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AccueilNumérosXXXIII-2L’empire en tableaux

L’empire en tableaux

Recenser et gouverner les colonies antillaises après la guerre de Sept Ans
The Empire in a Census Table: Enumerating the Population and Governing the French Caribbean Colonies after the Seven Years’ War
Fanny Malègue
p. 93-114

Résumés

Alors que les populations métropolitaines n’étaient pas dénombrées intégralement et régulièrement sous l’Ancien Régime, des recensements des populations de l’empire français étaient menés de manière suivie et fréquente par l’administration coloniale. Cet article questionne ce paradoxe en analysant la fabrique de ces recensements coloniaux et en les resituant dans leur contexte de production, aux lendemains de la guerre de Sept Ans, dans les îles de la Caraïbe. Il cherche ainsi à montrer que les rôles et usages de ces recensements étaient multiples et dépassaient la simple énumération de la population, et qu’ils participaient à l’administration de ces sociétés coloniales esclavagistes.

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Notes de l’auteur

Je remercie vivement pour leurs lectures et corrections des premières versions de ce texte Manuel Bocquier, Fabrice Cahen, Morgane Labbé, Émilien Ruiz, Christine Théré et Cécile Vidal, ainsi qu’Emmanuel Falguières et l’ensemble des participant·e·s, organisateurs et organisatrices du colloque « Le chiffre et la carte », au cours duquel la communication à l’origine de cet article a été présentée, pour leurs remarques.

Texte intégral

  • 1 Le commissaire-ordonnateur est chargé de l’administration civile d’une colonie rattachée administr (...)

1Le 14 novembre 1784, le marquis de Castries, alors ministre de la Marine, fait rédiger le brouillon d’une lettre par le premier commis du bureau des colonies, lettre qu’il souhaite voir adressée au commissaire-ordonnateur de l’île de Tobago1. Il écrit :

  • 2 FR ANOM COL C10E-7, fo15.

« J’avois chargé, Mr Petit de Viévigne de faire passer à Mr Le Quoi de Montgiraud, des modèles de tableau de récensement et d’états de commerce semblables à ceux dont on fait usage dans les autres colonies, afin qu’il règne, dans cette partie, une uniformité telle qu’on puisse connoitre ici [c’est-à-dire à Versailles] d’un coup d’œil, les forces et les ressources de toutes ces possessions. Comme je n’ai encore reçu de Tobago, aucun état semblable, je présume que les modèles n’y seront point parvenus. Je vous en envoie, en conséquence de nouveaux auxquels je vous recommande de vous conformer avec la plus grande certitude2. »

  • 3 FR ANOM COL C8A-84 fo310.

2L’île de Tobago a été prise en 1781 par la Couronne française aux dépens de l’empire anglais, pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis. En novembre 1784, cela ne fait en réalité que quelques mois que les Français y ont véritablement pris pied et l’administration royale vient tout juste de s’y implanter, avec quelques difficultés. Le gouverneur de l’île, le chevalier d’Arrot, n’est arrivé aux îles du Vent qu’au mois d’octobre de cette même année et a fait démettre dans les jours qui suivent Le Quoi de Montgiraud – dont il est question dans la lettre et qui assurait alors les fonctions de commissaire-ordonnateur –, l’accusant de s’être mal comporté lors de son arrivée et d’avoir fait donner des célébrations démesurées, notamment des libations de vin aux soldats et un feu d’artifice, alors que la guerre contre les Britanniques n’était pas encore achevée3. Lorsque de Castries fait rédiger cette lettre, c’est Charles Delorme qui a remplacé Le Quoi de Montgiraud au poste de commissaire-ordonnateur.

  • 4 Des « Instructions données par Mrs de la Compagnie des Isles de l’Amérique aux commis et écrivains (...)
  • 5 Sur ce point, qui n’est pas ici notre objet, voir notamment, pour le cas du passage sous régime ro (...)
  • 6 FR ANOM DPPC G1-470.

3Cette lettre n’a, en soi, rien d’exceptionnel. Elle rappelle la nécessité d’établir des états de commerce et des recensements de la population dans chaque colonie de l’empire. En ce qui concerne le recensement, on retrouve des exigences similaires dès 1635, alors que la colonisation des îles antillaises n’en est encore qu’au stade des préparatifs4. Tandis que les populations métropolitaines ne sont jamais dénombrées intégralement et régulièrement sous l’Ancien Régime, celles des sociétés coloniales sont, en principe, dénombrées annuellement afin de répondre à une exigence tacite du roi et du ministre de la Marine envers leurs représentants en poste outre-mer. Les intendants sont en effet chargés d’expédier chaque année un tableau de recensement de la colonie dont ils ont la charge, et ce, dès le xviie siècle. Le tableau comprend systématiquement des données chiffrées sur la population, mais aussi sur les moyens de subsistance (carreaux de terre plantés en culture vivrière, bétail), sur les moyens de défense (armes disponibles, approvisionnement en poudre et boulets), et sur les moyens de production (carreaux de terre plantés en sucre, coton, café, moulins à sucre…). S’il est complexe, du fait du peu de sources sur la question, d’affirmer avec certitude à partir de quelle date cette pratique devint effectivement routinière, il est clair qu’avant même l’avènement de Jean-Baptiste Colbert aux fonctions de contrôleur général des finances du royaume (1665) et comme secrétaire d’État de la Marine (en 1669, alors que les colonies sont désormais administrées directement par la Couronne et non plus par le biais de compagnies de commerce à chartes5), l’idée de la levée d’un recensement annuel, dans toutes les colonies de l’empire, est déjà présente, au moins en théorie. Un recensement complet pour l’île de la Martinique est par exemple conservé aux Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence pour l’année 16646, tandis que la correspondance entre les administrateurs coloniaux et le ministère de la Marine atteste d’opérations similaires dans les années 1660 tant aux Antilles qu’en Nouvelle-France. En métropole, en revanche, il faut attendre la période révolutionnaire pour qu’un projet de recensement d’une ampleur et d’une fréquence similaire aboutisse.

  • 7 Ce constat est aussi fait pour les questions de justice, par M. Houllemare, 2018, p. 11-12.
  • 8 J. Dupâquier & É. Vilquin, 1977, p. 101 ; P. Bourdelais, 2004, p. 98-99.

4La lettre du ministre témoigne surtout d’une forte volonté d’unification et de centralisation de la politique impériale : elle prescrit la même pratique du recensement dans toutes les colonies, et ce, avec le même type de documents. Alors que se stabilise l’implantation française à Tobago, avec l’arrivée d’une véritable administration qui succède à un intérim assuré par le pouvoir militaire, le ministre demande l’établissement d’un recensement, sur le modèle de ceux utilisés ailleurs dans l’empire, marquant, d’une part, la fin du régime d’exceptionnalité lié à une situation née de la conquête et, d’autre part, l’entrée officielle de l’île dans le giron de la Couronne. En envoyant, comme les autres colonies, un tableau annuel à Versailles, Tobago est officiellement intégrée à l’empire. Cette politique d’uniformisation de la pratique du recensement, visible ici lors de l’entrée d’un nouveau territoire sous la souveraineté française, relève d’un mouvement plus vaste de réforme administrative de l’empire, amorcé au sortir de la guerre de Sept Ans (1756-1763). La perte de la Nouvelle-France, actée par le traité de Paris du 10 février 1763, amène le pouvoir royal à réorganiser et renforcer son autorité sur les colonies, désormais unifiées dans un ensemble administratif impérial cohérent7. Alors que le projet impérial n’est pas soutenu par une théorisation explicite comme dans le cas anglais, le recensement, tout comme les cartes, joue le double rôle d’outil administratif efficient et de représentation ostentatoire et symbolique de la souveraineté impériale et du projet colonial. Dans un tel contexte, la pratique du recensement dépasse donc celle d’un simple processus administratif qui vise à informer chaque année le pouvoir central de l’évolution de la population d’une colonie donnée. Les fonctions de ces recensements débordent largement celles avancées traditionnellement par l’historiographie qui justifie leur existence par l’éloignement des territoires coloniaux concernés, faisant du recensement colonial un simple outil de pilotage à distance de provinces peu peuplées8.

  • 9 Sur le rôle de Vauban comme « inventeur des recensements » et l’expérience au Canada avec Talon, v (...)
  • 10 Les contributions les plus marquantes rapprochant la pratique du recensement entre métropoles et c (...)
  • 11 Les recensements des Antilles ont été, en ce sens, l’objet de deux articles et ont été en partie e (...)
  • 12 Pour un éclairage sur les raisons de ces différents positionnements et débats historiographiques, (...)
  • 13 On mentionnera ici quelques monographies emblématiques menées sur ces recensements urbains d’Ancie (...)
  • 14 On peut par exemple citer les entreprises du contrôleur général Orry (1730, 1745) : F. de Dainvill (...)
  • 15 V. Gourdon & F.-J. Ruggiu, 2015.
  • 16 M. Cottias, 1988, p. 660-664.
  • 17 É.-Z. Massicotte, 1921, p. 2-61.

5L’histoire de la statistique met le plus souvent en avant l’influence du marquis de Vauban qui, sous l’égide Colbert, envoya en 1666 à l’intendant de la Nouvelle-France, Jean Talon, des modèles de formulaires pré-imprimés tirés de la méthode du recensement qu’il met progressivement au point (elle sera publiée dans le royaume en 16869). D’une manière générale, peu d’études ont cherché à relier ces dénombrements coloniaux, pourtant fréquents, au développement de la statistique dans la France métropolitaine10. Paradoxalement, les chiffres contenus dans ces tableaux ont fourni et continuent à fournir une matière conséquente pour l’écriture de l’histoire des territoires ultramarins et de leurs populations entre le xvie et les débuts du xixe siècle11. Le peu d’échanges entre les historiens des terrains coloniaux et ceux de l’État, des institutions et administrations d’Ancien Régime explique la distinction que fait l’historiographie entre les pratiques statistiques coloniales et métropolitaines, autant que l’omission de ces recensements coloniaux comme objets d’histoire à part entière. Le développement d’études à l’échelle de l’empire, analysant ensemble et à parts égales métropole et colonies, est somme toute assez récent et fut longtemps occulté par un débat sur l’existence même d’un empire colonial français à la période moderne12. Par ailleurs, l’historiographie sur le recensement a longtemps présenté les recensements d’Ancien Régime comme les fruits de tâtonnements « pré-statistiques », incomplets, irréguliers et peu fiables pour retracer le chiffre et le mouvement de la population sur le long terme, en opposition aux recensements dits « modernes » du siècle suivant. Le pouvoir royal n’est en effet jamais parvenu, malgré de nombreux débats et projets, et l’existence de multiples opérations à l’échelle municipale13 ou d’enquêtes plus larges14, à imposer une véritable opération de dénombrement de la population sur l’entièreté des provinces du royaume15. La spécificité des recensements menés dans les colonies par le pouvoir royal sous l’Ancien Régime tient au fait que la population est recensée directement, nominativement et très régulièrement. On y diligente des recensements sans y être contraint par une nécessité conjoncturelle : guerre imminente, famine, crise économique, volonté de réformes, qui sont les éléments déclencheurs habituels des enquêtes en métropole. Traités par les historiens en éternelles sources de l’histoire démographique et sociale, mais jamais véritablement comme objets historiques à part entière, les recensements du premier empire colonial français sont de fait souvent confondus avec d’autres sources chiffrées qui leur sont contemporaines, que ce soit, par exemple, des listes d’esclaves ou des dénombrements d’habitations établis par les maîtres dans le cas des Antilles16, ou des procès-verbaux de perquisitions en ville élaborés par la Compagnie des Indes en Nouvelle-France17. Les termes de « recensement » et de « dénombrement » sont ainsi employés de manière interchangeable dans l’historiographie, occultant la spécificité d’une pratique pourtant nettement visible dans les sources.

6Cet article propose une relecture de cette dissymétrie entre colonies et métropole, après la guerre de Sept Ans, dans des décennies où l’usage du recensement est renforcé, uniformisé et réformé pour servir des politiques pensées par le pouvoir royal à l’échelle de tout l’empire. En s’appuyant sur une analyse fine du processus de recensement, cet article argue d’une réalité complexe, qui laisse apparaître de multiples usages du recensement, notamment au niveau local, faisant de celui-ci un outil impérial, débordant le cadre d’un inventaire annuel exigé par les autorités métropolitaines. Il s’agit ici de comprendre ce que permet le recensement aux colonies, comment et pourquoi celui-ci s’impose, après 1763, comme l’un des leviers favoris de la gouvernementalité royale outre-mer. Nous ne livrons pas ici une analyse quantitative des données fournies par ces recensements mais proposons plutôt, dans cet article, d’examiner les pratiques et les usages qui entourent ces recensements afin de replacer les acteurs et leurs pratiques dans une histoire sociale de la quantification qui, au croisement de l’histoire sociale et politique de l’empire, questionne à la fois la situation coloniale et la relation impériale qui unissait les territoires outre-mer à la métropole.

7Si la pratique du recensement aux colonies remonte au moins à la seconde moitié du xviie siècle, le processus de levée et de compilation des chiffres est grandement modifié aux lendemains de la guerre de Sept Ans, période qui marque un tournant fort pour l’empire, désormais amputé de la Nouvelle-France. Ces réformes tendent à donner une place prépondérante au recensement dans la gestion des affaires locales et dans l’encadrement de ces sociétés esclavagistes. Le recensement, tant dans son contenu que dans sa matérialité, apparaît dès lors comme une véritable carte en chiffres, performative de ce qu’est l’empire.

1. Des chiffres pour réformer l’empire

Les lendemains de la guerre de Sept Ans, un contexte particulier

  • 18 Ordonnance de Fénelon et de Lemercier de la Rivière : « Ordonnance de MM. les Général et Intendant (...)
  • 19 G. Havard & C. Vidal, 2003, p. 664.
  • 20 H. Dewar, 2010, p. 637-660.
  • 21 F.-J. Ruggiu, 2018.
  • 22 G. Havard & C. Vidal, 2003, p. 310-315 ; sur le peuplement en Nouvelle-France voir aussi J.-N. Bir (...)

8Le 5 décembre 1763, le marquis de Fénelon, gouverneur, et Lemercier de la Rivière, intendant de la Martinique, rendent une ordonnance qui prescrit la tenue du recensement annuel de la colonie et des territoires qui en dépendent18. L’injonction formulée par Fénelon et Lemercier a lieu, alors que la Martinique a été occupée par l’empire britannique durant la guerre qui vient de s’achever défavorablement pour la Couronne française. Les administrateurs, aux lendemains de la guerre de Sept Ans, s’attachent à reprendre en main la colonie en y ordonnant un recensement. L’île, de retour sous souveraineté française, est à nouveau englobée dans l’empire qui, amputé de sa plus grande colonie et privé de sa souveraineté sur la Louisiane, doit se réinventer hors des frontières physiques et utopiques de la « Nouvelle-France »19. On assiste alors à ce que l’on pourrait qualifier de véritable « décentrement » de l’empire : lors des tractations qui aboutirent à la signature du Traité de Paris, on opta finalement pour ce que l’on va appeler le parti de « l’échange », c’est-à-dire l’échange des colonies continentales d’Amérique, contre les colonies insulaires occupées par les Britanniques pendant la guerre20. La Caraïbe devient dès lors, et bien qu’elle ait occupé une place prépondérante dans la politique impériale française dès le xviie siècle, le centre névralgique de l’empire, actant le passage d’un empire basé sur l’expansion territoriale à un empire commercial21. Ce basculement n’augure pas pour autant la fin d’un intérêt profond, de la part du pouvoir royal, pour la population et son accroissement. Celle-ci demeure la clé de l’expansion coloniale, d’autant que l’empire territorial d’avant 1763 demeurait largement fictionnel. La Nouvelle-France ressemblait en effet beaucoup plus aux Antilles que ce que les cartographes du roi ne voulaient bien le laisser voir : en pratique, la domination impériale demeurait utopique sur la majeure partie du « pays indien » au Canada, tandis que les colons occupaient de petites portions du territoire, formant un peuplement en archipel très proche de celui des « Isles françoises de l’Amérique »22.

  • 23 J. Tarrade, 1963, p. 103-122.

9La guerre de Sept Ans a non seulement provoqué d’importantes difficultés financières, mais son échec a conduit à une grave crise morale et politique qui appelle des réformes. À la suite de la perte de la Nouvelle-France, l’empire se resserre autour de ses territoires insulaires producteurs de marchandises coloniales onéreuses, le commerce colonial connaissant alors une hausse spectaculaire. Les îles antillaises et la Guyane, d’une part, les Mascareignes, d’autre part, demeurent les seules colonies pour la Couronne française, qui possède aussi quelques comptoirs sur la côte africaine et en Inde. Dans les îles, l’essor de la traite, mais aussi l’arrivée en nombre de migrants français désireux de tirer profit de cet eldorado sucrier et caféier, alors que la population libre de couleur augmente, provoquent d’importantes tensions autour de la question raciale. Dans un tel contexte, où les questions de peuplement sont, plus que jamais, cruciales, la Couronne prend différentes initiatives afin de contrôler davantage cet empire, morcelé, dit-on, du fait d’une mauvaise gestion23. Le recensement joue un rôle particulièrement important dans cette reprise en main, en devenant l’un des leviers administratifs les plus importants dont dispose Versailles pour gérer ces territoires coloniaux lointains. Il permet au pouvoir royal d’obtenir des informations cruciales sur le mouvement de la population, tant libre qu’esclave, ainsi que sur les moyens de préserver et d’accroître la production. Le recours quasi immédiat au recensement, dans les semaines qui suivent le retour effectif du personnel de l’intendance, tant dans le cas martiniquais en 1763 que dans celui de Tobago en 1784, ainsi que l’établissement simultané d’états de commerce confirment ici cette hypothèse sur la fonction administrative du recensement. Les chiffres du recensement de 1763 en Martinique ne sont cependant pas levés selon le même processus qu’avant la guerre : on assiste donc au réemploi de cet outil de gouvernement qu’est le recensement, mais le processus de levée des chiffres est profondément remanié.

Une profonde réforme du système de recensement

  • 24 On a ici consulté l’ensemble des ordonnances concernant les recensements et les dénombrements tiré (...)

10Les réformes du système de recensement se font avant toute chose dans la Caraïbe pour ensuite être potentiellement appliquées à d’autres territoires de l’empire, notamment aux Mascareignes. La législation locale témoigne d’un profond remaniement du processus de levée des chiffres24. On regroupe en effet différentes opérations administratives, au moment du dénombrement (Figure 1, réalisée par nos soins). On distingue d’une part le dénombrement qui correspond à un relevé nominatif sur la base duquel sont dressés les tableaux chiffrés, et qui, une fois la remontée des chiffres effectuée dans chaque colonie, donnent le tableau de recensement final expédié à Versailles, où seuls des chiffres apparaissent. Les habitants fournissent d’autre part, après 1763, un seul et même aveu de dénombrement qui est ensuite utilisé à différentes fins : gestion de la voirie et du découpage du territoire, compte rendu de l’activité économique, tableau général annuel de la colonie demandé par le roi. L’aveu de dénombrement permet aussi l’élaboration de différentes assiettes fiscales comme la capitation au niveau de la colonie, ou le prélèvement des droits curiaux et le financement de la caisse des « nègres justiciés » localement, ou encore celui d’un impôt sur les maisons et les loyers dans les villes. Un seul dénombrement permet désormais d’administrer de multiples pans de la politique impériale, notamment au niveau local. Le recensement annuel envoyé au bureau des colonies à Versailles n’est plus que l’un des produits administratifs du dénombrement.

Figure 1. Du dénombrement au recensement : fabrique du chiffre et circulations administratives

Figure 1. Du dénombrement au recensement : fabrique du chiffre et circulations administratives
  • 25 M. Houllemare, 2014.
  • 26 Par exemple : tableau comparatif de la population de la Guadeloupe des années 1785 et 1786, où la (...)
  • 27 Par exemple : tableau comparant le recensement général de la Martinique dressé par les occupants b (...)
  • 28 Lettre du 3 mai 1762 de Monckton à Egremont, à Saint-Pierre, Martinique : « I shall not have time (...)

11L’administration centrale impériale en métropole, en charge de la collecte, de l’analyse et de la conservation des recensements, est, elle aussi, réorganisée. Le pouvoir royal décide ainsi de la création du Dépôt des papiers publics des colonies25, en juin 1776, où est versée une grande partie des tableaux récapitulatifs des recensements envoyés à Versailles. Ce dépôt était aussi chargé de la conservation des copies d’un grand nombre d’actes publics passés aux colonies (registres paroissiaux, minutes de notaires, greffes, hypothèques…). On assiste ainsi à la naissance d’un fonds d’archives « vivant », véritable outil de gouvernement, centralisé, dont les recensements font pleinement partie. Si les recensements levés au xviie siècle, notamment sous Colbert en Nouvelle-France, sont remarquables tant dans leur organisation que dans leur contenu, les recensements de la fin du xviiie siècle relèvent donc d’une logique sensiblement différente et plus élaborée. Avec la création du dépôt, l’administration centrale peut désormais comparer, compiler et analyser les chiffres prélevés annuellement. On retrouve ainsi, à la fin des années 1770, de nombreux brouillons et tableaux comparant la population d’une île donnée, sur plusieurs années, notamment la part de la population esclave par rapport à celle de la population « blanche »26. Le recensement devient alors un outil éminemment précieux pour l’administration centrale : il permet à la fois de faire un état des lieux annuel de chaque colonie, de veiller à l’action des administrateurs, de suivre les fonds investis, mais aussi d’imaginer une politique coloniale à long terme dans un contexte de rivalité avec l’Angleterre. On trouve d’ailleurs dans les archives, aux côtés des recensements concernant l’empire français, des recensements indiquant la population des îles à sucre anglaises, voire les chiffres donnés ou estimés par l’administration anglaise pour les îles françaises27. Le nouveau processus de recensement inauguré à partir de 1763 emprunte beaucoup à la structure fortement centralisée de l’institution de la Marine, qui était en charge des navires, marins, arsenaux et ports de commerce, mais également des colonies et des comptoirs. Il existe ainsi une forte similitude dans la façon dont ce processus est mis en œuvre, avec celui qui permet de dresser des états des troupes de la Marine dans les ports et provinces maritimes du royaume. Cette spécificité institutionnelle peut expliquer pourquoi l’empire français est recensé bien plus régulièrement que ses voisins et concurrents espagnol, britannique ou hollandais. Il est d’ailleurs notable de constater que les autorités anglaises durant l’occupation de l’île de la Martinique pendant la guerre de Sept Ans utilisent le terme français de « recensement » pour désigner ce type d’opération qu’ils tentent de perpétuer malgré le changement de souveraineté, plutôt que le terme anglais de « census »28.

2. Administrer l’espace et gérer le local

Le chiffre plutôt que la carte : recenser pour mieux administrer le territoire

  • 29 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les fonctions des Commissaires des Paroisses », (...)
  • 30 Sur la question de l’organisation de la levée de chiffres pour l’imposition des taxes en métropole (...)

12Cette réforme du système de recensement a différentes conséquences aux colonies : il permet au pouvoir royal de s’immiscer dans des problématiques locales, de mieux administrer les questions de gestion territoriale et surtout de contrôler davantage la colonie. Le recensement qui était, avant la guerre de Sept Ans, à la charge des capitaines de milice, mobilise de nouveaux acteurs pour recueillir les déclarations de recensement des habitants ; ce sont les « commissaires de paroisse ». Leurs fonctions sont explicitées dans une ordonnance de Fénelon et Le Mercier de la Rivière datée du 19 octobre 176329. Dans chaque paroisse, un commissaire est choisi par l’assemblée des paroissiens, assisté d’un ou plusieurs lieutenants. Son rôle premier est le maintien de l’ordre et la surveillance de la bonne exécution des ordres du gouvernement. Ils sont donc les bras et les yeux du gouverneur et de l’intendant. À ces charges s’ajoute celle d’établir les recensements. La mobilisation de ce type d’acteurs n’est pas sans rappeler le système métropolitain adopté pour la levée des taxes, où des syndics des paroisses jouent un rôle similaire à celui des capitaines de paroisse coloniaux30. On notera cependant que ces capitaines de paroisse, dépendant directement de l’intendant, actent un basculement du recensement dans la sphère civile, tandis que se maintient le système des capitaines de milice pour les questions militaires.

  • 31 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, concernant les Chemins », 5 novembre 1765, in M. Dur (...)
  • 32 « Ordonnance de M. l’Intendant, concernant les Dénombremens à prendre par les Habitans et Particul (...)

13Les sources tendent à montrer que les capitaines de paroisse sont des acteurs auxquels le gouvernement local fait pleinement confiance, qu’ils sont des individus connus et fortement ancrés dans le territoire sur lequel ils exercent leurs fonctions. Plusieurs ordonnances touchant à la gestion de la voirie, chargeant les habitants de l’entretien des chemins à hauteur du nombre d’individus de l’habitation déclaré au recensement, attribuent ainsi aux commissaires de paroisse le contrôle méticuleux de l’exécution de cet ordre31. Les commissaires semblent donc connaître précisément à la fois les lieux et les individus pour être en mesure d’identifier leur lieu de résidence, et ceux qui sont responsables des différents tronçons du chemin royal. Le même type d’acteur est mobilisé à Saint-Domingue et dans les petites Antilles pour la collecte des données auprès des habitants et la remontée des chiffres vers l’administration. Selon un processus précis (Figure 1), les capitaines de chaque paroisse transmettent leurs cahiers de recensement à l’intendant ou au représentant de l’intendant dans la colonie, qui lui-même envoie les tableaux récapitulatifs à l’intendance de l’administration centrale coloniale, le plus souvent en Martinique, pour la compilation d’un tableau final. Les dénombrements sont réalisés au même moment dans toute la Caraïbe, généralement les quatre premiers dimanches de l’année, pour un envoi du tableau de recensement final en avril32.

  • 33 Sur la cartographie coloniale dans l’empire français, voir les travaux de François Regourd, notamm (...)
  • 34 L.-É. Moreau de Saint-Méry, t. 6, 1790, p. 342-348 et p. 392-396.

14Le recensement permet à l’administration locale et centrale de mieux saisir le territoire et les enjeux de son exploitation et de son découpage alors que la cartographie du découpage administratif demeure très superficielle. De nombreuses cartes des colonies sont établies durant l’Ancien Régime, mais elles ne représentent pas dans le détail le découpage paroissial, qui est pourtant l’entité administrative fondamentale, tant en métropole que dans les colonies33. Cette connaissance est déléguée localement aux administrateurs et aux commissaires de paroisse. Le découpage des paroisses pose des problèmes récurrents du fait de l’absence de cartographie et de bornes qui officialisent leur tracé. Nombre d’ordonnances viennent régler l’appartenance d’une habitation particulière à une paroisse donnée, notamment à cause de la géographie des îles antillaises, où des zones vallonnées, les mornes, créent de véritables enclaves, particulièrement à Saint-Domingue34. Les habitants se plaignent régulièrement de la difficulté d’accès à l’église ou aux institutions de leur paroisse de rattachement, ce qui entraîne des retards et donc des condamnations dans la levée des impôts, notamment des droits curiaux. Les ordonnances locales rappellent systématiquement la nécessité pour les habitants de donner le recensement dans leur paroisse de rattachement, comme l’illustre le cas suivant :

  • 35 « Ordonnance des Administrateurs qui fixe les Limites de la Paroisse de Vallière », 15 novembre 17 (...)

« Ordonnons pareillement que les habitations Lareche, succession J Lambert, veuve Cottin, succession A Lambert, les deux habitations Roger, veuve Vigoureux et d’Aprinville, situées tant sur la rivière des Racadeaux que dans l’intérieur du Quartier de ce nom, ainsi que toutes les habitations situées à l’Ouest de la Grande Rivière jusqu’aux limites Espagnoles, depuis le point A jusqu’au point B, seront ainsi et à toujours, de ladite Paroisse de Vallière, y donneront leurs recensemens, contribueront aux charges et corvées publiques, et y feront le service de Milices35 ».

  • 36 « Arrêt du 21 juillet qui renvoye le Sieur Bon à se pourvoir pardevant les gouverneurs et intendan (...)

15De même, en cas de conflit devant la justice, les doubles des dénombrements, déposés annuellement au greffe de la colonie, peuvent servir de preuve à charge ou à décharge. C’est le cas dans un procès intenté contre un habitant de la paroisse de Port Margot à Saint-Domingue en 1764, accusé d’avoir falsifié son aveu de dénombrement pour échapper à l’impôt. L’habitant, le Sieur Bon, réclame aux administrateurs d’aller vérifier dans les archives du greffe afin d’être lavé de tout soupçon : il dit avoir fait déposer son aveu de dénombrement conforme par un autre propriétaire voisin, dans une autre paroisse, car il ne pouvait se déplacer. La falsification aurait été le fait de ce voisin, qui, par cette manœuvre, escomptait récupérer certaines de ses terres36. Les documents du recensement jouent donc, en l’absence de cartographie précise des paroisses, un rôle important dans la jurisprudence.

16Les capitaines de paroisse ont pareillement la charge de la vérification du maintien de zones boisées ou au contraire du défrichement de certaines zones. Cette tâche est exécutée lors du dénombrement, qui permet la vérification de la bonne application des ordonnances :

  • 37 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant de la Guadeloupe pour la plantation des Bois dans cet (...)

« Dans les recensemens que les Capitaines de Paroisse prendront tous les ans, ils emploiront la quantité de bois que l’Habitant aura de plantés sur son Habitation ; lorsqu’ils feront la visite des Vivres sur les Habitations, ils vérifieront également les bois qui seront plantés ; en cas de dépérissement des arbres, ils donneront les ordres nécessaires pour les remplacer, et nous rendront compte de tous les objets de leur visite37 ».

  • 38 L.-É. Moreau de Saint-Méry, t. 6, 1790, p. 373.

17En ville, ce sont les questions de voierie ou d’aménagements urbains, places, ponts, moulins ou fontaines, qui sont réglées grâce aux recensements. Les dénombrements sont utilisés pour calculer la part que chacun doit payer pour financer ces constructions, en fonction du nombre d’esclaves déclarés. À Saint-Domingue en 1772, on finance de la sorte la construction d’une nouvelle église pour la paroisse du Cap38.

L’adaptation du recensement au contexte caribéen : recenser des îles esclavagistes

18Les sources locales, notamment les archives des conseils supérieurs, montrent aussi une évolution sensible du processus de recensement du fait de son lien profond avec l’élaboration de l’assiette de la capitation, un impôt par tête qui porte principalement sur les esclaves et qui est payé par les maîtres, et de la répartition des impôts locaux.

  • 39 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, concernant les Fraudes dans les Dénombremens », 12 m (...)
  • 40 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les Dénombremens et Récensemens », 20 février 17 (...)
  • 41 « Instructions de Messieurs les Général et Intendant pour MM. les Capitaines-commandans des Parois (...)

19Si les textes promulgués au sortir de la guerre de Sept Ans ressemblent beaucoup à ceux enjoignant au recensement de la Nouvelle-France, notamment par l’envoi de cahiers et formulaires pré-imprimés pour la fabrication du recensement, la situation évolue dès les années 1770. Les ordonnances du gouverneur et de l’intendant de la Martinique ou de Saint-Domingue laissent entrevoir que les chiffres des recensements sont souvent faussés du fait de nombreuses fraudes sur les déclarations concernant le nombre des esclaves. S’ensuit la prise d’une batterie de mesures pour juguler ces fraudes qui ne sont pas nouvelles ni forcément plus intenses, mais qui deviennent cruciales puisqu’un seul dénombrement permet plusieurs opérations administratives. Le processus du recensement devient, dès lors, de plus en plus normé et coercitif. On menace notamment de recouper les chiffres donnés avec ceux des registres paroissiaux, des recensements de l’année précédente et des rôles de bateaux négriers39. De même, les déclarations de recensement deviennent progressivement des données publiques au niveau local. Une ordonnance du vicomte de Damas et de De Viévigne datée du 20 février 1786 enjoint les capitaines de paroisse à afficher publiquement « un tableau où seront inscrits les noms des Habitans et le nombre des nègres qu’ils auront déclarés ; et ce tableau où l’âge des esclaves sera fidèlement porté, sera exposé dans la salle désignée pour l’assemblée de paroisse40 ». La même ordonnance rend obligatoire aux habitants le fait de se déplacer pour aller confirmer les déclarations préalablement établies par écrit, et les oblige à laisser pénétrer dans l’habitation tout agent du gouvernement à des fins de vérification. Il s’agit par exemple de chirurgiens dépêchés pour vérifier l’infirmité de certains esclaves – les esclaves ne travaillant plus dans les champs, du fait de leur âge ou de leur infirmité, étant sujets à une capitation réduite. Les habitants condamnés pour fraude sur leur recensement auront leur nom publiquement affiché sur la porte de l’église, les voisins de chaque habitant sont mis à contribution pour prouver la véracité des chiffres déclarés41.

  • 42 Des travaux soulignent en effet la difficulté pour l’état colonial à s’imposer face à la souverain (...)
  • 43 Ces documents ont en grande partie disparu, mais on en trouve quelques exemplaires dans les fonds (...)

20Le recensement revêt dès lors un nouveau rôle. Certes, l’on compte encore et toujours les mêmes choses : des habitants, des moyens de production, de subsistance, et de défense. Mais l’application de cet instrument de gouvernement sur des territoires où est pratiqué l’esclavage et où une capitation est prélevée change grandement son sens. Le moment du recensement devient celui de la délation et de la surveillance, par nécessité de contrôle fiscal, certes, mais peut-être aussi parce qu’il est l’un des rares leviers que l’État royal parvient à imposer tant bien que mal pour contrôler les planteurs et les plantations42. La mise en place, à l’échelle de la paroisse, d’un même processus administratif, n’est pas anodine : il s’agit aussi de contourner le morcellement de l’espace induit par la plantation et donc la liberté domestique des colons, pour fédérer un groupe au niveau paroissial, groupe qui va s’auto-surveiller par l’adjonction de la nécessité fiscale. Cette question fiscale peut même être perçue comme une aide pour que le gouvernement central parvienne à ses fins : si les textes punissent fermement la fraude, ils soulignent aussi toujours la nécessité de fournir des bons chiffres, afin que l’impôt parvienne dûment dans les caisses de l’État, que l’administration puisse fonctionner correctement et lutter pour améliorer la défense, la productivité et la stabilité sociale de la colonie. La déclaration de recensement, dès les années 1770, est alors toujours recopiée et donnée à l’habitant, afin de justifier de ses exemptions fiscales, ou de la propriété d’un esclave parti en marronnage43.

  • 44 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les Dénombremens et Récensemens », 20 février 17 (...)
  • 45 É. Geraud-Llorca, 1984, p. 165 ; J.-A. Tournerie, 1992, p. 34.
  • 46 A. Clément, 2009.

21Un autre indice pointe dans le sens de cette hypothèse de l’utilisation des recensements par l’État royal pour contrôler les planteurs. Il s’agit de l’introduction par une ordonnance datée du 20 février 1786 d’une catégorie « créole », par opposition à « européen », dans les recensements44. C’est la première fois que la colonne qui dénombre la population blanche est divisée, l’injonction étant systématiquement répétée par la suite. La défiance du pouvoir royal à l’égard des planteurs semble donc s’accroître, même si elle trouve ses origines dans l’issue de la guerre de Sept Ans. Prompts à capituler face aux Anglais et s’étant plutôt bien accommodés de l’occupation britannique, les colons Antillais voient leur fidélité mise en doute45. La frustration des colons, qui ne sont pas représentés politiquement de manière officielle à Versailles, ne fait que s’exacerber, tout comme les demandes d’être mieux considérés et récompensés pour la richesse qu’ils apportent au royaume46.

22Malgré tout, jamais les colons ne s’élèvent contre cette intrusion de l’État dans la plantation, car le processus du recensement permet une gestion locale des problématiques territoriales et, surtout, le maintien du système esclavagiste. Il est aussi le garant de la répartition juste de l’impôt et d’une meilleure police des esclaves. Mais l’absence de résistance au processus intrusif du recensement s’explique aussi parce que ce dernier revêt, aux lendemains de la guerre de Sept Ans, une forte teneur performative.

3. Le tableau de recensement comme une carte en chiffres

Un processus de recensement qui acte une hiérarchie territoriale dans l’empire

  • 47 FR ANOM COL C10A-4 fo26.

23L’ensemble des réformes conduites après 1763 aux Antilles correspond donc à une véritable remise en ordre et rationalisation de la politique et de l’administration impériale. Le processus de recensement est quant à lui homogénéisé dans l’ensemble de la Caraïbe. Le cas de Tobago, évoqué en introduction, s’avère en ce sens éloquent. Cette uniformisation des processus d’administration impériaux est révélatrice : l’empire est pensé comme un tout homogène qui peut et doit être régi par les mêmes règles. Cette apparente standardisation ne doit pour autant pas masquer la complexité de l’imbrication des territoires dans l’empire ; la façon dont le recensement est mené, la levée et la remontée des chiffres sont autant d’étapes qui laissent voir les mécanismes internes de l’administration de l’empire. Loin d’être anecdotique, la formalisation nouvelle du processus de recensement dévoile les tensions internes à l’empire. La colonie qui centralise l’ensemble des chiffres, les compile et en dresse un tableau comprenant l’ensemble des « isles de l’Amérique françoise », pour reprendre l’expression alors employée, ici la Martinique, est érigée en second centre administratif colonial, après la métropole. Ainsi, le 8 mars 1781, le ministre de la Marine, qui a reçu directement le recensement expédié par le commissaire-ordonnateur de la Grenade, Le Mort, demande explicitement que le « gouvernement civil » de la Grenade soit rattaché et subordonné à celui de la Martinique, comme cela avait été fait auparavant pour l’île de Saint-Vincent47. L’injonction est répétée les deux années suivantes si bien que l’envoi direct, au ministre, des tableaux de recensement est perçu comme une insubordination de la part des commissaires-ordonnateurs de la Grenade, qui refusent cette mise de l’île sous la tutelle martiniquaise.

24La remontée des chiffres, leur collecte et leur centralisation dans des points élevés en centres administratifs de la Caraïbe dessinent donc une autre carte de la Caraïbe, vue au prisme de l’empire et de la promotion de certains territoires par la Couronne. En temps de paix, l’intendance de la Martinique, malgré le poids écrasant de Saint-Domingue d’un point de vue économique et commercial, centralise les chiffres pour les îles de la Caraïbe française. Les chiffres de la Guyane sont par exemple régulièrement envoyés en Martinique et ajoutés aux tableaux envoyés au bureau des colonies en métropole, réaffirmant là encore l’appartenance de la colonie sud-américaine au même système caribéen impérial.

Donner à voir l’empire pour mieux le définir

  • 48 Ce concept souligne la centralité de l’économie de plantation dans l’organisation sociale de socié (...)
  • 49 P. Røge, 2008.

25Les réformes du processus de recensement menées dès les lendemains de la guerre transforment l’usage du recensement pour en faire un outil efficace du gouvernement de l’empire dans le contexte particulier de la Caraïbe et du système de plantation48. À long terme, seuls les territoires ayant le statut de colonie, c’est-à-dire où des sujets du roi sont durablement implantés, sont recensés. Ainsi, les recensements semblent, sur la période de notre étude, ne concerner que les territoires de l’empire pleinement intégrés au système de plantation, que ce soient les Mascareignes ou les Antilles. Le Sénégal, même s’il est le point de départ de la traite négrière, et donc une des pierres angulaires du système de plantation français, n’est pas recensé. Cela s’explique certainement par le fait que la population installée de manière fixe est très peu nombreuse, faisant avant tout de cet espace un comptoir de la traite, dont la seule raison d’être est commerciale. Le statut du territoire n’est pas le même : les comptoirs, tant africains qu’indiens, ne sont pas des terres qui appartiennent en propre à la Couronne49. La souveraineté appartient encore, malgré la domination coloniale qui peut s’y exercer, aux princes locaux, idée qui est rappelée par le versement régulier de tributs ou d’impôts pour permettre aux établissements français de s’y maintenir.

  • 50 Voir par exemple le recensement général du Canada pour l’année 1685 où sont dénombrés dans des col (...)

26On trouve en outre, en supplément des recensements, des listes de toutes sortes de catégories de population qui viennent confirmer l’hypothèse d’un rôle performatif du recensement. Être recensé signifie dès lors son appartenance à la société coloniale et son rang au sein de celle-ci. L’intégration au tableau de recensement signifie l’inclusion et l’intégration au projet impérial. À rebours, sont listés à part et nominativement les individus qui tentent de sortir du système de plantation (esclaves en marronnage) ou qui n’y sont pas pleinement intégrés (rôles de soldats non installés, c’est-à-dire non établis, mariés ou propriétaires, présents dans une colonie à une date donnée) voire indésirables (sujets « sans aveux » ou « mauvais sujets »). Ainsi toutes les personnes présentes au moment du dénombrement dans une colonie ne sont-elles pas comptées. Le recensement n’est pas une photographie fidèle de l’empire, mais relève davantage d’une projection utopique de celui-ci. Les catégories placées en tête des colonnes du tableau sont ainsi révélatrices : la population est organisée entre libres et non libres, soulignant la centralité de l’esclavage pour ces espaces. Le clergé ou la noblesse ne font pas l’objet d’une colonne propre ou distincte, comme cela peut être le cas dans les recensements ibériques de la même période, ou comme cela avait été le cas au xviie siècle en Nouvelle-France50. La forme caractéristique que prennent les recensements envoyés en métropole est inscrite dans cette même logique. Il ne s’agit pas d’une liasse regroupant plusieurs feuillets, mais d’une seule et même feuille, de très grande taille, qui permet au lecteur d’embrasser d’un regard la totalité de la colonie concernée (Figure 2).

Figure 2. Recensement général de la colonie de Tobago pour la population et la culture pendant l’année 1785

Figure 2. Recensement général de la colonie de Tobago pour la population et la culture pendant l’année 1785

Source. FR ANOM COL C10E-7 fo19.

27Malgré l’introduction et l’usage de plus en plus extensif de l’imprimerie dans les étapes préliminaires du dénombrement, cette forme ne varie pas sur l’ensemble de la période. Les sujets et territoires indésirables sont exclus du tableau, ceux qui sont inclus sont méticuleusement ordonnés selon leur statut libre ou esclave, leur race et leur sexe, d’où peut-être l’injonction de Fénelon et Lemercier de la Rivière de fournir un tableau pour « voir » la colonie. La population est ventilée entre trois grandes catégories, « blancs », « libres de couleur », « noirs ». Chaque catégorie est ensuite généralement subdivisée en sous-catégories correspondant aux âges de la vie et au sexe, mettant en avant la population capable de travailler, peupler et défendre la colonie (Figure 2). On retrouve cette logique à toutes les étapes de l’élaboration du recensement. Aussi la matérialité des feuillets de dénombrement individuels évolue-t-elle après 1763 : d’un simple feuillet recto comportant l’ensemble des membres du foyer, on passe à un feuillet pré-imprimé de quatre pages où les esclaves sont listés séparément des sujets libres, toujours au verso et jamais sur la même page que leurs maîtres.

4. Épilogue

28L’analyse de la fabrique des chiffres et de la circulation administrative des recensements coloniaux produits dans l’empire français nous laisse à voir un objet statistique complexe, dont la raison d’être dépasse amplement celle de la simple énumération régulière de la population. Outil de gouvernement, dont l’usage est renforcé après la guerre de Sept Ans, le recensement apparaît aussi comme un levier de négociation des souverainetés coloniales et des rapports entre l’État et ses sujets ultramarins. Le prisme du recensement nous permet de voir comment se déploient les pratiques administratives impériales dans la Caraïbe, devenue le cœur de l’empire colonial après la perte de la Nouvelle-France en 1763. Cette pratique, uniformisée et généralisée, à partir de là, à l’ensemble des colonies de l’empire, est adaptée par le pouvoir royal aux nécessités du gouvernement colonial dans des sociétés esclavagistes, incluses dans un système de plantation. Le recensement devient ainsi, pour le pouvoir central, un moyen de gérer, habilement et sans rencontrer de véritables oppositions, des problématiques liées à l’esclavage, tandis que les autorités coloniales locales s’en emparent pour administrer les îles au quotidien. Le lien fort, dessiné aux lendemains de la guerre de Sept Ans, entre recensement et esclavage se perpétue bien au-delà des bornes chronologiques traditionnelles de l’Ancien Régime puisque la pratique se maintient malgré les changements de régime, entre Révolution et Empire napoléonien, alors même qu’un recensement quinquennal est mis en place en métropole. La dissymétrie des pratiques de recensement entre la métropole et ses colonies s’est renforcée dans les dernières décennies du xviiie siècle, du fait des réformes entreprises dans son processus, soulignant le rôle performatif du recensement colonial. Dénombrer les populations outre-mer c’est, pour l’État royal, un moyen d’affirmer la particularité du lien qui unit ces territoires à la métropole au sein de l’empire.

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Notes

1 Le commissaire-ordonnateur est chargé de l’administration civile d’une colonie rattachée administrativement à une colonie plus importante, sous les ordres de l’intendant. Dans le cas de Tobago, le commissaire-ordonnateur dépend de l’intendance de la Martinique.

2 FR ANOM COL C10E-7, fo15.

3 FR ANOM COL C8A-84 fo310.

4 Des « Instructions données par Mrs de la Compagnie des Isles de l’Amérique aux commis et écrivains associés aux dites isles pour la Compagnie », datées du 7 mars 1635 (FR ANOM COL F3-26), ordonnent d’effectuer un dénombrement de la population, à la fois des autochtones et des colons, avant même le début de l’implantation effective aux Antilles.

5 Sur ce point, qui n’est pas ici notre objet, voir notamment, pour le cas du passage sous régime royal en Nouvelle-France : C. Horguelin, 1997 et H. Dewar, 2012 ; aux Antilles : J. Petitjean Roget, 1978 et C. Frostin, 2008, chapitre 2.

6 FR ANOM DPPC G1-470.

7 Ce constat est aussi fait pour les questions de justice, par M. Houllemare, 2018, p. 11-12.

8 J. Dupâquier & É. Vilquin, 1977, p. 101 ; P. Bourdelais, 2004, p. 98-99.

9 Sur le rôle de Vauban comme « inventeur des recensements » et l’expérience au Canada avec Talon, voir notamment : E. Esmonin, 1954, p. 509 ; É. Vilquin, 1975, p. 220-221 ; M. Virol, 2001, p. 850.

10 Les contributions les plus marquantes rapprochant la pratique du recensement entre métropoles et colonies à l’époque moderne sont à trouver chez J. Dupâquier & É. Vilquin, 1977, p. 92-101 et chez P. Bourdelais, 2004, p. 98-99.

11 Les recensements des Antilles ont été, en ce sens, l’objet de deux articles et ont été en partie exploités dans une perspective d’histoire économique et démographique locale : C. Schnakenbourg, 1977 ; G. Stéhlé, 1998.

12 Pour un éclairage sur les raisons de ces différents positionnements et débats historiographiques, voir C. Vidal, 2008. Un débat est né à la suite de deux publications marquantes : K. Banks, 2002 et J. S. Pritchard, 2004. Banks a argué de l’inexistence d’un empire à la période moderne dans le cas français, tandis que Pritchard a souligné la désorganisation et le mauvais fonctionnement de celui-ci, le ramenant à un simple agrégat de colonies. Il faut noter que ces deux ouvrages se concentrent sur le xviie et la première moitié du xviiie siècle. La période qui nous intéresse ici, après 1763, n’est pas traitée. Nous faisons l’hypothèse qu’elle est celle de la mise en œuvre de projets et de réalisations concrètes à l’échelle de l’empire, pourtant déjà en germe dans les décennies précédentes. Ces ouvrages prennent d’autre part pour perspective une certaine définition de l’empire, pensé comme une entité politique centralisée, moderne et bureaucratique, appliquant, à rebours, une définition de l’empire correspondant aux empires coloniaux qui se sont développés dans la seconde moitié du xixe siècle.

13 On mentionnera ici quelques monographies emblématiques menées sur ces recensements urbains d’Ancien Régime, notamment les travaux d’Olivier Zeller : O. Zeller, 1983 ; id., 2006, p. 217-241 ; mais aussi C. Rathier & F.-J. Ruggiu, 2010 ; S. Minvielle, 2013, p. 415-449.

14 On peut par exemple citer les entreprises du contrôleur général Orry (1730, 1745) : F. de Dainville, 1952 ; O. Zeller, 2007. Ou encore les enquêtes à partir de relevés sur les registres paroissiaux de l’Abbé Terray (1772) ou l’enquête inaboutie, inaugurée en 1774 et pilotée par les intendants sous l’égide de Turgot, alors contrôleur général des finances. Pour un panorama complet des différents dénombrements et enquêtes dans le royaume, voir B. Gille, 1980.

15 V. Gourdon & F.-J. Ruggiu, 2015.

16 M. Cottias, 1988, p. 660-664.

17 É.-Z. Massicotte, 1921, p. 2-61.

18 Ordonnance de Fénelon et de Lemercier de la Rivière : « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, concernant les Recensemens », 5 décembre 1763, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 278-279.

19 G. Havard & C. Vidal, 2003, p. 664.

20 H. Dewar, 2010, p. 637-660.

21 F.-J. Ruggiu, 2018.

22 G. Havard & C. Vidal, 2003, p. 310-315 ; sur le peuplement en Nouvelle-France voir aussi J.-N. Biraben, 1966, p. 112-124 ; H. Charbonneau & Y. Landry, 1979, p. 29-57 et G. Havard & C. Vidal, 2003, p. 193-248.

23 J. Tarrade, 1963, p. 103-122.

24 On a ici consulté l’ensemble des ordonnances concernant les recensements et les dénombrements tirées des archives des conseils supérieurs locaux, notamment chez M. Durand-Molard, 1807-1814 et L.-É. Moreau de Saint-Méry, 1784-1790, et dans les actes du pouvoir souverain concernant les colonies et la Marine (FR ANOM COL A).

25 M. Houllemare, 2014.

26 Par exemple : tableau comparatif de la population de la Guadeloupe des années 1785 et 1786, où la population est divisée entre trois grandes catégories : « blancs », « gens de couleur libres » et « esclaves » (FR ANOM DPPC G1-497 fo47).

27 Par exemple : tableau comparant le recensement général de la Martinique dressé par les occupants britanniques pendant la guerre de Sept Ans et celui mené par les Français, l’année suivante en 1764 (FR ANOM DPPC G1-499 fo34-35).

28 Lettre du 3 mai 1762 de Monckton à Egremont, à Saint-Pierre, Martinique : « I shall not have time before my departure to obtain from the several Quarters of this Island a General Recensement of men, women, children, slaves and their possessions, together with the several productions of all their plantations, the orders are given for it to be sent in and when Mr Rufane transmits it to your lordship, it will give a clear idea of the state and value of this island. » GB NA CO-166 fo88-89.

29 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les fonctions des Commissaires des Paroisses », 19 octobre 1763, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 264-267.

30 Sur la question de l’organisation de la levée de chiffres pour l’imposition des taxes en métropole voir notamment M. Touzery, 1994 et A. Conchon, 2016.

31 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, concernant les Chemins », 5 novembre 1765, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 416-419 ; « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, qui ordonne, d’année en année un nouvel examen et vérification de la répartition des Chemins, et qui enjoint l’éxécution [sic] de l’Ordonnance du 5 novembre 1765 », 2 janvier 1781, in M. Durand-Molard, t. 3, 1810, p. 413-414.

32 « Ordonnance de M. l’Intendant, concernant les Dénombremens à prendre par les Habitans et Particuliers des Paroisses de Saint-Pierre et Notre-Dame de Bon-Port de ce Bourg », 31 octobre 1765, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 414-415.

33 Sur la cartographie coloniale dans l’empire français, voir les travaux de François Regourd, notamment F. Regourd, 2004, p. 221-242 et J. E. McClellan & F. Regourd, 2011, part. IIA.

34 L.-É. Moreau de Saint-Méry, t. 6, 1790, p. 342-348 et p. 392-396.

35 « Ordonnance des Administrateurs qui fixe les Limites de la Paroisse de Vallière », 15 novembre 1783, in L.-É. Moreau de Saint-Méry, t. 6, 1790, p. 396.

36 « Arrêt du 21 juillet qui renvoye le Sieur Bon à se pourvoir pardevant les gouverneurs et intendants de Saint Domingue pour raison de deux ordonnances rendues par défaut contre lui » (FR ANOM COL A-9, 1764, fo32).

37 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant de la Guadeloupe pour la plantation des Bois dans cette île », 16 novembre 1767, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 538-542.

38 L.-É. Moreau de Saint-Méry, t. 6, 1790, p. 373.

39 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, concernant les Fraudes dans les Dénombremens », 12 mai 1766, in M. Durand-Molard, t. 2, 1807, p. 472-475.

40 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les Dénombremens et Récensemens », 20 février 1786, in M. Durand-Molard, t. 3, 1810, p. 680-686.

41 « Instructions de Messieurs les Général et Intendant pour MM. les Capitaines-commandans des Paroisses, sur la façon dont ils doivent recevoir les Déclarations des Habitans, pour leurs Dénombremens et Récensemens », 10 novembre 1777, in M. Durand-Molard, t. 3, 1810, p. 349-352.

42 Des travaux soulignent en effet la difficulté pour l’état colonial à s’imposer face à la souveraineté domestique des maîtres planteurs : Y. Debbasch, 1985 ; M. W. Ghachem, 2012.

43 Ces documents ont en grande partie disparu, mais on en trouve quelques exemplaires dans les fonds privés et les archives de plantation, comme le fonds François de Neufchâteau conservé aux Archives nationales de Pierrefitte sous la cote FR AN 27AP-12.

44 « Ordonnance de MM. les Général et Intendant, sur les Dénombremens et Récensemens », 20 février 1786, in M. Durand-Molard, t. 3, 1810, p. 680-686.

45 É. Geraud-Llorca, 1984, p. 165 ; J.-A. Tournerie, 1992, p. 34.

46 A. Clément, 2009.

47 FR ANOM COL C10A-4 fo26.

48 Ce concept souligne la centralité de l’économie de plantation dans l’organisation sociale de sociétés dont la finalité principale est la production de denrées coloniales (tabac, coton, sucre, café, indigo…), au sein de plantations, denrées qui sont par la suite exportées.

49 P. Røge, 2008.

50 Voir par exemple le recensement général du Canada pour l’année 1685 où sont dénombrés dans des colonnes propres les églises et les ecclésiastiques (FR ANOM DPPC G1-461 fo3).

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Du dénombrement au recensement : fabrique du chiffre et circulations administratives
URL http://journals.openedition.org/histoiremesure/docannexe/image/8038/img-1.jpg
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Titre Figure 2. Recensement général de la colonie de Tobago pour la population et la culture pendant l’année 1785
Crédits Source. FR ANOM COL C10E-7 fo19.
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Pour citer cet article

Référence papier

Fanny Malègue, « L’empire en tableaux »Histoire & mesure, XXXIII-2 | 2018, 93-114.

Référence électronique

Fanny Malègue, « L’empire en tableaux »Histoire & mesure [En ligne], XXXIII-2 | 2018, mis en ligne le 02 janvier 2022, consulté le 29 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/8038 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoiremesure.8038

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Auteur

Fanny Malègue

École des hautes études en sciences sociales (Centre d’études nord-américaines (CENA), Mondes américains, UMR 8168) et Institut national d’études démographiques. E-mail : fanny.malegue@ehess.fr

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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