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Des chiffres « pour tarir […] les sources du crime »

La construction des statistiques pénitentiaires (Suisse, 1889-1910)
Numbers to “Fight… the Sources of Crime”: The Construction of Penitentiary Statistics (Switzerland, 1889-1910)
Nathalie Dahn-Singh
p. 155-184

Résumés

Le début des années 1890 est marqué en Suisse par une production sans précédent de statistiques pénitentiaires, menée par l’État fédéral et des sociétés philanthropiques, dont la Société suisse pour la réforme pénitentiaire. Par l’analyse de deux entreprises statistiques (1892 et 1894) et leurs acteurs, cet article interroge les enjeux politiques et les fonctions sociales de la quantification. Il donne à voir – au-delà du constat d’« échec » que tirent leurs promoteurs –, la fonction pratique des statistiques, au service d’une réduction de la criminalité, mais aussi leur fonction bureaucratique en tant qu’outil de classification des détenu·e·s et du monde carcéral.

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Notes de l’auteur

Cet article a été rédigé dans le cadre du projet de recherche « Espace carcéral et circulations : une histoire transnationale et régionale des prisons suisses (1820-1980) », dirigé par la professeure Alix Heiniger et soutenu par le Fonds national suisse.

Texte intégral

Je remercie vivement Alix Heiniger, Anne-Françoise Praz, Cézane Beretta et Anouk Essyad pour leurs suggestions qui ont grandement contribué à l’amélioration de cet article, ainsi qu’Aline Johner pour sa relecture précise.

  • 1 Archives fédérales suisses, E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefä (...)
  • 2 K. Stückelberger, 1917, p. 36.

1« Le détenu peut-il travailler dans la cellule où il passe la nuit ? » « Combien de détenus l’Établissement peut-il contenir ? » « Quelles classes de détenus sont reçues dans l’établissement1 ? » Dès 1892, dans le cadre d’un projet de Code pénal suisse (qui aboutira en 1937 seulement), les autorités suisses se lancent dans la récolte de statistiques pénitentiaires à l’échelle nationale. Si des statistiques cantonales et nationales existent depuis le premier tiers du xixe siècle, ces projets sont sans précédent par leur ampleur et les acteurs collectifs impliqués (différents bureaux et départements fédéraux, mais aussi des sociétés philanthropiques, dont la Société suisse pour la réforme pénitentiaire (SSRP) fondée en 1867). Bulletins individuels de détenu·e·s, envoi de questionnaires statistiques sur chaque prison ou de relevés mensuels des effectifs : les nouveaux efforts statistiques s’inscrivent dans le développement de la « science pénitentiaire » en Europe et en Amérique, visant à fonder la production de normes en matière d’exécution des peines sur des connaissances scientifiques sur le monde carcéral et la criminalité. Pour autant, en Suisse, ces efforts se heurtent à de nombreux écueils liés à l’insuffisance des réponses ou aux fossés entre les législations des différents cantons – au point qu’en 1917, dans une notice consacrée à la SSRP, le pasteur bâlois Karl Stückelberger qualifiera d’« échec » les statistiques pénitentiaires de la fin du xixe siècle2.

  • 3 F. Cahen, 2022, p. 74.
  • 4 N. Randeraad, 2010 [2006], p. 7.
  • 5 O. Martin, 2020, p. 10-11.

2Cette contribution analyse la construction des statistiques pénitentiaires en prêtant attention aux « finalités pragmatiques3 » qui guident l’acte du dénombrement, ainsi que le proposait récemment Fabrice Cahen : il s’agit d’enquêter sur la manière dont les chiffres sont conçus pour servir à interpréter la réalité, comme le suggère Nico Randeraad4, en envisageant les statistiques comme un instrument de gestion de l’État, jamais neutre5. Interrogeant ce constat d’« échec » des statistiques, nous nous penchons sur la manière dont les chiffres sont produits et sur les fonctions sociales que remplissent les statistiques pénitentiaires à la fin du xixe siècle. Pour ce faire, l’analyse se focalise sur deux expériences suisses d’objectivation de la population carcérale : les statistiques produites à partir des bulletins individuels d’entrée et de sortie des détenu·e·s, introduits dès 1892 (que nous désignons par « a »), et une enquête statistique de 1894 sur les établissements de détention (« b »), conçue pour compléter « a ». L’approche qualitative adoptée – un choix guidé par la nature lacunaire et disparate des sources – mobilise les formulaires et bulletins statistiques (vierges et remplis) conservés dans plusieurs archives cantonales et aux archives fédérales suisses, la correspondance officielle et les publications statistiques elles-mêmes, ainsi que les Actes de la Société suisse pour la réforme pénitentiaire et, dans une moindre mesure, ceux des congrès pénitentiaires internationaux.

  • 6 Voir par exemple M. Perrot, 2001 [1977] ; B. Aubusson de Cavarlay, 2014. Pour un état de la recherc (...)
  • 7 Voir H. Bächtold, 1914 ; T. Busset, B. Müller & M. Surdez, 1995 ; H.-U. Jost, 1995 ; H.-U. Jost & C (...)
  • 8 Voir par exemple A. Desrosières, 2008.
  • 9 « Verwissenschaftlichung ». Voir R. Lutz, 1996 ; D. Schauz, 2007 ; id., 2010, p. 63.
  • 10 S. Galassi, 2004, p. 89 et suiv. ; G. Schwerhoff, 2011, p. 28, 117, 191.

3Si les statistiques ont été abordées comme un objet d’histoire depuis la fin des années 19706 (et les années 1990 en Suisse7), le champ de recherche sur les statistiques pénitentiaires demeure peu défriché. Cette contribution s’inscrit dans un renouveau des travaux portant sur la production du chiffre sur la population ces dernières années, à la suite de travaux en sociologie historique de la quantification (notamment ceux d’Alain Desrosières8), mais aussi en histoire politique et sociale. Comme l’ont montré ces recherches, la production de statistiques s’inscrit dans une « scientificisation du social9 » au xixe siècle. En Suisse comme à l’échelle internationale, notamment dans la foulée de la publication en France du Compte général de l’administration de la justice criminelle en France (dès 1827), les statisticiens moraux voient dans les chiffres le moyen d’identifier les causes de la criminalité afin de quantifier la moralité de la population ; comme le relève Gerd Schwerhoff, la mesure même de la criminalité en fait un phénomène social reconnaissable. Les statistiques résultent ainsi d’un processus de sélection complexe, dépendant des institutions et des individus qui les produisent10.

  • 11 U. Germann, 2015, p. 85.
  • 12 H.-U. Jost, 1995.
  • 13 O. Martin, 2020.

4Si la Suisse se dote de statistiques pénitentiaires nationales plus tard que d’autres pays (un « retard » qui peut être imputé à la souveraineté des cantons en matière pénale et pénitentiaire, à la naissance de l’État fédéral en 1848 et à la formation plus tardive d’une société philanthropique ad hoc), statisticiens et réformateurs suisses participent activement aux congrès internationaux (de statistiques, pénitentiaires) de la seconde moitié du xixe siècle. Les discussions de la fin des années 1880 autour du futur Code pénal suisse sont marquées par des échanges internationaux sur la réforme pénale et la conception des criminel·le·s11. Partant de l’idée que les statistiques reflètent non seulement les réalités sociales, mais aussi les préoccupations des autorités politiques12, cette contribution cherche à saisir leurs enjeux politiques, en prêtant une attention particulière aux acteurs. L’analyse alterne entre les échelles locale, nationale et internationale, en interrogeant aussi les spécificités du cas suisse et son intégration dans le cadre international. Après une brève contextualisation sur les statistiques pénitentiaires avant 1890, la contribution aborde les trois « temps » de la quantification : sa conception (les acteurs et enjeux de la « mise en chiffres » des prisons), la récolte de données (les bulletins/formulaires et les pratiques de la mesure13), et enfin leur compilation, en comparant les statistiques publiées avec les bulletins et formulaires remplis.

1. Les statistiques pénitentiaires en Suisse avant 1890

  • 14 A. Desrosières, 1988 ; N. Randeraad, 2010 [2006], p. 15.
  • 15 T. Busset, 1995.
  • 16 H.-U. Jost, 1995.
  • 17 H.-U. Jost, 1995, p. 17.

5Débutée au cours du xviiie siècle en Europe, c’est au xixe siècle, en lien avec la naissance des États modernes, que la pratique statistique connaît un développement important. Des bureaux de statistique sont créés en France entre 1810 et 1812 (la « Statistique de la France » s’établira de manière définitive dès 1840), en Prusse en 1810, aux Pays-Bas et en Angleterre en 1832. Les réformateurs sociaux considèrent la science comme un indispensable catalyseur de progrès, comme le prône le Belge Adolphe Quételet (1796-1874), initiateur du premier congrès international de statistique de Bruxelles de 185314. En Suisse, c’est surtout à partir de l’avènement de l’État fédéral de 1848 que ce développement se manifeste, marqué en 1860 par la fondation du Bureau statistique fédéral15 (BSF) qui lance des recensements de population, par la création en 1864 de la Société suisse de statistique et la publication du Journal de statistique suisse dès l’année suivante16. Un nombre croissant d’entreprises statistiques à l’échelle cantonale et suisse voient le jour, « [participant] à l’analyse et à la construction d’un espace national à la fois matériel, intellectuel et mythique17 », comme le souligne Hans-Ulrich Jost. Dès 1880, période de changement social très rapide, la discipline connaît à la fois une institutionnalisation et une professionnalisation.

  • 18 Orelli se base sur des données collectées en 1865. On peut aussi mentionner une enquête réalisée pa (...)

6Les statistiques pénitentiaires des années 1890 ne sont pas le premier essai d’une quantification de la population des prisons suisses. Outre les statistiques qui figurent dès les années 1830 dans les comptes rendus des exécutifs des cantons et des projets ponctuels, également à l’échelle cantonale, on peut citer plusieurs initiatives individuelles et collectives, dont la Statistica della Svizzera du futur conseiller fédéral Stefano Franscini (1827, rééditée en 1847) et les statistiques sur les pénitenciers élaborées par le juge Aloys von Orelli en 1869, qui établissent notamment une typologie des différents établissements18. Ces projets visent à la fois à mieux connaître les établissements de détention et à informer de futures réformes pénitentiaires. De ces premières expériences, en partie basées sur les comptes rendus livrés par les cantons, il ressort que les acteurs peinent à obtenir des données et, a fortiori, des données qui soient comparables entre elles.

  • 19 T. Nutz, 2001.
  • 20 P. Becker & R. F. Wetzell, 2006, p. 6.

7Ces premiers projets helvétiques font écho à la formation, à l’échelle internationale, de la science pénitentiaire comme discipline d’experts, adoptant dès les années 1830 les méthodes des sciences naturelles – dont les statistiques – pour analyser la criminalité sous un angle empirique, dans un système alliant pouvoir (sur la population carcérale) et connaissances. Comme le souligne Thomas Nutz, le discours criminologique du xixe siècle met ainsi à part la « classe » des criminels et des détenus, et se focalise sur la personne du criminel19. S’il évolue et connaît bien des débats (notamment sur les causes de la criminalité), ce discours sera généralement marqué par un souci pour la prévention, un idéal d’une société libre de tout crime, et une méfiance vis-à-vis d’une population considérée comme particulièrement encline à la criminalité20.

  • 21 « Statuts de la Société suisse pour le perfectionnement du système pénal et du régime des prisons, (...)
  • 22 « [U]m riesige Irrtümer, wie wir sie zu Zeiten in den Grossratssälen und Zeitungen mit ungenierter (...)

8En Suisse, dès la fin des années 1860, le développement des idées sur les statistiques pénitentiaires a lieu en grande partie au sein de la Société suisse pour la réforme pénitentiaire (SSRP). Fondée en 1867 à Zurich par trois directeurs de pénitenciers suisses, la SSRP œuvre à la fois « pour le perfectionnement du système pénal et du régime des prisons » ; dès ses débuts, dans ce but, elle se donne pour tâche « d’organiser dans tous les cantons la statistique pénitentiaire21 ». Il s’agit de fonder sur une base scientifique – notamment via les statistiques – les débats sur la prison dans l’espace public, « pour éviter les erreurs immenses que l’on entend de temps à autre proclamer avec une confiance désinvolte dans les salles des Grands Conseils et dans les journaux22 ». Jusqu’à la fin des années 1880, malgré cet objectif, la Société est avant tout un lieu de débat : ses membres relaient les différents projets de statistiques pénitentiaires, mais la thématique apparaît peu lors de ses séances.

  • 23 N. Randeerad, 2006 ; M. Kaluszynski, 2019.
  • 24 L. Guillaume, 1874, p. 52.

9Comme ailleurs en Europe, le développement des statistiques au service de la science pénitentiaire ne naît pas dans l’espace national, au contraire : la lecture des Actes de la Société pour la réforme pénitentiaire révèle l’importance de la circulation des idées à l’échelle internationale et le rôle central des congrès pénitentiaires à cet égard, où sont invités des délégués suisses membres de la Société. Comme l’a montré Martine Kaluszynski23, les échanges transnationaux ont joué un rôle essentiel dans la construction de savoirs et d’une science pénitentiaire, et dans l’élaboration d’idées qui se retrouvent ensuite dans les réformes et la gestion des prisons des pays européens. Dès 1872, le congrès de Londres avait marqué un changement de paradigme dans l’approche des statistiques pénitentiaires. Ses membres avaient souhaité s’éloigner de l’étude de « systèmes, basés trop peu souvent sur l’observation des faits », comme le notait Louis Guillaume (1833-1924), alors directeur du pénitencier de Neuchâtel et futur directeur du Bureau fédéral de statistique : désormais, il s’agissait de produire des « chiffres statistiques afin d’arriver à comprendre les lois d’après lesquelles le crime se développe dans le corps social et à trouver plus sûrement les moyens de les combattre24 ».

  • 25 L. Guillaume, 1874, p. 53.
  • 26 « Règlement pour la Commission pénitentiaire internationale élaboré à Stockholm, en 1877, adopté da (...)
  • 27 A. Desrosières, 2000, p. 123.
  • 28 À propos des congrès pénitentiaires internationaux et de Louis Guillaume, voir la thèse en cours d’ (...)

10En 1874, Guillaume salue un premier travail de statistiques pénitentiaires internationales effectué par l’Italien Martino Beltrani-Scalia, inspecteur général des prisons, qui a compilé des données de la Belgique, la Suède, la Hongrie, le Danemark et l’Italie, mais pas de la Suisse « qui plus que tout autre pays, rend difficile les travaux de statistique25 ». Ces statistiques incluent le type de régime des prisons, leur population et la promiscuité entre détenu·e·s (présentée comme un danger), la récidive, le degré d’instruction des détenu·e·s, le patronage des détenu·e·s libéré·e·s et le produit de la main-d’œuvre carcérale. À noter que dès les années 1880, c’est la Commission pénitentiaire internationale qui sera chargée d’organiser une statistique pénitentiaire internationale26. À l’instar de ce qu’Alain Desrosières observe pour les statistiques en France, le projet de statistiques nationales est ainsi soutenu, et même précédé, par le développement d’un « internationalisme statistique27 », et le domaine pénitentiaire ne fait pas exception28.

2. La conception de statistiques nationales, entre philanthropie et État

  • 29 L. Guillaume, 1889, p. 328.
  • 30 AF E21#1000/131#15780*, Statistik der in den schweizerischen Strafanstalten inhaftierten Verbrecher (...)
  • 31 Voir par exemple U. Germann, 2015 ; E. Keller, 2019.
  • 32 Actes de la SSRP, XVIe session, II, 1889, p. 228.
  • 33 U. Germann, 2015, p. 41 et suiv. et p. 54-55 à propos de C. Stooss.

11Les projets de statistiques pénitentiaires des années 1890 s’inscrivent dans le cadre de l’élaboration d’un projet de Code pénal suisse visant à unifier le droit pénal dès la fin des années 1880. En 188929, des délégués de la Société suisse pour la réforme pénitentiaire, de la Société suisse des juristes et de la Société suisse de statistique se réunissent à Zurich pour lancer les bases de statistiques « en vue de l’élaboration d’un code pénal fédéral & d’une loi sur l’exécution des peines (Strafvollzug)30 », comme le rapporte Louis Guillaume. En 1888, le Conseil fédéral avait en effet chargé le professeur de droit et juge bernois Carl Stooss (1849-1934) de cette tâche. Fondateur de la Revue pénale suisse en 1888, Stooss publiera en 1890 un ouvrage en deux volumes comparant le droit pénal des cantons suisses entre eux (Les codes pénaux suisses rangés par ordre de matières) et en 1893 un Avant-projet de Code pénal suisse. Le projet devient un enjeu majeur à la fin des années 1880 à la fois dans les organes législatifs des cantons et à l’échelon fédéral, mais également dans les sociétés philanthropiques31 : la SSRP, dont Stooss est d’ailleurs membre depuis 1886 ou 188732, se fait largement l’écho des débats dans ses Actes. Comme le montre Urs Germann, le projet de Code pénal répond à un mouvement de réforme des prisons et du droit pénal à cette période, en Suisse comme dans d’autres pays d’Europe occidentale, qui se traduit notamment par des échanges au niveau international33. Précisons que ce n’est qu’en 1937, soit plus de cinquante ans plus tard, que le projet de réforme législative aboutira, avec l’adoption du nouveau Code pénal suisse qui entrera en vigueur en 1942, suivi de lois cantonales sur l’exécution des peines.

  • 34 H. Reinke, 1998, p. 113 ; G. Schwerhoff, 2011, p. 191.
  • 35 H.-U. Jost, 1995, p. 15.
  • 36 S. Freitag, 2014, p. 51.

12Le lancement de statistiques pénitentiaires et les recherches de Stooss constituent les premières étapes d’un processus de réforme législative, dont les débats porteront notamment sur la fonction de la peine (pour éduquer ou punir), mais aussi et surtout sur le problème de la récidive – comme c’est le cas en Allemagne à la même époque, où des statistiques criminelles nationales sont publiées dès 1884 dans la Statistik des Deutschen Reiches34. Dans ce domaine comme dans d’autres, les statistiques officielles définissent ainsi leurs objets selon de possibles modifications futures, par le gouvernement fédéral, de la législation ou des pratiques politiques en vigueur35. Aux yeux des statisticiens, les chiffres sur le monde carcéral permettent de comprendre les lois régissant la criminalité et le type de peine le plus adapté pour l’endiguer36. Or, l’une des principales difficultés évoquées pour réaliser cette ambition est la diversité du système carcéral suisse à la fin du xixe siècle, où chaque canton est souverain. Aux côtés des maisons d’arrêt et prisons de district (utilisées surtout pour la détention préventive), la Suisse compte des établissements pour jeunes délinquant·e·s ou vagabond·e·s, des maisons de travail et des pénitenciers cantonaux destinés à l’exécution des peines criminelles et correctionnelles, dont certains sont associés à des exploitations agricoles, comme c’est le cas à Witzwil dans le canton de Berne.

  • 37 T. M. Porter, 1995.
  • 38 L. Guillaume, 1872, p. 13. À Lenzburg, le directeur Johann Rudolf Müller (1824-1894) avait élaboré (...)
  • 39 U. Germann, 2015, p. 44.
  • 40 L. Guillaume, « Annexe B. Chronique pénale et pénitentiaire. Rapport présenté à la Société suisse d (...)

13Portées par Guillaume, les statistiques sont présentées dans les discussions de la SSRP comme essentielles pour comprendre le monde carcéral et pour asseoir les débats de réforme sur des bases scientifiques et factuelles. Comme l’a montré Théodore M. Porter, le chiffre est gage d’objectivité, de crédibilité37. Dès 1889, devenu directeur du Bureau statistique fédéral, Guillaume joue un rôle central dans les réflexions et l’établissement des formulaires statistiques. Il se fonde sur son expérience de statisticien à la tête du pénitencier de Neuchâtel, qu’il dirige de 1870 à 1889, et au sujet duquel il publie parfois des statistiques à titre d’exemple dans les Actes de la SSRP. Statistiques à l’appui, certains pénitenciers cantonaux font à cet égard figure de modèles de gestion. En 1872 déjà, alors président de la SSRP, Guillaume n’hésitait pas à établir une hiérarchie entre établissements dans une publication destinée au congrès pénitentiaire de Londres, expliquant qu’« au plus haut point de perfection, ce sont les pénitenciers de Lenzbourg (Argovie), Bâle-Ville, Neuchâtel et Tessin, dans lesquels on emploie, à des degrés différents, le système pénitentiaire graduel irlandais38. » À l’origine médecin, bien intégré dans « l’internationale des criminalistes39 », Guillaume se préoccupe dès 1875 des jeunes délinquant·e·s, et promeut une pensée axée sur la prévention. Dans la lignée des conclusions du congrès de Londres, il se prononce à la fois pour la protection de la société, le recul des cas de récidive et la resocialisation des détenu·e·s – notamment via le système progressif. Guillaume fait d’ailleurs appel à son expertise sur les statistiques pénitentiaires à l’échelle internationale pour promouvoir de meilleures statistiques des prisons suisses : en 1888, commentant des chiffres de 1885, il précise à l’attention de la SSRP que ce travail « est loin d’être aussi complet que celui que [l’on trouve] dans les statistiques pénitentiaires des pays [avoisinants]40 » en raison des différences cantonales.

14Concrètement, dès 1892, deux entreprises statistiques sont lancées « coup sur coup » dans ce cadre :

  • « a » : les bulletins individuels d’entrée et de sortie des détenu·e·s (dès 1892). Le projet de bulletin individuel est proposé par la SSRP en 1891. Les bulletins d’entrée renseignent sur le ou la détenu·e à son arrivée : confession, profession, délit ou crime, durée de la peine, mais aussi niveau d’éducation et « cause probable du crime ou délit ». Les bulletins de sortie rassemblent des données sur l’état de santé, l’application au travail, le métier appris durant la détention ou le montant du pécule à la sortie. Axés sur la statistique morale, ces bulletins serviront à l’élaboration d’une Statistique pénitentiaire suisse détaillée, publiée par le Bureau statistique fédéral en 189341, incluant seulement les pénitenciers et non les prisons de district. Selon Guillaume, cette publication fut utilisée par Stooss pour son Avant-projet de Code pénal suisse la même année.
  • « b » : l’enquête sur les établissements de détention (1894). Cette enquête répond à une demande de la Commission consultative qui examine l’Avant-projet de Stooss et souhaite en savoir davantage sur « l’état des prisons préventives & de districts42 ». Les formulaires ad hoc envoyés aux prisons (et quelques pénitenciers) sont axés sur la capacité des établissements, leur coût, ou encore le type de détenu·e·s et leurs occupations. Ils seront ensuite transmis à deux experts, le directeur du pénitencier de St-Gall, Klemens Hartmann (1849-1931), et l’architecte Theodore Gohl (1844-1910), adjoint du directeur des travaux publics de la Confédération. Ceux-ci sont chargés par le Département fédéral de Justice et Police de compiler les données ; ils en tireront en 1895 un rapport intitulé Die schweizerischen Strafanstalten und Gefängnisse43.

15En parallèle, l’Annuaire statistique, qui paraît dès 1891, offre également des données sur les effectifs des prisons, basées sur les comptes rendus des cantons. De plus, dès 1889, des bulletins mensuels doivent être envoyés par les directions de police de chaque canton pour rendre compte au Bureau fédéral de statistique des mouvements de la population carcérale (en détention préventive et condamné·e·s des établissements de détention).

  • 44 L. Guillaume, 1890b, p. 17.

16Quelles sont les fonctions des statistiques pénitentiaires ? Avant tout, il s’agit d’obtenir des chiffres sur la criminalité et d’« apprendre à connaître le monde des prisons44 », tout en comparant les cantons malgré leurs différences, comme on le lit en 1890 sous la plume de Guillaume :

  • 45 L. Guillaume, 1890b, p. 21.

« Le mode d’investigation, en se développant et en donnant des renseignements toujours plus exacts et plus comparables, fournira des résultats susceptibles d’éclairer l’opinion publique et de suggérer des mesures efficaces législatives et administratives qui, avec le concours des sociétés libres de bienfaisance et de l’initiative individuelle, parviendront à réduire le nombre de délits et à abaisser toujours davantage le chiffre de la population de nos maisons de détention45. »

  • 46 AF E4110A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnisstatistik, 1893, p. 4.
  • 47 A. Desrosières, 2010 ; R. Cussó, 2016, p. 58.

17Les statistiques portent ainsi une double fonction. D’une part, renseigner les discussions politiques sur la fonction sociale du châtiment et, de l’autre, identifier et « tarir […] les sources du crime46 », c’est-à-dire utiliser les chiffres pour mieux comprendre les causes principales de la criminalité (et de la récidive), et la manière dont le système carcéral pourrait être réformé pour pallier ces causes. On retrouve ici la combinaison des buts descriptif et prescriptif des statistiques décrits par Alain Desrosières et que souligne Roser Cussó47.

  • 48 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, II, 1892, p. 21-23.
  • 49 S. Freitag, 2014, p. 58.
  • 50 R. F. Wetzell, 2000, p. 21 et 26.
  • 51 R. F. Wetzell, 2000, p. 21 ; S. Galassi, 2004 ; N. Randeraad, 2010 [2006], p. 106.

18En particulier, les bulletins individuels d’entrée et de sortie (« a ») reflètent les préoccupations des réformateurs de cette période pour ces causes du crime et la récidive (notamment avec les questions sur l’éducation scolaire et religieuse des détenu·e·s, leur contexte familial et la profession apprise), ainsi que pour les conditions de l’enfermement. Ils nourrissent ainsi leurs réflexions sur la fonction de la peine dans le parcours du ou de la détenu·e. La question 15 demande d’ailleurs spécifiquement si la personne est « condamnée pour la première fois » (si elle est « primaire ») ou « en récidive48 ». Le rôle de l’éducation dans la baisse de la criminalité fait débat tout au long du xixe siècle. En 1849, l’avocat et statisticien Joseph Fletcher avait ainsi émis des réserves sur la corrélation entre absence d’éducation et criminalité49 ; les statisticiens moraux à la suite de Quételet associent quant à eux les causes du crime plutôt au sexe et à l’âge50. Les statistiques helvétiques brassent donc large, si l’on peut dire : comme le souligne Guillaume, il s’agit de tester « un certain nombre d’hypothèses relatives aux causes du comportement criminel, et notamment aux causes sociales », une focale qui prend sa source dans la préoccupation pour les causes du paupérisme et du crime au xixe siècle, et qui est débattue dans le cadre de l’élaboration du Code pénal. Cet intérêt pour les causes du crime, de même que pour la personne du délinquant et la recherche d’une typologie du criminel est caractéristique des statisticiens moraux du reste de l’Europe51, qui voient dans les statistiques un moyen de réduire le taux de récidive.

  • 52 Voir T. Nutz, 2001 ; S. Galassi, 2004.
  • 53 « Nicht nur der Verbrecher allein, sondern auch das Milieu, aus dem er hervorgegangen ist, interess (...)

19On retrouve fréquemment la question du crime comme une maladie du corps social. La métaphore s’inscrit dans le mouvement hygiéniste au xixe siècle, présentant régulièrement la criminalité comme une maladie ou une guerre52. Elle continuera à être évoquée par les statisticiens dans les années qui suivent : en 1909, l’Allemand Fritz Mangold (1871-1944), statisticien du canton de Bâle-Ville depuis 1902, propose dans le cadre d’une nouvelle expérimentation statistique de prendre en compte le milieu des détenu·e·s : « la statistique criminelle ne s’intéresse pas seulement au seul criminel, mais aussi au milieu dont il provient, au terreau sur lequel le bacille s’est développé53 ».

  • 54 H.-U. Jost, 1991, p. 11.
  • 55 « Dass viele von den Vereinsmitgliedern den gesetzgebenden und Regierungsräthen angehören, gewährt (...)

20À la fin du xixe siècle, l’élaboration des statistiques officielles ne se passe pas de la collaboration des sociétés philanthropiques. Pour les bulletins individuels (« a ») en particulier, c’est la SSRP qui chapeaute le projet et coopère avec le Département de l’intérieur pour la livraison des formulaires, le processus administratif et l’analyse des données par le Bureau de la statistique. L’historien Hans-Ulrich Jost, qui parle d’« associationnisme » (Vereinswesen) pour désigner le phénomène, a montré que le rôle de ces associations ou sociétés dans le domaine politique helvétique ne fait que croître, et qu’elles acquièrent un « statut d’institutions para-étatiques54 » au fil du xixe siècle. Lors d’une assemblée de la Société en septembre 1869, soit deux ans après sa fondation, le président de la SSRP et directeur du pénitencier de Saint-Gall, Joseph Christian Kühne, soulignait déjà les avantages de cette forte présence au sein de l’arène politique pour mener à bien les objectifs de la Société : « le fait que de nombreux membres de la Société appartiennent aux conseils législatifs et exécutifs lui confère davantage d’efficacité55 ». Comme le relève Thomas Nutz, le développement des méthodes scientifiques d’analyse du monde social au xixe siècle cristallise les liens entre les acteurs de la science pénitentiaire et de la fonction publique en Europe.

  • 56 M. Kaluszynski, 2002, p. 468.

21La SSRP réunit de nombreux acteurs du domaine pénitentiaire : directeurs d’établissements, mais aussi employés administratifs, gardiens, prêtres et pasteurs ou enseignants. Association privée, la Société est extrêmement proche des lieux de pouvoir où la réforme pénitentiaire se discute et où plusieurs de ses membres sont actifs. Ses assemblées constituent une arène de débat politique donnant la parole à des experts en droit pénal, dont les interventions sont relayées dans la publication de la Société. Le cas suisse ne constitue d’ailleurs pas une exception : pour la France, la Société générale des prisons, fondée en 1877, soit dix ans après la SSRP, occupe une fonction similaire comme « laboratoire » de réformes politiques, amorçant dans le domaine privé les discussions sur la question pénale à l’échelle nationale, comme l’a montré Martine Kaluszynski56. L’élaboration de statistiques pénitentiaires (pensées, rappelons-le, comme des sources d’information pour les débats et décisions politiques) permet aussi aux membres de la Société « d’entrer » dans les prisons et d’étendre leur sphère d’action à l’ensemble des établissements du pays – y compris dans les cantons où l’influence de la SSRP serait plus réduite, voire où se joue une certaine résistance à la modernisation souhaitée par les philanthropes.

22Dans cette perspective, ces projets constituent également le début d’une quantification plus vaste, détaillée et systématique du système carcéral suisse – une expérience sans doute pensée aussi pour tester la capacité des cantons et des établissements pénitentiaires à fournir des données, à se conformer à des catégories prédéfinies ne correspondant pas nécessairement à la législation cantonale en vigueur, et à transmettre efficacement à l’administration fédérale des données de l’échelon de la prison. Dans le cas des bulletins individuels (« a »), il s’agit en outre de créer une certaine habitude statistique qui passe par la mise en place de bulletins individuels pensés pour durer, et d’établir un cadre fédéral pour les statistiques pénitentiaires.

  • 57 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, 1891, p. 11.
  • 58 L. Guillaume, 1879, p. 242-243. Voir E. Génard & M. Simioni, 2018, p. 914 et suiv.
  • 59 L. Guillaume, 1890a, vol. III, p. 715-720.
  • 60 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIIe session, II, 1891, p. 10-13. Voir C. Besozzi, (...)

23Enfin, dès lors que la nécessité des statistiques pénitentiaires est établie, la question de leur rapport aux statistiques judiciaires se pose. Si, en 1889, les projets des réformateurs de la SSRP incluent à la fois des statistiques judiciaires et pénitentiaires, l’accent est rapidement mis sur les secondes : « il fut reconnu unanimément que l’on devait faire abstraction d’une statistique judiciaire criminelle, qui, vu la diversité des législations cantonales offrait trop de difficultés57 ». Les réflexions sur l’utilité des statistiques pénitentiaires et judiciaires se reflètent à l’échelle internationale : dès le congrès de Stockholm en 1878, Louis Guillaume, alors directeur du pénitencier de Neuchâtel, avait plaidé pour faire des statistiques pénitentiaires la base de l’étude des « causes du crime58 ». En 1890, la question est débattue lors du congrès international de Saint-Pétersbourg, où Frederic Mouat, le représentant anglais et vice-président de la Royal Statistical Society de Londres, juge également que les statistiques pénitentiaires sont plus à même de renseigner sur la criminalité59 ; son homologue français défend les statistiques judiciaires, selon lui plus complètes parce qu’elles permettent de suivre le ou la détenu·e au-delà du séjour en prison – une vision qui aura gain de cause. En Suisse, les statistiques judiciaires existent, mais se cantonnent à une classification des condamnations : les statistiques pénitentiaires demeurent pour leur part l’instrument privilégié pour informer la réforme du système pénal et renseigner sur la criminalité, liant le crime ou le délit et la peine (type, durée) à des informations sur les personnes incarcérées (l’âge, le sexe, mais aussi l’éducation)60.

3. Formulaires, acteurs locaux et pratiques de la mesure

24Comment les données statistiques ont-elles été récoltées au sein des prisons ? Nous disposons de sources éparses et au mieux lacunaires pour tenter de répondre à cette question : les formulaires vierges, d’une part, quelques consignes sur la manière de les remplir, ainsi que certains bulletins individuels et formulaires sur l’état des prisons remplis (épars pour « a », systématiquement conservés aux Archives fédérales suisses pour « b »). Ces documents inédits (et rares) permettent de se rendre compte, en tout cas partiellement, du matériau à disposition des statisticiens du Bureau statistique fédéral.

  • 61 E. Génard, 2021, p. 184.

25Notons tout d’abord que le remplissage des bulletins relève de procédés variés, mettant en jeu divers acteurs des établissements et différents rapports de pouvoir : si, dans le cas de « b », l’enquête sur les prisons via les formulaires ad hoc est effectuée entièrement « par le haut » (c’est a priori le directeur de la prison qui remplit le formulaire et l’envoie ou le fait envoyer), les bulletins individuels font intervenir une logique liée à l’écrou. Elsa Génard a proposé de considérer l’écrou comme participant d’un processus d’identification des détenu·e·s, une procédure administrative qui constitue un moment clé du passage vers l’enfermement61. Sachant que les détenu·e·s participent à l’élaboration du registre d’écrou en fournissant des renseignements aux représentants de l’administration pénitentiaire – de manière inégale si l’on considère les rapports de pouvoir à l’œuvre entre le personnel pénitentiaire et le ou la détenu·e –, elles et ils ont un impact sur ces bulletins individuels.

  • 62 L. Guillaume, 1872, p. 55. Voir D. Schauz, 2008.

26Ces bulletins individuels (« a ») sont donc ceux qui s’apparentent le plus à l’écrou, même s’ils ne le remplacent pas pour autant. Le bulletin est beaucoup plus détaillé : bien des questions n’existent pas dans l’écrou (comme les causes du crime) et le mode de réponse offre une certaine flexibilité. Celle-ci est néanmoins limitée, puisque certaines réponses possibles sont préimprimées – constituant elles-mêmes les modalités d’une variable (comme le degré d’éducation). Le changement de paradigme du registre d’écrou au bulletin individuel traduit un intérêt plus poussé pour les causes des délits et la trajectoire des détenu·e·s avant et après l’incarcération, ainsi que pour les éventuels bénéfices de leur séjour en prison, notamment en termes de professionnalisation ou d’instruction. On retrouve ici la préoccupation des promoteurs des statistiques pour la récidive : ceux-ci questionnent l’efficacité du séjour en prison pour réformer les détenu·e·s par l’éducation et la formation à un métier comme « moyen de moralisation62 » permettant un retour à la vie en société.

27S’adressant en 1891 à la Société suisse pour la réforme pénitentiaire, Louis Guillaume émet des recommandations sur la manière dont les bulletins d’entrée et de sortie (Figure 1) doivent être remplis en répartissant les tâches entre plusieurs personnes : le directeur et le chapelain remplissent les questions administratives (« nom », « origine », « état civil », « confession », « profession apprise », « désignation de la peine », « durée de la peine », ou encore « condamné pour la première fois/en récidive ») – des questions cruciales selon Guillaume pour établir « un plan de traitement pénitentiaire ». La seconde partie du bulletin d’entrée aborde des « questions spéciales » telles que le degré d’éducation, la famille (« parents séparés ou divorcés », « assistés », « cas d’aliénation mentale dans la famille »), et surtout la « cause probable du crime ou délit » (allant de « misère » à « prodigalité », en passant par « querelles domestiques » et « ivresse »), qui présente selon Guillaume « un intérêt au point de vue de l’économie sociale » :

  • 63 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, II, 1891, p. 12.

« Dans certains cas il ne sera pas possible d’obtenir des réponses sûres et certaines, dans les autres cas, les renseignements devront être demandés à bonne enseigne par les soins du directeur ou du chapelain. Le médecin de l’établissement aura à répondre à la question relative à la santé physique et mentale des condamnés. Cette seconde partie du questionnaire imposera sans nul doute un surcroit de travail au directeur et au chapelain, mais ce travail sera largement compensé par les résultats qui seront obtenus et qui intéresseront non seulement les fonctionnaires de prisons, mais aussi les hommes d’État et les Sociétés d’utilité publique et de bienfaisance63. »

28Nous ne disposons malheureusement pas de la « feuille de conduite » supposée fournir des instructions pour remplir les bulletins individuels, ni d’indications sur la manière dont la charge administrative supplémentaire imposée par les bulletins a impacté le travail du personnel des établissements pénitentiaires. Pour autant, ces bulletins sont pensés comme une tâche collective mettant en scène différents acteurs de la prison autour de la personne du ou de la détenu·e, disposant d’informations complémentaires à son sujet.

  • 64 Je remercie Cézane Beretta de m’avoir signalé ces sources aux Archives de l’État de Fribourg (désor (...)
  • 65 AEF Bellechasse A, Dossiers de détenus, dossier no 2935 (nom d’emprunt), 1884-1893.

29On trouve ces bulletins individuels dûment remplis dans les dossiers de détenu·e·s de la Maison de force de Fribourg (versés dans le fonds Bellechasse64) dès 1893, aux côtés d’autres formulaires tels que le signalement et inventaire de la Maison de correction de Fribourg. La plupart des quelque quarante bulletins que nous avons examinés sont remplis pour la majorité des questions, a priori de la main du directeur de la Maison de force, Théophile Corboud, qui les signe souvent. Les informations personnelles, de même que celles portant sur le délit et la peine, sont régulièrement renseignées ; à l’inverse, la question spéciale sur le contexte familial ne l’est que rarement, peut-être par manque d’informations. Une question, « le but de la détention semble-t-il avoir été atteint ? » génère régulièrement des points d’interrogation – incertitude ou incompréhension de ce que serait le « but » ? Difficile à dire. Corboud ajoute parfois quelques notes ; à propos de Marie M., domestique de 43 ans coupable d’incendie et en réclusion pour dix ans, il écrit ainsi en 1894 dans les causes du crime : « avec satisfaction de voir l’action du crime se réaliser65 » (Figure 1). Pour la réalisation des statistiques, outre les silences à certaines questions, c’est cependant la multiplicité des réponses soulignées, notamment dans cette dernière catégorie, qui rendra complexe la tâche du statisticien – surtout lorsqu’il s’agit d’établir des corrélations. De plus, si Corboud semble avoir rempli de manière assez complète les bulletins, nous n’avons pas trouvé de bulletins similaires pour d’autres établissements qui permettraient une comparaison.

Figure 1. Enquête « a », exemple de bulletin d’entrée à la Maison de force de Fribourg (recto et verso)

Figure 1. Enquête « a », exemple de bulletin d’entrée à la Maison de force de Fribourg (recto et verso)

Source. Archives de l’État de Fribourg, Bellechasse A, Dossiers de détenus, dossier no 2935, « Marie M. » (nom d’emprunt), 1884-1893, détenue entrée le 8 octobre 1884.

  • 66 AF E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefängnisse in der Schweiz, B (...)
  • 67 AF E4410A#1000/1840#545*, Bericht vom Oktober 1895 der vom Justiz- und Polizeidepartement bestellte (...)

30Sans entrer dans l’analyse détaillée des formulaires de l’enquête « b » de 1894 sur l’état des prisons, conservés aux Archives fédérales suisses66, les disparités entre les établissements sont frappantes. Les formulaires sont remplis par les directeurs des prisons, mais aussi les geôliers. Là où Théophile Corboud, pour la Maison de force, ou le geôlier-chef de la prison de district de la Gruyère à Bulle (le sergent Murith, appuyé par l’autorité du préfet de la Gruyère qui signe également) se montrent très détaillés et précis (Figure 2), répondant « aucun » ou « non » lorsque la question ne s’applique pas, d’autres donnent des réponses lapidaires, à l’instar des responsables de la prison de Tavel, de Châtel-Saint-Denis ou de Morat. Bien des « blancs » laissés vides ne sont pas aisés à interpréter ; à Morat, le préfet dessine de grands traits en travers des cases pour signifier une absence de réponse à de nombreuses questions, comme l’aménagement des bâtiments ou les mesures prises pour prévenir les évasions. L’abondance de documents administratifs à remplir et les différences en termes de personnel pourraient expliquer en partie ces divergences, sans doute aussi dues à la personnalité des scripteurs. Comme en témoigne l’ajout de notes en allemand au crayon sur certains formulaires, l’envoi des formulaires a en outre été complété par une visite des deux experts. À en croire la liste de frais de voyage conservée aux Archives fédérales suisses, Hartmann effectue un véritable tour de Suisse, inspectant en 5 voyages pour un total de 36 jours, entre juillet et novembre 1894, pas moins de 70 établissements67 sur les 200 qu’intègre le rapport final (14 maisons de travail, 27 pénitenciers, 10 prisons centrales, 149 prisons de district).

Figure 2. Enquête « b », Rapport sur la Maison de force de Fribourg pour 1894

Figure 2. Enquête « b », Rapport sur la Maison de force de Fribourg pour 1894

Source. Archives fédérales suisses, E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefängnisse in der Schweiz, Bd 1-26, 1894, Band 11, Fribourg.

  • 68 On en trouve un exemple dans le fonds AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiqu (...)

31Sachant que, pour « a » et « b », nous n’avons pas de sources à notre disposition qui documentent vraiment la phase d’opérationnalisation de la récolte des données, nous avons effectué un « pas de côté » dans une perspective heuristique pour reconstituer et comprendre un autre relevé : les bulletins mensuels. Nous avons eu la chance de trouver aux Archives de l’État de Fribourg des documents renseignant sur la manière de remplir ces bulletins. Ceux-ci doivent être remplis pour chaque individu entrant dans l’établissement et envoyés au Bureau fédéral de statistique. Le bulletin mensuel en lui-même comprend des explications sur la distinction entre les rubriques « criminels » (« les individus condamnés par les tribunaux criminels aux travaux forcés ou à la réclusion (Zuchthaus, Arbeitshaus, Einsperrung »)), « correctionnels » (les « condamnés pour délits »), « maison de travail et de correction » (« les individus internés dans ces derniers établissements pour cause d’abandon de famille, d’ivrognerie, etc. »), et enfin les peines de police (contraventions)68.

  • 69 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de (...)
  • 70 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de (...)

32Or, entre 1903 et 1907, des fragments de correspondance entre la direction de la police cantonale et des représentants des préfectures donnent parfois à voir un bras de fer sur les catégories et la manière de remplir le bulletin. Le 2 mars 1903, A. Gaudaud, secrétaire de la préfecture de la Veveyse, demande à la direction de la police cantonale si un détenu condamné « correctionnellement, à quinze (15) jours de prison pour vol, fravail [vol de bois], abandon de famille, etc. etc. ou pour un autre délit, [doit] figurer dans la seconde colonne du tableau car il subit une peine correctionnelle et non de police69 ». La réponse du 4 mars, négative, explique que « la seconde et la troisième colonne sont réservées exclusivement à la Maison de Correction et à la Colonie de Belle-Chasse » ; tout en admettant qu’il serait souhaitable de mettre « les peines de prison criminelles et correctionnelles dans des colonnes spéciales, mais comme celles-ci ne sont pas prévues dans le formulaire établi par le bureau fédéral de statistique70 », il s’agit de faire des aménagements. Là où l’idée des promoteurs des statistiques est d’imposer un même langage bureaucratique pour classifier les détenu·e·s, les spécificités cantonales s’en mêlent, faisant ressortir les tensions entre niveaux cantonal et fédéral, mais aussi une certaine résistance – mâtinée de bonne volonté – de la part de ceux qui remplissent les bulletins à l’échelle locale.

33La direction de la police semble effectuer une vérification précise des tableaux : en janvier 1906, le représentant de la préfecture de la Broye est pris en défaut, car ses effectifs du tableau de décembre ne « correspondent pas avec l’effectif de la fin du mois précédent. S’il y a eu [une] erreur commise pour votre tableau de novembre, on ne peut pas la rectifier maintenant », et il faut remplir à nouveau les deux tableaux. Un autre échange, du 2 janvier 1907, témoigne d’effectifs corrigés artificiellement a posteriori pour pallier des erreurs :

  • 71 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de (...)

« L’effectif à la fin du mois de novembre correspond à celui indiqué par l’état nominatif, soit 5 détenus au lieu de 6 que vous avez mentionné ; mais, pour arriver à ce chiffre de 5, nous avons dû porter [en] diminution, dans la colonne “Mendiants et vagabonds”, deux femmes détenues au lieu d’une mentionnée dans l’état nominatif. Nous avons constaté en effet que la préfecture avait déjà commis une erreur dans le tableau du mois d’octobre […]71. »

34Plusieurs circulaires, dont une de février 1906, précisent l’usage des différentes colonnes, et tentent d’aider les secrétaires des préfectures dans leur tâche. Il est probable que de tels ajustements étaient courants, et qu’ils ne faisaient pas nécessairement l’objet d’une lettre.

4. Du bulletin aux statistiques : la mise en chiffres

  • 72 [K. Hartmann & T. Gohl], 1895, p. 4 et suiv.

35En 1895, Klemens Hartmann et Théodore Gohl livrent une analyse publiée des formulaires et des visites des prisons de 1894 (« b »). Ils en profitent pour transmettre leurs recommandations concernant les prisons de district, allant de la taille de la cellule à l’habitat des gardiens, en passant par le produit de désinfection et la cellule d’isolation72. Certains établissements ne disposent que d’informations lapidaires ; c’est le cas de la prison de district de Châtel-Saint-Denis, pour laquelle les auteurs notent « nicht inspiziert » (pas inspecté), ayant manifestement dû se baser uniquement sur les indications des formulaires. Faute de données suffisamment comparables, Hartmann et Gohl livrent non pas des statistiques, mais une description des prisons suisses (principalement des prisons de district) par canton et établissement, expliquant l’emplacement de ces derniers, la taille et le nombre des cellules – listant, autrement dit, toutes les informations glanées. En guise de statistique, un tableau récapitulatif très simple conclut chaque section cantonale, croisant le nombre d’établissements avec le nombre de cellules, de dortoirs, d’ateliers et le nombre maximal de détenu·e·s par jour – mais ces données sont largement manquantes. Le rapport se déploie néanmoins sur 326 pages et offre des conclusions sur les coûts et les types de prisons en regard d’un futur Code pénal suisse. Alors que l’un des enjeux de la réforme tourne autour de la séparation entre les différents types de détenu·e·s dans des établissements différents, afin d’éviter une mixité jugée néfaste, les auteurs préconisent par exemple le pragmatisme, soit d’avoir recours aux établissements existants en s’appuyant sur la coopération entre cantons.

  • 73 E[rnst] Hafter, « Rapport sur l’état actuel de l’unification du droit pénal suisse », Actes de la S (...)

36Quant à l’usage de ces conclusions, comme des autres statistiques de notre corpus, il semble que le rapport de Hartmann et Gohl aura au moins été mobilisé par la commission chargée de la réforme du droit pénal. En 1912 en effet, deux rapports sur « l’état de l’unification du droit pénal suisse » présentés à la SSRP respectivement par le professeur de droit pénal à l’Université de Zurich Ernst Hafter (1876-1949) et le procureur zurichois Emil Zürcher, témoignent que la commission a utilisé les données amenées par Klemens Hartmann, l’un de ses membres, présenté comme un « expert spécial73 ». Au moment de la publication du rapport, celui-ci suscite en tout cas une réaction de la part des directeurs de pénitenciers. Louis Guillaume, quoiqu’il ne soit plus à la tête du pénitencier de Neuchâtel, envoie une lettre très détaillée le 17 décembre 1895 au conseiller fédéral Müller, qui dirige le Département de justice et police, dans laquelle il juge l’inspection de Hartmann et Gohl « très superficielle », pointant des « inexactitudes », notamment dans la compréhension, par les experts, des usages des différentes ailes du pénitencier.

  • 74 AF E4110A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnisstatistik = Statistique pénitentiai (...)
  • 75 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 3.
  • 76 N. Randeraad, 2010 [2006], p. 4.

37Si ce rapport de Hartmann et Gohl a une claire portée politique, les très riches statistiques tirées des bulletins individuels (« a ») de 1892 se présentent davantage comme un outil scientifique, faisant la part belle aux tableaux statistiques plutôt qu’aux propositions de réforme. Parue en 1893, la Statistique pénitentiaire suisse74, publiée par le Bureau statistique fédéral, est séparée en trois parties : l’effectif des condamné·e·s au 1er janvier 1892, les entrées pendant l’année 1892 et les sorties pendant l’année 1892. La préface anonyme (mais dont on peut penser qu’elle est signée par Louis Guillaume) ne propose pas de « conclusion absolue sur la criminalité en Suisse et dans les différents cantons75 », et l’ouvrage ne contient ensuite que des tableaux statistiques, qui ne sont pas commentés. Une fois quelques précautions méthodologiques exposées, les statistiques sont présentées comme un outil parlant pour lui-même, rationnel et scientifique. Cette posture de prudence des statisticiens est une constante de l’époque : les idées doivent être déduites des chiffres, supposément neutres, comme l’observe Randeraad76.

  • 77 K. Stückelberger, 1917, p. 36.
  • 78 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 3.
  • 79 Voir par exemple AEF DPd 2395, Statistiques des mouvements d’entrées et de sorties dans les prisons (...)
  • 80 P.-C. Hautcœur, 2008.

38Dans sa Notice historique de 1917 que nous avons mentionnée en introduction, le pasteur Karl Stückelberger imputait l’« échec » des statistiques pénitentiaires « à la diversité des usages cantonaux, à l’absence d’un droit pénal unique et à la difficulté d’obtenir des résultats extra-officiels sans intervention coercitive de l’État77 ». Les difficultés rencontrées dans la compilation apparaissent clairement sous la plume des statisticiens, à commencer par le manque de données et les lacunes dans les réponses. La préface de la Statistique pénitentiaire suisse de 1893 confirme les disparités entre établissements, dont certains « n’étaient pas encore en mesure de communiquer les renseignements demandés et […] d’autres n’ont rempli des bulletins que pour certaines catégories de condamnés78 ». Au 1er janvier 1892, en comparant avec les bulletins mensuels, il apparaît que la part de détenu·e·s qui n’est pas dans la Statistique représente 804 condamné·e·s sur 3 005 (2 494 hommes et 511 femmes), soit 26,8 %. Ce sont les détenu·e·s condamné·e·s à des peines courtes sur lesquel·le·s le plus d’informations manquent : il est possible que les directeurs ne voient pas l’intérêt de remplir un bulletin pour des personnes qui ne restent que peu de temps dans l’établissement, ou que ces bulletins soient remplis non pas à l’arrivée, mais après le début de la détention. Le problème de la catégorisation de la population carcérale se pose aussi pour les relevés mensuels des mouvements des détenu·e·s : la même année, un tableau précise que « [l]es renseignements relatifs aux différentes catégories de détenus dans les cantons ne sont pas toujours comparables, vu la bigarrure des législations cantonales et la diversité des institutions pénitentiaires79 ». Paradoxalement, les statistiques semblent ainsi se heurter à… ce qu’elles sont censées aider à pallier, soit le manque d’unification du droit pénal. Les tensions résident dans la mise en commun des données à l’échelle nationale : au sein des cantons, les statistiques pénitentiaires existent durant toute la période, et sont régulièrement publiées dans les Comptes rendus annuels des Conseils d’État. Dans le domaine de la mesure de la criminalité, ces difficultés caractérisent le cas suisse, dont les statistiques pénitentiaires ne connaissent pas la même régularité qu’en France par exemple. L’« échec » des statistiques se constate cependant dans d’autres domaines : pour la France, Pierre-Cyrille Hautcœur observe un phénomène similaire sur les faillites, qu’il lie à l’absence d’un usage concret des chiffres80.

39La Statistique de 1893 détaille longuement les « questions spéciales », destinées à identifier les causes de la criminalité (Figure 3). À cet égard, c’est avant tout la corrélation entre différents facteurs qui est jugée significative :

  • 81 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 4.

« [q]uoique [les réponses] qui indiquent le genre d’éducation reçue dans l’enfance ne soient que le résultat de l’appréciation individuelle des directeurs de pénitenciers, elles ont néanmoins une certaine valeur, surtout lorsqu’elles sont corroborées par des faits, tels que l’illégitimité de naissance, la mort du père ou de la mère, ou de tous les deux, dans la période de l’enfance, le divorce des parents, la condamnation antérieure de ces derniers, l’ivrognerie, etc.81 ».

40Malgré ces ambitions, les tableaux statistiques ne croisent que rarement les catégories : c’est seulement le cas de quelques variables, comme l’éducation et la naissance légitime/illégitime, qui sont mises en relation dans un même tableau. Le reste de la Statistique reprend les catégories des bulletins une à une, de manière détaillée. Ainsi, les sept pages de tableaux listant les professions ou occupations des détenu·e·s (croisant « exercée en dernier lieu »/« profess. apprise ou occupation première ») illustrent, avec nombre d’exemples à l’appui, la diversité des professions apprises en prison. Alors que la population carcérale est anonymisée par la mise en chiffres et laisse place aux catégories statistiques, c’est là que ressort parfois l’individualité des détenu·e·s, au gré d’un « 1 » noté à côté d’un manœuvre devenu fromager.

Figure 3. « Causes immédiates des crimes et délits » (hommes) dans la Statistique pénitentiaire suisse (1893)

Figure 3. « Causes immédiates des crimes et délits » (hommes) dans la Statistique pénitentiaire suisse (1893)

Source. Archives fédérales suisses, E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik = Statistique pénitentiaire suisse, Berne, Orell Füssli, 1893, p. 30.

  • 82 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 30.

41Le ton de prudence de la Statistique de 1893, où les statisticiens s’effacent derrière les chiffres, se distingue clairement de l’expertise de Hartmann et Gohl au ton davantage prescriptif. La construction des catégories n’en est pas nécessairement moins éloquente, en particulier sur les « causes immédiates des crimes et délits ». Si, comme pour les professions, les causes sont extrêmement détaillées, elles sont organisées thématiquement dans la Statistique de 1893. Pour les hommes, on trouve ainsi des causes « sociales » (misère, mauvaise éducation, mauvaises compagnies), des sentiments (haine, passion, vengeance), des comportements (jeu, vagabondage – et l’ivrognerie, mentionnée dans pas moins de 42 % des causes évoquées, souvent en combinaison avec d’autres « travers » comme la légèreté ou la prodigalité)82. Pour les femmes figurent aussi des causes « sociales » et liées aux sentiments, ainsi que l’ivrognerie, la paresse et l’oisiveté, la « vie déréglée » et l’avidité de plaisir ; s’y ajoute la prostitution pour différentes raisons. Si la question du genre des détenu·e·s est assez peu thématisée dans les Actes de la SSRP, sauf pour parler d’établissements spécifiques aux femmes, nos deux enquêtes statistiques font état d’une omniprésence de la séparation par sexe et d’un intérêt pour cette variante, qui se lit aussi dans la compilation des données, organisée de manière genrée.

  • 83 C. Besozzi, 2016, p. 36.

42Si ces statistiques pénitentiaires ne connaîtront vraisemblablement pas de suite sous cette forme, les bulletins individuels continuent à être en usage ; une forme un peu simplifiée sera par exemple attestée à la fin des années 1930 à Lenzburg. Les tentatives ponctuelles d’établir des statistiques pénitentiaires se poursuivront à intervalles plus ou moins réguliers durant la première moitié du xxe siècle (1908, 1913, 1936 ou encore 1942), toujours avec les mêmes difficultés rencontrées. De manière intéressante, les statistiques judiciaires semblent se heurter aux mêmes écueils, avec des conclusions similaires, et finiront par se limiter à des statistiques des condamnations, menées d’abord dès 1904 par le nouveau Bureau central de police, puis de manière définitive après l’entrée en vigueur du Code pénal suisse en 194283.

Conclusion

  • 84 T. Nutz, 2001, p. 235-236.
  • 85 E. Génard & M. Simioni, 2018, p. 895.

43Durant la dernière décennie du xixe siècle, sous la houlette commune de l’État et de la philanthropie (comme la Société suisse pour la réforme pénitentiaire), les statistiques des prisons s’institutionnalisent pour devenir un instrument étatique visant à guérir le corps social de la criminalité en accumulant des chiffres sur celle-ci. En France en particulier, le discours hygiéniste, prônant l’application des statistiques au monde social, a un impact fondamental sur la réforme pénitentiaire84. Les statisticiens suisses sont bien intégrés dans les réflexions sur la criminalité et la réforme pénale au sein de diverses arènes internationales ; ils partagent pleinement les discours des criminalistes anglais, allemands ou français et la croyance ferme dans les statistiques pour saisir les lois du monde social. Cependant, en Suisse et contrairement à d’autres pays comme la France85, les statistiques pénitentiaires prennent le dessus sur les statistiques judiciaires, en raison des difficultés accrues à comparer les données des tribunaux. Le cas suisse se distingue en outre par l’établissement relativement tardif de statistiques pénitentiaires à l’échelle nationale, ainsi que par l’abandon et la reprise fréquente des projets statistiques en raison des problèmes suivants : réponses lacunaires, manque de données, mais surtout difficultés à réconcilier les catégories du relevé fédéral avec les spécificités pénales cantonales, voire locales.

  • 86 H.-U. Jost, 1995, p. 15.

44Au-delà du constat d’« échec » dressé par les acteurs, ce sont cependant les tentatives – répétées – qui s’avèrent particulièrement intéressantes. D’une part, le fait même de documenter des réalités sociales par les nombres, en recourant à des données provenant de tous les cantons suisses, renforce à cette période la vision d’une population et d’un espace national commun et unifié, participant à la « construction numérique86 » de l’État – construction opérée également par d’autres entreprises, comme la cartographie du territoire. En les documentant « rationnellement » et « scientifiquement », les statistiques opèrent en outre une objectivation des prisons, soit la marge, et les font apparaître dans la sphère d’action de l’État fédéral.

  • 87 Il propose une différenciation non selon la peine, mais selon « l’individualité du sujet ». E[rnst] (...)
  • 88 J. Auderset, 2009, p. 356.
  • 89 Comme le soulignent également E. Génard & M. Simioni, 2018.

45D’autre part, les efforts pour réaliser ces statistiques en disent long sur le besoin de chiffres nouveaux, modernes, pour alimenter la science pénitentiaire, cruciale dans les débats autour de la réforme du système pénal. Nous avons montré que le chiffre remplit des fonctions sociales essentielles : dans la perspective des réformateurs, il s’agit de mieux comprendre le monde carcéral et de trouver des moyens de réduire le crime, mais aussi, in fine, de justifier le recours à l’une ou l’autre peine de prison dans de futurs jugements. La science pénitentiaire si chère aux réformateurs établit des catégories entre les détenu·e·s : l’un des enjeux majeurs réside dans la distinction entre les « primaires », les récidivistes et les mineurs au sein d’un même établissement – un enjeu qui se poursuit après la votation du Code pénal de 1937, comme on le lit deux ans après sous la plume du professeur de droit pénal Ernst Delaquis (1878-1951)87. Quantifier la prison, c’est produire du savoir qui permet d’ordonner, de classifier le monde carcéral pour le présenter dans l’arène politique, et légitimer la prison comme institution d’exécution des peines88. Pour ses promoteurs, les statistiques apparaissent ainsi comme un outil bureaucratique, une manière de classer les détenu·e·s à laquelle le personnel des établissements est supposé adhérer et s’habituer – en d’autres termes, un langage commun, national, transcendant les différences locales. À cet égard, les quelques pistes que nous avons esquissées appellent à poursuivre les recherches, notamment par un travail diachronique et plus fouillé sur la construction des catégories statistiques et leur évolution, mais aussi sur les usages des statistiques, sur lesquels il existe encore peu de travaux89.

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Bibliographie

Sources

Archives

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Notes

1 Archives fédérales suisses, E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefängnisse in der Schweiz, Bd 1-26. La citation en titre est tirée de : Archives fédérales suisses (désormais AF), E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik = Statistique pénitentiaire suisse, Berne, Orell Füssli, 1893, p. 4.

2 K. Stückelberger, 1917, p. 36.

3 F. Cahen, 2022, p. 74.

4 N. Randeraad, 2010 [2006], p. 7.

5 O. Martin, 2020, p. 10-11.

6 Voir par exemple M. Perrot, 2001 [1977] ; B. Aubusson de Cavarlay, 2014. Pour un état de la recherche sur les statistiques pénitentiaires à l’échelle internationale, nous renvoyons au survol très complet de E. Génard & M. Simioni, 2018. En Suisse, signalons C. Besozzi, 2016.

7 Voir H. Bächtold, 1914 ; T. Busset, B. Müller & M. Surdez, 1995 ; H.-U. Jost, 1995 ; H.-U. Jost & C. Malaguerra, 2016.

8 Voir par exemple A. Desrosières, 2008.

9 « Verwissenschaftlichung ». Voir R. Lutz, 1996 ; D. Schauz, 2007 ; id., 2010, p. 63.

10 S. Galassi, 2004, p. 89 et suiv. ; G. Schwerhoff, 2011, p. 28, 117, 191.

11 U. Germann, 2015, p. 85.

12 H.-U. Jost, 1995.

13 O. Martin, 2020.

14 A. Desrosières, 1988 ; N. Randeraad, 2010 [2006], p. 15.

15 T. Busset, 1995.

16 H.-U. Jost, 1995.

17 H.-U. Jost, 1995, p. 17.

18 Orelli se base sur des données collectées en 1865. On peut aussi mentionner une enquête réalisée par la Société suisse d’utilité publique par le biais de ses membres en 1828, et deux autres des directeurs du Bureau statistique fédéral, Johann Jakob Kummer et Edmund Wilhelm Milliet, en 1876 et 1887. Voir C. Besozzi, 2016, p. 37 et suiv.

19 T. Nutz, 2001.

20 P. Becker & R. F. Wetzell, 2006, p. 6.

21 « Statuts de la Société suisse pour le perfectionnement du système pénal et du régime des prisons, révisés dans la réunion du 27 mai 1872 », Actes de la SSRP, Ve session, 1872, p. 144.

22 « [U]m riesige Irrtümer, wie wir sie zu Zeiten in den Grossratssälen und Zeitungen mit ungenierter Zuversichtlichkeit vortrage hören, zu verhindern », Protokoll über die Verhandlungen einer am 27. Mai 1867 in Zürich zur Begründung eines schweizerischen Gefängnisvereins abgehaltenen Versammlung, neue Auflage, Zurich, Bürkli, 1867, p. 11-12.

23 N. Randeerad, 2006 ; M. Kaluszynski, 2019.

24 L. Guillaume, 1874, p. 52.

25 L. Guillaume, 1874, p. 53.

26 « Règlement pour la Commission pénitentiaire internationale élaboré à Stockholm, en 1877, adopté dans la conférence tenue à Paris le 6 novembre 1880 et confirmé dans celle de Berne, en 1886 ». AF E21#1000/131#20713*, Konferenzen der « Commission Pénitentiaire internationale », Bd 3, Procès-verbaux des séances de la Commission Pénitentiaire Internationale, session de Lausanne, août 1907, Berne, Stämpfli & Cie, 1908.

27 A. Desrosières, 2000, p. 123.

28 À propos des congrès pénitentiaires internationaux et de Louis Guillaume, voir la thèse en cours d’Anouk Essyad, « Les carcéralistes. Socio-histoire de la participation suisse aux congrès pénitentiaires internationaux (1846-1950) », Université de Fribourg.

29 L. Guillaume, 1889, p. 328.

30 AF E21#1000/131#15780*, Statistik der in den schweizerischen Strafanstalten inhaftierten Verbrecher in den Jahren 1862-1863, lettre de [Louis Guillaume], v. 1893-1894, s. l.

31 Voir par exemple U. Germann, 2015 ; E. Keller, 2019.

32 Actes de la SSRP, XVIe session, II, 1889, p. 228.

33 U. Germann, 2015, p. 41 et suiv. et p. 54-55 à propos de C. Stooss.

34 H. Reinke, 1998, p. 113 ; G. Schwerhoff, 2011, p. 191.

35 H.-U. Jost, 1995, p. 15.

36 S. Freitag, 2014, p. 51.

37 T. M. Porter, 1995.

38 L. Guillaume, 1872, p. 13. À Lenzburg, le directeur Johann Rudolf Müller (1824-1894) avait élaboré un système progressif à quatre niveaux, allant d’un isolement de courte durée à l’arrivée du détenu à sa libération conditionnelle. Voir D. Fink, 2014, p. 82.

39 U. Germann, 2015, p. 44.

40 L. Guillaume, « Annexe B. Chronique pénale et pénitentiaire. Rapport présenté à la Société suisse des prisons dans la réunion tenue à Fribourg en Septembre 1887 », Actes de la SSRP, XVe session, 1887, p. 118.

41 AF E4110A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnisstatistik, 1893.

42 AF E21#1000/131#15780*, Statistik der in den schweizerischen Strafanstalten inhaftierten Verbrecher in den Jahren 1862-1863, lettre de [Louis Guillaume], v. 1893-1894, s. l. Diverses lettres du fonds AF E4410A#1000/1840#545* confirment ce lien entre l’enquête et la demande de la Commission.

43 [K. Hartmann & T. Gohl], 1895. Voir à ce propos également U. Germann, 2015, p. 75.

44 L. Guillaume, 1890b, p. 17.

45 L. Guillaume, 1890b, p. 21.

46 AF E4110A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnisstatistik, 1893, p. 4.

47 A. Desrosières, 2010 ; R. Cussó, 2016, p. 58.

48 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, II, 1892, p. 21-23.

49 S. Freitag, 2014, p. 58.

50 R. F. Wetzell, 2000, p. 21 et 26.

51 R. F. Wetzell, 2000, p. 21 ; S. Galassi, 2004 ; N. Randeraad, 2010 [2006], p. 106.

52 Voir T. Nutz, 2001 ; S. Galassi, 2004.

53 « Nicht nur der Verbrecher allein, sondern auch das Milieu, aus dem er hervorgegangen ist, interessiert die Kriminalstatistik, der Nährboden gleichsam, auf dem der Bazillus gediehen ist. » Fritz Mangold, « Über Personalstatistik der Strafanstalten », Actes de la SSRP, XXVIe session, I, 1910, p. 67.

54 H.-U. Jost, 1991, p. 11.

55 « Dass viele von den Vereinsmitgliedern den gesetzgebenden und Regierungsräthen angehören, gewährt eine Aussicht mehr für des Vereines Wirksamkeit ». J[oseph] Ch[ristian] Kühne, « Eröffnungswort », Actes de la SSRP, 1869, p. 5.

56 M. Kaluszynski, 2002, p. 468.

57 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, 1891, p. 11.

58 L. Guillaume, 1879, p. 242-243. Voir E. Génard & M. Simioni, 2018, p. 914 et suiv.

59 L. Guillaume, 1890a, vol. III, p. 715-720.

60 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIIe session, II, 1891, p. 10-13. Voir C. Besozzi, 2016.

61 E. Génard, 2021, p. 184.

62 L. Guillaume, 1872, p. 55. Voir D. Schauz, 2008.

63 « Verhandlungsprotokolle », Actes de la SSRP, XVIIe session, II, 1891, p. 12.

64 Je remercie Cézane Beretta de m’avoir signalé ces sources aux Archives de l’État de Fribourg (désormais AEF).

65 AEF Bellechasse A, Dossiers de détenus, dossier no 2935 (nom d’emprunt), 1884-1893.

66 AF E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefängnisse in der Schweiz, Bd 1-26, 1894, Band 11, Fribourg.

67 AF E4410A#1000/1840#545*, Bericht vom Oktober 1895 der vom Justiz- und Polizeidepartement bestellten Experten Hartmann (Strafanstaltsdirektor St. Gallen) und Th. Gohl (Architekt, Bern), 28, « Spesen-Rechnung [zu den] Gefängnis-Inspektionen pro 1894 von C. Hartmann, Strafanstalts-Direktor ».

68 On en trouve un exemple dans le fonds AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de sorties, 1902-1915.

69 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de sorties, 1902-1915, lettre de A. Gaudaud, secrétaire de la préfecture de la Veveyse, à la direction de la Police cantonale, le 2 mars 1903.

70 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de sorties, 1902-1915, lettre non signée de la direction de la Police cantonale à la préfecture de la Veveyse, 4 mars 1903.

71 AEF DPd 2396, Prisons. Correspondance relative aux statistiques sur les mouvements d’entrées et de sorties, 1902-1915, lettre de Louis [Weck] à la préfecture du Lac, le 2 janvier 1907.

72 [K. Hartmann & T. Gohl], 1895, p. 4 et suiv.

73 E[rnst] Hafter, « Rapport sur l’état actuel de l’unification du droit pénal suisse », Actes de la Société suisse pour la réforme pénitentiaire et le patronage des détenus libérés, vol. XXVII, II, 1912, p. 67-73 et E[mil] Zürcher, « Wie ist eine Umwandlung und Anpassung der bestehenden kantonalen Strafanstalten an die Forderungen des eidgenössischen Strafrechts denkbar ? », Actes de la SSRP, vol. XXVII, I, 1912, p. 1-39.

74 AF E4110A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnisstatistik = Statistique pénitentiaire suisse, publié par le Bureau de statistique du Département fédéral de l’intérieur, Berne, Orell Füssli, 1893.

75 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 3.

76 N. Randeraad, 2010 [2006], p. 4.

77 K. Stückelberger, 1917, p. 36.

78 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 3.

79 Voir par exemple AEF DPd 2395, Statistiques des mouvements d’entrées et de sorties dans les prisons de la Suisse, 1892-1913 [les années 1894-1899, 1900-1901, 1906 sont manquantes].

80 P.-C. Hautcœur, 2008.

81 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 4.

82 AF E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik, 1893, p. 30.

83 C. Besozzi, 2016, p. 36.

84 T. Nutz, 2001, p. 235-236.

85 E. Génard & M. Simioni, 2018, p. 895.

86 H.-U. Jost, 1995, p. 15.

87 Il propose une différenciation non selon la peine, mais selon « l’individualité du sujet ». E[rnst] Delaquis, « Principes de l’exécution des peines et mesures de sûreté d’après le code pénal suisse », Actes de la SSRP, 1939, p. 41.

88 J. Auderset, 2009, p. 356.

89 Comme le soulignent également E. Génard & M. Simioni, 2018.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Enquête « a », exemple de bulletin d’entrée à la Maison de force de Fribourg (recto et verso)
Crédits Source. Archives de l’État de Fribourg, Bellechasse A, Dossiers de détenus, dossier no 2935, « Marie M. » (nom d’emprunt), 1884-1893, détenue entrée le 8 octobre 1884.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/21672/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 2,6M
Titre Figure 2. Enquête « b », Rapport sur la Maison de force de Fribourg pour 1894
Crédits Source. Archives fédérales suisses, E21#1000/131#15777*, réf. 04.1, Berichte über die Untersuchung der Gefängnisse in der Schweiz, Bd 1-26, 1894, Band 11, Fribourg.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/21672/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 3,9M
Titre Figure 3. « Causes immédiates des crimes et délits » (hommes) dans la Statistique pénitentiaire suisse (1893)
Crédits Source. Archives fédérales suisses, E4410A#1000/1840#548*, réf. A.05.30, Schweizerische Gefängnis-Statistik = Statistique pénitentiaire suisse, Berne, Orell Füssli, 1893, p. 30.
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/21672/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,8M
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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Dahn-Singh, « Des chiffres « pour tarir […] les sources du crime » »Histoire & mesure, XXXIX-2 | 2024, 155-184.

Référence électronique

Nathalie Dahn-Singh, « Des chiffres « pour tarir […] les sources du crime » »Histoire & mesure [En ligne], XXXIX-2 | 2024, mis en ligne le 01 mai 2025, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/21672 ; DOI : https://doi.org/10.4000/140km

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Auteur

Nathalie Dahn-Singh

Université de Lausanne
nathalie.dahn-singh@unil.ch

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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