie de (...)

29L’effet des JMJ sur les croyances apparaît avec plus de clarté dans les recherches quantitatives spécifiquement menées auprès de ceux qui y participent. Dans une enquête conduite auprès de jeunes Australiens douze mois après leur participation à la JMJ de Cologne (2005), Richard Rymarz note que 98,6 % des jeunes interrogés déclarent que l’événement a renforcé leur foi69. Cette intensification de l’adhésion personnelle au credo catholique semble tout d’abord liée à l’immersion temporaire dans une foule de pairs unis par les mêmes convictions. Partagées par une multitude de jeunes pèlerins, les croyances deviennent plus plausibles70. Mais la consolidation de la foi n’est pas seulement liée à la prise de conscience que celle-ci constitue un moteur pour des milliers de jeunes à travers le monde. Elle procède également d’expériences faites au cours du rassemblement. Perçues comme métaphysiques, elles semblent accréditer la validité du pari de la foi71. Le facteur qui déclenche celles-ci varie beaucoup d’un participant à l’autre, mais les enquêtes laissent apercevoir des régularités : dans celle menée à la JMJ de Compostelle (1989), les mentions les plus fréquentes sont « la rencontre avec le pape » pour 31,4 % de l’échantillon, suivie par le pèlerinage préalable pour arriver à Compostelle (24,1 %) et le rassemblement des jeunes sur le Monte del Gozo (16, 9 %)72. Le pape, la foule et les expériences faites en marge des grands rassemblements semblent être les trois principaux vecteurs de consolidation et de transformation des croyances. Les catéchèses, considérées comme déterminantes par seulement 8,7 % des pèlerins, n’apparaissent qu’en cinquième position. Ce fait semble indiquer que la foi des jmjistes est davantage fondée sur la dimension affective (Dieu comme être supérieur dont on peut ressentir la présence) que cognitive (Dieu comme sujet que l’on peut apprendre à connaître à travers les Écritures). Ce n’est pas un savoir transmis et appris mais l’expérience sensible du divin qui fonde le croire. En cela, les JMJ apparaissent comme une forme de réhabilitation de la mystique adolescente73.

• 74 « Mass attendance surges after papal visit », Rocky Mountain News, 26 août 1993.
• 75 Michael Mason, « Converts at World Youth Day » [paper presented at the Annual Meeting of the Assoc (...)
• 76 Archives du Center of Applied Research in the Apostolate (Washington DC): compendium of Vocations (...)
• 77 Jayeel Cornelio, Being Catholic in the Contemporary Philippines: Young People Reinterpreting Relig (...)

30Cette validation expérientielle du croire conduit-elle à une augmentation des pratiques religieuses catholiques (participation à la messe, aux sacrements, prière personnelle, observation des prescriptions morales) une fois l’événement terminé ? Sur le court et le moyen terme, on observe une dynamique, dont les effets sont perceptibles dans la ville où a eu lieu la JMJ, et au sein de la population des pèlerins revenus à leur vie normale. À Denver, les paroisses catholiques de la ville ne désemplissent pas dans les semaines qui suivent la visite du pape : le père Jayachandra, de la paroisse St. Thomas More, explique à la presse qu’il est obligé de mettre une partie de l’assistance dans la salle habituellement réservée aux enfants bruyants74. Concernant la population des jeunes pèlerins, les enquêtes menées en Australie cinq mois après la fin de la JMJ de Sydney auprès de 4 776 participants anglophones montrent une augmentation de la fréquence de l’assistance à la messe dominicale pour 27,2 % de l’échantillon (contre 72,8 % pour qui elle reste identique), de la pratique de la confession (37,7 %) mais surtout de la prière personnelle (56,3 %). Ces hausses vont de pair avec une intensification de l’engagement religieux : 46 % déclarent davantage contribuer à la vie de leur paroisse. Parmi la petite moitié de l’échantillon impliquée dans une organisation catholique (48,9 %), plus d’un quart (28,5 %) déclare que leur engagement est le résultat de leur participation à la JMJ. L’investissement personnel dans la foi se fait également de manière non formelle : 54 % des jeunes interrogés déclarent parler de leur foi avec des membres de leur famille et 61 % avec des personnes qui n’ont pas été à la JMJ75. Pour certains des anciens participants, les JMJ peuvent conduire à la prêtrise ou à la vie religieuse, si bien qu’au sein du champ catholique, elles sont parfois perçues comme la principale source des vocations. Pourtant, statistiquement, elles n’ont rempli ni les séminaires, ni les noviciats dont les effectifs continuent à diminuer, y compris dans les diocèses hôtes76. Cela pose de nouveau la question de la durabilité de l’effet JMJ, mais aussi de son impact social, une fois rapporté à l’ensemble de la population : concernant les pratiques, l’évolution statistique sur la période montre clairement que les JMJ n’ont pas provoqué de renversement de tendance dans les pays où elles ont eu lieu. Seule la prière personnelle tend à augmenter77.

• 78 Pierre-Olivier Trembay et Mgr Jacques Berthelet, entretiens avec l’auteur, 6 janvier et 16 janvier (...)
• 79 On retrouve là une question classique de l’histoire des missions intérieures, destinées à rechrist (...)

32Ce pari de l’intra-générationnel, qui va de pair avec les choix de l’international, de l’événementiel et de la communication médiatique, se montre efficace sur le moment et sur le court terme sur les plans des pratiques et du sentiment d’appartenance au catholicisme. L’effet semble cependant beaucoup plus incertain sur le moyen terme : les JMJ n’enrayent ni la dynamique de sécularisation, ni l’étiolement des engagements religieux, ni la dérégulation des croyances. Elles réussiraient à transmettre des émotions fortes, sans pour autant parvenir à ancrer durablement les participants dans le monde du catholicisme. Dans la mesure où elles mobilisent beaucoup d’énergie et d’argent, certains ont pu considérer, notamment au Canada, où le déficit qu’elles ont engendré a asséché le budget de la pastorale des jeunes sur plusieurs années, qu’elles étaient un investissement peu judicieux et qu’il valait mieux privilégier de nouveau une socialisation religieuse des 15-30 ans au plus près de leur milieu de vie78. Il n’en reste pas moins qu’on peut difficilement mesurer ce qui serait advenu si les JMJ n’avaient pas existé : celles-ci ont pu limiter l’affaissement du catholicisme. L’exemple italien, où la pratique du grand rassemblement a été la plus intense, et où l’on assiste à une consolidation des croyances catholiques depuis 1980, amène par ailleurs à se demander si une plus grande régularité du dispositif n’aurait pas conduit à consolider ses effets79.