André Straus et nous…
Texte intégral
1La mort accidentelle d’André Straus, au cœur de cet été 2024, est cruellement ressentie par tous ceux qui participent ou ont participé à la création et à la vie d’Histoire & Mesure. Laure Quennouëlle-Corre et Patrick Fridenson ont détaillé sur le site de l’Association française d’histoire économique tout ce qui faisait la singularité d’André Straus dans le paysage académique français : comme ils l’écrivent, « au fil du temps, il a occupé un large spectre de recherche de l’échelle macroéconomique à la microéconomie, étudiant la conjoncture comme les structures des économies, mêlant histoire quantitative et travail d’archive comme histoire orale et ne rechignant pas à l’histoire comparée et à la dimension internationale des recherches ».
2Mais cette singularité tient autant à l’éventail très large de ses champs de recherche (la banque et le secteur bancaire, l’industrie lainière, les emprunts d’État, le financement des entreprises, la Bourse, et plus récemment l’assurance et les compagnies d’assurance) et à sa réflexion profonde sur les jeux du temps et de la finance qu’à sa position entre histoire et économie, historien pour les économistes, économiste pour les historiens, passeur entre deux mondes. Sa maîtrise de l’histoire économique, des mathématiques et des statistiques lui permettait, selon une formule d’Alessandro Stanziani, « une approche de l’histoire quantitative critique envers un quantitativisme mécanique [qu’il était] pourtant capable d’appliquer de manière à la fois réflexive et rigoureuse ». Une position dont il avait d’ailleurs payé le prix, mais qui s’est avérée riche et féconde pour notre revue.
3Il avait été en effet associé dès l’origine au petit groupe qui préparait en 1984-1985 à la direction des sciences de l’homme et de la société du CNRS la naissance d’Histoire & Mesure : la fréquentation assidue du palier du 3e étage de l’escalier C de la Sorbonne où se croisaient modernistes, médiévistes et historiens de l’Institut d’histoire économique et sociale, alors dirigé par Jean Bouvier, et auquel il appartenait comme chargé de recherches au CNRS, favorisait les contacts… Il a été le premier secrétaire de la revue en 1986-1987, avec un comité de rédaction restreint où figuraient aussi Philippe Cibois (qui lui succéda), Michaël Hainsworth, Jacques Guilhaumou et Bernard Lepetit, bientôt rejoints par André Zysberg et Alain Guerreau. Il est ensuite passé au comité de rédaction, redevenant rédacteur en chef en 2009 pour faire la transition entre Claire Lemercier et Anne-Sophie Bruno avant de devenir membre du comité de lecture. On peut dire que depuis 1986 il n’a jamais cessé de participer activement au travail éditorial de la revue.
4Le rôle de premier plan qu’il a tenu dans la revue est évidemment dû en partie à l’empathie que l’on éprouvait spontanément pour cet homme chaleureux et dynamique, qui s’exprimait toujours de façon courtoise et réfléchie mais aussi avec une chaleureuse franchise qui rendait ses avis particulièrement précieux. Mais ce n’est pas seulement pour ses qualités humaines qu’André Straus a joué un rôle essentiel, c’est aussi par ses compétences scientifiques. Il avait obtenu une maîtrise de mathématiques avant de se tourner vers l’histoire et acquis un bagage très supérieur à celui de la plupart des historiens et de bien des économistes : il pouvait ainsi expertiser avec sûreté les nombreux articles proposés à la revue qui comportaient des traitements statistiques ou économétriques, écartant les plus faibles ou consacrant sans compter son temps à reprendre et améliorer ce qui devait et pouvait l’être. Il ne manquait que très rarement les réunions du comité éditorial ou du comité de lecture, et ses contributions étaient toujours pertinentes. Sa disparition est une terrible perte pour sa famille et ses amis, mais c’est aussi un coup pour notre revue : son intelligence chaleureuse et son énergie éclairée nous manqueront.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Philippe Genet, « André Straus et nous… », Histoire & mesure, XXXIX-2 | 2024, 5-6.
Référence électronique
Jean-Philippe Genet, « André Straus et nous… », Histoire & mesure [En ligne], XXXIX-2 | 2024, mis en ligne le 01 mai 2025, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/21632 ; DOI : https://doi.org/10.4000/140kf
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