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Prix des transports

Prix de transport et économie des circulations (xviie-début xixe siècles)

Introduction
Transportation Costs and the Shipping Economy (Seventeenth to Early Nineteenth Centuries): Introduction
Anne Conchon and Julien Villain
p. 3-14

Full text

  • 1 L. Mottu-Weber, 1983, p. 269-296 ; B. M. Roehner, 1996, p. 339-353.

1Alors qu’il existe dans l’historiographie de l’époque moderne une longue tradition d’étude des prix et de leurs fluctuations, tout particulièrement pour les subsistances et les biens immobiliers, ceux des transports n’ont donné lieu qu’à quelques travaux épars, par ailleurs assez anciens1. Cette lacune historiographique est d’autant plus paradoxale que, tout au moins pour les produits, les transports sont une composante essentielle des coûts de transaction.

  • 2 Voir K. G Persson, 2004, p. 125-147.

2L’intérêt porté par les historiens aux prix de l’acheminement des marchandises a surtout concerné le xixe siècle, notamment pour expliquer les économies d’échelles réalisées lors de la « révolution des transports »2. La baisse des prix est alors expliquée non seulement par l’extension des réseaux mais aussi par des progrès techniques – tels que le développement de la marine à vapeur et des chemins de fer, qui permettent l’augmentation de la capacité d’emport.

  • 3 L. Mottu-Weber, 1983, p. 269-296 ; B. M. Roehner, 1996, p. 339-353.
  • 4 C. H. Shiue, 2002 ; E. Buyst, S. Dercon & B. Van Campenhout, 2006.

3De façon générale, les quelques travaux qui ont traité de la question des prix de transport sous l’Ancien Régime l’ont, quel que soit l’espace étudié, principalement envisagée par mode d’acheminement. Les navigations maritimes ont ainsi donné lieu à plusieurs études au cours de ces dernières années3. Dans le cas des transports intérieurs, les recherches adoptent là encore souvent des approches modales et ont surtout traité des liaisons routières, du fait en particulier de la disponibilité des corpus de sources4. Il est rare en revanche que pour les échanges lointains soit prise en compte la totalité du trajet effectué. Même s’il semble difficile d’embrasser l’ensemble de la chaîne de transports dans le cas des expéditions au long cours recourant à la multimodalité, il apparaît essentiel de déterminer ce qui, des expéditions maritimes ou des circulations par voie de terre ou voie d’eau, coûte le plus cher dans un contexte de croissance des échanges et des mobilités.

  • 5 G. Federico, M.-S. Schulze & O. Volckart, 2018.
  • 6 D. Terrier, 2012, p. 109.

4Les prix de transport constituent assurément des variables essentielles pour comprendre la structuration géographique des marchés et leur degré d’intégration5. Comme le soulignait Didier Terrier dans une synthèse récente sur l’histoire économique, « la manière dont les produits destinés au marché intérieur sont transportés des lieux de production jusqu’aux lieux de commercialisation dans la France préindustrielle reste située, à bien des égards, dans une zone d’ombre6 ». Comprendre cette économie de la circulation se révèle d’autant plus important que l’historiographie actuelle sur les facteurs de la croissance au xviiie siècle tend à réévaluer le rôle de la circulation et des possibilités accrues d’écoulement des marchandises, par rapport à une explication fondée jusqu’alors principalement sur la conjoncture de la production.

  • 7 S. Scuiller, 2009.

5Dans cette perspective, l’objectif de ce dossier est d’abord de signaler des corpus de sources disponibles qui objectivent les prix du fret (lettres de voiture, correspondances marchandes, tarifs postaux, mentions consignées dans les écrits économiques…) et les potentialités de traitement de ces données7. Elles permettent de mesurer les variations des prix de transport dans le temps selon les modes de transport et en fonction des produits dans des marchés très segmentés, et dans l’espace à des échelles et sur des itinéraires précis. Il ne s’agira toutefois pas de saisir l’incidence des prix de transport sur l’infrastructure et les dynamiques économiques de l’ère préindustrielle – ni même le rôle que joue l’accroissement des échanges dans la formation des prix de transport.

1. Transports et intégration des espaces économiques avant la révolution industrielle

  • 8 R. H. Britnell, 1993 ; K. H. O’Rourke & J. G. Williamson, 1999, p. 29-55 ; J. Petrowiste, 2007.
  • 9 F. Braudel, 1979 ; T. Le Roux, 1996.

6À partir du xie siècle, les économies préindustrielles d’Europe occidentale ont connu une dynamique de commercialisation, une part croissante des biens produits et consommés passant désormais par les marchés8. Si une grande partie des marchandises consommées à la veille de la révolution industrielle étaient encore issues de la production locale, la proportion dans les consommations de biens en provenance d’espaces plus éloignés a indéniablement crû en très longue durée. Sans bien sûr que ce phénomène soit linéaire, ni même uniforme dans l’espace, on assista en effet, à partir de la seconde moitié du xive siècle, à un désenclavement progressif des économies locales et à l’intégration croissante des espaces économiques. Les circulations à longue distance ne concernaient plus seulement les marchandises de haut prix : certains marchés de produits de qualité moyenne ou médiocre, notamment d’étoffes ou de mercerie, connurent une extension spatiale leur permettant d’atteindre un gabarit régional voire interrégional9.

  • 10 S. R. Epstein, 2000 ; R. Grafe, 2012.

7L’extension de la taille des marchés permit plus généralement de faire entrer certains territoires dans une dynamique de croissance de longue durée10. L’accroissement des aires de marché rend en effet généralement possible la division du travail, la spécialisation locale ou régionale, les économies d’échelle et in fine le développement économique.

  • 11 A. Ferrer, 2002.

8Dans ces mutations, la logistique et en particulier les transports, par voie de terre ou par voie d’eau, jouèrent un rôle crucial. L’intégration des espaces économiques fut en effet rendue possible par le recul d’un certain nombre de contraintes, dont les plus déterminantes étaient sans doute la difficulté des acheminements et corrélativement le haut prix des transports. Les obstacles politiques et fiscaux à l’intégration des marchés, notamment douaniers, bien que non négligeables, ne doivent sans doute pas être exagérés. La contrebande était en effet massive du fait de l’enchevêtrement des lignes de douane. Nombre de formations étatiques n’avaient en outre pas les moyens de leurs ambitions, et n’étaient pas en mesure de mettre en œuvre les réglementations tarifaires ou les prohibitions qu’elles promulguaient11.

  • 12 D. Margairaz & P. Minard, 2008.
  • 13 D. Margairaz, 1984.
  • 14 F. Braudel, 1979 ; D. Gerhold, 1996.
  • 15 D. Ringrose, 1970 ; G. Turnbull, 1985 ; R. Grafe, 2012.

9Là où les contraintes d’acheminement au-delà de l’échelle locale se sont allégées, l’intégration des espaces économiques a progressé. L’information circulait mieux, permettant à divers entrepreneurs de connaître l’état du marché dans d’autres régions, tandis que la plus grande commodité des transports leur permettait de jouer plus aisément sur les différentiels de prix12. Des arbitrages ont ainsi été rendus possibles. C’était par exemple notable dans la France du xviiie siècle : alors que les correspondances des intendants sous Louis XIV signalaient fréquemment des cas d’abondance de grains dans une province quand la voisine souffrait de disette, l’équilibre ne pouvant se faire à cause de la difficulté des charrois entre espaces pourtant proches, on note au xviiie siècle une tendance à l’intégration des marchés des céréales13. De même, la construction de routes à péages (turnpikes) et de canaux dans l’Angleterre du xviiie siècle favorisa la formation d’un marché national et permit une amorce de spécialisation régionale, aussi bien dans l’agriculture que dans les manufactures14. À l’inverse, la mauvaise interconnexion des réseaux de transport et la médiocrité des infrastructures entretinrent la segmentation spatiale à l’intérieur de la péninsule ibérique : encore à la fin du xviiie siècle, l’Espagne restait un conglomérat de marchés régionaux faiblement intégrés entre eux15.

2. Interpréter les prix de transport

10Les prix de transport reflètent toute une série de contraintes (techniques, économiques ou structurelles), pour certaines spécifiques aux économies d’Ancien Régime. La première et la plus évidente tenait à l’état du réseau routier ou fluvial, ainsi qu’aux équipements qui y étaient associés – comme les ponts, les quais ou les chemins de halage. La deuxième consistait en l’existence d’un milieu de transporteurs suffisamment nombreux susceptibles de participer au convoyage des marchandises sur une large échelle géographique – ce qui supposait notamment un certain degré de spécialisation de leur part, et donc le recul de la saisonnalité de l’activité de transport. La troisième était liée à la profitabilité de l’engagement dans les activités de voiturage. Les entrepreneurs de transport n’étaient en effet disposés à acheminer des marchandises que s’ils y gagnaient : la charrette devait ainsi, autant que possible, être chargée au retour, la « contre-voiture » garantissant la rentabilité globale de l’opération.

11Dans une telle perspective, les prix de transport reflètent la plus ou moins grande facilité à acheminer des marchandises entre deux points. Leur formation résulte de la confrontation sur un marché entre une offre (des transporteurs et leurs voitures) et une demande – les commerçants désireux d’expédier des marchandises et les particuliers recourant aux messageries pour faire expédier des articles divers. Le prix élevé des voitures rend compte ainsi de la difficulté à trouver des transporteurs susceptibles d’effectuer une livraison, soit que le nombre de transporteurs disponibles soit trop limité par rapport à la demande, soit que l’interconnexion entre les territoires à relier soit médiocre. À l’inverse, un prix relativement bas témoigne soit d’une faible demande de transports dans une direction donnée, soit de la fluidité des échanges entre les espaces à relier – la forte demande étant satisfaite par une forte offre de transports.

  • 16 F. Eloire & J. Finez, 2021.

12Un prix de transport – élevé ou bas – n’exprime ainsi qu’imparfaitement l’état de l’offre et de la demande sur le marché des voitures. Un même niveau de prix peut être atteint sur un marché dynamique et sur un marché atone. Il peut être fixé en référence à une multitude d’autres opérations de même nature sur le même itinéraire ou bien être convenu entre le transporteur et le commerçant de façon circonstancielle et sans éléments d’estimation16. Pour être convenablement interprété, un prix de voiture doit en somme toujours être mis en regard de l’ampleur des flux sur l’itinéraire étudié.

  • 17 W. Kula, 2001 [1963].

13Il convient par ailleurs toujours de replacer les prix de voiture dans une série temporelle, de les comparer à ceux des marchandises transportées et de tenir compte des différentiels spatiaux17. L’évolution des prix des transports est en effet en longue durée un facteur déterminant de l’intégration des espaces économiques, et peut sur le court et le moyen termes contraindre les rythmes commerciaux ou contribuer à réorienter les flux de marchandises : il convient donc de faire apparaître les fluctuations des prix à différentes échelles temporelles. Le bon marché ou la cherté des voitures n’ont en outre de sens que par rapport aux prix des biens acheminés : c’est la baisse des prix des voitures relativement à celui des marchandises convoyées qui permet d’étendre ou de réorienter les flux commerciaux. Les prix sont enfin toujours situés, c’est-à-dire relatifs à un lieu donné : entre deux régions ou entre deux localités d’un même espace, les prix d’acheminement peuvent ainsi au même moment être différents, selon la plus ou moins grande commodité à les rejoindre, structurant de la sorte des flux commerciaux au sein du territoire étudié.

3. Les déterminants des prix de transport

  • 18 C. Carrière, 1973.

14Les prix des voitures correspondaient aux coûts supportés par les transporteurs auxquels s’ajoutaient leurs profits. Le niveau de ces coûts dépendait d’un complexe de contraintes structurelles. Se livrer au transport des marchandises supposait tout d’abord de posséder une ou plusieurs charrettes et des attelages, cheptel mort ou vif qui devait être amorti et entretenu. Les prix du bois, du fer, des animaux composant les attelages, des grains pour leur nourriture et des fourrages agissaient ainsi sur les coûts de transport. La plus ou moins grande facilité à convoyer les marchandises entrait aussi en ligne de compte : selon les saisons, la circulation était plus ou moins simple, et pouvait occasionner un certain nombre de surcoûts. La fragilité des marchandises acheminées nécessitait peut-être également un soin renforcé pour certains produits – verreries qui ne devaient pas être brisées, étoffes ou produits d’épicerie qui ne devaient pas prendre l’humidité, etc. –, ce qui supposait des surcroîts de dépense pour leur conditionnement18.

  • 19 H. C. White, 1981.
  • 20 P. Gervais, 2012.
  • 21 P. Deffontaines, 1934 ; É. Coornaert, 1961 ; R. Gascon, 1971.

15Une fois ces coûts absorbés, le profit réalisé par les transporteurs dépendait de la configuration du marché19. Dans les économies préindustrielles, celui des voitures était le plus souvent libre – même si les autorités politiques cherchaient à « policer » les grands chemins et les voies d’eau. Le nombre limité de transporteurs sur beaucoup d’itinéraires aboutissait dans les faits à la constitution d’oligopoles, qui pouvaient à l’occasion s’organiser en cartels20. L’étude des aires d’acheminement de plusieurs places de commerce met en effet en évidence l’existence de spécialisations locales dans le transport, les voituriers actifs sur un itinéraire donné se recrutant principalement dans un petit pays ou un groupe de villages. C’est ainsi qu’au xvie siècle les transporteurs de la Vôge, dans le sud de la Lorraine, prenaient en charge une bonne partie des acheminements de marchandises entre l’Italie du nord et Anvers, tandis qu’au xviiie siècle les voituriers du Grandvaux, dans le massif du Jura, occupaient une place éminente dans les échanges entre la métropole lyonnaise et les espaces du nord-est du Royaume – Franche-Comté, Lorraine et Alsace21. S’entendaient-ils sur les prix et imposaient-ils des niveaux élevés à leurs clients ?

  • 22 A. Conchon, 2016.
  • 23 D. Ringrose, 1970.
  • 24 A. Conchon, 2008 ; id., 2021.

16Sur les itinéraires ou dans les secteurs jugés stratégiques, les autorités politiques tâchaient cependant d’intervenir directement ou indirectement dans l’organisation des flux de marchandises. Ces initiatives influaient plus ou moins directement sur les prix de transport, par la fixation de prix tarifés ou par le biais de l’octroi à des groupes d’acteurs de privilèges les plaçant en position de monopole. Dans les années 1770, les Messageries royales bénéficiaient ainsi en France de l’exclusivité de l’expédition de marchandises de faible poids (inférieur à 50 livres) sur un certain nombre d’itinéraires, et imposaient à ce titre des tarifs particulièrement élevés à leurs clients22. De puissantes compagnies de muletiers s’étaient, quant à elles, vu attribuer le monopole de l’acheminement des céréales à Madrid23. Ces segments de marché étaient toutefois circonscrits, et la fraude ou le contournement y étaient vraisemblablement massifs. C’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que la Convention, l’État, face à l’augmentation des prix, dut se décider à réglementer les prix du transport marchand dans le cadre du Maximum24.

  • 25 J. Villain, 2015.

17Outre les facteurs structurels ou institutionnels, les formes et pratiques de négociation des prix jouaient probablement aussi sur le niveau de ces derniers. Les relations d’affaires étaient en effet encore fortement personnalisées, et les commerçants accordaient volontiers à leurs bons clients (leurs « pratiques ») du crédit ou des prix préférentiels. Il se peut ainsi fort bien que le prix de la voiture ait varié selon la longueur et la qualité de la relation d’affaires entre le voiturier et le marchand – de même qu’à prix de voiture équivalent le transporteur offrait fréquemment à son client fidèle quelques menues prestations supplémentaires, comme des remises de numéraire, du transport de lettres ou de menus achats25.

4. Les prix des voitures dans les pratiques économiques

18Les prix de transport étaient pour les marchands un coût qui grevait leurs marges bénéficiaires. Une réflexion sur les évolutions de longue durée, les variations conjoncturelles et les dénivellations géographiques du prix des voitures doit, par conséquent, tenir compte de l’intégration de ces prix dans les calculs et les stratégies d’affaires des commerçants. Quelle connaissance en avaient-ils ? Comment ajustaient-ils leurs activités aux variations des prix ? Dans quelle mesure pouvaient-ils les anticiper ? Et après tout, les prix de voiture pesaient-ils d’un poids si considérable dans les affaires des marchands, au point d’orienter leurs activités ?

19En longue durée, les prix des voitures contribuaient à la construction des aires de marché : les commerçants renonçaient aux chaînes d’expédition trop longues et trop onéreuses par rapport aux prix des marchandises lorsque le prix de transport risquait d’annuler les marges bénéficiaires. La baisse probable du prix des voitures au cours du xviiie siècle a sans doute contribué à l’extension séculaire des aires d’acheminement et de chalandise – sans toutefois les bouleverser. Mais plus que le long terme, c’était le court et le moyen termes qui intéressaient les commerçants, à l’échelle d’une ou de plusieurs années. Leur importait la prévisibilité des prix des voitures, d’une année sur l’autre comme en fonction des saisons, ce qui leur permettait une estimation aisée de la structure de leurs coûts. S’il n’est pas certain que les prix des voitures aient connu des évolutions brutales en longue durée, celles-ci pouvaient être très fortes sur le court terme, du fait de contraintes exogènes comme les guerres ou les accidents climatiques. Les commerçants étaient ainsi contraints de les subir, ou alors de chercher des solutions alternatives – qui en cas de perturbations continues amenaient à des réorientations vers d’autres itinéraires.

  • 26 J. Roubert, 1970.

20Le prix du transport ne représentait toutefois pour les marchands qu’une partie du coût global de l’acheminement. Pour faire venir des marchandises depuis un lieu d’achat, il leur fallait en effet souvent compter sur des chaînes logistiques coordonnées par leurs correspondants dans plusieurs localités : les transporteurs ne convoyaient les biens que sur les itinéraires rentables, garantissant des contre-voitures, et rares étaient ainsi les villes éloignées reliées directement par des voituriers26. Le transport des marchandises impliquait donc un travail de suivi, des échanges de lettres, des ruptures de charge, des coûts de stockage et le recours éventuel à des commissionnaires-chargeurs pour trouver des voituriers. Il n’est donc pas à exclure que des hausses de prix de transport aient pu être compensées par des progrès dans la chaîne logistique, grâce à la multiplication des voituriers et des commissionnaires : la voiture était peut-être plus chère, mais le temps de rupture de charge était plus réduit, diminuant le coût global des transports.

5. Les espaces et les temps des prix de transport

21Les trois articles réunis dans ce dossier cherchent à mesurer les évolutions conjoncturelles et les dénivellations géographiques des prix de transport à plusieurs échelles et pour différents types de mobilités avant l’avènement de la vapeur. Quelle part représentent les coûts de transport dans la formation des prix ? Quelle sensibilité présentent-ils aux prix des fourrages ou des chevaux ? Quel rôle peuvent jouer, selon les types de circulations, de prestataires et de produits expédiés, d’autres facteurs, tels que la disponibilité saisonnière de rouliers, la concurrence éventuelle de deux modes de transport sur certains axes ou les itinéraires desservis ? Dans quelle mesure les prix de transport sont-ils proportionnels à la distance ou à la vitesse ? Si la baisse des prix de transport au cours du xviiie siècle est assez bien établie par l’historiographie, il reste à mesurer l’ampleur différenciée de cette diminution. Correspondent-elles aux indications de mesure que donnent les auteurs du temps ? Le rapport entre les prix et les coûts devrait ainsi permettre d’apprécier les marges de profits des transporteurs et les gains de productivité de leurs entreprises.

22Ce chantier de recherche, engagé depuis une dizaine d’années, a donné lieu à deux journées d’études en 2009 et 2014 pour identifier de nouveaux corpus de sources (contrats notariés, lettres de voiture, tarifs, enquêtes…), saisir les données et élaborer de nouveaux questionnements. Il s’agissait de prendre en considération des modes de transports très divers : le transport de voyageurs, de marchandises et de courrier, les transports civils et militaires, les transports routiers, fluviaux et maritimes. Ce dossier a également pour objectif de réfléchir aux unités de mesure, en confrontant celles utilisées par les acteurs de l’époque (en fonction des saisons et au poids principalement) et celles qui sont aujourd’hui employées en économie des transports (tonne/km entre autres). L’étude des évolutions des prix de transport, de leurs variations tant conjoncturelles que géographiques, et de leur portée est aussi l’occasion de proposer une réflexion sur les méthodes de traitement et de visualisation des données.

23L’article de Julien Villain vise, dans cette perspective, à prendre la mesure de l’ampleur et des rythmes de la diminution du prix des voitures au xviiie siècle dans l’espace français. Sont mobilisées plusieurs séries de lettres de voiture confiées aux transporteurs pour être remises aux récipiendaires des marchandises convoyées. Partant du cas de places de commerce du nord-est du Royaume (Nancy, Besançon et Troyes, principalement), il s’agit ici de mettre en regard les séries de prix collectées avec celles déjà disponibles pour Lyon ou Marseille. Apparaissent ainsi des gradients spatiaux dans l’évolution des prix, relatifs non seulement aux différentes régions, mais aussi plus spécifiquement à chaque place et à son degré d’intégration dans les espaces commerciaux. Les prix et leurs dynamiques sont par ailleurs différenciés selon les produits. La tendance à la baisse des prix n’en est pas moins générale, et semble du reste participer d’un phénomène commun à toute l’Europe de l’ouest. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure cette baisse a bien pu contribuer à l’intégration des espaces économiques : selon les marchandises, le prix de transport ne représentait en effet pas un coût considérable si on le rapportait aux prix des biens ou aux marges bénéficiaires réalisées.

24L’article d’Anne Conchon s’attache à montrer le rôle de la distance, par rapport à d’autres facteurs, dans la détermination et la formation des prix de transport dans la France du xviiie siècle. Toute une série de dispositifs de tarification intègrent une métrique des distances de circulation : les tarifs fournis par les entreprises de transport ou mentionnés dans les guides de voyage, les enquêtes et les lettres de voiture en fournissent des expressions différentes. Les prix du fret ne se révèlent cependant pas nécessairement proportionnels à la longueur des distances de transport : les sens de circulation, la géographie des ruptures de charge, la localisation des commissionnaires et l’espace d’action des voituriers contribuent ainsi à déformer l’espace des prix.

25L’article de Werner Scheltjens propose une analyse des « Hamburgische Waarenberechnungen », une collection de calculs de coûts pour le commerce de marchandises de Hambourg, compilée, imprimée et publiée en 1772. L’article présente cette source, indiquant environ 600 calculs de coûts plus ou moins standardisés pour des marchandises expédiées vers et depuis le port de Hambourg en la resituant dans le contexte du commerce de Hambourg de la seconde moitié du xviiie siècle. L’article se concentre sur les différents éléments de coûts et leur part dans le coût total du transport. En suivant la structure des calculs de coûts, le document fait la distinction entre les coûts encourus à l’origine, pendant le transport et à l’arrivée, tout en prêtant attention aux taux de change et d’assurance tels qu’ils apparaissent dans la source. Les résultats de cette analyse à multiples facettes des coûts de transport dans le commerce de Hambourg sont évalués par le biais d’une comparaison avec d’autres sources similaires.

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Notes

1 L. Mottu-Weber, 1983, p. 269-296 ; B. M. Roehner, 1996, p. 339-353.

2 Voir K. G Persson, 2004, p. 125-147.

3 L. Mottu-Weber, 1983, p. 269-296 ; B. M. Roehner, 1996, p. 339-353.

4 C. H. Shiue, 2002 ; E. Buyst, S. Dercon & B. Van Campenhout, 2006.

5 G. Federico, M.-S. Schulze & O. Volckart, 2018.

6 D. Terrier, 2012, p. 109.

7 S. Scuiller, 2009.

8 R. H. Britnell, 1993 ; K. H. O’Rourke & J. G. Williamson, 1999, p. 29-55 ; J. Petrowiste, 2007.

9 F. Braudel, 1979 ; T. Le Roux, 1996.

10 S. R. Epstein, 2000 ; R. Grafe, 2012.

11 A. Ferrer, 2002.

12 D. Margairaz & P. Minard, 2008.

13 D. Margairaz, 1984.

14 F. Braudel, 1979 ; D. Gerhold, 1996.

15 D. Ringrose, 1970 ; G. Turnbull, 1985 ; R. Grafe, 2012.

16 F. Eloire & J. Finez, 2021.

17 W. Kula, 2001 [1963].

18 C. Carrière, 1973.

19 H. C. White, 1981.

20 P. Gervais, 2012.

21 P. Deffontaines, 1934 ; É. Coornaert, 1961 ; R. Gascon, 1971.

22 A. Conchon, 2016.

23 D. Ringrose, 1970.

24 A. Conchon, 2008 ; id., 2021.

25 J. Villain, 2015.

26 J. Roubert, 1970.

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References

Bibliographical reference

Anne Conchon and Julien Villain, “Prix de transport et économie des circulations (xviie-début xixe siècles)”Histoire & mesure, XXXVII-2 | 2022, 3-14.

Electronic reference

Anne Conchon and Julien Villain, “Prix de transport et économie des circulations (xviie-début xixe siècles)”Histoire & mesure [Online], XXXVII-2 | 2022, Online since 01 January 2024, connection on 29 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/histoiremesure/16716; DOI: https://doi.org/10.4000/histoiremesure.16716

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