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Dossier

Regards sur quarante ans d’éducation prioritaire

Entretien entre Catherine Moisan et Anne-Marie Chartier
A look at forty years of priority education. An interview with Catherine Moisan and Anne-Marie Chartier
Catherine Moisan et Anne-Marie Chartier
p. 159-185

Résumés

Dans cet entretien avec l’historienne Anne-Marie Chartier, Catherine Moisan revient sur son parcours professionnel, depuis sa participation au cabinet d’Alain Savary jusqu’à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l’Éducation nationale. Les temps forts de sa carrière en lien avec l’éducation prioritaire sont contextualisés et analysés. Quatre grands axes structurent cet entretien : les temps forts de pilotage et la gestion du dossier dans les cabinets Savary, Jospin et Royal, les obstacles rencontrés, la stratégie ; les missions et l’influence des inspections générales sur les processus décisionnels ; le rôle de la DEPP et la diffusion des connaissances auprès des politiques et des acteurs de terrain ; l’influence des travaux de recherche, essentiellement sociologiques, sur les priorités et les décisions des ministres.

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Texte intégral

Lydie Heurdier tient à exprimer toute sa gratitude à Catherine Moisan pour cet entretien. Ces remerciements sont d’autant plus sincères que, depuis plus de vingt ans, les prises de parole de Catherine Moisan sur le sujet ont été très rares. Un grand merci également à Anne-Marie Chartier pour avoir accepté de conduire cet entretien exceptionnel.

Si, comme l’ont montré les différents articles de ce dossier, la politique des ZEP témoigne du souci d’ancrer l’action éducative dans un territoire et de donner une large place aux acteurs locaux, elle n’en a pas moins été définie et pilotée au niveau national. En regard complémentaire, nous avons donc choisi de terminer ce dossier en donnant la parole à une des actrices nationales les plus importantes de la politique d’éducation prioritaire, l’une des plus au fait des évolutions de cette politique complexe, qui doit être appréhendée sur la durée. De sa participation au cabinet d’Alain Savary (février 1983-juillet 1984) à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performancea (DEPP), Catherine Moisan a croisé cette politique éducative tout au long de sa carrière, y compris en tant que responsable des écoles et collèges à la mairie de Paris. Elle avait participé à un premier entretien réalisé par le Service d’histoire de l’éducation (SHE) de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) le 19 mars 1998. Elle y retraçait son parcours professionnel, de ses débuts à sa participation au cabinet de Ségolène Royalb. Ce nouvel entretien couvre deux décennies supplémentaires et approfondit les périodes où elle a participé au pilotage de l’éducation prioritaire, à différentes fonctions et niveaux institutionnels. Vingt ans après son dernier article sur le sujetc, son analyse transversale et distanciée nous est apparue comme complémentaire des autres contributions du dossier, adossées sur des archives papier. Quatre grands axes ont structuré l’entretien : les temps forts de pilotage et l’implication du témoin (gestion du dossier dans les cabinets Savary, Jospin et Royal), les obstacles rencontrés, la stratégie, etc. ; les missions et l’influence des inspections générales sur les processus décisionnels ; le rôle de la DEPP et la diffusion des connaissances auprès des politiques et des acteurs de terrain ; l’influence des travaux de recherche, essentiellement sociologiques, sur les priorités et les décisions des ministres.

L’entretien a eu lieu le 15 novembre 2021 et a été retranscrit par Anne-Marie Chartier. Il a été relu par Catherine Moisan. Les notes ainsi que l’encadré introductif ont été ajoutés par Lydie Heurdier et la rédaction de la revue.

a. Le service ministériel chargé des évaluations et des statistiques a connu plusieurs appellations depuis les années 1980. Dans cet article, le sigle DEP (Direction de l’évaluation et de la prospective), en usage de 1987 à 1997 puis de 2003 à 2006, est également utilisé.
b. [En ligne] <http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/​archoral/​temoins.htm> (consulté le 9 novembre 2022).
c. Catherine Moisan, « Les ZEP : bientôt vingt ans », Éducation & formations, no 61, 2001, p. 13-22.

Anne-Marie Chartier : En quarante ans de vie professionnelle, de 1981 à aujourd’hui, vous avez joué un rôle de premier plan dans « l’éducation prioritaire ». Vous travaillez d’abord, même si c’est de façon discontinue, dans des instances de décision politique (les cabinets d’Alain Savary, de Jean-Pierre Chevènement, de Lionel Jospin, de Jack Lang, de Ségolène Royal) ; pendant huit ans, vous êtes responsable des écoles et collèges à la mairie de Paris, sous le mandat de maire de Bertrand Delanoë ; revenue au ministère, vous êtes directrice de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) de 2013 à 2017. Retraitée, vous présidez depuis 2018 le conseil de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ) de Créteil et l’AFAE (Association française des acteurs de l’éducation), vous publiez, vous cherchez toujours à combattre les inégalités scolaires.

Première question, pourquoi et comment avez-vous été recrutée au cabinet d’Alain Savary pour vous occuper des ZEP ?

  • 1 Au terme d’une scolarité à l’École normale supérieure de Sèvres, elle est reçue à l’agrégation de (...)
  • 2 Une des plus grandes prisons d’Île-de-France.

Catherine Moisan : Effectivement, il faut repartir de ma première nomination comme professeur en collège. Jusque-là, je n’avais fait que des maths. Après un passage bref au lycée de Sèvres où j’avais découvert les méthodes de l’éducation nouvelle, j’ai été nommée à la rentrée 1977 dans un collège du Plessis-Robinson1, dans une cité où se trouvaient réunis tous les cas sociaux possibles. Par exemple, un gendarme mobile, père d’un de mes élèves, avait tué sa femme sous les yeux de son fils ; deux autres élèves dont la mère se prostituait, attendaient dehors que leur mère ait fini de travailler, etc. J’avais en charge des classes de quatrième aménagées, où on réunissait des ados dont on savait qu’ils n’iraient pas au lycée. Ils passeraient en troisième pré-pro (CPPN, les classes préprofessionnelles de niveau) ou sortiraient pour aller faire un CAP et chercher un boulot, mais, vu l’environnement, il était probable que certains d’entre eux se retrouveraient bientôt à Fleury-Mérogis2.

Ce sont des années d’expériences que je n’ai jamais oubliées et qui ont été ma véritable formation. Dans ce tout petit collège, j’ai découvert la question des inégalités scolaires sur le terrain avec mes collègues et non à travers des lectures théoriques ou des débats politiques. Il faut dire qu’il y avait des gens fabuleux dans l’équipe pédagogique. Je m’entendais particulièrement bien avec les professeurs d’EPS, avec qui je faisais de grandes sorties en vélo ; j’ai travaillé avec une collègue de français, une PEGC (Professeur d’enseignement général de collège) qui était géniale. Évidemment, les relations avec les élèves étaient plutôt sportives. Quand j’ai été inspectée, l’inspecteur a demandé au principal si le fait d’avoir donné des classes aménagées à la seule agrégée du collège était une mesure de sanction ! Il y avait aussi beaucoup de familles algériennes ou marocaines. Je me souviens d’une famille marocaine qui m’avait invitée pour discuter de ses enfants : selon le schéma classique, le fils aîné avait fait « des bêtises » et s’était barré l’accès aux études, alors que ses sœurs étaient en réussite scolaire. Ils m’ont offert un couscous grandiose et on a pu parler très librement, alors qu’au collège on recevait les parents debout dans un couloir. Bref, j’ai appris ce qu’impliquait travailler avec les collègues, les familles, les élèves et aussi avec les maths : la question des erreurs, des exercices, des évaluations, etc. Il y avait des urgences sociales, mais elles n’écrasaient pas les questions didactiques et pédagogiques.

A.M.C. :Vous êtes partie au bout de combien de temps ?

  • 3 Le corps des PEGC a vu le jour en 1969, en remplacement du corps des maîtres de CEG (collège d’ens (...)
  • 4 Créées au printemps 1982 suite au rapport d’André de Peretti sur la formation des personnels de l’ (...)

C.M. : Au bout de quatre-cinq ans, j’ai eu le sentiment que j’avais bien appris. J’ai demandé mon changement et j’ai été nommée à l’école normale de Rouen. J’ai été reçue par une directrice qui m’a dit : « Je n’ai rien à vous faire faire, car je n’ai plus de PEGC ». On était en 1982, le recrutement venait de s’arrêter3. J’avais en tout et pour tout trois heures de cours, pour une remise à niveau de professeurs en poste, au titre de la formation continue. Mais les ZEP venaient d’être créées, la formation continue des enseignants du secondaire se mettait en place dans les équipes académiques des MAFPEN4, j’ai rencontré des collègues qui y travaillaient. On allait visiter ensemble les écoles et les collèges de Haute-Normandie, y compris les ZEP rurales, on discutait avec les enseignants de leur mise en place. Thérèse Delpech, qui travaillait au cabinet d’Alain Savary, est venue à Rouen pour écouter nos constats et nos projets, on a beaucoup discuté et quelques jours plus tard, elle m’a appelée : elle me proposait de prendre en charge le dossier ZEP au cabinet, j’avais 24 heures pour rendre ma réponse. On était au printemps 1983, je n’ai pas fini l’année scolaire à Rouen et c’est comme ça que je suis arrivée rue de Grenelle.

A.M.C. : Comment s’est passée l’arrivée au cabinet ?

C.M. : Les relations étaient chaleureuses et faciles, même si le boulot à inventer était difficile. J’ai adoré travailler pour Alain Savary. C’était quelqu’un d’exceptionnel. Par comparaison, tous les autres ministres que j’ai pu rencontrer ensuite m’ont déçue.

A.M.C. : Est-ce qu’il était vraiment acquis à l’idée d’éducation prioritaire ?

  • 5 Syndicat général de l’Éducation nationale.
  • 6 Syndicat national des enseignements de second degré.

C.M. : Complètement. Il était pour, c’était pour lui une décision juste, une mesure sociale et politique de gauche. Il faut bien rappeler que l’idée des ZEP, c’était Alain Bourgarel, appuyé sur l’expérience anglaise. Thérèse Delpech, Christian Join-Lambert (qui a rédigé les deux premières circulaires) y étaient eux aussi très favorables. Le projet avait été soutenu par le SGEN5. Quand je suis arrivée, le projet était acté et je n’ai rien su des rapports de force et négociations qui avaient précédé la décision. Bien sûr, le SNES6 n’a pas cessé d’être contre, ce qui n’a pas aidé à la mise en place dans les collèges.

A.M.C. : Parce que ça contrevenait à l’égalité des attributions de ressources ?

  • 7 Première de trois universités d’été, stages nationaux destinés aux acteurs de l’éducation priorita (...)

C.M. : Je dirais plutôt au principe d’uniformité des règles d’attribution. Les attributions ne sont jamais égalitaires, puisqu’elles dépendent de nombre de facteurs (dont l’ancienneté qui détermine le salaire des enseignants). J’étais chargée de faire le lien entre le cabinet et tous ceux qui géraient la mise en place des ZEP comme Pierre-Yves Duwoye et Jean-Claude Émin. Jean-Claude s’est tout de suite soucié de documenter les effets des ZEP et il a rédigé la première circulaire sur l’évaluation. Au cabinet, le directeur était Jean-Paul Costa, Christian Join-Lambert s’occupait du financement, j’avais à me soucier des mises en œuvre pédagogiques. On était presque tous des jeunes trentenaires, Yvon Robert devait régler la question des postes pour la rentrée, Thérèse Delpech rédigeait des discours du ministre et nombre des circulaires. On faisait tout ensemble. Thérèse était mon mentor, c’est elle qui m’a appris à écrire, non sans mal. Mon baptême du feu a été le 13 juillet 1983 quand Alain Savary a été invité par Christian Bachmann à l’université d’été sur les ZEP à Saint-Denis7.

  • 8 Voir notamment Christian Bachmann, Luc Basier, Mise en images d’une banlieue ordinaire : stigmatis (...)

A.M.C. : C’était une grande figure militante de Mai 1968. Il était sociologue à Paris 13 et conseiller à la mairie de Saint-Denis sur les questions d’immigration8.

C.M. : C’était un tribun mais aussi un homme de terrain. On savait que le ministre devait présenter l’opération ZEP devant une assemblée de militants. J’avais préparé son discours, non sans peine, il m’a appris dans la voiture qu’il n’avait pas eu le temps de le lire, ce qui m’a fortement stressée, mais il m’a assuré que ça ne ferait pas problème. Effectivement, il l’a lu parfaitement, j’ai vu sa rapidité à saisir les choses au quart de tour, puis il a répondu de façon bien plus « politique » aux questions de la salle, ça a été un moment très fort.

  • 9 Louis Legrand, Pour un collège démocratique : rapport au ministre de l'Éducation nationale, Paris, (...)
  • 10 Les lycéens et leurs études au seuil du XXIe siècle : rapport du groupe de travail national sur le (...)

On avait d’ailleurs le sentiment de vivre un moment politique important, une sorte de tournant historique où tout bougeait en même temps, avec la création des MAFPEN et des ZEP en 1982 ; au début 1983, le rapport Legrand sur les collèges9 ; le rapport Prost sur les lycées10. Évidemment, il y avait aussi la question politique des rapports avec le privé qui pesait énormément, puisque le grand service unifié d’éducation était une promesse de campagne de François Mitterrand, mais c’était en dehors de mon périmètre de travail.

  • 11 Jean-Pierre Despin, Marie-Claude Bartholy, Le Poisson rouge dans le Perrier, Limoges, Critérion, 1 (...)
  • 12 Jean-Claude Milner, De l’école, Paris, Éd. du Seuil, 1984.

A.M.C. : Comment est-ce que vous étiez touchés par ce qui secouait les médias ? Des pamphlets accusaient la gauche d’assassiner l’école (Le poisson rouge dans le Périer11, De l’école de Milner12, etc.) et de l’autre côté, de jeunes immigrés qu’on commence à appeler les Beurs, manifestaient contre les violences policières, etc. Or les textes ministériels d’alors ne parlent jamais de violence urbaine ni d’immigration, alors que les émeutes des Minguettes à Vénissieux faisaient la Une. La marche des Beurs, c’est décembre 1983.

  • 13 Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation entre 1981 et 1984 dans le gouvernement Mauroy.

C.M. : Effectivement, c’était à Lyon et pas en Seine Saint-Denis que s’affrontaient les policiers et les jeunes et le ministère de l’Intérieur soutenait évidemment une politique de sanctions. Je me souviens d’une réunion interministérielle où j’ai appris que Gaston Defferre13 envisageait de faire vérifier les titres de séjour des parents des enfants pour les scolariser. Je suis revenue en courant informer Savary, qui a réagi sur le champ. Il a réglé le problème directement avec le cabinet de Defferre en invoquant la loi organique qui stipule que tout enfant présent sur le sol français a droit à être scolarisé sans condition. Et ça s’est arrêté là.

  • 14 Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation créée par (...)

De fait, on ne considérait pas que les ZEP avaient à se soucier spécialement des enfants d’immigrés : toutes les études de la DEPP ont d’ailleurs montré qu’à niveau socio-économique égal, les taux de réussite des enfants d’immigrés étaient semblables à ceux des enfants français (parfois même un peu meilleurs). C’est ce que l’INSEE a repris sous Nicolas Sarkozy pour démentir Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, qui attribuait les mauvais résultats de PISA14 aux enfants d’immigrés. Ce constat des années 1980 est toujours vrai aujourd’hui. On avait à traiter des difficultés scolaires qui étaient massivement celles des enfants de milieu populaire, le plus souvent de parents ouvriers, quelles que soient les nationalités d’origine.

A.M.C. : Il y avait pourtant un débat autour des « Enseignements de langue et culture d’origine » (ELCO), avec des enseignants payés par leurs consulats.

  • 15 Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré.

C.M. : Les ELCO les plus nombreux venaient d’Algérie et du Maroc, ils faisaient des cours d’arabe maghrébin. C’est pourquoi Bruno Half, l’inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN) d’arabe, et Thérèse Delpech voulaient développer l’enseignement de l’arabe dans les collèges et les lycées pour éviter de le confier à des enseignants étrangers, peu formés, qui travaillaient sans contrôle ni relation avec les autres enseignants. Pour eux, l’arabe devait être enseigné comme une grande langue de culture, par des professeurs diplômés, sans être réduit à l’arabe maghrébin. Puisqu’on avait des enfants familiarisés avec l’arabe parlé par leurs familles, Thérèse Delpech pensait qu’il fallait profiter de cette chance, mais que l’apprentissage de l’arabe devait être ouvert à tous. On a augmenté les postes de CAPES15 et d’agrégation, mais les parents ont eu peur que le choix de l’arabe stigmatise leurs enfants. De toute façon, ces questions n’avaient pour nous rien à voir avec les ZEP : la violence, le racisme, la stigmatisation des origines, tout ça existait bien sûr, mais ça n’a émergé comme préoccupation centrale que plus tard.

  • 16 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Édition (...)

A.M.C. : La vulgate Bourdieu-Passeron sur « l’héritage culturel », la « reproduction » (1970), ou de Baudelot-Establet sur l’école capitaliste qui divise (1971)16, comment ça pesait dans le climat de l’époque ?

  • 17 Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire (CRESAS), équipe de rec (...)
  • 18 Institut national d’études démographiques.
  • 19 Notamment, Raymond Boudon, L’inégalité des chances, Paris, Hachette, 1973.
  • 20 Instituts universitaires de technologie, créés en 1966. Christian Fouchet a été ministre de l’Éduc (...)

C.M. : Cette vulgate était forcément en arrière-fond, mais pour nous, le mot d’ordre, c’était « l’échec scolaire n’est pas une fatalité », comme disait le CRESAS17. Et la part d’héritage culturel dont dépendait la réussite scolaire ne relevait pas des appartenances ethniques ou des origines étrangères, il était social. C’était la mission des ZEP de lutter pour réduire ces inégalités-là. Des études montraient bien qu’on pouvait réussir dans les quartiers nord de Marseille et à Garges-lès-Gonesse. D’ailleurs, le problème était de savoir ce qu’on entendait par « réussite scolaire ». Est-ce que c’est aller à Sciences Po ? Là-dessus, le débat entre Pierre Bourdieu et Raymond Boudon était très intéressant. Bourdieu pouvait bien voir l’école comme système de reproduction à travers les statistiques globales et les suivis de cohortes produits par l’INED18, mais Boudon adoptait la position des individus qui ont toujours un point de vue sur l’école : ils la subissent mais ils la jugent19. Et ils comparent leur situation à celle de leurs parents ou de leurs proches sur le marché du travail. Ce qui était clair, c’est que la vulgate Bourdieu mettait bien le doigt sur ce qui plombe l’école française : elle instaure un seul modèle de réussite, pyramidal, foncièrement élitaire, qui procède par exclusions progressives. C’est le modèle qu’a assimilé le corps enseignant. Et les politiques. D’après Jacques Narbonne, le conseiller éducation de De Gaulle, un des arguments invoqués par Christian Fouchet pour créer les IUT20, était d’empêcher « l’invasion des universités » : ce serait une voie pour tenir en lisière un public qui n’avait pas sa place à la fac. Cette façon d’ouvrir tout en maintenant les barrières sociales, je pense qu’elle est toujours là.

A.M.C. : Comment s’est passée la fin du ministère Savary ?

C.M. : En mars, il y avait eu une grande manifestation catholique à Versailles, mais les négociations continuaient. En revanche, la grande manifestation du 24 juin n’a pas mobilisé seulement les catholiques, mais toute l’opposition de droite. Mitterrand a retiré le projet de loi et Savary a remis sa démission le 17 juillet 1984. Le Monde de l’éducation a publié son « testament » sur les contenus de l’enseignement, que j’avais écrit pour lui. Et ça s’est arrêté là.

AMC : Pierre Mauroy a été remplacé par Laurent Fabius et Alain Savary par Jean-Pierre Chevènement.

CM : Alain Savary m’avait demandé de rester pour continuer le travail commencé. J’ai dû rester quelques mois, j’avais toujours le dossier ZEP, puis Chevènement m’a demandé d’écrire un discours sur la question. Il m’a expliqué que la pédagogie autoritaire traditionnelle était ce qui convenait le mieux aux enfants de milieu populaire. Je lui ai dit « Monsieur le Ministre, je n’écrirai pas votre discours », et je suis partie.

J’ai dû passer un an au Centre national de documentation pédagogique (CNDP), puis on m’a proposé d’aller à Bruxelles pour faire un rapport sur la formation continue des enseignants en Europe. J’ai voyagé, j’ai beaucoup appris des collègues étrangers, beaucoup lu, j’ai vu la variété des formations, continues mais aussi initiales. La question du traitement des inégalités scolaires n’était nulle part à l’ordre du jour des formations.

A.M.C. : Chevènement met les ZEP en sommeil, publie les instructions officielles de 1985, le Plan Informatique pour tous occupe les médias. En mars 1986, première cohabitation François Mitterrand-Jacques Chirac. Rue de Grenelle, René Monory ne défait pas les réformes héritées, alors que Michèle Alliot-Marie, secrétaire d’État, veut les abolir. En 1988, Mitterrand est réélu, Jospin est nommé ministre de l’Éducation nationale. En juillet 1989 la loi d’orientation, dite « loi Jospin », organise les apprentissages par cycle, crée les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) – qui recrutent après une licence –, le Conseil national des programmes (CNP), les évaluations annuelles en CE2-6e et fait des ZEP des « laboratoires d’innovation pédagogique ». Comment êtes-vous revenue au cabinet ?

  • 21 Le décret 90-806 du 11 septembre 1990 crée les indemnités péri-éducatives et les indemnités de suj (...)

C.M. : Olivier Schrameck, que je ne connaissais pas, m’a appelée. Il voulait que je boucle le dossier de la création du nouveau corps des professeurs d’école. À Matignon, le conseiller éducation de Michel Rocard était Antoine Prost. La dernière réunion de négociation a eu lieu dans son bureau, le décret est paru le 1er août. Il me semble d’ailleurs que l’indemnité de sujétion des ZEP21 faisait partie du paquet de mesures associées à cette création. Mais comme c’était Paquita Morellet qui s’occupait des ZEP, je n’avais plus à interférer sur le dossier.

A.M.C. : C’est le moment où on voit que les résultats attendus sur le terrain ne sont pas au rendez-vous. Comment est-ce que vous avez vu ça du cabinet ?

C.M. : Quand on travaille dans un cabinet, on ne voit rien. Tout ce qu’on percevait à travers les médias, c’est que les questions de violence étaient devenues prioritaires. Après les émeutes à Vaulx-en-Velin en 1990, le ministère de la Ville a été créé en juillet pour coordonner des dispositifs relevant de multiples ministères (logement, emploi, sécurité, éducation, loisirs etc.). Pour autant, même si les incidents paraissaient se multiplier (alors qu’ils étaient peut-être simplement davantage médiatisés), on ne faisait pas de la violence une cause des difficultés scolaires, on la voyait comme un des effets de la ségrégation urbaine et du chômage.

  • 22 Alors directeur de la DEP.

AMC : C’est à partir de ce moment qu’on mesure les écarts de réussite. En septembre 1989, on a les premières évaluations CE2-6e en français et en math. Des exercices venus du terrain sont triés et reformulés à la DEP, imprimés puis expédiés, et tous les élèves de CE2 et 6e passent le même jour ces épreuves qui sont corrigées sur place. Les résultats sont publiés assortis de commentaires. Claude Thélot22 voulait diffuser une culture de l’évaluation-diagnostic en la faisant pratiquer. Les enseignants pouvaient situer leurs élèves par rapport aux résultats locaux, mais aussi nationaux, avec les écarts entre ZEP et hors ZEP.

C.M. : Lire noir sur blanc les résultats obtenus a toujours un effet dégrisant, d’autant qu’il fallait présenter les résultats aux parents. Les inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) voyaient que les difficultés n’étaient pas forcément les mêmes d’une école à l’autre. C’est là qu’on voyait que certaines ZEP obtenaient des résultats supérieurs à la « moyenne ZEP ». Mais on ne savait pas très bien comment se faisaient les corrections des épreuves, on savait que certains enseignants aidaient leurs élèves et le coût d’organisation était énorme. L’opération a certainement eu des effets de formation, elle a appris à dissocier notation et évaluation par exemple. Elle a surtout mis en lumière des inégalités de réussite dont il fallait chercher les causes non à l’extérieur mais à l’intérieur du système scolaire.

  • 23 Élisabeth Bautier, Bernard Charlot, Jean-Yves Rochex, École et savoir dans les banlieues et ailleu (...)
  • 24 Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’échec scolaire à l’école p (...)

A.M.C. : En 1992, Bautier, Charlot et Rochex publient École et savoir dans les banlieues et ailleurs23, en 1993, Lahire publie Culture écrite et inégalités scolaires et La raison des plus faibles24, qui traitent l’un de l’école primaire, l’autre, des relations à l’écrit des milieux populaires. Qu’est-ce qu’un ministère a comme outil pour analyser comment l’école contribue à la réussite ou à l’échec ?

C.M. : Les chercheurs mettaient en avant les usages différentiels de l’écrit selon les milieux sociaux de façon qualitative. On pouvait avoir une autre approche à travers les évaluations statistiques. Claude Thélot a eu l’idée géniale de construire un indice de « valeur ajoutée » qui a permis d’en finir avec le palmarès des lycées classés selon leur taux de réussite au bac. Ce palmarès ne tenait aucun compte des caractéristiques sociales des élèves, ni des politiques sélectives des établissements (par exemple, orienter ailleurs les élèves faibles en fin de seconde, pour ne présenter que les meilleurs au bac). En 1993, l’IVAL, indicateur de valeur ajoutée des lycées, a permis d’intégrer ces données objectives dans les résultats et de valoriser des lycées où les enseignants faisaient réussir au bac des élèves qui auraient eu peu de chance d’y parvenir sans eux. La « valeur ajoutée », c’est un indice combinant l’effet-maître et l’effet-établissement. Ça n’a pas été facile de faire comprendre la méthode aux journalistes, d’autant que l’indicateur IVAL n’a cessé d’évoluer pour être plus précis, mais aucun ministre n’est jamais revenu en arrière.

A.M.C. : Lionel Jospin part en avril 1992, Jack Lang reste jusqu’en mars 1993, puis c’est la deuxième cohabitation François Mitterrand-Édouard Balladur qui nomme François Bayrou au ministère de l’Éducation nationale. Jacques Chirac est élu président de la République contre Lionel Jospin en 1995, si bien que François Bayrou reste ministre de 1993 à 1997, jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale. La gauche gagne alors les élections législatives et Lionel Jospin est nommé Premier ministre par Jacques Chirac. Jusqu’à ce que soient nommés Claude Allègre et Ségolène Royal en juin 1997, quelles sont vos missions sous le ministère de François Bayrou ?

  • 25 Catherine Moisan, Jacky Simon, Aménagement de la carte des ZEP : rapport intermédiaire, Paris, Min (...)
  • 26 En fait, après la création de la « prime », toute révision nationale ou académique de la carte des (...)
  • 27 Catherine Moisan, Jacky Simon, Les déterminants de la réussite en zone d’éducation prioritaire, Pa (...)

C.M. : Je deviens IGEN premier degré, mais je ne trouve pas ma place dans ce groupe du fait de l’absence de méthode de travail collectif. J’ai commencé des entretiens avec de jeunes professeurs d’école sur la question de recrutement. En 1993, Alain Boissinot était conseiller de François Bayrou ; en 1995, il est devenu directeur des lycées et collèges. C’est lui qui fait accepter au ministre le travail d’enquête sur les ZEP qui a duré deux ans. Le premier rapport date de 1996 et n’a pas été publié25, c’est là qu’on trouve la note sur l’indemnité ZEP. Je n’ai pas retrouvé ce qu’on a écrit. On trouvait juste de valoriser financièrement le surinvestissement que demandait ce travail, mais on n’a pas anticipé que l’indemnité allait bloquer la carte des ZEP, puisque les enseignants qui demanderaient leur changement verraient diminuer leur salaire26. Le second rapport, sur Les déterminants de la réussite scolaire27, a été achevé sous Bayrou.

A.M.C. : Il avait deux parties, des données statistiques, et trente-six études de cas montrant la variété des situations. Les douze déterminants de la réussite scolaire étaient tous internes à l’école. Comment ont-ils été élaborés ?

C.M. : Avec mon collègue IGEN Jacky Simon et la DEP, on avait mis au point une méthode d’enquête pour les protocoles d’entretiens. Une pléiade d’inspecteurs généraux sont allés dans vingt académies. Ils ont enquêté dans des ZEP, urbaines et rurales y compris à Bourganeuf (Creuse), la ZEP des bûcherons turcs. J’ai aussi fait un bon nombre de visites de terrain. Mais l’essentiel de notre travail était de relier les données statistiques et ce qui ressortait des entretiens avec les acteurs de terrain.

C’est le moment que j’ai trouvé le plus passionnant. Des réunions ont eu lieu dans chaque académie : autour du recteur, se retrouvaient les personnels d’encadrement, les inspecteurs impliqués et tous les coordonnateurs de ZEP. Ils avaient tous eu communication des données chiffrées. Pour ma part, je commentais ce qui ressortait des visites sur le terrain, je comparais les différentes ZEP de l’académie. C’est à partir des débats et discussions recueillis dans ces rencontres qu’ont été élaborés les critères de réussite. Tout le monde a pu saisir que les grandes ZEP étaient difficiles à gérer et que les ZEP avec un seul collège avaient de meilleurs résultats.

AMC : Le rapport publié a servi de référence plusieurs années. Il a été le point de départ de ce qu’on a appelé « la relance des ZEP » avec l’arrivée en juin 1997 de Ségolène Royal qui était en charge de l’Enseignement scolaire, aux côtés de Claude Allègre.

  • 28 Au collège, les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) accueillent des él (...)

C.M. : Ségolène Royal a tout de suite vu l’intérêt de la chose. Elle voyait là l’occasion de s’affirmer à côté d’Allègre, en se situant sur un terrain qui concernait à la fois les enseignants et les élus, maires et conseillers généraux. En octobre 1997, j’ai rédigé une circulaire pour organiser cette relance, mais je voulais partir des expériences de terrain. Les équipes avaient maintenant des repères pour faire un bilan de l’existant, l’état des lieux rédigé par le coordonnateur devait déboucher sur un « contrat de réussite » réaliste, agréé par le recteur, évalué au bout de trois ans. C’est ce qui a été présenté et discuté dans les vingt-sept forums académiques : des milliers de gens y ont participé, des praticiens ont pris la parole devant les autorités académiques, ont rencontré des collègues d’autres ZEP, ça a été très mobilisateur. On a ainsi préparé les Assises nationales, où se rencontreraient des praticiens, le personnel d’encadrement, des politiques, et des chercheurs. Le sociologue Dominique Glasman présidait le comité de pilotage des Assises, les universitaires avaient synthétisé des résultats de recherche, avec des questions et des propositions destinées au terrain. Yvon Robert, devenu maire de Rouen, pouvait nous accueillir dans sa ville, le train affrété depuis Paris est arrivé à bon port. Monique Vuaillat qui était à la tête du SNES a même été charmante, les seize ateliers se sont bien passés et Jospin a annoncé la révision de la carte des ZEP en s’engageant sur le suivi d’un pilotage national et académique. Et puis il y a eu la catastrophe finale. Ségolène Royal a fait venir sur le podium un élève de SEGPA28 qui s’est livré à une mise en scène d’autocritique, s’autoflagellant de ne pas avoir écouté assez ses merveilleux enseignants, ce qui a tétanisé le public. Je suis restée à l’extérieur, ne supportant pas cette exhibition et j’ai reçu ensuite des dizaines de messages de collègues furieux et indignés.

Bref, au retour à Paris, je suis allée voir Ségolène Royal pour lui dire de ne plus compter sur ma collaboration. Pour ne pas mécontenter les enseignants et les maires, elle a lâché sur la carte, si bien que le nombre d’écoles et de collèges classés a enflé, ce qui n’était pas exactement le but recherché.

A.M.C. : La relance des ZEP devenues REP « réseaux d’éducation prioritaire » a donc continué sans vous. Qu’est-ce que vous avez fait avant de rejoindre la mairie de Paris ?

C.M. : Claude Allègre m’a demandé de m’occuper de l’opération « Nouvelles chances », mise en place dans les académies par la Mission générale d’insertion (MGI), pour les gamins qui avaient décroché. Il s’agissait de définir un curriculum au sens anglo-saxon pour récupérer des adolescents qui avaient quitté leur SEGPA, le collège ou le lycée professionnel et avaient entre seize et dix-huit ans. Il fallait trouver des réponses leur offrant des modalités d’insertion professionnelle quasiment au cas par cas et évidemment beaucoup venaient des ZEP. Prévenir ce décrochage des moins de seize ans me semblait aussi important, et il fallait pour cela sensibiliser les établissements alors qu’ils ne s’en souciaient guère. Au contraire, beaucoup de collèges vivaient le départ de ces élèves comme un soulagement. J’ai beaucoup appris sur les parcours permettant de relier l’école et l’emploi, pourquoi en France, où beaucoup d’entreprises sont très petites, les patrons hésitent tant à s’encombrer d’apprentis, qui sont pour eux une charge plutôt qu’une aide, contrairement à l’Allemagne où les entreprises, plus grosses, les intègrent depuis longtemps. C’est ce qui ressortait aussi de la réforme des lycées professionnels, où je voyais les avantages et les difficultés de la formation en alternance. Mais mon expérience a tourné court, puisque Claude Allègre a dû remettre sa démission le 25 mars 2000. Il avait réussi à se faire haïr de tous les enseignants.

  • 29 Antoine Prost, Annette Bon, « Le moment Allègre (1997-2000). De la réforme de l'Éducation national (...)
  • 30 Bernard Toulemonde était alors directeur de l’enseignement scolaire (DESCO) tandis que Claude Thél (...)

AMC : Antoine Prost et Annette Bon ont publié un article dans Vingtième Siècle29, qui fait un bilan contrasté, avec des réformes réussies, pour le supérieur (réforme LMD, processus de Bologne signé par toute l’Union européenne), celles qui n’ont duré qu’un temps (les emplois-jeunes, les travaux personnels encadrés). La consultation des lycéens orchestrée par Philippe Meirieu a eu du succès et le conseil de la vie lycéenne a survécu. L’article insiste sur sa gestion autoritaire, qui a provoqué le départ de Claude Thélot et de Bernard Toulemonde30, et sa façon de fustiger les syndicats et les enseignants.

C.M. : Toutes les fois qu’il passait à la télévision, Claude Allègre ne pouvait pas s’empêcher de dire du mal des enseignants, qui ne travaillaient pas, étaient toujours absents, etc. C’était une personnalité clivante, tyrannique, mais visionnaire. Il voyait bien que sans des réformes rapides, l’école publique ne tiendrait pas devant l’avancée libérale internationale, alors qu’on l’accusait de la favoriser, ce qui est faux. Comme il avait fait installer Internet dans tous les lycées, les syndicats ont été débordés par des coordinations locales qui ont multiplié les grèves, dirigées autant contre lui que contre ses projets de réforme. Les profs brûlaient son portrait dans les manifs et il a réussi à coaliser contre lui l’extrême gauche altermondialiste et les conservateurs de « Sauvez les Lettres » qui défendaient le latin-grec. Ça a laissé des traces.

A.M.C. : C’est alors que vous partez à la mairie de Paris.

  • 31 Inspecteur général de l’Éducation nationale, Alain Geismar est conseiller du maire de Paris, Bertr (...)

C.M. : Jean-Richard Cytermann m’avait donné asile à la DEP, quand Alain Geismar31 m’a appelée en 2001, pour prendre la Direction des Affaires scolaires sous le premier mandat de Bertrand Delanoë. J’y suis restée huit ans.

A.M.C. : Qu’est-ce qu’on apprend dans ce genre de fonction ?

  • 32 Inspecteur de l’Éducation nationale, en charge d’une circonscription.
  • 33 Maire du 5e arrondissement de Paris depuis 1983, Jean Tibéri est maire de Paris de 1995 à 2001.
  • 34 Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles.
  • 35 Un dispositif de décharge de service d'enseignement spécifique est accordé aux directeurs des écol (...)

C.M. : Une autre façon de voir fonctionner l’école. Comme directrice de la Direction des affaires scolaires, la DASCO, je ne devais surtout pas m’occuper de pédagogie. J’ai donc vu l’école par d’autres entrées, celle des conditions de la vie scolaire, du côté des bâtiments, des cantines, des transports d’enfants, des prises en charge hors temps scolaire, des personnels dépendants de la mairie. Paris est à la fois une ville et un département, j’avais donc à me soucier des écoles primaires et des collèges, dans un territoire clivé entre les quartiers riches et les quartiers pauvres, sans pilotage pédagogique, où chaque IEN32 fait ce qu’il veut. Bertrand Delanoë avait promis un plan de rénovation des écoles, qui était une urgence. J’ai découvert que dans une ville aussi riche que Paris, beaucoup d’écoles publiques étaient dans un état lamentable. Jean Tibéri33 ne s’était soucié que de celles qui dépendaient de sa mairie du 5arrondissement. Mon premier travail a été d’établir un calendrier des travaux les plus urgents en négociant avec les maires d’arrondissement, en priorité dans les 18e, 19e et 20arrondissements. J’avais aussi la tutelle des agents de service, des assistantes en école maternelle, les ATSEM34 et des gardiennes, très amères d’être traitées comme un personnel de service invisible et corvéable dont on ne reconnaissait ni le travail, ni les droits. Il est vrai que les directeurs d’école jouissent à Paris d’une rente de situation incroyable avec leur décharge à plein temps et leurs appartements de fonction35. Mes relations avec eux ont souvent été tendues. Par exemple, ils demandaient aux ATSEM de surveiller les siestes, ce qui libérait d’autant les maîtresses. J’ai dû rappeler brutalement à une réunion d’inspecteurs qu’ils avaient à faire respecter le règlement : dès 13 h 30, les enfants sont sous la responsabilité des enseignants. Les confier à des ATSEM était un abus de service et elles avaient raison de se sentir exploitées et méprisées. J’ai aussi découvert que des IEN, des conseillers pédagogiques et des directeurs utilisaient les cars réservés au transport des enfants pour faire des sorties culturelles pendant le temps scolaire pour aller à Giverny ou ailleurs. J’ai mis fin à ces passe-droits, ce qui ne m’a pas rendue forcément populaire.

A.M.C. : Quels étaient les rapports avec les animateurs et les professeurs de la Ville de Paris ?

C.M. : Les professeurs de la Ville de Paris (PVP) déchargent les enseignants du primaire des cours de musique, d’arts plastiques et d’éducation physique. C’est un luxe inouï. La plupart font un travail remarquable, mais ni eux ni les enseignants parisiens n’ont plus conscience qu’il s’agit d’un incroyable privilège puisqu’il semble là depuis toujours. Ils n’ont aucune idée de ce que ce qui se passe au-delà du périphérique. Quand Xavier Darcos (ministre de l’Éducation nationale entre mai 2007 et juin 2009) a supprimé les cours du samedi matin (jour où ils ne travaillaient jamais), les PVP m’ont réclamé des aménagements d’horaire auxquels ils considéraient avoir droit comme leurs collègues professeurs d’école. Comme je leur ai ri au nez, ils se sont mis en grève !

Les animateurs, c’est autre chose. Il faut bien voir qu’à midi, on sert tous les jours cent mille repas et que certains enfants passent plus de temps avec leurs animateurs qu’à l’école, puisqu’ils sont accueillis avant et après la classe, vont au centre aéré tous les mercredis et, dans les quartiers populaires, ils y restent à temps plein pendant toutes les petites et grandes vacances. Les animateurs sont moins diplômés, ils sont plus jeunes et généralement très investis dans leur tâche. Ils ont avec les enfants des rapports souvent bien plus chaleureux que les enseignants. Mais c’est vrai qu’ils ne font ce travail que de façon transitoire, en attendant de trouver autre chose.

A.M.C. : Quelles relations avez-vous eues avec les Réseaux d’éducation prioritaire (REP) de Paris ?

C.M. : Il y avait une trentaine de collèges classés REP, et à part quelques îlots isolés dans les 11e, 13e et 14e, ils se trouvaient tous dans les 18e, 19e et 20e arrondissements. C’est là que les travaux de réfection des bâtiments avaient commencé. Mais je ne devais surtout pas m’occuper de pédagogie. La question s’est posée à moi en 2004, avec la suppression de la carte scolaire des collèges. En fait, elle n’était pas supprimée, mais autorisait et encadrait les dérogations. Ces dérogations existaient depuis toujours, mais elles se faisaient dans l’opacité des relations personnelles avec les autorités de l’académie. Finalement, la réforme obligeait à mettre les choses au grand jour, ce qui me semblait plutôt sain. J’ai donc dû négocier pour redéfinir les périmètres de sectorisation et c’est là que je me suis heurtée aux associations de parents. La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) tenait évidemment un discours très « politiquement correct » sur la mixité sociale, mais dans la pratique, c’était autre chose : tous les parents de classe moyenne qui peuplent la FCPE, voulaient pouvoir choisir le « bon lycée » pour leurs enfants. Par exemple, dans le 20e, on trouve les lycées Maurice Ravel et Hélène Boucher. Mais au lieu d’aller à côté de chez eux, les élèves partaient dans le secteur mieux coté de Gambetta. Les parents étaient tétanisés à l’idée de mêler leurs enfants à ceux qui venaient de la cité. On aurait pu franchir le boulevard dans un sens mais pas dans l’autre ! C’est là que j’ai découvert la force de ce double discours qui très souvent rend si ambiguë l’action des associations ou des syndicats. Mais en 2004, je voyais d’abord les évitements et fuites que provoque la ségrégation par le logement.

  • 36 Agnès Van Zanten, Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales, Paris, Presses u (...)
  • 37 Éric Maurin, La peur du déclassement, Paris, Éd. du Seuil, 2009.

A.M.C. : En 2009, Agnès Van Zanten publie Choisir son école36et Éric Maurin La peur du déclassement37. À Paris, les parents peuvent échapper à la sectorisation par l’enseignement privé. Quels étaient les rapports de la mairie avec les écoles privées ?

  • 38 Le « collège Stanislas » est un établissement d’enseignement privé du 6e arrondissement de Paris pr (...)

C.M. : La sélection sociale opérée par les écoles privées n’est pas identique partout : en Bretagne et dans le Nord, on a en gros le même public dans le privé et le public. À Paris, ce n’est pas du tout le cas. J’ai eu de très bons rapports avec le directeur diocésain. Il était d’autant plus content de venir me voir que j’étais tenue légalement d’augmenter le forfait d’externat. Mais quand je lui ai parlé de la sélection sociale des écoles privées parisiennes, il m’a répondu : « Madame Moisan, j’ai réussi à installer des SEGPA à Stanislas. Le jour où vous aurez installé des SEGPA à Henri-IV, on en reparlera »38. Je crois qu’il est ensuite parti en Seine-Saint-Denis.

  • 39 Anne Armand, Béatrice Gille, Contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des é (...)

A.M.C. : Pendant que vous étiez à la Ville de Paris, le ministère de l’Éducation nationale a vu se succéder Luc Ferry, François Fillon, Gilles de Robien, Xavier Darcos, Luc Chatel. En mars 2006, les REP les plus défavorisés sont remplacés par des « Réseaux ambition réussite » (une liste définie par le ministère), les autres deviennent réseaux de réussite scolaire (RRS) et sont choisis au niveau académique. En octobre 2006, le rapport Armand-Gille39 dénonce une carte inflationniste (20 % des collèges) et donc le saupoudrage des moyens, s’inquiète d’un pilotage rigide trop gestionnaire (demandes de tableaux de bord, rapports, remontées d’information) au détriment des orientations pédagogiques. Quelle est la situation quand vous revenez rue de Grenelle en 2009 ?

C.M. : Je ne me souviens pas avoir été sollicitée par Anne Armand et Béatrice Gille, mais je l’ai été par Jean-Paul Delahaye qui enquêtait sur les problèmes de gestion et pilotage dans les académies. Quand j’arrive en 2009, Xavier Darcos était parti, mais en deux ans, il avait réussi à supprimer 60 000 postes d’enseignants, les classes du samedi matin, la carte scolaire, les Instituts de formation des maîtres (IUFM), un vrai désastre.

Je reviens rue de Grenelle, mais à l’inspection générale vie scolaire. Comme j’étais correspondante pour l’académie de Versailles, ça m’a permis de travailler sur la réforme des lycées avec Alain Boissinot, devenu recteur à Versailles.

AMC : On crée en 2011, les internats d’excellence, les établissements de réinsertion scolaire (ERS) et le dispositif ÉCLAIR (Écoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) pour remplacer les RAR.

CM : L’arrivée des ÉCLAIR m’a alertée, car le dispositif prévoyait de prendre en compte des critères de violence, ce à quoi j’étais violemment opposée. La violence doit être traitée comme un effet, pas comme une cause. J’ai toujours défendu le principe de ne jamais prendre en compte des résultats, mais seulement les critères sociaux qui, en amont, sont des facteurs de difficulté. C’était comme l’idée scandaleuse de sortir de l’éducation prioritaire les ZEP ayant de bons résultats, ce qui serait absurde et injuste : ça reviendrait à punir les enseignants de leur trop bon travail.

A.M.C. : En 2012, François Hollande a été élu président de la République, Vincent Peillon est arrivé au ministère de l’Éducation nationale et vous prenez la direction de la DEPP.

C.M. : C’est Vincent Peillon qui m’a nommée à la DEPP. J’avais passé des années à intervenir toujours dans le court terme. Même si une circulaire engage le moyen terme, la rédaction d’une circulaire se fait toujours dans l’urgence. À la DEPP, on peut prendre du recul pour chercher à mieux comprendre et faire comprendre les multiples ressorts de la scolarisation. Ça a été un vrai plaisir de travailler avec les chercheurs de l’École d’économie de Paris, de discuter avec Julien Grenet sur les questions de ségrégation. On a accueilli beaucoup de doctorants, incité des économistes brillants et des jeunes chercheurs en sciences sociales à se préoccuper d’éducation. J’ai repris contact avec Antoine Prost qui est venu expertiser les archives, pour sauver les enquêtes faites à l’ère prénumérique, relevés à la main et doubles sur papier bible.

Travailler avec des chercheurs élargit l’espace de réflexion, oblige à prendre en compte l’international et donc à mieux voir les spécificités françaises. On ne va pas comparer la France à la Finlande ou à la Corée, les modèles sociaux sont trop éloignés. En revanche, l’Allemagne et l’Angleterre sont des pays proches du point de vue de la taille, de la géographie, de la richesse, de la structure démographique, comportant une population immigrée et confrontée aussi aux problèmes des ghettos urbains. On a une scolarité obligatoire longue, des enseignants primaires polyvalents et secondaires spécialisés, un partage privé/public, etc. Qu’est-ce que ces pays peuvent nous apprendre sur la France ?

A.M.C. : Est-ce que la DEPP a été conduite à chercher de nouvelles données ?

  • 40 Pour le premier degré, depuis l’arrêté du 20 octobre 2008 « portant création d'un traitement autom (...)

C.M. : De nouvelles données, non, on travaille à partir des données recueillies de façon systématique dans la Base-Élèves40 qui est très complète. Mais de nouvelles études, oui. On avait un programme de travail annuel, définissant les enquêtes et les publications à venir.

On a poursuivi le travail avec IVAL, indicateur de valeur ajoutée, qui a eu un succès médiatique incroyable.

  • 41 La dernière révision de la carte des classements en éducation prioritaire a eu lieu en 2014-2015, (...)

On travaillait à partir des panels de cohortes : 30 000 élèves d’un échantillon représentatif, dont on pouvait suivre la trajectoire à partir de leur entrée en sixième, avec un questionnaire fouillé. Les premiers panels avaient été construits à l’INED, par Alain Girard et Henri Bastide à partir des catégories socioprofessionnelles (CSP), dans les années 1960 ! Thierry Rocher et Olivier Monso ont créé un « indice social d’appartenance », bien plus fin que les CSP qui prend en compte la profession des deux parents, leurs diplômes, la variable garçon-fille, etc., de façon à construire un indice continu. C’est ce qui nous a permis de proposer au ministre une révision de la carte des ZEP41, en tablant uniquement sur ces indices externes qui pointent les environnements de plus ou moins grandes difficultés sociales.

AMC : Vincent Peillon a aussi introduit la formule « plus de maîtres que de classes », que Jean-Michel Blanquer a supprimée, avec deux maîtres par CP.

CM :On avait organisé une grande réunion internationale avec Marc Gurgand et l’École d’économie de Paris consacrée aux effets de la diminution des effectifs. La conclusion était que si la baisse est marginale, les effets seront marginaux. Donc l’idée de diviser les effectifs par deux n’était pas absurde. Sauf qu’elle ne touche pas au problème de fond, avec deux sujets de bagarre, politique autant que pédagogique, la ségrégation et la formation des maîtres.

A.M.C. : Ségrégation scolaire ou ségrégation urbaine ?

C.M. : Les deux. Premier sujet, la ségrégation urbaine. Elle crée des concentrations d’élèves en difficulté et on sait depuis longtemps que cette concentration accroît les difficultés, que les classes aient vingt-cinq ou douze élèves. Les élèves de « profil ZEP » mais habitant hors ZEP ont des meilleurs résultats que ceux qui sont en ZEP. Avant, on avait une ségrégation verticale, du fait des filières, aujourd’hui, on a une ségrégation horizontale, du fait des concentrations, qui produisent les fuites hors secteur dont on a parlé.

Question subsidiaire : est-ce que la mixité, disons l’hétérogénéité sociale, qui profite aux plus faibles, nuit aux meilleurs ? J’ai fait rechercher toutes les études qui auraient permis de répondre à la question. Les journalistes allaient évidemment la poser à Najat Vallaud-Belkacem quand elle a mis en place l’opération « Mixité » en janvier 2015 dans dix départements volontaires. Or, on n’a pas trouvé une seule publication montrant que la mixité sociale des classes était « nuisible » aux meilleurs.

D’où le deuxième sujet, celui des opérations souvent dites de « mixités scolaires », puisque l’institution scolaire ouvre ses classes de centre-ville à des jeunes de banlieues. L’arrivée des boursiers dans les grands lycées, les classes préparatoires, les facultés parisiennes et Sciences Po semble une opération réussie, puisque la population sociale de ces établissements bourgeois devient plus « mixte ». Mais en fait, rendre une population plus mixte socialement ne la rend pas forcément plus mixte au sens des acquis scolaires : de fait, au public habituel se sont ajoutés les boursiers qui ont eu des mentions « Très bien » au bac et qui viennent des départements limitrophes. Leur venue dans la capitale les fait disparaître des universités de la périphérie, si bien que la « mixité sociale » accrue des uns accroît la ségrégation scolaire des autres.

AMC : Dans l’opération pilotée par la région à Toulouse, on a évité ces écrémages : les collégiens du Mirail dont les collèges étaient voués à la démolition ont été affectés dans divers collèges de centre-ville et ils ont démontré leurs capacités de réussite, d’après les rapports d’Étienne Butzbach et Choukri Ben Ayed.

C.M : Que tous les élèves mis dans des bonnes conditions d’études réussissent pareillement, ça n’a rien d’extraordinaire, ça ne peut surprendre que ceux qui croient les enfants du peuple moins intelligents que les autres. Les capacités d’apprentissage et les apprentissages, ce n’est pas la même chose ! Mais le problème est celui des limites d’intervention (des pouvoirs publics, de l’administration) et des effets pervers que peuvent avoir certaines apparentes « bonnes solutions ».

A.M.C. : La DEPP avait-elle les moyens d’informer au-delà du cercle des spécialistes sur ces bonnes ou fausses bonnes idées ?

C.M. : Le travail d’information est sans fin car les problèmes se déplacent. Pour les suivre, j’avais relancé les Notes d’information qui sont des publications courtes, faciles à lire. La revue Éducation & formations, référencée comme revue scientifique par l’HCERES (le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) permet de réfléchir aux questions de fond. Mais on ne peut pas obliger les gens à lire.

A.M.C. : Dans vos conférences, qu’on peut revoir en vidéo, vous commentez toujours les évaluations. Vous pensez que les formateurs, inspecteurs, enseignants, cadres des rectorats n’ont pas cette « culture de l’évaluation » que souhaitait Claude Thélot ?

C.M. : Dans les conférences que j’ai pu faire en Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ) puis en INSPÉ, j’ai constaté que les formateurs ignoraient largement ce qui ressortait de ces enquêtes statistiques. Ils ne semblent pas voir l’intérêt de ces recherches pour leur travail et restent enfermés dans leurs spécialités disciplinaires. On en vient ainsi au deuxième sujet de combat qui porte sur la formation des maîtres. Si ceux qui forment des jeunes enseignants ne sortent pas de leurs disciplines, pensent que les évaluations ne sont que des compilations statistiques qui ne les concernent pas, je ne vois pas comment ils pourraient aider les futurs enseignants qu’ils forment à hiérarchiser leurs priorités.

Quand j’étais responsable de la DEPP, j’avais sélectionné deux cibles prioritaires : les ministres et les médias. Un ministre doit justifier une décision politique (sur la carte des ZEP, sur l’opération « Mixité ») avec des arguments bien documentés. Pour y parvenir, il faut qu’il en ait une idée claire, même sans rentrer dans des détails techniques. Pour les médias, je réunissais toujours les journalistes pour lire avec eux les résultats avant leur publication officielle : ils étaient très demandeurs, car ça leur permettait de ne pas se contenter de gloser sur les résultats bruts (recul de la France à PISA, ou baisse globale des résultats en maths). Je voulais qu’ils voient pourquoi on pouvait dire que le poids des déterminismes sociaux était bien plus fort chez nous que dans les autres pays d’Europe. Ce qui était grave, c’était l’accroissement des écarts entre les élèves, bien plus que les résultats moyens.

  • 42 Alain Michel, Xavier Pons (dir.), « “Le choc” PISA ? », Administration & éducation, no 145, 2015 ; (...)

AMC : Pourquoi ce qui est si scandaleux en France ne l’est pas en Allemagne ? Quand Xavier Pons regarde l’évolution des résultats entre le choc de PISA 2000 et les suivants42, il montre que la remontée de l’Allemagne dans le palmarès vient des meilleurs résultats des Gymnasiums : l’écart s’accroît avec les performances des filières plus courtes, Realschule et Hauptschule, sans que ça provoque une grande émotion dans les médias.

CM : C’est qu’en France, on a un système d’orientation qui est fait de sorties sans retour. En Allemagne, on n’est pas obligé d’aller à l’université pour faire carrière, les trois filières permettent de continuer vers des formations longues et qualifiantes. Et devenir ministre de l’Environnement comme Steffi Lemke. Ce que je vois dans le modèle de scolarisation à la française, c’est au contraire que les différentes strates en interaction convergent toutes dans le même sens.

Au niveau pédagogique, dans la classe, le modèle des relations professeur-élèves reste très descendant. Le « bon prof », c’est celui qui fait en sorte d’avoir une classe attentive, qui écoute, écrit et les bons élèves sont ceux qui sont « autonomes », c’est-à-dire qui restituent sans aide ce qu’ils auront appris en cours. Tous les gens qui sont entrés dans des classes en Allemagne ou en Angleterre, voient des élèves qui travaillent à plusieurs, se lèvent, changent de place, posent des questions et communiquent entre eux, ce qui horrifierait les enseignants français. Apparemment, ça n’empêche pas les élèves d’apprendre.

Au niveau didactique, je vois un butoir particulier à la France, qui est le statut de l’erreur. Dans les évaluations internationales, les élèves français ont le taux de non-réponse le plus élevé des pays d’Europe : ceux qui ne sont pas sûrs de la bonne réponse pensent qu’il vaut mieux ne rien écrire. C’est vrai même quand on leur demande leur jugement, leur impression personnelle sur un texte : ils n’écrivent rien, parce qu’ils se demandent quelle serait la « bonne réponse ». Cette paralysie devant la faute qui empêche justement d’apprendre par essais et erreurs ou d’émettre un avis personnel, où l’ont-ils acquise, sinon en classe ?

Enfin, au troisième niveau, l’organisation curriculaire verrouille les composantes du système en bloquant ses marges de jeu. C’est sans doute ce que j’ai appris en travaillant dans le dispositif « Nouvelles chances » et avec les « bacs pro ». Dans le système actuel, celui qui ne réussit pas est « orienté », en fin de troisième, ou en fin de seconde, vers des voies qu’il n’a pas choisies et que tous les profs lui ont appris à considérer comme des voies de garage et de honteuse relégation. Les parcours professionnels reposent sur une autre organisation : ce sont des « parcours sécurisés », bien plus rassurants pour des familles qui ne peuvent se projeter à long terme et n’ont pas de grandes ressources financières. À chaque étape, l’élève prépare un diplôme qui ouvre vers une entrée possible sur le monde du travail, mais qui n’empêche pas de continuer. Celui qui a obtenu un CAP peut continuer vers un bac pro. S’il a obtenu un bac pro, il peut faire un BTS.

À mes yeux, la notion de diplôme reprend alors tout son sens : désigner une qualification professionnelle. Le problème, c’est que ce modèle est complètement étranger à l’univers des enseignants, pour qui un diplôme est une labellisation académique. Qu’est-ce qu’on peut faire avec un bac général à part s’inscrire à Parcoursup ? Des filières « sécurisées » du type bac pro, c’est ce qui manque le plus dans l’enseignement secondaire général et dans l’enseignement supérieur, alors que nous perpétuons l’aspiration à des études générales longues, intéressantes pour elles-mêmes, destinées à « ouvrir l’esprit » en retardant le plus possible la question de savoir comment elles peuvent se raccorder au monde de l’emploi. Avec une licence de psychologie, qu’est-ce qu’on peut faire, si on n’est pas pris en master ? Rien.

A.M.C. : Vous êtes actuellement présidente du Conseil de l’INSPÉ de Créteil. Que dire de l’actuelle formation des maîtres ?

  • 43 La création d’un corps d’enseignants spécifique au collège, et leur possible bivalence, a été envi (...)

C.M. : Il y a plusieurs problèmes dans la formation des maîtres. Former de bons étudiants dans une discipline, ça ne suffit pas pour former de futurs professionnels. En France, les futurs enseignants de collège sont recrutés sur des concours qui testent leur capacité à enseigner en classe terminale de lycée (où la plupart n’iront jamais). C’est un cas presque unique en Europe. Partout ailleurs, les professeurs de l’école obligatoire (primaire et collège) sont formés ensemble avec une spécialité (maternelle, élémentaire, mathématiques, biologie, etc.). La réforme a été ratée sous Savary, qui a acté la fin des PEGC, ces professeurs de collège bivalents, sans créer un corps de professeurs de collège certifiés43. On connaît l’hostilité du SNES à la création de ce corps et le poids qu’il a acquis politiquement quand la Fédération syndicale unitaire (FSU) a gagné les élections contre la FEN en décembre 1993 : la culture « second degré général » du SNES est devenue la vision de la réussite scolaire de tous ses syndiqués. Elle est toujours en phase avec la vision disciplinaire des formateurs en INSPÉ.

Un deuxième problème, c’est le vivier des candidats, très inégal sur les territoires. L’insuffisance des candidatures est particulièrement grave dans le premier degré à Créteil. J’avais mis en garde Vincent Peillon, car il ne suffit pas de recréer des postes au niveau national pour résoudre les problèmes, il faut des gens pour les tenir. Il aurait été facile de reculer les dates des concours dans les académies déficitaires pour que puissent s’y présenter les recalés des concours sélectifs du sud de la France. Mais comme la solution n’a pas été retenue, il a fallu organiser pour Créteil un deuxième concours en urgence sur toute la France. On sait que les lauréats ne sont ni les plus motivés (ils espèrent repartir chez eux au plus vite), ni les plus qualifiés, ce qui contribue au cercle vicieux : ce sont eux qui débuteront en ZEP, accentuant les effets de ségrégation.

A.M.C. : Est-ce que c’était une bonne idée de retarder le concours à la fin du master ?

  • 44 MEEF : métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation.

C.M. : Je suis inquiète des effets de cette réforme décidée par Jean-Michel Blanquer, car j’y vois le risque d’une disparition de la formation professionnelle des enseignants du secondaire. Un étudiant qui choisit un master MEEF44 (spécialité enseignement) enseignera à plein temps après ses deux années de master, alors qu’un étudiant qui a choisi un master disciplinaire enseignera à mi-temps après ses deux années de master. En master MEEF, l’alternance entre pratique et formation n’est que de un tiers/deux tiers en deuxième année.

On voit bien que ce dispositif, inventé pour permettre une prise en charge progressive du métier n’est pas assez soutenu pour être attractif. On privilégie un retour vers la vieille formule des années 1960 : formation intellectuelle, concours, et ensuite seulement, découverte du métier.

Les formations professionnelles de débutants qui marchent bien sont les formations en véritable alternance, ce qui me semble la solution de l’avenir. Évidemment, la prise de fonction doit être progressive et accompagnée, avec un tutorat permettant de combiner l’observation et des prises en charge ponctuelles avant d’être seul en responsabilité, mais c’est possible puisque ça a été déjà fait au temps des IUFM. En outre, la question de fond, c’est celle du principe d’un concours.

A.M.C. : Et pour revenir sur les ZEP, pensez-vous qu’elles vont continuer d’exister ? Alain Boissinot pense qu’elles devraient relever d’une gestion académique, bien plus décentralisée.

C.M. : Les ZEP vont continuer d’exister, quel que soit le nom qu’on leur donne, oui. Sur la nécessité d’une gestion déconcentrée, avec des bilans dressés a posteriori, je suis d’accord aussi. Il faut bien souligner tout de même que les ZEP ne coûtent pas cher, puisqu’elles sont peuplées par des enseignants débutants. Les moyens supplémentaires qui leur sont attribués ne doivent pas cacher cette réalité : le coût d’un élève de ZEP est moindre que celui d’un collégien de centre-ville. Cependant, les questions de fond que la mise en place des ZEP a permis de rendre visibles ne concernent pas que les ZEP. La question de la ségrégation sociale et scolaire les déborde considérablement et oblige à prendre en compte le fonctionnement de notre système scolaire dans son ensemble.

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Notes

1 Au terme d’une scolarité à l’École normale supérieure de Sèvres, elle est reçue à l’agrégation de mathématiques. Elle enseigne deux années au lycée de Sèvres (1975-1977), avant d’être nommée au collège Nicolas Ledoux du Plessis-Robinson (1977-1982).

2 Une des plus grandes prisons d’Île-de-France.

3 Le corps des PEGC a vu le jour en 1969, en remplacement du corps des maîtres de CEG (collège d’enseignement général) créé suite à la réforme Berthoin (1959). Les PEGC, enseignants bivalents, étaient recrutés et gérés au niveau académique. Le décret du 30 mai 1969 les a intégrés dans la catégorie A de la fonction publique, celui du 21 octobre 1969 a attribué leur formation à des centres régionaux (CRF-PEGC), rattachés à l’école normale du siège de l’académie. Dans ce cadre, il existait une inégale répartition tant dans le nombre de recrutés que dans les sections privilégiées. Selon Dominique Bret, « entre la mise en place du corps des PEGC et son extinction, les effectifs des centres de formation ont diminué » (p. 83). Il est fort probable qu’à l’école normale de Rouen, le recrutement de PEGC maths-sciences physiques se soit arrêté avant la suppression officielle du corps par le ministre René Monory en 1986. « Créés pour faire la transition entre le maître polyvalent de l’école primaire et l’enseignant spécialiste d’une discipline, ils sont des artisans de la démocratisation du système scolaire ». Dominique Bret, « Entre primaire et secondaire : la formation des maîtres et professeurs de CEG », in Antoine Prost (dir.), La formation des maîtres de 1940 à 2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 72.

4 Créées au printemps 1982 suite au rapport d’André de Peretti sur la formation des personnels de l’Éducation nationale, les Missions académiques pour la formation des personnels de l’Éducation nationale (MAFPEN) étaient des administrations de mission, chargées de développer la formation continue, seul moyen efficace pour Alain Savary de « réformer en profondeur l’enseignement ». Antoine Prost, « La formation permanente », in Antoine Prost (dir.), La formation des maîtres de 1940 à 2010, op. cit., p. 171. Les MAFPEN ont intégré en 1998 les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et disparu en tant que telles.

5 Syndicat général de l’Éducation nationale.

6 Syndicat national des enseignements de second degré.

7 Première de trois universités d’été, stages nationaux destinés aux acteurs de l’éducation prioritaire sur leur temps libre, elle était organisée par des chercheurs et le groupe de pilotage national de la politique d’éducation prioritaire auquel participait J.-C. Émin. Lydie Heurdier, Vingt ans de politique d’éducation prioritaire dans trois départements français, Paris 5, 2008, p. 167-169, [en ligne] <https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/669976/filename/thA_se.pdf> (consulté le 9 novembre 2022).

8 Voir notamment Christian Bachmann, Luc Basier, Mise en images d’une banlieue ordinaire : stigmatisations urbaines et stratégies de communication, Paris, Syros alternatives, 1989.

9 Louis Legrand, Pour un collège démocratique : rapport au ministre de l'Éducation nationale, Paris, La Documentation française, 1982.

10 Les lycéens et leurs études au seuil du XXIe siècle : rapport du groupe de travail national sur les seconds cycles, présidé par M. Antoine Prost, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1983.

11 Jean-Pierre Despin, Marie-Claude Bartholy, Le Poisson rouge dans le Perrier, Limoges, Critérion, 1983.

12 Jean-Claude Milner, De l’école, Paris, Éd. du Seuil, 1984.

13 Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation entre 1981 et 1984 dans le gouvernement Mauroy.

14 Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation créée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques sont testées tous les trois ans.

15 Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré.

16 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964 ; Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Éditions de Minuit, 1970 ; Christian Baudelot, Roger Establet, L’école capitaliste en France, Paris, François Maspéro, 1971.

17 Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire (CRESAS), équipe de recherche au sein de l’INRP. CRESAS, L’échec scolaire n’est pas une fatalité, Paris, ESF, 1981.

18 Institut national d’études démographiques.

19 Notamment, Raymond Boudon, L’inégalité des chances, Paris, Hachette, 1973.

20 Instituts universitaires de technologie, créés en 1966. Christian Fouchet a été ministre de l’Éducation nationale, de décembre 1962 à avril 1967.

21 Le décret 90-806 du 11 septembre 1990 crée les indemnités péri-éducatives et les indemnités de sujétions spéciales. À Arras le 23 mars 1989, Lionel Jospin avait annoncé un certain nombre de mesures : « Il faut que l’institution scolaire reconnaisse l’engagement de ceux qui œuvrent auprès de ces élèves. C’est l’objet de la création de l’indemnité de sujétions spéciales que j’ai proposé dans le cadre de la revalorisation du métier d’enseignant ».

22 Alors directeur de la DEP.

23 Élisabeth Bautier, Bernard Charlot, Jean-Yves Rochex, École et savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris, Armand Colin, 1992.

24 Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’échec scolaire à l’école primaire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1993 ; Bernard Lahire, La raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires, Lille, Presses universitaires de Lille, 1993.

25 Catherine Moisan, Jacky Simon, Aménagement de la carte des ZEP : rapport intermédiaire, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, 1996. Archives nationales, 20110005/39.

26 En fait, après la création de la « prime », toute révision nationale ou académique de la carte des classements en éducation prioritaire, avec des entrées et des sorties du dispositif, est conditionnée par le nombre d’indemnités disponibles. Toute sortie du dispositif entraine, normalement, l’arrêt du versement des indemnités aux personnels.Ce qui a conduit à de nombreuses mobilisations et grèves à chaque révision.

27 Catherine Moisan, Jacky Simon, Les déterminants de la réussite en zone d’éducation prioritaire, Paris, INRP, 1997.

28 Au collège, les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) accueillent des élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes.

29 Antoine Prost, Annette Bon, « Le moment Allègre (1997-2000). De la réforme de l'Éducation nationale au soulèvement », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 110, 2011, p. 123-145.

30 Bernard Toulemonde était alors directeur de l’enseignement scolaire (DESCO) tandis que Claude Thélot dirigeait la DEP. Le parcours professionnel de B. Toulemonde est retracé à travers cinq entretiens réalisés par le SHE de l’INRP, [en ligne] <http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/archoral/temoins/105.htm> (consulté le 9 novembre 2022).

31 Inspecteur général de l’Éducation nationale, Alain Geismar est conseiller du maire de Paris, Bertrand Delanoë, en charge de l’éducation, de l'université et de la recherche, de 2001 à 2004.

32 Inspecteur de l’Éducation nationale, en charge d’une circonscription.

33 Maire du 5e arrondissement de Paris depuis 1983, Jean Tibéri est maire de Paris de 1995 à 2001.

34 Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles.

35 Un dispositif de décharge de service d'enseignement spécifique est accordé aux directeurs des écoles publiques de la ville de Paris. Sont aujourd’hui déchargés à plein temps les directeurs d’écoles de cinq classes ou plus ; en dessous de cinq classes, la décharge est à mi-temps. Tous les directeurs ne peuvent disposer d’appartements de fonction, en nombre insuffisant.

36 Agnès Van Zanten, Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales, Paris, Presses universitaires de France, 2009.

37 Éric Maurin, La peur du déclassement, Paris, Éd. du Seuil, 2009.

38 Le « collège Stanislas » est un établissement d’enseignement privé du 6e arrondissement de Paris proposant une scolarité depuis les classes de maternelle jusqu’aux classes préparatoires aux grandes écoles. Le lycée Henri-IV est un collège-lycée public du 5e arrondissement de Paris. Le collège Stanislas comme le lycée Henri-IV sont réputés être des établissements d’excellence.

39 Anne Armand, Béatrice Gille, Contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, 2006. Anne Armand a participé à la collecte d’archives orales dans le cadre du projet national d’archivage de la politique d’éducation prioritaire. Son témoignage est consultable aux Archives départementales de Seine-Saint-Denis : AD 93, 3320 W2.

40 Pour le premier degré, depuis l’arrêté du 20 octobre 2008 « portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l'enseignement du premier degré » ; pour le second degré, les données ont été d’abord enregistrées dans l’application Sconet, et depuis 2012 dans SIECLE (Système d'information pour les élèves en collèges et lycées et pour les établissements).

41 La dernière révision de la carte des classements en éducation prioritaire a eu lieu en 2014-2015, après une réflexion importante conduite les années scolaires précédentes. Lydie Heurdier, « Le pilotage de l’éducation prioritaire en France (1981-2017) », Les Dossiers des sciences de l’éducation, no 45, 2021, p. 57-75.

42 Alain Michel, Xavier Pons (dir.), « “Le choc” PISA ? », Administration & éducation, no 145, 2015 ; Nathalie Mons, Xavier Pons,  « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de “choc PISA” en France ? Sociologie de la réception d’une enquête internationale (2001-2008) », Revue française de pédagogie, no 182, 2013, p. 9-18.

43 La création d’un corps d’enseignants spécifique au collège, et leur possible bivalence, a été envisagée depuis les années 1960, mais n’a jamais abouti. En effet, les syndicats majoritaires de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), le syndicat national des instituteurs (SNI) pour le premier degré, le SNES pour le second degré, s’opposaient sur la place du collège dans le système scolaire français et le type d’enseignants en charge de ce niveau scolaire : est-il une école moyenne en continuité avec l’élémentaire ou bien l’antichambre du lycée ? Voir notamment les débats à l’occasion de la mise en place du collège unique : Laurent Gutierrez, Patricia Legris (dir.), Le Collège unique. Éclairages socio-historiques sur la loi du 11 juillet 1975, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. Sur l’échec de la constitution d’un corps de professeurs certifiés de collège, voir Antoine Prost, Du changement dans l’école : les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 2013.

44 MEEF : métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation.

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Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Moisan et Anne-Marie Chartier, « Regards sur quarante ans d’éducation prioritaire »Histoire de l’éducation, 159 | 2023, 159-185.

Référence électronique

Catherine Moisan et Anne-Marie Chartier, « Regards sur quarante ans d’éducation prioritaire »Histoire de l’éducation [En ligne], 159 | 2023, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 23 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/8450 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoire-education.8450

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Auteurs

Catherine Moisan

Inspectrice générale honoraire de l’Éducation nationale

Anne-Marie Chartier

Maîtresse de conférences en histoire, membre associé du LARHRA Lyon 2/ENS

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