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Sources d’énergie

Bois et charbon : une histoire symbiotique de l’industrialisation

Wood and Coal: A Symbiotic History of Industrialization
Jean-Baptiste Fressoz
p. 157-186

Résumés

Les historiens de l’énergie racontent l’industrialisation au xixe siècle comme un processus de transition : le bois recule comme source d’énergie face à la houille qui s’impose dès le xviiie siècle en Angleterre et au milieu du xixe siècle dans les autres pays industriels. Cet article montre combien cette histoire est fausse. Les courbes montrant l’extraordinaire domination du charbon dans les systèmes énergétiques au début du xxe siècle masquent une dépendance non moins extraordinaire vis-à-vis du bois. Dire qu’il n’y a pas eu de transition ne veut pas dire que rien ne change, mais plutôt que le changement n’est pas celui décrit par l’historiographie standard de l’énergie. La dynamique qui préside aux rapports du charbon et du bois est différente. Il faudrait plutôt parler d’une relation symbiotique qui s’intensifie au cours du xixe siècle, suivie d’un désencastrement dans la seconde moitié du xxe siècle.

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Chronologie :

XIXe-XXe siècles
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Texte intégral

  • 1 B. Podobnik, 2005 ; A. W. Crosby, 2007 ; J.-C. Debeir, J.-P. Deléage & D. Hémery, 2013 [1986] ; A. (...)

1Les historiens de l’énergie racontent l’industrialisation au xixe siècle comme un processus de transition : le bois recule comme source d’énergie face à la houille qui s’impose dès le xviiie siècle en Angleterre et au milieu du xixe siècle dans les autres pays industriels1. Cette histoire repose sur un travail préalable de quantification consistant à convertir les tonnes de bois et de charbon en énergie puis à considérer l’évolution de ces quantités en parts relatives. Effectivement, une fois ces deux étapes accomplies, il apparaît que dans la plupart des pays industriels l’apport énergétique du bois en 1900 est faible par rapport à celui du charbon. À cette interprétation en relatif, on peut faire deux objections. Noter tout d’abord qu’elle procède d’un regard particulier, celui des historiens de l’économie qui étudient la « révolution industrielle ». Du point de vue des arbres et des écosystèmes qu’ils entretiennent et aussi du point de vue du climat, ce sont bien entendu les valeurs absolues qui importent, le nombre d’arbres abattus et réduits en cendres. Le second problème est que même du point de vue de l’histoire économique ou de celle de l’énergie, présenter le bois comme une source d’énergie secondaire est très problématique.

  • 2 D. L. Stamp, 1928 ; E. Glesinger, 1932, p. 71 ; P. Warde, 2019.
  • 3 L. Moses, 1921, p. 11.
  • 4 A. Mélard, 1900, p. 3.

2L’argument de cet article n’est pas de dire que le bois « résiste » plus ou moins longtemps face à l’avancée de la houille ou bien que le charbon ne ferait que s’additionner au bois, des points évidents et bien documentés par les statistiques de la FAO (Figure 3)2. Son but est plutôt de montrer que la consommation de bois s’envole non pas en dépit mais à cause du charbon. Ce point est important car il touche à l’interprétation de la dynamique matérielle de l’industrialisation. Celle-ci, généralement abordée comme une transition, est en réalité un processus d’amplification, d’expansion symbiotique de toutes les matières. Et le bois, tout autant que le charbon et le fer, en était un composant essentiel. Ce point, qui peut paraître surprenant eu égard à l’historiographie était une évidence pour les experts forestiers du xxe siècle. « Notre consommation de bois », expliquait l’un d’eux, « est presque aussi universelle et inconsciente que l’acte de respirer. Et elle est à peu près aussi essentielle à la vie moderne3 ». Un autre se gaussait des « jugements superficiels » de ceux qui « se figurent que grâce à l’emploi du fer, de l’acier et du charbon, le bois est un produit de plus en plus délaissé4 ».

1. Les vraies forêts souterraines

  • 5 M. Rouff, 1922, p. 68 ; R. P. Sieferle, 2001 [1982], p. 182-185.
  • 6 G.-L. L de Buffon, 1779 ; N. de Condorcet, 1784 ; R. Abad, 2016.

3L’idée d’une transition du bois vers le charbon est d’autant plus répandue qu’elle est ancienne. Elle naît avec une promesse, celle des entrepreneurs de la fin du xviie siècle : en échange de concessions minières, ils font miroiter aux souverains de véritables « forêts souterraines » capables de conserver les forêts bien réelles. Le charbon « de terre » serait un cadeau de la providence, placé par Dieu pour remplacer le bois au moment précis où celui-ci commencerait à manquer5. Même en laissant Dieu en dehors de l’équation, cette vision du futur semble avoir été largement répandue. Selon Buffon, la voracité des forges et des cheminées épuiseront tôt ou tard les forêts. Il faudra donc recourir au charbon dans les prochains siècles, d’autant plus que, selon sa théorie, la terre va se refroidir inexorablement. Condorcet conçoit un autre scénario proche de l’expérience anglaise : la multiplication des hommes conduira à étendre les champs au détriment des forêts. L’intérêt de la houille n’était donc pas de préserver les forêts mais, au contraire, de pouvoir s’en débarrasser et de consacrer la surface ainsi libérée à la culture des céréales6. Qu’il soit sauveur (Buffon) ou fossoyeur (Condorcet) des forêts, le charbon était bien pensé en opposition au bois, comme un substitut, comme son successeur.

  • 7 A. C. Thélu, 1878, p. 43.
  • 8 R. Boyle, 1666 ; L.-L. Simonin, 1867, p. 108 ; W. Phillips, 1888.
  • 9 L. Mumford, 1934, p. 69.
  • 10 G. Orwell, 2001 [1937], p. 64.

4En réalité, l’image de la Sylva Subterranea du xviie siècle doit être prise au pied de la lettre : extraire du charbon revenait effectivement à enterrer des forêts entières. L’omniprésence du bois est un des points qui surprend les visiteurs s’aventurant dans les mines. Certains insistent sur l’odeur sylvestre qui y règne : une odeur de résineux, de bois écorcé et scié, l’odeur des étais qui par millions soutiennent les galeries. À l’air libre, avant qu’au xxe siècle les terrils ne marquent le paysage, ce sont d’abord les énormes réserves de bois qui signalent la présence des mines7. Dans un livre remarquable, intitulé à juste titre La vie souterraine, l’ingénieur Louis Simonin décrit la faune et la flore des galeries boisées, à l’instar de ces étranges champignons luminescents qui prospèrent dans leur chaleur moite8. Lewis Mumford dit des mines de charbon qu’elles sont « le premier environnement complètement inorganique créé par l’homme9 ». Sans doute n’y avait-il jamais mis les pieds. À la même époque, George Orwell, qui arpente les mines de Wigan dans le nord de l’Angleterre, rapporte combien son excursion, plus d’un kilomètre sous terre avant d’atteindre le front de taille, avait été harassante : il devait, à chaque pas, courber l’échine pour éviter de heurter une poutre en bois10. Et pourtant les historiens ont préféré suivre Mumford qu’Orwell. Le raccourci du charbon « énergie minérale », du charbon comme porte de sortie d’une « économie organique » s’est imposé.

  • 11 E. A. Wrigley, 2010, p. 95.
  • 12 P. Warde, 2007, p. 69 et appendix 2 ; E. A. Wrigley, 2010, p. 37 ; V. Smil, 2018, p. 233 ; R. Rhod (...)

5Prenons le cas de l’Angleterre, le pays princeps de la transition énergétique du bois vers le charbon. Selon les données fournies par l’historien Paul Warde, reprises par Edward Anthony Wrigley dans un graphique célèbre11, puis par plusieurs autres livres sur l’histoire de l’énergie12, le bois ne jouerait plus aucun rôle dans le mix énergétique anglais à partir du milieu du xixe siècle.

  • 13 R. A S. Redmayne, 1923, p. 44 ; FAO, 1953, table 15 ; P. Warde, 2007, p. 38.
  • 14 En 1876, la production française est de 2,22 m3/ha pour le bois de feu et 0,55 m3/ha pour le bois (...)

6Les hauts-fourneaux brûlent en effet de la houille et rares sont les Anglais à se chauffer au bois. Pourtant le bois joue un rôle fondamental dans la production énergétique à travers les étais des mines, rangés du côté du « bois d’œuvre », alors qu’ils servaient bien à produire de l’énergie. Au début du xxe siècle, les mines britanniques engloutissent chaque année entre 3 et 4,5 millions de mètres cubes (désormais m3) d’étais. À titre de comparaison, un siècle et demi auparavant, les Anglais ne brûlaient que 3,6 millions de m3 de bois de feu13. En volume, la Grande-Bretagne consomme donc plus de bois pour son énergie en 1900 qu’à l’époque préindustrielle. En outre, la production de bois d’œuvre requérant environ quatre fois plus de surface que celle du bois de feu, l’Angleterre utilise en réalité six ou sept fois plus d’espace forestier pour produire son énergie en 1900 qu’un siècle et demi auparavant14. Qu’un tel processus puisse être décrit comme une « transition énergétique » ou comme une sortie de « l’économie organique » a tout de même quelque chose de déroutant.

Figure 1. Consommation de bois de mines en milliers de m3

Figure 1. Consommation de bois de mines en milliers de m3

Lecture. Les sources statistiques ne séparent pas le bois pour le charbon des autres minéraux mais dans la plupart des pays, les mines de charbon consomment l’écrasante majorité des étais.

Sources. FAO, 1953 ; Id., 1975 ; J. J. MacGregor, 1953, p. 298-322 ; US Forest Service, 1958 ; S. D. Richardson, 1966, p. 164 ; R. Stone, 1985.

  • 15 A. C. Thélu, 1878, p. 6.

7Le cas anglais n’est exceptionnel que par la disproportion entre industrie minière et ressources forestières : au xixe siècle et encore loin dans le xxe siècle, tous les pays charbonniers dépendaient des forêts pour leur énergie (Figure 1). Il fallait non seulement boiser le front de taille mais aussi les galeries principales laissées ouvertes à la circulation de l’air, des hommes et du matériel. Sous la pression des roches environnantes, les étais pliaient, se fracturaient et devaient être régulièrement remplacés. Après la main-d’œuvre, le bois représentait le deuxième poste de dépense des compagnies minières. Si elles cherchent à l’économiser, s’en passer paraissait impossible. « Mines et forêts » notait un ingénieur français de la fin du xixe siècle « entretiennent des relations nombreuses, continues, nécessaires […] qui mettent en lumière toutes les ressources que le bois offre à l’industrie minérale et que seul le bois peut lui offrir15 ».

  • 16 A. Leproux, 1905, p. 1-3. Le risque de mort par éboulement est alors de 0,5/1 000 par an en France (...)
  • 17 T. G. Andrews, 2010.

8Vital pour les économies industrielles, le bois l’était encore davantage pour les mineurs. À la fin du xixe siècle en Europe, entre un mineur sur mille et un mineur sur deux mille mourait chaque année sous un éboulement et le triple était blessé grièvement. Bien plus que le coup de grisou, la rupture d’une poutre était un danger banal, presque quotidien. Raison pour laquelle ces accidents n’émeuvent guère ou bien sont considérés avec fatalisme : ils tuent, blessent, mutilent, en petit nombre mais régulièrement, et comme le mineur était le plus souvent tenu pour responsable du boisage, l’effondrement était considéré comme la conséquence de sa négligence16. Le paiement à la tonne rendant le boisage non rémunérateur, le mineur était sans cesse contraint d’arbitrer entre son salaire et sa sécurité. « L’ouvrier est le meilleur juge », expliquaient les compagnies qui tenaient absolument à présenter le mineur comme responsable. À la fin du xixe siècle, la mortalité minière variait beaucoup selon les pays – du simple au double entre, d’un côté, la France et l’Angleterre et, de l’autre, l’Allemagne et les États-Unis où les mines étaient plus dangereuses. Une des raisons expliquant ces écarts tenait à la jeunesse des bassins charbonniers de la Ruhr et de Pennsylvanie : les mineurs n’avaient, selon les experts, pas encore acquis les compétences nécessaires au boisage des galeries. Dans les années 1920, Jules Mousseron, un poète français de langue picarde, mineur de fond à Anzin, le rappelait : « bon mineur sait carpinter ». Sur qui devait reposer le coût de la sécurité ? Fallait-il ajouter au paiement à la tonne de charbon, un autre pour le boisage ? Cette question était un objet récurrent de lutte et de grèves. Zola ne s’y trompe pas en en faisant le point de départ de la grève de Germinal. En 1913, dans le Colorado, la rémunération du « dead work » – vital en réalité puisqu’il inclut tout le travail non payé et principalement le boisage – est une des revendications de la grève qui s’achève par le massacre de Ludlow perpétré par des hommes de mains de Rockefeller. Ce dernier, tout magnat du pétrole qu’il était, possédait aussi des mines de charbon, indispensables pour transporter le brut17.

  • 18 G. Parlongue, 1931, p. 336.
  • 19 A. E. Boadle, 1928, p. 6, 26.
  • 20 « L’accord franco-anglais poteaux-charbons » de 1934 prévoit un troc de 2 tonnes de bois de mine l (...)

9Par opposition au pétrole global, le charbon est parfois décrit comme une ressource « nationale » : en fait, il était entièrement dépendant du commerce international du bois. C’est net pour les grands pays charbonniers européens. Dans les années 1930, la Belgique utilise la moitié de sa production annuelle de bois d’œuvre (650 000 m3) pour étayer ses mines et elle doit encore importer 800 000 m3 de l’étranger. Les mines de charbon belges consomment davantage de bois que les forêts de ce pays n’en produisent18. À la même époque, la Grande-Bretagne tire de l’étranger la quasi-totalité (96 %) de son bois d’œuvre. Il s’agit de son premier poste d’importation en volume. En valeur, le bois dépasse ses importations de pétrole et même, certaines années, ses exportations de charbon19. Les étais représentent entre 20 % et 30 % de ce bois. Ils proviennent de régions s’étendant de la Baltique au Portugal, et pour moitié de la « forêt » des Landes. Créée sous le Second Empire, celle-ci est alors probablement la plus grande plantation au monde. À titre de comparaison, dans les années 1920, celle de caoutchouc appartenant à Firestone au Libéria est deux fois moins étendue. À la fin du xixe siècle, 800 000 hectares de pins exploités pour leur résine sont arrivés à maturité. Passés vingt ans, ils sont « gemmés à mort », abattus et finissent dans les mines anglaises. Les navires déchargent le charbon à Bordeaux et repartent de Bayonne, les cales remplies d’étais qu’ils emportent à Newcastle ou ailleurs (Figure 2). Ce commerce est suffisamment stratégique pour que l’Angleterre cherche à le sécuriser en signant un accord de troc « poteaux contre charbon » avec la France en 193420.

  • 21 The New York Times, 15 décembre 1944, p. 3 ; The New York Times, 12 décembre 1947, p. 11.
  • 22 K. Brandt, 1946 ; W. Diebold, 1946 ; Department of State, 1947 ; N Samuels, 1948.
  • 23 « Power Economic Conference », 1947 ; R. Perron, 1996, p. 55-78.

10Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dépendance des mines européennes au bois est encore totale. En 1945, la production se situe aux deux tiers de celle d’avant-guerre. En cause : les mines endommagées, la malnutrition des mineurs mais aussi le manque de bois d’œuvre21. Les bûcherons manquent de chevaux, de camions, de nourriture. Le bois des forêts d’Allemagne de l’Est et de Pologne fait défaut aux mines de la Ruhr. Enfin et surtout, le commerce européen est désorganisé : privée de charbon allemand et anglais pendant cinq ans, la Suède s’est mise à brûler davantage de bois, celui qui précisément fait défaut pour boiser les mines de la Ruhr ou d’Angleterre22. Les premières organisations économiques européennes – la Solid Fuel Section de l’armée américaine puis, à partir de mai 1945, l’Organisation européenne du charbon basée à Londres – font tout pour rompre ce cercle vicieux et allouent prioritairement le charbon et le pétrole américains vers les pays Scandinaves car c’est la condition sine qua non pour relancer les échanges européens croisés de bois et de houille23.

  • 24 R. Zon, 1916-1917.
  • 25 US Senate, 1923, p. 1278.
  • 26 K. Pochenkov & V. Poznanskaya, 1946.
  • 27 V. Zvonkov, 1952.

11La situation est évidemment différente aux États-Unis qui sont autosuffisants en bois d’œuvre. Dans les années 1900 les étais ne représentent que 3 % de la consommation nationale de bois – contre 30 % en Grande-Bretagne24. Il n’empêche : en Amérique aussi le charbon dépend d’une circulation de bois à l’échelle continentale. Les mines de Pennsylvanie, qui possèdent pourtant d’immenses propriétés forestières, font venir des étais de Caroline du Nord, de Virginie et même d’Oregon, étais qu’elles acheminent par le canal de Panama25. De même, en URSS, le puissant bassin houiller du Donbass est approvisionné par les lointaines forêts de Russie centrale. Dans les années 1950 cette synergie matérielle entre Ukraine et Russie est un thème important de la propagande soviétique26. Le canal Lénine inauguré en 1952, reliant la Volga au Don, est présenté comme l’artère vitale unissant le charbon ukrainien aux forêts de Russie centrale27.

Figure 2. Déchargement de bois de mine à West Hartlepool, au sud de Newcastle

Figure 2. Déchargement de bois de mine à West Hartlepool, au sud de Newcastle

Source. T. W. Birch, 1936, p. 22.

  • 28 E. D. Hawkins, 1958 ; T. Wright, 1980 ; id., 1984, p. 87 ; P. J. Golas, 1999, p. 281-309.
  • 29 H. Hoover, 1901-1902 ; J. Karlsson, 2018.
  • 30 R. R. Gibson, 1914, p. 110.
  • 31 P. J. Caffrey, 2013 ; V. Seow, 2021, p. 70-80.

12Le cas des mines chinoises montre en creux l’importance du bois pour l’extraction charbonnière. Dans les années 1900, les ingénieurs américains et européens qui officient en Chine insistent sur ce point : si le pays est pauvre en charbon c’est parce qu’il est pauvre en bois28. C’est ce qu’explique par exemple Herbert Hoover, le futur président des États-Unis. En 1901, il profite de la guerre des Boxers pour prendre le contrôle de la mine de Kaiping, la plus importante de Chine. Selon lui, les mines chinoises consomment peu de bois mais beaucoup d’hommes. Elles produisent à bas coût grâce à la faiblesse du boisage et in fine grâce au mépris pour la vie humaine, un défaut propre à une race inférieure29. Une des initiatives de Hoover sera d’ailleurs de financer des plantations aux alentours de Kaiping30. À Fushun, en Mandchourie, les Japonais font aussi face au manque de bois qu’ils importent de Corée. Après une décennie de tâtonnement, ils se résolvent à exploiter le gisement à ciel ouvert en achetant de coûteuses machines excavatrices allemandes et américaines31.

  • 32 W. Shockley, 1904 ; T. Wright, 1984, p. 15-31 ; H. Harrison, 2006.

13Si les ingénieurs occidentaux considèrent généralement les mines chinoises avec condescendance, l’américain William Shockley (le père de l’inventeur du transistor) juge qu’elles sont simplement adaptées à leur environnement. Par exemple dans le Shanxi, où le charbon est extrêmement abondant et le bois rare, les mineurs avaient développé des méthodes d’extraction originales très économes en bois. Ils exploitaient les veines situées sous des couches rocheuses résistantes. Ou bien quand le gisement était proche de la surface, ils l’attaquaient par d’innombrables puits verticaux, prolongés de courtes galeries horizontales non boisées. Les mineurs élevaient même des rats de compagnie, dressés pour les avertir de l’imminence d’un éboulement. Sans capital et presque sans bois, ces mineurs parvenaient à fournir à la population locale plusieurs millions de tonnes de charbon par an à des prix défiant toute concurrence32.

2. Les techniques du charbon dans un monde de bois

  • 33 C. Evans & G. Rydén, 2005 ; S. Benoit, 2020.

14S’il convient donc d’associer le charbon au bois, il faut a contrario se garder d’assimiler l’acier et la vapeur au charbon. Dans de nombreux pays, la diffusion des techniques inventées en Angleterre pour fonctionner au charbon provoqua une recrudescence de la consommation de bois tout simplement parce que les industriels les adaptaient au prix des matières premières disponibles localement33.

  • 34 E. P. Stebbing, 1923, vol. 2, table p. 103 ; Socialist Construction in the U.S.S.R.: Statistical A (...)
  • 35 J.-M. Martin, 1966, p. 347-348.
  • 36 R. Doughty, 2000, p. 96-104.
  • 37 Department of Commerce, 1914, table 216, p. 495-502.

15Il en va ainsi des plus grands réseaux ferrés du monde, ceux des États-Unis et d’Inde, qui, jusqu’à la fin des années 1880, brûlent plus de bois que de charbon. En Russie en 1913, les chemins de fer brûlent 7,7 millions de m3 de bois et 7,5 millions de tonnes de charbon34. Au Brésil, au début des années 1950, les chemins de fer brûlent 12 millions de m3 de bois par an, dix fois le volume de charbon utilisé, vingt fois celui du pétrole35. Les premières plantations brésiliennes d’eucalyptus sont financées par les compagnies de chemins de fer36. Malgré l’incertitude statistique, un constat similaire s’applique probablement pour les machines à vapeur fixes dans les grands pays boisés. Aux États-Unis, jusqu’en 1914, le secteur qui consomme le plus de puissance vapeur se trouve être celui du bois : les milliers de scieries, certaines gigantesques, la plupart minuscules et itinérantes, disséminées en forêt, prises ensemble, produisent davantage de chevaux vapeur que la sidérurgie, les laminoirs et même trois fois plus que l’industrie textile. Or cette énergie est pour l’essentiel tirée non pas du charbon mais des résidus de l’exploitation du bois37. Cela veut dire que dans l’industrie américaine, non seulement l’hydraulique prime sur les machines à vapeur jusqu’à la fin des années 1860, mais ces dernières sont aussi, pour une part non négligeable, alimentées au bois.

  • 38 E. F. Söderlund, 1958.
  • 39 I. Blanchard, 2000.
  • 40 I. Blanchard, 2005.
  • 41 US Department of Agriculture, 1957, p. 2. ; R. H. Schallenberg, 1975 ; K. E. Inwood, 1985.

16De même que la vapeur, au xixe siècle la fonte et l’acier sont massivement produits au bois. La sidérurgie suédoise par exemple adopte les innovations venues d’Angleterre tout en les adaptant aux ressources locales : le bois domine le secteur jusqu’aux années 1930. Et même à cette date, si l’industrie sidérurgique recourt davantage à la houille c’est parce que le bois trouve un nouveau débouché plus lucratif dans la pâte à papier38. De même, les maîtres des forges de l’Oural dominent le marché russe de la fonte et de l’acier grâce au charbon de bois et à une main-d’œuvre servile. Entre 1800 et 1900, leur production passe de 100 000 à 800 000 tonnes et atteint 1,5 millions de tonnes en 191339. Cette croissance, sans charbon, est rendue possible par l’amélioration des hauts-fourneaux dont la consommation par tonne de fonte diminue de 8 tonnes à 1,5 tonnes de charbon de bois entre 1800 et 190040. La chronologie est similaire aux États-Unis et au Canada où la sidérurgie au bois n’entame son déclin qu’après la Première Guerre mondiale41.

  • 42 J. Radkau, 2016, p. 134. Merci à Jawad Daheur pour cette référence.
  • 43 J. L. Meikle, 1997, p. 40-45.

17Au xxe siècle, la fin de la sidérurgie au charbon de bois dans la plupart des pays n’implique aucunement la disparition de ce dernier. Au contraire, sa production se perfectionne en même temps que la carbochimie. Comme l’écrit Heinrich Caro, un des fondateurs de BASF, la distillation du bois et de la houille « sont deux industries sœurs42 ». On distille du bois, en plus grande quantité et avec de meilleurs rendements qu’auparavant afin d’en extraire des produits chimiques : du gaz d’éclairage dans certaines localités, de la créosote, de l’alcool méthylique et de l’acide acétique ou encore du formaldéhyde, un composant du plastique. Car si l’on associe maintenant le plastique au pétrole, son histoire s’enracine dans le bois. Au début du xxe siècle c’est à partir du bois qu’on produit la rayonne, la première fibre synthétique de l’histoire, ainsi que la cellophane, un emballage transparent qui anticipe d’un demi-siècle le plastique issu de la pétrochimie. De même, quand le chimiste Baekeland commence ses travaux sur les résines au phénol-formaldéhyde qui donneront naissance à la Bakélite, c’est dans le but d’obtenir un produit durcissant pour le bois43. Les postes de radio, les stylos, les téléphones ou les tableaux de bord de l’entre-deux-guerres, qu’on associe communément au premier « âge du plastique » sont en fait majoritairement composés de bois, le formaldéhyde étant alors produit à partir de bois et les industriels incorporant une charge importante de farine de bois dans leurs résines afin de réduire les coûts de fabrication.

  • 44 F. Rosillo-Calle & G. Bezzon, 2000.
  • 45 La sidérurgie française consommait, en 1860, 315 000 tonnes de charbon de bois. Voir S. Benoit, 20 (...)
  • 46 F. J. Nellissen, 1997, p. 355-359.

18De toutes façons, la fin de la sidérurgie au bois dans certains pays ne doit pas faire oublier qu’à l’échelle mondiale on produit beaucoup plus d’acier au charbon de bois de nos jours qu’en 1800 ou en 1900. Dans les années 1990, le Brésil consommait 24 millions de m3 de charbon de bois pour produire 10 millions de tonnes de fonte et 5 millions de tonnes d’acier44 : c’est vingt fois la sidérurgie américaine au bois à son pic des années 1890 et cinquante fois plus que la sidérurgie française en 186045. Comme une entorse parfaite au récit transitionniste, le plus grand producteur de charbon de bois au monde se trouve être l’entreprise française Vallourec, leader mondial des tubes en acier sans soudure pour l’exploitation pétrolière : dans ce cas le bois sert à produire l’acier qui est utilisé pour extraire le pétrole, qui lui-même est indispensable à l’exploitation forestière46. Vallourec brûle à elle seule 1,2 million de tonnes de charbon de bois par an, c’est quatre fois toute la sidérurgie française à son pic des années 1860. Notons pour finir que le charbon de bois est beaucoup utilisé en dehors de la sidérurgie, pour traiter d’autres minerais dont le silicium indispensable à la production des panneaux solaires. Les États-Unis en consomment entre 800 000 et 1 million de tonnes par an, deux fois plus qu’un siècle auparavant et il est probable que les barbecues actuels consomment plus de charbon de bois que l’acier des années 1900.

3. Timber palace

  • 47 Le cliché remonte à l’époque de l’exposition. Voir P. Landon, 1997. Pour une reprise récente voir (...)
  • 48 Selon le rapport rendu par l’entrepreneur, le Palais de cristal avait nécessité environ 4 500 tonn (...)
  • 49 D. Valen, 2016.

19Prenons le fameux « Palais de cristal » de l’exposition universelle de Londres de 1851. Les contemporains, et les intellectuels depuis lors, n’ont eu de cesse d’en vanter l’extraordinaire modernité matérielle, une modernité de fer et de verre47. Or, selon les documents relatifs à sa construction, ce bâtiment contenait au moins trois fois plus de bois que de fer et de verre – raison pour laquelle il s’embrasa rapidement en 193648. En dépit des commentaires sur le progrès, le capitalisme, la globalisation, etc., qui l’entourent, le Palais de cristal était le monument d’une société agricole et aristocratique : conçu sur le modèle d’une serre, son architecte, Joseph Paxton, travaillait au service d’un duc tirant sa fortune d’un domaine de 80 000 hectares49. Cela ne veut pas dire que ce bâtiment n’était pas « moderne », mais plutôt que sa modernité n’avait rien à voir avec celle qu’on lui prête traditionnellement. Par exemple, l’une des innovations employées dans sa construction résidait dans la fabrication de pièces en bois profilées par des machines actionnées par l’énergie du charbon.

  • 50 W. E. Hiley, 1930, p. 38.
  • 51 A. Mélard, 1900. Sur l’Allemagne voir J. Daheur, 2017.
  • 52 A. J. Van Tassel, 1940, p. 1.

20Même si dans certains secteurs ou certains pays le charbon fait effectivement reculer le bois de feu, cette baisse est compensée et même davantage par la croissance du bois d’œuvre tirée par le charbon. Entre 1830 et 1930 la consommation anglaise de bois est multipliée par six et par trois rapporté au nombre d’habitants50. Championne du charbon, l’Angleterre est aussi le pays qui importe le plus de bois au monde : 12 millions de m3 à la fin du xixe siècle, deux fois la production des forêts françaises de bois d’œuvre. Dans le dernier tiers du xixe siècle, la Grande-Bretagne achète de plus en plus de bois de l’étranger à des prix en baisse grâce au progrès des transports. Les autres pays européens suivent des voies similaires : la Belgique voit ses importations multipliées par 6 entre 1860 et 1900 et l’Allemagne, malgré ses forêts résineuses de plaine à fort rendement, double les siennes dans la dernière décennie du xixe siècle. La France qui dispose surtout de forêts de taillis pour le bois à brûler est obligée à la fin du xixe siècle d’importer 3 millions de m3 de bois d’œuvre soit la moitié de sa production nationale51. Sans parler des États-Unis dont la consommation de bois d’œuvre aurait été multipliée par cent au xixe siècle52.

21Que devient tout ce bois ? La construction arrive en tête suivie, dans un ordre différent selon les pays, par la pâte à papier, les chemins de fer, les mines et l’emballage (tonneaux et caisses). Or tous ces postes de consommation croissent directement avec celle de charbon (Tableau 1).

Tableau 1. Répartition de la consommation du bois en pourcentage

États-Unis (1910) Canada (1923) Grande-Bretagne (1920) France (1913)
Bois de feu 43 32 56
Construction 44 33 41 26
Chemin de fer 5 7 3 4
Bois de pulpe 3 21 30 9
Étais 1,5 1 23 4
Tonnellerie 1,1 1,5
Chariots, meubles 1

Sources. Institut international d’agriculture, Les forêts, 1924 ; E. Glesinger, 1932.

  • 53 On le voit sur la Bartholomew’s Road Surface Map of London & Neighbourhood (URL : https://vu.conte (...)
  • 54 W. B. Greeley et al., 1922.
  • 55 R. L. Sherlock, 1922, p. 218-220.
  • 56 J. Middleton, 1898 ; « How Much Coal Is Burned in Clay Products Plants », 1919 ; Bureau of the Cen (...)

22Même de pierres et de briques, les villes du xixe siècle utilisent de plus en plus de bois. Certains usages sont tombés dans l’oubli : à la fin du xixe siècle, de Rivoli à Broadway, les grandes artères des villes riches sont revêtues de pavés de bois, un matériau très apprécié pour la douceur de son roulement53. Dans le monde rural américain, 98 % des bâtiments sont en bois au début du xxe siècle mais l’expansion urbaine en brique ne réduit pas drastiquement la demande de bois. En 1922, les experts calculent que les maisons en briques consomment en charpente, plancher, huisseries et échafaudages les 3/5 d’une maison de même superficie en bois54. C’est la raison pour laquelle la consommation de bois suit étroitement celle de briques, dont la production nécessite à son tour énormément de charbon. Les briques en dépendent doublement : pour leur cuisson – suivant les méthodes, il faut entre 1 et 4 tonnes de charbon pour cuire 8 tonnes de briques (4 000 unités) – et même pour leur matière puisqu’elles incorporent les cendres des foyers des villes qu’elles contribuent à bâtir. En Angleterre, la production annuelle de briques passe de 1 à 4,8 milliards entre 1830 et 190755. À la fin du xixe siècle, New York consomme un milliard de briques par an et fait disparaître les berges de la rivière Hudson sur des dizaines de kilomètres. La production américaine passe de 6 à 12 milliards de briques dans la première décennie du xxe siècle et les briqueteries sont alors le troisième consommateur industriel de charbon aux États-Unis56. Les villes en briques des pays industriels sont une symbiose de bois, d’argile et de charbon et elles ont un poids en CO2 à peu près équivalent au leur : elles pèsent autant dans l’atmosphère que sur le sol.

  • 57 J. Beauverie, 1905, vol. 2, p. 707.
  • 58 M. E. Russell-Tratman & M. B. E. Fernow, 1891 ; Aishton, 1924.
  • 59 R. W. Fogel, 1966, table 2, p. 28.
  • 60 E. R. Andrews, 1878, p. 182.
  • 61 F. J. Angier, 1921.

23Le cas des chemins de fer est similaire : même alimentés au charbon ils consommaient d’énormes quantités de bois. Les traverses des voies, parce qu’elles devaient être remplacées en moyenne tous les 5 ans, représentaient dans tous les pays industriels un important poste de consommation. À la fin du xixe siècle, le réseau français en consommait par exemple 2,5 millions par an. Un volume important par rapport aux disponibilités françaises de bois d’œuvre57, mais bien peu en comparaison des chemins de fer américains : à la même époque leur simple maintenance requérait de 100 à 120 millions de traverses par an, soit 20 millions de m3 de bois, environ 10 % du bois d’œuvre américain58. Comme au même moment la consommation en fer pour les rails était de 1,5 millions de tonnes59, il aurait été plus rigoureux, d’un point de vue matériel, d’appeler les chemins de fer des chemins de bois. Partout aux États-Unis, le long des voies, on pouvait voir des empilements de vieilles traverses destinées à être brûlées dans les locomotives60. Le remplacement des traverses constituait un poste considérable de dépense : le troisième après les salaires et le charbon, devant l’achat du matériel roulant61.

  • 62 H. Haupt, 1864.
  • 63 « L’exploitation des forêts et les chemins de fer à rail en bois en Amérique », 1883.
  • 64 N. A. Bill, 2016.

24Aux États-Unis, en dehors de la côte Est, les ouvrages d’art sont presque tous en bois, et s’inspirent d’une méthode de construction économique utilisée pendant la guerre de Sécession par l’ingénieur militaire Herman Haupt62. Les compagnies ferroviaires construisent à bas coût en pariant sur un retour futur pour reconstruire ultérieurement des ouvrages de briques et de fer. Dans les années 1880, les chemins de fer forestiers sont souvent construits exclusivement en bois, avec des rails en bois et des ponts érigés en bois rond simplement empilé63. Mais même en Angleterre, pays où le fer est très employé, jusque dans les années 1870, la majorité des viaducs sont en bois64. Aux infrastructures ferroviaires, s’ajoute le bois des wagons – bien plus nombreux que les locomotives. Dans ces dernières, les pièces soumises à de fortes contraintes sont souvent coulées avec de l’acier au charbon de bois réputé moins cassant.

4. Malthus déjoué

  • 65 N. L. Madureira, 2012 ; I. Tyrrell, 2015.
  • 66 R. R. Hornor & H. E. Tufft, 1925, p. 7.
  • 67 M. Williams, 1992, p. 441.

25On comprend sans difficulté pourquoi, dans les années 1900, les forestiers s’alarment. Dans un futur proche, prédisent-ils, le bois pourrait manquer. Et comment alors extraire le charbon, faire rouler des trains, construire des maisons, imprimer des journaux ? Les conservationnistes s’inquiètent bien davantage de l’épuisement des forêts que de celui des mines prédit par Jevons. Alors que ce dernier pourrait arriver dans quelques siècles, le bois, tout aussi indispensable aux pays industriels, risque de manquer dans quelques décennies65. La Pennsylvanie par exemple ne disposerait dans ses vastes forêts que pour 35 ans de sa consommation d’étais66. En 1905, le président américain Theodore Roosevelt reprend ce discours : le manque de bois pourrait bien arrêter net la croissance américaine67. Si cette crise du bois, annoncée de part et d’autre de l’Atlantique, n’eut jamais lieu, c’est parce que les techniques industrielles qui en étaient responsables fournissaient en même temps des moyens de la contenir.

  • 68 S. H. Olson, 1971.
  • 69 W. D. Middleton, 2007.
  • 70 J. Koll Healey, 2013.
  • 71 M. Koch, 1971.
  • 72 Bureau of Statistics, 1912, p. 320.
  • 73 Socialist Construction in the U.S.S.R.: Statistical Abstract, 1936, p. 304.

26Premièrement, les chemins de fer créent à la fois une énorme demande et un puissant outil pour la satisfaire. Ils réduisent la ressource physique – surtout aux États-Unis – mais augmentent la ressource économique en facilitant son transport68. Comme celui-ci représente en général la majeure partie du prix du bois, les chemins de fer compensent la hausse du prix de la ressource. Les voies forestières, souvent temporaires, n’ont pas fait l’objet de décompte précis, mais à la fin du xixe siècle leur étendue est gigantesque, supérieure, dans certaines régions, aux voies classiques avec une distinction difficile à établir. Les Landes sont ainsi quadrillées par 500 kilomètres de chemins de fer forestiers. Aux États-Unis, dans la première moitié du xxe siècle on compte près de 50 000 kilomètres de voies forestières, soit un cinquième du réseau américain qui est alors à son apogée69. Dans le centre et l’ouest des États-Unis, les concessions ferroviaires comportent d’immenses forêts dont l’exploitation permet de financer la construction des lignes. Si dans l’histoire de l’industrialisation européenne on insiste sur les cercles vertueux entre charbon et rail, aux États-Unis capitalismes ferroviaire et forestier, barons du rail et du bois entretiennent des relations non moins harmonieuses. Pour preuve, l’un des plus grand land grab du xxe siècle : en 1900, le magnat du rail James Hill vend 400 000 hectares de forêts inclus dans une concession ferroviaire de l’État de Washington. L’acquéreur, Frederick Weyerhaeuser, construira sur ce domaine un empire industriel du bois qui porte encore son nom. Au début du xxe siècle, sa fortune rivalise avec celle de John D. Rockefeller70. On pourrait aussi mentionner des relations technologiques : Ephraim Shay débute dans les scieries, il se lance dans la construction d’engins forestiers à vapeur avant de devenir le troisième constructeur de locomotives aux États-Unis au début du xxe siècle71. Enfin, l’industrie forestière est un des plus gros clients des compagnies de chemin de fer : dans les années 1900, le bois représente 10 % du fret ferroviaire aux États-Unis, derrière le charbon et l’ensemble des produits agricoles72. En URSS, le bois est la première marchandise transportée par voie ferroviaire et n’est supplanté par le charbon qu’à partir de 193073. Cette possibilité de transporter du bois à longue distance, prolongée, à partir des années 1920, par des camions à essence explique en partie la permanence dans l’entre-deux-guerres de la consommation du bois de feu dans les pays riches, et plus encore en URSS, malgré la concurrence des fossiles (Figure 3).

Figure 3. Consommation de bois de feu en millions de m3

Figure 3. Consommation de bois de feu en millions de m3

Source. FAO, 1953.

  • 74 G. B Magee, 1997, p. 70.
  • 75 G. B Magee, 1997, p. 158.
  • 76 E. Arnould, 1927, p. 237.
  • 77 E. Glesinger, 1932, p. 315.

27Deuxièmement, l’industrie du papier a aussi pour effet paradoxal d’accroître à la fois la demande en bois et sa disponibilité. Depuis le début du xixe siècle, de nombreuses tentatives avaient été faites pour remplacer le chiffon comme matière première du papier. De même, les bases mécaniques de la production de papier en continu avaient été posées dès les années 1800. Si dans le dernier tiers du xixe siècle les industriels parviennent enfin à s’affranchir des chiffonniers et à produire des quantités très supérieures de papier, c’est grâce à l’énergie abondante que fournit le charbon. Après avoir longtemps stagné la production s’envole dans le dernier tiers du xixe siècle. Entre 1860 et 1910 la production britannique de papier passe de 100 000 tonnes à un million de tonnes et celle des États-Unis de 100 000 à 4 millions de tonnes74. En 1920, la production mondiale de papier atteint 15 millions de tonnes dont la moitié aux États-Unis. Pour extraire la cellulose, le bois est broyé, réduit à l’état de pâte par l’action de produits chimiques – soude, sulfate ou sulfite – avant d’être transformé en rouleaux par d’énormes machines débitant jusqu’à 200 mètres de papier par minute75. Chaque étape est très énergivore, nécessitant du charbon pour fabriquer les produits chimiques, mouvoir les broyeurs, les digesteurs, alimenter les évaporateurs, les séchoirs, etc. À la fin du xixe siècle, la papeterie est une des plus grandes industries chimiques qui soit. Le papier est un produit hybride, mélange de bois et de charbon, chaque kilo de papier nécessitant 1,5 kilo de charbon et environ le double de bois76. Dans l’entre-deux-guerres, dans les pays riches, le papier est souvent le troisième poste de consommation de bois et se range dans les dix premiers consommateurs de charbon77.

  • 78 P. Josephson, 2002.

28Grâce à l’énergie du charbon, l’industrie papetière est capable de valoriser des bois auparavant inutilisables. C’est sur cette symbiose que repose sa force et son intérêt économique. À la fin du xixe siècle, les résineux lointains du Canada ou des pays scandinaves, les branchages et les résidus des scieries peuvent être exportés en Europe ou aux États-Unis sous forme de pâte à papier. Aux États-Unis, l’industrie papetière suit à la trace celle du bois d’œuvre pour exploiter les arbres de seconde croissance. Le papier, en rentabilisant des rotations plus rapides, accroît ainsi la production de bois78.

  • 79 M. Meiske & C. Zumbragel, 2021.
  • 80 S. Bagster Boulton, 1884.
  • 81 M. Aldrich, 2006.
  • 82 F. Marshall, 1853.

29Troisièmement, si la crise du bois annoncée à la fin du xixe siècle n’a pas eu lieu c’est parce que le charbon transforme la nature même du bois79. En 1838, l’ingénieur britannique John Bethell dépose un brevet portant sur la préservation du bois par la créosote, une substance issue de la distillation de la houille. Ce produit est bien supérieur aux sels de cuivre, de zinc ou d’arsenic qui étaient utilisés dans le même but : la créosote ne se dissout pas dans l’eau, elle rend le bois imperméable, imputrescible et donc bien plus durable. Un ingénieur s’extasie devant la créosote qui « transforme le bois en poison80 ». Dès les années 1850, les traverses de chemins de fer anglais et indiens sont systématiquement créosotées. L’opération se réalise dans des autoclaves : le bois est d’abord soumis à un vide poussé avant d’être plongé pendant de longues heures dans un bain de créosote sous pression et à haute température. Dans l’usine de Bethell près de Greenwich on injecte environ 100 kilos de créosote par tonne de bois, de sorte que celui-ci devient un matériau composite. La créosote se diffuse en Europe dès les années 1860 et seulement à la fin du siècle aux États-Unis où le bois est plus abondant81. On ne saurait sous-estimer l’importance économique, écologique, historique de cette substance : au lieu de durer quelques années, les traverses peuvent dorénavant rester en place quelques décennies. Le charbon, en augmentant la durabilité du bois contribue à satisfaire l’énorme demande qu’il a créée. Un journaliste s’enthousiasme : grâce au créosotage du bois, les forêts vont de nouveau recouvrir la planète82. Disons plus modestement qu’au prix d’une pollution durable, la créosote permet de contenir le désastre que le charbon provoque dans les forêts.

5. Un lent désencastrement

  • 83 R. A. S Redmayne, 1923, p. 141.
  • 84 G. S. Rice & I. Hartmann, 1939, p. 103.
  • 85 A. Quièvre, 2020.
  • 86 « Miners’ Objections to Steel Props », The Manchester Guardian, 12 octobre 1929.
  • 87 « Russian Pit Props Arrive at Bo’Ness », The Scotsman, 1er février 1938.

30Dans la première moitié du xxe siècle, le charbon est encore entièrement dépendant du bois. C’est très net en Angleterre pendant les deux guerres mondiales. En 1914, avec la guerre sous-marine, le Royaume-Uni, presque dépourvu d’industrie forestière, se découvre tributaire de l’étranger pour son approvisionnement énergétique. Le prix du bois triple, la consommation d’étais est divisée par deux83. Au sortir de la guerre, le gouvernement lance un programme de reboisement afin d’être en mesure de subvenir à ses besoins, au moins temporairement, en cas de nouveau conflit. Il achète et reboise un demi-million d’hectares entre 1919 et 1934. Paradoxalement, c’est donc le charbon qui oblige l’Angleterre à se soucier de ses forêts. Parallèlement à la reforestation, les mines anglaises métallisent leur soutènement. En 1930, elles enterrent 600 000 tonnes d’acier, principalement sous forme d’arceaux84. Malgré cet investissement, la consommation de bois de mine reste à un niveau stable, à peu près proportionnel au charbon extrait jusqu’à la fin des années 1940. Il faut selon les années – les mines stockent quand le cours est bas – entre 1 et 2 m3 de bois pour extraire 100 tonnes de charbon (Figure 4). Les étais en bois présentent d’indiscutables avantages en front de taille et dans les galeries temporaires où ils n’ont pas besoin d’être remplacés : ils rompent progressivement et leurs craquements avertissent du danger85 et ils sont surtout nettement moins chers que leurs équivalents métalliques. Ces derniers, plus coûteux, doivent être récupérés avant le foudroyage des galeries, une opération particulièrement dangereuse. C’est pour cette raison qu’en 1929, les mineurs du Northumberland se mettent en grève contre l’étançonnage métallique86. Passées la Première Guerre mondiale et les années suivantes, le prix du bois baisse grâce à la diminution du coût du transport maritime et l’ouverture de nouveaux fronts pionniers. En février 1939, un convoi de bois est acheminé de la Sibérie à l’Écosse grâce à une flotte de trois brise-glaces soviétiques, construits en Angleterre et fonctionnant au pétrole87. En 1958, le premier brise-glace à propulsion nucléaire est employé pour faciliter le commerce des ports de Sibérie qui exportent alors beaucoup de bois. L’énergie nucléaire a sans doute aidé à transporter du bois qui permettait d’extraire du charbon.

Figure 4. Consommation anglaise de bois en milliers de m3 pour les traverses et les étais

Figure 4. Consommation anglaise de bois en milliers de m3 pour les traverses et les étais

Source. FAO, 1953.

31Dans les autres pays européens, l’intensité bois du charbon est plus importante qu’en Angleterre : entre 2 et 4 m3 par 100 tonnes de charbon (Tableau 2). La FAO souligne cette dépendance : les mines absorbent encore 10 % du bois d’œuvre européen au début des années 1950. Signe de cette présence encore massive, en 1948, lors des grandes grèves dans les charbonnages du nord de la France, les mineurs érigent leurs barricades avec des étais en bois.

Tableau 2. Consommation de bois de mine en m3 par 100 tonnes de charbon en 1950

Bois de mine consommé
(m3/100 t. de charbon)
Belgique 4
Tchécoslovaquie           2
France   4,2
Sarre   2,5
RFA   2,5
Pays-Bas 2
Pologne 2
Royaume-Uni     1,34
Europe   2,2

Lecture. Les variations s’expliquent en grande partie par l’extraction à ciel ouvert de lignite plus importante en Europe centrale.

Source. D’après FAO, 1953.

32À partir des années 1950, on assiste à une diminution notable de l’intensité bois du charbon. Cette évolution est due à l’utilisation d’arceaux métalliques et au boulonnage des roches. Dans les années 1960, la diffusion du « soutènement marchant » marque le tournant majeur. Cette méthode implique l’utilisation d’énormes machines hydrauliques pour soutenir le front de taille au fur et à mesure de son avancement. Le charbon est évacué latéralement et en arrière de la taille et le vide est comblé par des terres stériles.

  • 88 A. Tretyakova & M. Heinemeier, 1986.
  • 89 CIA, 1964.
  • 90 L. H. Siegelbaum & D. J. Walkowitz, 1995, p. 68, 138-143.

33Dans les mines soviétiques, l’utilisation du bois est à la fois plus importante et plus tardive que dans d’autres pays. Dans les années 1960, la consommation d’étais atteint un niveau record de 24 millions de m3 par an, représentant environ 8 % de la production forestière totale du pays. Les États-Unis produisent alors autant de charbon que l’URSS avec cinq fois moins de bois. Cette différence s’explique par un retard technologique mais aussi par des caractéristiques géologiques spécifiques. Dans le principal bassin minier du pays, le Donbass en Ukraine, les veines de charbon sont étroites, ce qui rend difficile l’installation du soutènement marchant. Par conséquent, les mineurs travaillaient au marteau piqueur dans des galeries boisées de seulement 60 à 90 centimètres de hauteur88. Entre 1950 et 1970, la production de charbon dans le bassin minier du Donbass, en Ukraine, connaît une augmentation spectaculaire, passant de 70 à plus de 220 millions de tonnes. Malgré l’introduction d’étais métalliques, la demande en bois d’œuvre explose au point que l’Union soviétique a du mal à approvisionner l’Ukraine en bois, malgré la présence d’immenses forêts et d’une main-d’œuvre forestière considérable de 800 000 bûcherons, dont une partie était constituée de travailleurs forcés. Selon un rapport de la CIA, les étais demeurent un goulet d’étranglement de l’industrie minière et partant de l’industrie soviétique tout entière. L’excès des dépenses militaires, Spoutnik et Gagarine, ont privé l’économie soviétique des investissements dans l’industrie forestière dont elle est encore très dépendante89. À partir des années 1970, « l’intensité bois » du charbon soviétique diminue surtout grâce aux mines de charbon à ciel ouvert du bassin du Kouznetsk. Mais les mines du Donbass, quant à elles, continuent d’utiliser beaucoup de bois. La chute de l’URSS, suivie de la dévaluation de la hryvnia face au rouble, plonge les mineurs ukrainiens dans une situation catastrophique : faute de bois en quantité suffisante les accidents se multiplient et la production s’effondre90.

  • 91 E. Thompson, 2003, p. 70, tableau 3.12.
  • 92 H. Rui, 2005, p. 68.
  • 93 Les statistiques officielles rapportées par Rui indiquent entre 10 et 18 morts par million de tonn (...)

34En Chine, le manque de bois demeure longtemps un obstacle au charbon. À la fin des années 1970, et de manière étonnante, les étais représentent le premier poste de dépense des grandes mines d’État, devant la main-d’œuvre91. Le prix élevé du bois explique la compétitivité des petites mines artisanales du Shanxi. Celles-ci se multiplient après les réformes de Deng Xiaoping et à la fin des années 1990, 60 000 « mines villageoises » extraient plus de 600 millions de tonnes de charbon par an, pas loin de la moitié de la production chinoise. Les conditions d’exploitation sont proches de celles décrites par les ingénieurs occidentaux des années 1900 : « les mines villageoises typiques du nord de la Chine », écrit une spécialiste, « sont des mines verticales. Une fois le puits principal établi, les travailleurs creusent autant de galeries horizontales que possible. Alors que les mines d’État utilisent des étais pour empêcher l’effondrement, les mines villageoises, afin de réduire les coûts, ne le font généralement pas92 ». La consommation de bois dans les mines du Shanxi est minime mais la mortalité y est aussi deux à quatre fois supérieure à celle des mines européennes un siècle plus tôt93.

  • 94 P. G. Le Bel, 1982, p. 121.

35Ce sont finalement des développements technologiques extérieurs à la mine, les bulldozers et les engins de terrassement qui libéreront le charbon de sa dépendance au bois. Au début du xxe siècle, grâce aux engins de terrassements – pelles mécaniques, draglines et camions bennes – il devient possible de déplacer des volumes de terre suffisamment importants pour découvrir les gisements de charbon situés 20 ou 30 mètres sous le sol. Aux États-Unis, l’extraction à ciel ouvert représente un tiers du charbon américain en 1960, la moitié en 1970 et les deux tiers depuis les années 198094. De même en URSS, la part du bassin du Kouznetsk et du strip mining ne fait que croître par rapport à celle des mines souterraines du Donetsk, passant de 20 à 40 % entre 1960 et 1980. En Europe, les mines à ciel ouvert s’imposent aussi modestement en Angleterre et en France, et massivement en Europe centrale. Les excavatrices, draglines et camions bennes qui déblaient le sol et dégagent le charbon fonctionnent au diésel. Si dans les années 2000 les cours mondiaux du charbon sont restés stables en dépit de l’envol de la demande chinoise, si le charbon a pu alimenter l’Asie en électricité bon marché, c’est grâce à un système technique qui carbure au pétrole. À la fin du xxe siècle, le charbon s’était pour l’essentiel enfin libéré du bois mais pour entrer dans une autre dépendance plus solide encore vis à vis du pétrole.

Conclusion

  • 95 R. C. Allen, 2012.
  • 96 IPCC, 2022, p. 256.

36Depuis les années 2000, on cherche dans l’histoire de l’énergie des indices, des bribes de réponse aux questions contemporaines les plus brûlantes : combien de temps la transition pourrait-elle prendre ? Comment la hâter ? Quel est le rôle du marché ? de l’État ? de l’innovation ? Des historiens se sont prêtés de bonne grâce à cet exercice et l’on a pu voir des collègues spécialistes de la révolution industrielle prodiguer des conseils en transition, alors même qu’ils n’avaient jamais étudié que des symbioses énergétiques et matérielles95. Malgré sa fausseté, le schéma historique transitionniste est en arrière-plan de la réflexion sur l’énergie. Dans leur dernier rapport, les experts du Groupe III du GIEC s’appuient sur lui pour expliquer par exemple que « la transition énergétique pourrait avoir lieu bien plus rapidement que par le passé96 ».

  • 97 V. Smil, 2010 ; id., 2018.

37Prenons encore le cas de Vaclav Smil. Cet ingénieur et historien, grand spécialiste de l’énergie, est actuellement une des voix influentes alertant sur l’énormité du défi que représente une transition mondiale en dehors des fossiles en trente ans. Mais son scepticisme quant à la transition en cours ne l’empêche pas de reconduire dans ses fresques historiques sur l’énergie le récit classique d’une grande transition de la phytomasse au charbon au xixe siècle97.

38Cet article montre combien cette idée d’une transition du bois au charbon est fausse. Sans bois, l’Europe industrielle n’aurait tout simplement pas eu de charbon et partant peu ou pas de vapeur, peu ou pas d’acier, peu ou pas de chemins de fer. Les courbes montrant l’extraordinaire domination du charbon dans les systèmes énergétiques au début du xxe siècle masquent une dépendance non moins extraordinaire vis à vis du bois. Dire qu’il n’y a pas eu de transition ne veut pas dire que rien ne change, mais plutôt que le changement n’est pas celui sous-entendu par le mot de « transition », il n’est pas non plus celui décrit par l’historiographie standard de la révolution industrielle et de l’énergie. La dynamique qui préside aux rapports du charbon et du bois est différente. Il faudrait plutôt parler d’une relation symbiotique qui s’intensifie au cours du xixe siècle suivie d’un désencastrement dans la seconde moitié du xxe siècle.

39Cette divergence ne relève pas seulement du débat académique sur l’interprétation de la modernité. L’enjeu est aussi celui de la politique de l’histoire face au changement climatique. Face à la crise climatique on ne peut plus se satisfaire d’une histoire en relatif : à l’évidence une « transition » vers les renouvelables qui verrait les fossiles diminuer en part relative mais stagner en tonnes ne résoudrait rien. On ne peut plus se satisfaire du flou de la transition et de ses épithètes innombrables, ni des analogies trompeuses entre les pseudo-transitions du passé et celle qu’il faudrait réaliser de nos jours. L’impératif climatique ne requiert pas simplement une nouvelle transition énergétique, mais d’opérer volontairement une énorme auto-amputation énergétique : se défaire en trois décennies des 80 % de l’énergie mondiale actuellement produite par les fossiles. Penser qu’on puisse tirer de l’histoire des analogies sous-estime de manière dramatique la nouveauté et l’énormité du défi climatique.

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10 G. Orwell, 2001 [1937], p. 64.

11 E. A. Wrigley, 2010, p. 95.

12 P. Warde, 2007, p. 69 et appendix 2 ; E. A. Wrigley, 2010, p. 37 ; V. Smil, 2018, p. 233 ; R. Rhodes, 2019.

13 R. A S. Redmayne, 1923, p. 44 ; FAO, 1953, table 15 ; P. Warde, 2007, p. 38.

14 En 1876, la production française est de 2,22 m3/ha pour le bois de feu et 0,55 m3/ha pour le bois d’œuvre. Voir Statistique forestière, 1878, p. 113 et p. 115.

15 A. C. Thélu, 1878, p. 6.

16 A. Leproux, 1905, p. 1-3. Le risque de mort par éboulement est alors de 0,5/1 000 par an en France, 0,6/1 000 en Angleterre et 1/1 000 en Allemagne. Les morts de toutes causes sont de 1/1 000 en France, 1,6/1 000 en Angleterre et 2,4/1 000 en Allemagne. Voir aussi J. E. Murray & J. Silvestre, 2015.

17 T. G. Andrews, 2010.

18 G. Parlongue, 1931, p. 336.

19 A. E. Boadle, 1928, p. 6, 26.

20 « L’accord franco-anglais poteaux-charbons » de 1934 prévoit un troc de 2 tonnes de bois de mine landais contre 3 tonnes de charbon anglais.

21 The New York Times, 15 décembre 1944, p. 3 ; The New York Times, 12 décembre 1947, p. 11.

22 K. Brandt, 1946 ; W. Diebold, 1946 ; Department of State, 1947 ; N Samuels, 1948.

23 « Power Economic Conference », 1947 ; R. Perron, 1996, p. 55-78.

24 R. Zon, 1916-1917.

25 US Senate, 1923, p. 1278.

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30 R. R. Gibson, 1914, p. 110.

31 P. J. Caffrey, 2013 ; V. Seow, 2021, p. 70-80.

32 W. Shockley, 1904 ; T. Wright, 1984, p. 15-31 ; H. Harrison, 2006.

33 C. Evans & G. Rydén, 2005 ; S. Benoit, 2020.

34 E. P. Stebbing, 1923, vol. 2, table p. 103 ; Socialist Construction in the U.S.S.R.: Statistical Abstract, 1936, table 11, p. 310.

35 J.-M. Martin, 1966, p. 347-348.

36 R. Doughty, 2000, p. 96-104.

37 Department of Commerce, 1914, table 216, p. 495-502.

38 E. F. Söderlund, 1958.

39 I. Blanchard, 2000.

40 I. Blanchard, 2005.

41 US Department of Agriculture, 1957, p. 2. ; R. H. Schallenberg, 1975 ; K. E. Inwood, 1985.

42 J. Radkau, 2016, p. 134. Merci à Jawad Daheur pour cette référence.

43 J. L. Meikle, 1997, p. 40-45.

44 F. Rosillo-Calle & G. Bezzon, 2000.

45 La sidérurgie française consommait, en 1860, 315 000 tonnes de charbon de bois. Voir S. Benoit, 2020.

46 F. J. Nellissen, 1997, p. 355-359.

47 Le cliché remonte à l’époque de l’exposition. Voir P. Landon, 1997. Pour une reprise récente voir P. Sloterdijk, 2006.

48 Selon le rapport rendu par l’entrepreneur, le Palais de cristal avait nécessité environ 4 500 tonnes de fonte, 500 tonnes de verre et au moins 15 000 tonnes de bois. Le budget indique aussi une dépense triple pour le bois que pour le verre. Voir Report of the Commissioners for the exhibition of 1851, 1852, p. 69.

49 D. Valen, 2016.

50 W. E. Hiley, 1930, p. 38.

51 A. Mélard, 1900. Sur l’Allemagne voir J. Daheur, 2017.

52 A. J. Van Tassel, 1940, p. 1.

53 On le voit sur la Bartholomew’s Road Surface Map of London & Neighbourhood (URL : https://vu.contentdm.oclc.org/digital/collection/krt/id/1618/rec/1). En 1901 Paris compte 1,6 millions de m2 de chaussées pavées en bois sur une surface totale de 9 millions de m2, voir J. Beauverie, 1905, vol. 2, p. 1327 ; A. Guillerme, 1995, p. 220-222.

54 W. B. Greeley et al., 1922.

55 R. L. Sherlock, 1922, p. 218-220.

56 J. Middleton, 1898 ; « How Much Coal Is Burned in Clay Products Plants », 1919 ; Bureau of the Census, 1922, 1924, 1928, 1932 ; H. Le Chatelier, 1925, p. 454.

57 J. Beauverie, 1905, vol. 2, p. 707.

58 M. E. Russell-Tratman & M. B. E. Fernow, 1891 ; Aishton, 1924.

59 R. W. Fogel, 1966, table 2, p. 28.

60 E. R. Andrews, 1878, p. 182.

61 F. J. Angier, 1921.

62 H. Haupt, 1864.

63 « L’exploitation des forêts et les chemins de fer à rail en bois en Amérique », 1883.

64 N. A. Bill, 2016.

65 N. L. Madureira, 2012 ; I. Tyrrell, 2015.

66 R. R. Hornor & H. E. Tufft, 1925, p. 7.

67 M. Williams, 1992, p. 441.

68 S. H. Olson, 1971.

69 W. D. Middleton, 2007.

70 J. Koll Healey, 2013.

71 M. Koch, 1971.

72 Bureau of Statistics, 1912, p. 320.

73 Socialist Construction in the U.S.S.R.: Statistical Abstract, 1936, p. 304.

74 G. B Magee, 1997, p. 70.

75 G. B Magee, 1997, p. 158.

76 E. Arnould, 1927, p. 237.

77 E. Glesinger, 1932, p. 315.

78 P. Josephson, 2002.

79 M. Meiske & C. Zumbragel, 2021.

80 S. Bagster Boulton, 1884.

81 M. Aldrich, 2006.

82 F. Marshall, 1853.

83 R. A. S Redmayne, 1923, p. 141.

84 G. S. Rice & I. Hartmann, 1939, p. 103.

85 A. Quièvre, 2020.

86 « Miners’ Objections to Steel Props », The Manchester Guardian, 12 octobre 1929.

87 « Russian Pit Props Arrive at Bo’Ness », The Scotsman, 1er février 1938.

88 A. Tretyakova & M. Heinemeier, 1986.

89 CIA, 1964.

90 L. H. Siegelbaum & D. J. Walkowitz, 1995, p. 68, 138-143.

91 E. Thompson, 2003, p. 70, tableau 3.12.

92 H. Rui, 2005, p. 68.

93 Les statistiques officielles rapportées par Rui indiquent entre 10 et 18 morts par million de tonnes de charbon (voir table 3.8). La mortalité dans les mines françaises ou anglaises des années 1900 est de 5 par million de tonnes.

94 P. G. Le Bel, 1982, p. 121.

95 R. C. Allen, 2012.

96 IPCC, 2022, p. 256.

97 V. Smil, 2010 ; id., 2018.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Consommation de bois de mines en milliers de m3
Légende Lecture. Les sources statistiques ne séparent pas le bois pour le charbon des autres minéraux mais dans la plupart des pays, les mines de charbon consomment l’écrasante majorité des étais.
Crédits Sources. FAO, 1953 ; Id., 1975 ; J. J. MacGregor, 1953, p. 298-322 ; US Forest Service, 1958 ; S. D. Richardson, 1966, p. 164 ; R. Stone, 1985.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/19153/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 325k
Titre Figure 2. Déchargement de bois de mine à West Hartlepool, au sud de Newcastle
Crédits Source. T. W. Birch, 1936, p. 22.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/19153/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Figure 3. Consommation de bois de feu en millions de m3
Crédits Source. FAO, 1953.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/19153/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 306k
Titre Figure 4. Consommation anglaise de bois en milliers de m3 pour les traverses et les étais
Crédits Source. FAO, 1953.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/19153/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 499k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Baptiste Fressoz, « Bois et charbon : une histoire symbiotique de l’industrialisation »Histoire & mesure, XXXVIII-1 | 2023, 157-186.

Référence électronique

Jean-Baptiste Fressoz, « Bois et charbon : une histoire symbiotique de l’industrialisation »Histoire & mesure [En ligne], XXXVIII-1 | 2023, mis en ligne le 30 juin 2023, consulté le 28 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/19153 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoiremesure.19153

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Auteur

Jean-Baptiste Fressoz

École des hautes études en sciences sociales, Centre de recherches historiques (CRH, EHESS-CNRS).

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