• 1 Yves Durand, La Captivité : histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945, Paris, FNCPG-CAT (...)
• 2 Nous ne citons ici que les travaux auxquels nous ne ferons pas référence dans notre texte : Gwendol (...)

2Longtemps négligée par l’historiographie, leur histoire s’avère pourtant d’une grande richesse. Représentant 4 % de la population, ces centaines de milliers de Français âgés de 20 à 40 ans ont essentiellement été mobilisés par voie de conscription. Ils viennent donc de tous les horizons géographiques, socio-professionnels et politiques, et forment ainsi un échantillon représentatif de la société française de leur temps, ou du moins de sa population masculine dans la force de l’âge. Sollicité par le milieu associatif des anciens prisonniers de guerre, l’historien Yves Durand est venu combler en 1980 un vide majeur de l’étude de la Seconde Guerre mondiale en proposant une histoire générale de cette « communauté captive ». Soulignant l’enjeu fondamental qu’ils représentent dans la Collaboration entre Vichy et le Reich et leur instrumentalisation politique par Pétain, il met en évidence le vaste brassage social, culturel et politique à l’œuvre parmi eux en s’attachant à faire revivre cette histoire originale du point de vue des prisonniers1. Dans son sillage, le phénomène continue d’être exploré par d’autres historiens qui proposent des approches culturelles, mémorielles et transversales du phénomène, ainsi que des études de catégories spécifiques de prisonniers. De nombreux travaux portent aussi sur la sortie de guerre de ces « exclus de la victoire », mettant en avant les difficultés et les déceptions qui suivent leur libération tant espérée : la relative indifférence qui accompagne leur retour au moment où l’on célèbre les héros de la Résistance, leur délicate réinsertion, leur image trouble dans l’opinion, et leur repli mémoriel2. Mais les sources extrêmement volumineuses, variées et éparpillées de la captivité sont encore loin d’avoir été explorées de façon exhaustive, et bien des aspects de son histoire restent à défricher et à approfondir, notamment d’un point de vue politique. Or la captivité offre un véritable champ d’observation des signes extérieurs des attitudes politiques de ce pan entier de la société française souvent oublié.

• 3 Voir notamment son maître-ouvrage, L’opinion française sous Vichy, Paris, Éditions du Seuil, 1990
• 4 Jean-Marie d’Hoop, « Propagandes et attitudes politiques dans les camps de prisonniers de guerre : (...)
• 5 Pierre Laborie, « De l’opinion publique à l’imaginaire social », Vingtième Siècle. Revue d’histoire(...)

4Si l’historiographie existante sur la question n’est pas encore à la mesure de l’intérêt et de la richesse de ce corpus, elle permet néanmoins d’esquisser une vue d’ensemble et d’entrevoir toute sa complexité à la lumière du renouvellement sur l’opinion initié par les travaux de Pierre Laborie3. La synthèse d’Yves Durand nous apprend que l’on retrouve globalement dans les stalags et les oflags les mêmes tendances politiques qu’en France occupée : sur fond de sentiment antiallemand largement partagé, on observe une large adhésion au pétainisme puis un ralliement massif à la Résistance, non sans chevauchement, tandis que les engagements profonds et actifs demeurent minoritaires. Mais en raison des contraintes et des spécificités de la captivité, cette opinion en exil se distingue par un décalage chronologique notable, et des ambiguïtés plus marquées, ou du moins très visibles. Rappelant la multiplicité des lieux d’opinion, les études consacrées au cas particulier des officiers et à l’analyse des récits de captivité permettent d’enrichir ce tableau général en soulignant les nuances et fluctuations locales, le poids de la désinformation et de la cohésion sociale, mais également l’enjeu crucial du maintien du lien avec la France et les Français au cours de ce long exil4. Si l’on a bien sûr affaire à une pluralité d’opinions au sein de ce segment de la population française socialement et idéologiquement contrasté, et physiquement séparé, la longue fréquentation des sources permet bien de dégager des opinions dominantes qui évoluent selon leurs logiques propres, et qui s’appuient en tout cas sur des représentations sociales largement partagées5.

• 6 Évelyne Gayme, Les prisonniers de guerre français : enjeux militaires et stratégiques (1914-1918 (...)
• 7 Joseph Billig, « Le rôle des prisonniers de guerre dans l’économie du III^e Reich », Revue d’Histo (...)

6Tout au long de la captivité, ces prisonniers occupent une place centrale dans les hautes sphères du pouvoir politique à Berlin comme à Vichy, devenant un enjeu majeur de leur collaboration. Du côté français, leur instrumentalisation politique par Pétain est immédiate et constante6. Les conséquences morales et matérielles de l’absence de ce nombre considérable d’hommes pèsent lourdement sur chaque famille comme sur la production. Aussi, le retour des prisonniers constitue l’un des objectifs du nouveau régime et l’un ses résultats les plus attendus. Tout au long de son existence, Vichy leur réserve une place de choix dans sa politique et ses discours, mais engage aussi un effort institutionnel et matériel indiscutable à leur intention. Du côté allemand, la captivité de ces Français présente bien des avantages. Il est utile de tenir éloignés de leur pays ces soldats susceptibles de reprendre le combat. Ceux-ci représentent aussi un moyen de pression sur Vichy. Mais c’est surtout parce qu’ils représentent une force de travail indispensable qu’ils sont maintenus en captivité pendant de longues années : cette masse de travailleurs est fondamentale pour l’économie de guerre allemande7.

• 8 Raffael Scheck, « The Prisoner of War Question and the Beginnings of Collaboration: The Franco-Germ (...)
• 9 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 320-333.
• 10 Cette proposition de « transformation » faite à tous les prisonniers de guerre permet le passage au (...)
• 11 Évelyne Gayme, « La politique de la Relève et l’image des prisonniers de guerre », Inflexions, vol. (...)

7Bien malgré eux, les prisonniers de guerre jouent donc un rôle majeur dans la relation, de plus en plus déséquilibrée, entre les deux États. Lorsque Vichy s’engage dans la voie de la Collaboration au cours de l’automne 1940, un protocole concernant les prisonniers de guerre instaure une dérogation à la Convention de Genève : ce n’est pas un État tiers mais la France elle-même qui devient la puissance protectrice de ses propres prisonniers8. Pour l’ambassadeur Georges Scapini, chef du nouveau Service diplomatique des prisonniers de guerre (SDPG), commence alors un véritable jeu de dupes. En sortant du cadre légal, Vichy espère obtenir la libération des prisonniers. Mais finalement, le Reich n’accorde que des libérations limitées, et s’appuie sur la complicité de Vichy pour exploiter leur force de travail en imposant des entorses à la Convention9. En 1942, Laval en vient à proposer la Relève, une mesure qui instaure l’échange d’un prisonnier de guerre contre trois travailleurs civils recrutés sur la base du volontariat. Début 1943, il négocie encore la Transformation en travailleurs libres de prisonniers de guerre contre l’envoi de jeunes Français en Allemagne10. Mais les résultats de ces tentatives sont insuffisants et n’empêchent pas l’instauration du très impopulaire Service du travail obligatoire (STO). Sur le terrain, ces mesures dans l’intérêt des Allemands troublent les prisonniers : les libérations accordées au titre de Relève sont arbitraires et beaucoup de prisonniers sont « transformés » de force en travailleurs civils. En outre, elles les associent à leurs corps défendant à la Collaboration dans l’opinion publique française11.

• 12 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 338-341 ; Jean-Marie d’Hoop, « Propagandes et attitudes p (...)
• 13 Philippe Goldman, « La propagande allemande auprès des prisonniers de guerre français à travers (...)

8Cette instrumentalisation se traduit concrètement par une vaste opération de propagande12. D’une part, comme la population allemande, les prisonniers de guerre sont soumis à la propagande officielle nazie. Les communiqués de la Wehrmacht, les discours de Hitler et la presse allemande, ainsi que les journaux français de la zone occupée, tous favorables à l’occupant, sont diffusés dans chaque camp. Mais les prisonniers font aussi l’objet d’une propagande plus spécifique : plutôt que de les rallier au nazisme, les autorités ont surtout pour objectif de faciliter leur surveillance et leur exploitation, et donc de neutraliser toute velléité subversive. Partant, il s’agit de les convaincre que le Reich est invincible pour qu’ils acceptent leur sort, et de les persuader que la paix se fera à ses conditions pour les pousser à collaborer. Pour ce faire, un journal de propagande, le Trait d’Union, est spécialement créé. Son origine allemande est grossièrement dissimulée, et ce journal publie des informations naturellement orientées dans le sens des Allemands13.

• 14 Cité par Yves Durand, La Captivité…, op. cit., p. 310.
• 15 Rémi Dalisson, Les soldats de 1940 : une génération sacrifiée, Paris, CNRS Éditions, 2020, pp. 49-5 (...)
• 16 Archives nationales (AN), Service diplomatique des prisonniers de guerre (1940-1944), F/9/2180, « M (...)
• 17 Au total, plus de 500 000 prisonniers sont libérés. Près d’un tiers le doivent non pas aux négociat (...)

9D’autre part, comme la population de la France occupée, les prisonniers de guerre sont aussi la cible d’une prise en charge idéologique de la part de Vichy. Constamment mis sur le devant de la scène, ils sont présentés comme les martyrs de la politique criminelle menée avant-guerre, payant des fautes qu’ils n’ont pas commises. Ce sont les Français qui souffrent le plus de la défaite, et à ce titre, ils méritent plus que tous les autres l’aide de la nation. Malgré leurs souffrances, la captivité leur donnera l’âme forte, et ils seront les meilleurs artisans de la France de demain. Pétain déclare ainsi dans un discours prononcé le 16 août 1941 : « Dans vos camps, vous avez, au milieu de rudes épreuves, accumulé dans la pureté de vos âmes un merveilleux capital humain14. » Une action idéologique spécialement conçue pour les prisonniers est aussi conduite à partir de 1941 par la « Mission Scapini » – autre nom donné au SDPG qu’il dirige15. Des cercles Pétain sont créés dans chaque camp. Recrutés parmi les prisonniers, leurs animateurs ont pour mission d’entretenir ou de conquérir l’adhésion au maréchal et à son œuvre de redressement dans le cadre de conférences et de débats. Ces cercles Pétain travaillent sur les différents thèmes de la Révolution nationale à l’aide d’une documentation venue de France, et œuvrent à la mise en place d’un culte de la personnalité de Pétain. Cette propagande ne lésine pas non plus sur les moyens, ainsi qu’en témoigne un bilan matériel des envois au printemps 1942 : pas moins de 15 000 portraits et 3 500 messages du maréchal ont été envoyés dans les camps en deux mois16. Parallèlement, le souci d’améliorer le sort des prisonniers donne lieu à des réalisations concrètes : Vichy négocie des rapatriements, les soutient matériellement par l’envoi de colis et assiste leurs familles17.

• 18 Sur l’encadrement de l’information, voir Siassia Amarillys. « "Maintenir les liens" en temps de cap (...)

10En fin de compte, l’information que reçoivent les prisonniers ne diffère pas fondamentalement de la propagande qui sévit en France occupée ou en Allemagne, mais dans leur cas, elle constitue l’essentiel de l’information dont ils disposent18.

• 19 Sur la captivité transitoire en France, voir Fabien Théofilakis (dir.), Les prisonniers de guerre f (...)
• 20 Pierre Laborie, « Vichy et ses représentations dans l’imaginaire social », dans Jean-Pierre Azéma e (...)
• 21 Emmanuel Levinas, Œuvres 1 : Carnets de captivité, Écrits sur la captivité, Notes philosophiques di (...)
• 22 Emmanuel Levinas, Œuvres 3 : Eros, littérature et philosophie : essais romanesques et poétiques, no (...)
• 23 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, L’étrange victoire : de la défense de la République à la libérati (...)

11Dès les premiers temps de la captivité, sur fond d’illusion de leur libération imminente, d’âpres débats ont lieu entre des prisonniers totalement abasourdis par la débâcle et leur capture19. Comme le souligne Pierre Laborie, il n’y a « probablement pas de plus terrible épreuve pour un peuple que la défaite de ses armées20 », et les prisonniers sont sans doute les Français chez qui cette « catastrophe suprême » provoque le traumatisme le plus intense et durable. Les carnets de captivité du philosophe Emmanuel Levinas reflètent la radicalité de l’événement : « Discontinuité du réel. Nécessité de s’appuyer sur le néant21. » La débâcle et l’effondrement de la France deviennent d’ailleurs le cœur d’un roman inachevé qu’il esquisse en captivité. L’« instant de la défaite » place son héros dans « un vide vertigineux » : « Plus de France. Elle est partie en une nuit, comme une immense tente de cirque, laissant une clairière parsemée de quelques débris22. » De son côté, Jean-Louis Crémieux-Brilhac souligne encore à la fin de sa vie, avec le recul de l’âge et de l’historien, à quel point « il est difficile de se représenter après tant d’années le traumatisme mental que nous avait infligé le désastre de la France, un désastre pour beaucoup d’entre nous incompréhensible23 ».

• 24 Marceau Menetrier, Mémoires d’un prisonnier de guerre français (1940-1945), Nîmes, Lacour-Ollé, 201 (...)
• 25 Jean-Marie d’Hoop, « Propagandes et attitudes politiques… », art. cit., p. 6.
• 26 Laurent Quinton, Une littérature qui ne passe pas…, op. cit., p. 27.
• 27 Maurice Betz, Dialogues de prisonniers, Paris, Émile-Paul, 1940.
• 28 Laurent Quinton, Une littérature qui ne passe pas…, op. cit., p. 104.

12Si certains prisonniers demeurent longtemps dans un état d’hébétude, pour bien d’autres, « discuter semble une nécessité vitale », comme le note Marceau Menetrier dans son journal le 15 août 194024. Les vifs échanges qui animent les premiers temps de la captivité portent naturellement sur les causes de la défaite, et donc sur la vie politique de la III^e République25. Vécue comme une continuation de la défaite, la captivité est pour les prisonniers un temps « de digestion, et d’expulsion de la défaite, dans l’action, la pensée, ou le récit26 ». Publié dès l’automne 1940, Dialogues de prisonniers est tout à fait emblématique de l’obsession de la défaite qui anime les conversations incessantes des prisonniers, mais aussi de la volonté de se tourner vers le futur une fois ce douloureux passé ruminé27. Prenant péniblement conscience que leur captivité s’installe dans la durée et trouvant progressivement leurs marques dans leur nouvel univers en Allemagne, les prisonniers intègrent donc peu à peu les enjeux du présent et de l’avenir dans leurs horizons. L’exil et la réclusion n’entraînent pas un renoncement au monde, bien au contraire : leurs récits montrent à quel point ils développent une véritable « soif » de nouvelles de l’extérieur qu’ils ne cessent de s’échanger. Leur espoir d’une libération et la faim qui les assaille étant leurs obsessions quotidiennes, les événements militaires retiennent leur attention avant toute chose, car leur captivité y est suspendue. Mais tout ce qui concerne la France n’en intéresse pas moins les captifs, comme s’il s’agissait de maintenir ensemble un lien à la patrie qu’on les a forcés à quitter : « la France, et ce qu’il s’y passe, au niveau familial ou national, est un horizon idéalisé qui leur permet de supporter la captivité28 ».

• 29 Jean-Bernard Moreau, Attitudes, moral et opinions des officiers…, op. cit., p. 414 ; François Boudo (...)
• 30 C’est particulièrement le cas pour les Juifs parmi eux (voir Delphine Richard, « Prisonniers de gue (...)
• 31 Voir par exemple le carnet du capitaine Mathieu qui compile, confronte, et croise les informations (...)

13Les prisonniers disposent d’informations biaisées par la propagande, et ils n’en sont pas complètement dupes, notamment au sujet de la propagande allemande dont les ficelles sont si grosses qu’elles suscitent essentiellement de la méfiance et du rejet. Or les voies alternatives pour s’informer s’avèrent très réduites, surtout lors des trois premières années de la captivité, que ce soit pour les officiers qui vivent totalement reclus ou pour les prisonniers des kommandos les plus isolés29. Dans le cadre de leur travail au sein de la population allemande, les hommes de troupe tentent d’obtenir des informations, mais celles-ci demeurent limitées par la barrière de la langue et la chape de plomb qui pèse sur le pays. Bien que soumis à la censure, le courrier reçu depuis la France constitue pendant longtemps l’essentiel de l’information extérieure. Certaines familles mettent en place une sorte de langage codé, mais celui-ci laisse souvent les prisonniers dans l’incertitude de l’approximation30. Dans ces conditions, chaque bribe d’information est analysée, discutée, grossie, et les rumeurs vont bon train dans ce petit monde cloisonné à l’affût de la moindre nouvelle. Beaucoup tentent d’y palier en croisant scrupuleusement leurs données pour faire émerger les indices, les non-dits et les « bobards »31.

• 32 AN, F/9/2708, Rapport d’activité du général Keller, doyen de l’oflag XII H, septembre 1941.

14Pour analyser les opinions politiques des prisonniers de guerre, il ne faut donc jamais perdre de vue le poids de la défaite et les difficultés morales de la détention. Cela pèse sur les schémas mentaux des prisonniers, l’information très partielle, partiale et souvent tardive qui nourrit leurs débats, mais également leur conscience d’être mal informés, un contexte qui suscite une certaine méfiance de leur part quant à leur propre raisonnement. L’un d’eux note ainsi le 26 septembre 1940 : « Les Anglais ont attaqué Dakar : personne n’y comprend plus rien. » Un an plus tard, un autre constate que vivant repliés sur eux-mêmes, ses camarades se laissent plus guider « par le sentiment que par la réflexion », leur pensée est « instable et pleine de contradictions32 ».

• 34 Laurent Quinton, Une littérature qui ne passe pas…, op. cit., pp. 121-143.
• 35 Voir par exemple Robert Christophe, Les flammes du purgatoire : histoire des prisonniers de 1940, P (...)
• 36 Delphine Richard, « Prisonniers de guerre juifs… », op. cit., pp. 675-683.

17Comme en France, le rejet quasi unanime de la Collaboration est alimenté par une germanophobie largement partagée, mais sans aucun doute renforcée par la mobilisation, la défaite et la captivité. Bien qu’ils soient très minoritaires, les collaborateurs occupent largement les récits de leurs camarades, outrés par leur comportement34. À les lire, leur attitude n’est pas dénuée d’intérêt personnel : convaincus de la victoire du Reich et de sa possible magnanimité, la plupart de ces « mouchards » chercheraient avant tout à obtenir leur libération35. Il faut donc les distinguer d’une toute petite minorité d’activistes collaborationnistes, à l’exemple de Brasillach qui se distingue à l’oflag VI A en dénonçant ses camarades juifs avant d’être rapidement libéré36. Quelques groupes dénommés Europe nouvelle ou même Collaboration se développent çà et là, mais ces acharnés de la Collaboration restent très isolés et peu influents. En outre, la plupart de ces « brebis galeuses » sont vite libérées pour services rendus, renforçant l’écœurement général qu’elles provoquent. Les partisans de la Collaboration demeurent donc marginaux, leur nombre s’amenuise rapidement, et on ne les trouve pas automatiquement chez les prisonniers convaincus par l’idéologie de Vichy. En effet, dans le monde captif, l’hostilité généralisée à la Collaboration cohabite avec une adhésion massive au pétainisme. Particulièrement visible dans les camps allemands, cette coexistence n’y est pas plus contradictoire qu’en France.

• 37 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 340-341.
• 38 Laurent Quinton, Une littérature qui ne passe pas…, op. cit., p. 33.
• 39 Ibid., pp. 108-121.

18Comme l’explique Yves Durand, une part notable de prisonniers manifeste un « pétainisme actif », au sens d’une adhésion réfléchie à la Révolution nationale qui s’exprime par un militantisme en sa faveur37. Ses principes conviennent en général aux aspirations des membres des cercles Pétain, sensibles à la restauration des valeurs françaises sur lesquelles Vichy entend fonder sa renaissance. Il faut dire que son programme répond aussi plus particulièrement à leur amertume de soldats vaincus en expliquant la défaite par les erreurs du passé et en promettant le châtiment des coupables. Les emprunts faits à une certaine idée du dogme catholique, notamment la rédemption par la souffrance, séduisent aussi beaucoup de catholiques à qui l’on présente la captivité comme une forme de retraite monastique d’où ils sortiront plus forts. Ainsi que le souligne Laurent Quinton, la participation à ces cercles témoigne aussi du véritable souci de nombreux prisonniers « de faire quelque chose pour leur pays » durant leur exil : unissant leurs bonnes volontés et leurs compétences, ils travaillent à bâtir une France qui saurait laver l’affront de 1940 et retrouver la « pureté » de son « essence »38. Normalien et philosophe chrétien, Jean Guitton représente le prisonnier modèle pour la Révolution nationale, dévoué à son pays39. Dans le programme préfacé par Pétain qu’il publie en 1942, on perçoit aussi l’importance cruciale de l’union des Français dans son engagement idéologique :

• 41 AN, F/9/3094, Commissariat général aux prisonniers rapatriés. Mouvement "Prisonniers". Bilan d’acti (...)
• 42 Sur ce point, voir notamment Nicolas Mariot, « Foules en liesse et "maréchalisme" des populations. (...)

19Dans les oflags qui concentrent un échantillon de la bourgeoisie catholique conservatrice et de nombreux intellectuels, la Révolution nationale s’adresse à un public presque conquis d’avance, et c’est bien là qu’elle rencontre le plus grand succès. En juillet 1942, le doyen de l’oflag VI D mentionne par exemple la participation de plus de 70 % des officiers aux réunions des dix cercles Pétain que compte le camp41. Mais toute participation à ces événements collectifs n’est pas nécessairement portée par des convictions politiques42. Le président du mouvement Pétain du stalag VI D souligne d’ailleurs la difficulté de la tâche :

• 45 Voir notamment Jean-Marie Flonneau, « L’évolution de l’opinion publique de 1940 à 1944 », dans Jean (...)

22Enfin, les propagandistes observent bien que la Collaboration s’avère très problématique et que ces cercles n’ont de succès que dans la mesure où ils demeurent presque apolitiques. Modérant le zèle excessif de la minorité des partisans de la Collaboration, Vichy exclut de ses programmes la politique extérieure. Or la captivité place bien plus qu’en France ces prisonniers dans une méconnaissance de la réalité concrète de la Collaboration, où l’on constate d’ailleurs un décalage chronologique notable dans la durée de l’adhésion au pétainisme selon les zones45.

• 46 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 341-342 ; Laurent Quinton, Une littérature qui ne passe p (...)
• 47 Ibid., pp. 167-186.

23Manifestement acquise au pétainisme, la masse des prisonniers ne s’inscrit pas dans une démarche réfléchie. Comme en France, son adhésion correspond davantage à une allégeance à la personne du maréchal en tant que chef de l’État et surtout de représentant de la France, qu’à l’idéologie de Vichy. Comme l’explique Yves Durand, il s’agit donc plus d’un « pétainisme passif » nourri par une forme de réflexe patriotique assez peu éclairé politiquement : Pétain représente la France46. À travers l’analyse des récits de captivité, Laurent Quinton souligne une volonté farouche et partagée de maintenir l’unité qui nourrit à la fois une forme d’apolitisme et un patriotisme profond47. La perte de repères et l’attachement à la patrie étant renforcés par la captivité, la figure de Pétain suscite un phénomène général d’émotion patriotique au sein d’une communauté en quête d’une indispensable identité nationale et collective. Ainsi, les cérémonies en son honneur sont de rares occasions de chanter La Marseillaise et de faire flotter le drapeau français. En affichant les portraits de Pétain à la tête de leurs lits, les prisonniers s’affirment Français. Retransmis sur les haut-parleurs des camps, ses discours sont aussi l’occasion d’entendre la seule voix française qui s’adresse à eux, et qu’ils écoutent souvent dans une forme de recueillement. Il faut dire aussi que ces prisonniers noyés dans l’amertume, la confusion et le désespoir constituent un public particulièrement réceptif à l’attention que Pétain leur porte. Ainsi, tous reçoivent cette carte postale le 24 octobre 1941 :

• 49 Jean-Bernard Moreau, Attitudes, moral et opinions des officiers…, op. cit., p. 498-503.
• 50 Jean-Marie d’Hoop, « Propagandes et attitudes politiques… », art. cit., p. 17. La plupart des ancie (...)

24Comme l’a montré Jean-Bernard Moreau, cette forme de « Pétain-mania » est aussi plus marquée dans les oflags49. Les rapports de captivité d’officiers rapatriés fin 1941 se rejoignent tous pour estimer que la proportion des prisonniers d’oflags qui soutiennent ouvertement le maréchal Pétain avoisine souvent les 90 %. Un effet de corps s’exprime aussi sans aucun doute chez ces officiers où l’on compte de nombreux anciens combattants50.

• 51 AN, F/9/3109, Rapport du général Lucien Soest, février 1943.
• 52 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., p. 341.

25Par ailleurs, cette dévotion n’échappe pas à un certain pragmatisme. Elle est aussi liée aux possibilités de libération, et Pétain ne cesse de leur répéter qu’il fait tout pour l’obtenir. Les prisonniers seraient « disons pour les Patagons, s’il semblait que les Patagons peuvent être les premiers à leur apporter la libération », se lamente ainsi un rapatrié acquis à la cause de la Révolution nationale51. En outre, il y a aussi indéniablement une sorte de « reconnaissance du ventre »52 directement liée aux colis Pétain.

• 53 L’expression est empruntée à Pierre Laborie, voir notamment Penser l’évènement : 1940-1945, Paris, (...)

26En somme, parfois intéressée et surtout peu politisée, cette vague pétainiste semble avant tout relever d’une forme de « mental-émotionnel collectif53 » patriotique envers la seule figure qui incarne alors la France aux yeux des prisonniers. Et dans la logique de la captivité, le maintien du lien et de la fidélité à la patrie peut même s’apparenter à une lutte.

• 54 Pierre Laborie, Le chagrin et le venin : Occupation, Résistance, idées reçues, Paris, Gallimard, 20 (...)
• 55 Voir notamment Denis Peschanski, « Résistance, résilience et opinions dans la France des années noi (...)

27La masse des prisonniers perçoit d’ailleurs plus généralement la captivité comme un temps de lutte : il s’agit d’abord pour eux de lutter contre le « cafard » et la faim pour rester dignes dans leur difficile condition de prisonniers, de continuer de lutter contre l’ennemi en s’opposant à l’arbitraire des gardes et en sabotant leur travail, ou encore de lutter en s’évadant comme le veut le devoir traditionnel du soldat. Plus ou moins discrets, ces comportements ne font pas de leurs auteurs des résistants au sens où on l’entend en France dans l’après-guerre, ce qui ne justifie pas pour autant comme le dit Pierre Laborie « le passage à la trappe de ces attitudes de désobéissance54 » : il y a sans doute là un parallèle à approfondir avec son concept de société de non-consentement, ou encore celui de résilience emprunté à Boris Cyrulnik55. Quoiqu’il en soit, l’imaginaire clos et contraint qui se développe en captivité concourt à réduire la conception de la lutte patriotique à l’opposition et à la résistance aux Allemands, tandis que tout ce qui peut attenter à l’unité de la France tend à être vécu comme une trahison. Les représentations des prisonniers sont donc bien loin de les préparer à comprendre les formes complexes que prend la Résistance de leurs compatriotes. Cela dit, comme en France, une vie politique clandestine minoritaire se développe dès le départ dans les camps à côté de la politique officielle et visible.

• 56 Voir par exemple le témoignage du communiste Pierre Bugeaud, Militant prisonnier de guerre : une ba (...)
• 57 Roger Ikor, Pour une fois écoute, mon enfant, Paris, Albin Michel, 1975, pp. 292-295.
• 58 AN, F9/3105, « Rapport de France-politique-les prisonniers », 1943 ; Yves Durand, La Captivité…, op (...)

28En dépit d’une opposition généralisée à la Collaboration, seule une minorité active de prisonniers perçoit et dénonce donc d’emblée la collusion de Vichy avec le régime nazi. Même parmi eux, on ne trouve d’ailleurs guère de voix pour s’élever contre Pétain. Beaucoup d’opposants rejettent ainsi comme en France la responsabilité de la Collaboration sur l’occupant, le gouvernement et Laval, et plus particulièrement sur Scapini, très impopulaire dans la communauté captive. Bien que certains chrétiens s’engagent précocement dans la lutte contre Vichy, les premiers opposants sont pour la plupart issus des catégories désignées par Vichy comme les ennemis de l’intérieur : des gens de gauche, dont beaucoup de communistes, des défenseurs de la laïcité et de la République, des francs-maçons, des Juifs. Bien souvent, il s’agit aussi d’hommes déjà très engagés politiquement avant-guerre, qui réactivent en captivité leur expérience du militantisme56. D’abord muette, leur opposition se développe ainsi peu à peu dans un cadre collectif. Très isolés, ces petits noyaux se réunissent clandestinement et organisent discrètement des filières d’évasion et de contre-information. Dans son oflag, Roger Ikor forme par exemple un petit cercle de normaliens de gauche qui met en place un journal parlé rencontrant de plus en plus de succès57. Au stalag III B, les militants communistes se regroupent rapidement, fondant dès l’été 1940 les bases d’un Front Patriotique qui parvient à nouer le contact avec des prisonniers communistes d’autres nationalités. Dans quelques camps, l’opposition parvient ainsi à se muer précocement en véritable réseau clandestin de résistance. C’est aussi le cas au stalag XI B où « le club des tordus » rassemble des obédiences variées de gauche et des gaullistes, dont Michel Caillau, le neveu de De Gaulle58. Mais dans tous les cas, ces opposants très surveillés par les autorités peinent longtemps à rentrer en contact avec les résistants français.

• 62 AN, F/9/3109, Dossier propagande radio.

33Enfin, d’une façon générale, les prisonniers sont aussi mieux informés. La tournure prise par la guerre mène les gardiens et les civils à s’exprimer davantage sur le régime nazi, toujours avec prudence. Mais surtout, le lien avec la Résistance française commence à se faire par le biais des prisonniers qui s’engagent après leur évasion ou leur rapatriement. Peu à peu, on voit apparaître des mouvements qui regroupent des anciens prisonniers de guerre, tels que les groupes de Michel Caillau ou de François Mitterrand, qui finissent par fusionner au sein du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD). Conscients de la désinformation subie par leurs camarades, ils s’efforcent de mettre en place une contre-propagande depuis la France métropolitaine. Camouflées dans les colis alimentaires, des radios clandestines se répandent dans les camps, ce qui permet l’écoute de la BBC. On l’a vu, la Résistance extérieure finit aussi par s’intéresser aux Français des stalags et oflags. Fin 1943, le Comité français de Libération nationale (CFLN) crée un commissariat aux prisonniers chargé d’une contre-propagande depuis Londres et Alger. À partir de 1944, il conçoit même une émission quotidienne qui leur est spécialement dédiée : Radio Richard les informe sur la réalité de la guerre, et surtout, sur la Résistance62.

• 64 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 369-386 ; Pierre Gascar, Histoire de la captivité des Fra (...)
• 65 Rémi Dalisson, Les soldats de 1940…, op. cit., pp. 59-61.
• 66 Yves Durand, La Captivité…, op. cit., pp. 371-374.
• 67 Jean-Bernard Moreau, Attitudes, moral et opinions des officiers…, op. cit., p. 453.

35Si, à cette date, le pourcentage de « traîtres » est surestimé, ce rapport reflète assez bien l’évolution qui s’est dessinée et ses ambiguïtés. Avec du retard sur la France métropolitaine, sur fond de lente désaffection au pétainisme, le soutien à la Résistance gagne les camps au cours de l’année 1944. Sur le terrain, les cercles Pétain tombent en désuétude et des activités de résistance de plus en plus organisées apparaissent presque dans chaque camp. Quelques liaisons se nouent avec l’Allemagne ou la France, mais cette Résistance demeure cloisonnée à la micro-échelle de chaque camp. Le phénomène est très limité par la captivité, ce qui rend fort difficile les mêmes développements qu’en France64. Rémi Dalisson parle ainsi de « micro-résistance65 ». Sans revenir ici sur cette forme originale de Résistance, on peut tout de même souligner qu’on n’assiste pas plus dans les stalags et les oflags qu’en France à un basculement radical, unanime et surtout actif des prisonniers. Les engagements demeurent minoritaires, et leur soutien marqué par l’ambivalence. En outre, la vague de sympathie pour la Résistance ne correspond pas plus qu’en France à un passage univoque du pétainisme au gaullisme. Si le CFLN éprouve quelques difficultés à cerner le phénomène, c’est qu’il n’existe pas de mot d’ordre gaulliste généralisé dans les camps, et que les militants communistes demeurent bien souvent les plus actifs dans cette Résistance sous cloche66. Autrement dit, tout se passe comme si de Gaulle n’incarnait toujours pas la France pour les prisonniers, même pour beaucoup de résistants parmi eux. Au contraire des Français qui découvrent De Gaulle au fil de la guerre, il reste surtout pour les captifs l’homme d’une idée, et toujours un général sans troupes, en rupture de ban67. Éprouvant un mépris à peine caché pour les prisonniers, il n’est de surcroît pas en mesure d’avoir une influence directe sur leur sort : ses services ont d’ailleurs bien compris que sa présence auprès des Alliés ne suffit ni à réconforter ni à enthousiasmer les captifs. Les prisonniers attendent et espèrent avant tout la victoire des Américains, ou selon leurs engagements politiques, de l’URSS.

• 68 Ibid., pp. 421-422.
• 69 Pierre Laborie, Les mots de 39-45, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006, p. 10.

36Tout cela contribue sans doute au maintien d’une déférence notable et durable à l’égard de Pétain, plus marquée et en tout cas plus visible qu’en France métropolitaine. Nombre de prisonniers continuent de lui accorder toute leur confiance, d’autres lui maintiennent leur fidélité parce qu’ils continuent à croire à son double-jeu. Le contrôle postal montre en tout cas que Pétain est épargné des critiques, et qu’y compris après la libération de la France, les prisonniers ne se retournent pas contre lui68. En somme, la majorité des prisonniers concilie sympathie pour le gaullisme et fidélité au maréchal. Comme en France, cette ambivalence n’est pas pour autant une « duplicité calculée », d’autant que les prisonniers ne sont pas confrontés à la réalité des événements de la France occupée. Elle semble aussi traduire l’existence d’une sorte de culture du « penser-double » en captivité, « vécue au quotidien comme une conduite de nécessité69 ». Partant, les derniers mois de la captivité semblent avant tout témoigner de la force d’incarnation de la patrie qui continue à être attribuée à Pétain dans un contexte où les prisonniers s’inquiètent de l’atmosphère de guerre civile qui leur parvient de France et nous rappelle aussi que la guerre dure de longs mois supplémentaires pour eux. Finalement, le décalage de leurs opinions n’est donc jamais rattrapé, et tend même à s’accentuer au moment où leur libération est proche.

• 70 Pierre Laborie, Les Français des années troubles : De la guerre d’Espagne à la libération, Paris, L (...)

37La captivité de guerre constitue un espace et un temps où se donnent à voir les tensions, les contradictions et les décalages qui habitent alors la société française, offrant une forme de miroir déformant de l’opinion pendant les « années troubles ». Certes, ces hommes réagissent avant tout en tant que prisonniers de guerre aux informations parcellaires et biaisées qui leur parviennent. Mais quel que soit leur bagage mental, social et politique au moment de leur capture, ces Français demeurent animés par un patriotisme émotionnel de survie qui les rend particulièrement sensibles à la figure dépolitisée de Pétain. Ainsi que l’a bien montré Pierre Laborie, l’ambivalence est l’un « des traits majeurs des attitudes des Français sous Vichy », et cela vaut aussi pour les Français exilés. Partant, tout comme en France métropolitaine, les « alternatives simples entre pétainisme et gaullisme, résistance et vichysme, ou résistance et collaboration ne fournissent que des images réductrices du vécu des contemporains70 » en Allemagne. Soudés par un réel désir d’unité et de cohésion, comme par une certaine méfiance de la politique comme vecteur de division, « l’esprit PG » qu’ils revendiquent n’en demeure pas moins animé par un esprit de lutte pour la préservation de la France largement partagé. Mais ses intentions et ses formes sont bien différentes de celles de la Résistance intérieure et extérieure.

• 71 François Cochet, Les exclus de la victoire : histoire des prisonniers de guerre, déportés et STO (...)
• 72 Évelyne Gayme, « L’image des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale : 1940-20 (...)
• 73 Ibid., p. 188.
• 74 Ibid.

38L’analyse des attitudes et des comportements politiques dans les stalags et les oflags éclaire aussi la difficile réintégration des prisonniers dans la communauté nationale à leur retour71. Décalés dans leurs perceptions de la France et des Français, ces « absents » font presque figure d’anti-héros, et leur image est même durablement entachée. Il faut dire que pendant l’été 1945, Pétain déclare lors de son procès que c’est pour obtenir la libération des prisonniers qu’il a été obligé de faire des concessions, un argument repris par Laval et tous les témoins à décharge. Comme le souligne Évelyne Gayme, le procès Pétain est « un peu celui des Français qui gardèrent longtemps une grande admiration pour le Maréchal. Un transfert de culpabilité s’opère alors sur les prisonniers de guerre en schématisant à l’extrême quelques images72 » : « Il leur est reproché d’avoir été des lâches lors de la défaite de 1940, des collaborateurs pendant leur captivité et d’être désormais des quémandeurs constants73. » Blessés par ces attaques, les prisonniers réagissent. Outre les procès en diffamation, ils entament une autoépuration, « témoignant ainsi que leur groupe n’a pas été différent du reste des Français74 ».

• 75 Christophe Lewin, Le retour des prisonniers de guerre français : naissance et développement de la (...)

39Cette difficile réinsertion des prisonniers contribue au succès de la Fédération nationale des prisonniers de guerre fondée dès le printemps 1945. Regroupant plus d’un million d’adhérents, elle devient le levier de la lutte pour la reconnaissance matérielle, symbolique, sociale et mémorielle des anciens prisonniers. Œuvrant à maintenir envers et contre tout la « fraternité PG », la Fédération fait de l’unité sa valeur cardinale, et ne parvient à atteindre cet objectif qu’en bannissant tout sujet politique en dehors de son enceinte75.