• 1 Source UNHCR, https://data.unhcr.org/fr/situations/ukraine [lien consulté le 5 août 2024].
• 2 Pierre Journoud, « Un âge d’or politico-humanitaire ? La diplomatie française et la crise des réfug (...)
• 3 On distingue l’hébergement (par exemple collectif et/ou citoyen), destiné à accueillir dans l’urgen (...)

1Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine a provoqué l’arrivée de la plus importante vague de personnes en quête de refuge observée en France depuis 1945 sur une période si courte, soit en l’espace de deux ans. Au 15 juillet 2024, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) comptabilisait 107 010 réfugiés en provenance d’Ukraine, principalement des femmes et des enfants, établis en France sur un total de 6 021 400 personnes enregistrées en Europe1. La question n’est pas ici de savoir pourquoi le nombre de personnes en provenance d’Ukraine accueillies en France est faible, proportionnellement à sa population par rapport à d’autres pays européens, ce qui pourrait faire l’objet d’un article en soi, mais plutôt de comprendre comment l’État français s’est organisé pour accueillir au mieux cette population soudainement en exil en France. De fait, dans un contexte de solidarité remarquable, qui rappelle à bien des égards l’accueil en France de réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens à partir de 19782, un nombre exceptionnel d’acteurs, agissant à titre individuel et/ou à titre collectif, formel et/ou informel, se sont mobilisés dans le pays en faveur de personnes en provenance d’Ukraine afin de faciliter notamment leur accès à l’hébergement et au logement3, à l’éducation (de la maternelle à l’enseignement supérieur), aux soins médicaux et psychologiques, au travail, à un statut juridique adapté.

• 4 Pour l’OFPRA et selon l’article premier de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ce terme s’a (...)
• 5 Pierre Boisseau, « Du droit d’asile classique à l’accueil des déplacés ukrainiens : réflexion sur l (...)
• 6 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F299 [lien consulté le 17/12/23].
• 7 Le choix de la dénomination pour qualifier ces personnes venues d’Ukraine et réfugiées en France n’ (...)
• 8 Nous savons que dans de rares cas, celui de ressortissants non ukrainiens qui se trouvaient en Ukra (...)

2Notons tout d’abord que les personnes en provenance d’Ukraine et actuellement sur le sol français ne sont pas des réfugiés, au sens où la Convention de Genève de juillet 1951 en définit les critères d’éligibilité4. Employer le terme de « réfugiés » au sujet des personnes en provenance d’Ukraine est inexact au regard du droit5. En effet, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) accorde l’asile, soit la protection de l’État français au titre de la protection internationale, sous forme de statut administratif de réfugié ou de protection temporaire, à un étranger qui est ou risque d’être persécuté dans son pays. Cette situation n’est pas celle vécue par les Ukrainiens, qui ont fui un pays en guerre et non une persécution politique6. De plus, les Ukrainiens bénéficient d’une liberté de circulation et peuvent retourner à leur gré dans leur pays, ce qui n’est pas le cas non plus des demandeurs d’asile et des réfugiés accueillis en France7. L’expression la plus juste à nos yeux serait celle de « réfugiés », (puisqu’ils le sont de facto dans la mesure où ils cherchent un refuge), en provenance d’Ukraine, ayant demandé, voire obtenu, la protection temporaire, que nous abrègerons pour des raisons de lisibilité en « réfugiés en provenance d’Ukraine ». En effet, si nous nous référons à la définition du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il s’agit bien de réfugiés et non de déplacés (qui sont des personnes ayant fui dans leur propre pays), lesquels bénéficient du statut administratif délivré par l’État français de protection temporaire ou du moins qui en ont fait la demande8, et qui ne sont pas forcément de nationalité ukrainienne.

• 9 Pour une définition juridique de la protection temporaire, voir l’article de Sabine Corneloup, paru (...)
• 10 La protection temporaire est un statut européen spécial, activé pour la première fois en mars 2022, (...)
• 11 https://www.vuesdeurope.eu/guerre-en-ukraine-que-contient-la-directive-sur-la-protection-temporaire (...)
• 12 Joseph Krulić, « Les guerres dans l’ancienne Yougoslavie et les mouvements de réfugiés », Migration (...)

3Les réfugiés en provenance d’Ukraine bénéficient en France d’un statut européen spécial, la protection temporaire9, activé pour la première fois en mars 2022 dans tous les États de l’Union européenne et prorogé en juin 2024 par le Conseil de l’Union européenne jusqu’au 4 mars 202610. Il s’agit là de la première application de la directive européenne du 20 juillet 2001, adoptée après que l’Union européenne eut constaté son impuissance à faire face aux déplacements forcés lors de la guerre en ex-Yougoslavie en 1991-1995 puis au Kosovo en 199911. Joseph Krulić avait souligné la « grande portée théorique » de cette directive au moment de la crise syrienne en mars 2015, regrettant alors qu’à cette date, elle n’ait jamais été mise en œuvre12.

• 13 https://www.fondation-croix-rouge.fr/bourses/acteurs-humanitaires-et-sociaux-au-coeur-de-la-crise-d (...)
• 14 Nous distinguons ici l’accueil, que l’on peut concevoir comme une aide d’urgence pour fournir à des (...)

4Dès 2022, la Fondation de la Croix-Rouge française a lancé un appel à candidatures pour mener des recherches sur « les acteurs humanitaires et sociaux au cœur de la crise des exilés ukrainiens en France13 », auquel j’ai répondu, en qualité d’historienne, mais également de directrice du Certificat pour jeunes réfugiés de Sciences Po à Paris, une formation en deux ans qui accueille des réfugiés du monde entier. Ce double positionnement, académique et professionnel, m’a permis d’envisager l’accueil et l’intégration14 des personnes en provenance d’Ukraine à l’aune de la situation vécue par des réfugiés venus d’autres pays. Par ailleurs, dans la mesure où cette formation propose aux étudiantes et aux étudiants un accompagnement personnalisé sur le plan administratif, j’étais déjà en contact régulier avec les différents acteurs concernés. Ceci a facilité un accès privilégié à certaines sources et m’a aidée à conduire des entretiens, à différents niveaux de responsabilité, tant dans les associations, les ministères que sur le terrain.

• 15 Cette enseignante travaille en école primaire dans des unités pédagogiques pour élèves allophones a (...)
• 16 https://www.geographie.ens.fr/-herve-amiot-.html [lien consulté le 05/08/2024].
• 17 https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/cerispire-user/41757/26094 [lien consulté le 08/08/2024].
• 18 https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/corriref-les-corridors-de-lasile-en-france [lien consulté (...)
• 19 Rapport de la Cour des Comptes sur l’accueil et la prise en charge par l’État des réfugiés d’Ukrain (...)
• 20 https://reseau-mens.org/wp-content/uploads/2023/04/Bilan-accueil-des-etudiants-deplaces-dUkraine-Re (...)
• 21 https://uniondesetudiantsexiles.org/archives/3045 Étudiant.e.s exilé.e.s déplacé.e.s d’Ukraine : le (...)
• 22 France Terre d’Asile, La lettre de l’asile et de l’intégration : Déplacés d’Ukraine, quel bilan un (...)
• 23 https://www.amf.asso.fr/documents-bilan-la-mobilisation-communes-intercommunalites-france-lukraine- (...)
• 24 Accueil Ukraine, aux côtés des réfugiés ville de Paris.
• 25 Livret d’accueil en France pour les déplacés ukrainiens, réalisé par le gouvernement français. http (...)

5Dans le cadre de cette recherche, dont cet article rend partiellement compte, un grand nombre de sources de nature variée ont été exploitées, que nous ne pouvons détailler de façon exhaustive, y compris pour des questions de confidentialité. Tout d’abord, des entretiens informels et formels ont été menés, principalement en présentiel, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), entre février et décembre 2023. Ils ont concerné des personnes d’Ukraine et de Côte d’Ivoire, une enseignante de français spécialisée dans la scolarité des élèves allophones15, des chercheurs (Hervé Amiot, spécialiste de la diaspora ukrainienne16, Thomas Lacroix17, coordinateur scientifique du projet CORRIREF - Les corridors de l’asile en France18), des représentants de différentes associations humanitaires (Croix-Rouge, France Terre d’Asile, Habitat et humanisme, etc.), des membres de conseils municipaux, des représentants de l’État (Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés ‑ DIAIR ‑, Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement ‑ DIHAL ‑, Direction générale des étrangers en France ‑ DGEF ‑, Délégation aux affaires européennes et internationales des ministères sociaux, etc.), Paolo Artini, le représentant en France du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. À l’issue de la première année du conflit, beaucoup de rapports ont été produits (et très peu ensuite) qui ont été consultés avec profit, en particulier ceux émis par la Cour des comptes19, par le réseau des établissements engagés pour l’accueil des étudiants en exil (MEnS)20, par l’Union des étudiants exilés (UEE)21, par France Terre d’Asile22, par l’Association des maires de France23, etc. Bien des journaux, dont Le Monde, ont publié des bilans en février-mars 2023, souvent étayés. Un nombre important de documents à destination des réfugiés en provenance d’Ukraine ont été publiés par des associations, des municipalités24, le gouvernement français25. Enfin, j’ai pu avoir connaissance de manière régulière, d’une note mensuelle interne destinée à l’ensemble des ministères concernés par la thématique et qui a fait le point de façon très précise sur les actions engagées par l’État depuis mars 2022.

• 26 Une carte représentant l’ensemble des principaux acteurs intervenant en faveur des réfugiés en prov (...)
• 27 Nous pouvons prendre pour exemple d’acteurs institutionnels en rapport étroit avec l’État français (...)
• 28 Nous pouvons prendre pour exemple d’acteurs structurés de façon formelle en dehors de l’État frança (...)

6Cette recherche m’a conduite, de janvier 2023 à janvier 2024, à identifier six catégories majeures d’acteurs de l’accueil et de l’intégration des réfugiés en provenance d’Ukraine en France, à recenser leurs actions et interactions et à établir une typologie, concrétisée par l’élaboration de deux cartes réalisées par l’atelier de cartographie de Sciences Po26. Ces acteurs sont l’État français, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les acteurs institutionnels en rapport étroit avec l’État français27, les acteurs structurés de façon formelle en dehors de l’État français28, la diaspora ukrainienne, les citoyens, agissant seuls ou en réseaux, en particulier pour fournir hébergement et logement.

• 29 François Gemenne, Hélène Thiollet, « L’accueil des réfugiés ukrainiens et l’universalité du d (...)
• 30 Sabine Corneloup, « Réfugiés d’Ukraine : tapis rouge pour les uns, barbelés pour les autres », Pl (...)

7Contrainte par des limitations éditoriales, et alors qu’il va sans dire que tous les acteurs impliqués ont joué un rôle considérable dans l’accueil et l’intégration des réfugiés, j’ai choisi de me focaliser sur le rôle de l’État français pour deux raisons principales. D’une part l’État est un acteur incontournable parce que présent à toutes les échelles du territoire, et qu’il dispose de ressources financières inégalées, qui ont été autant de leviers d’action. D’autre part, j’ai constaté sur le terrain que les dispositifs mis en place en faveur des réfugiés en provenance d’Ukraine, du fait de l’application de la directive de protection temporaire, étaient novateurs, sans qu’il soit alors possible de déterminer s’il s’agissait là d’une implication unique dans le temps ou que cela préfigurait une nouvelle ère dans l’engagement auprès des réfugiés, quelle que soit leur origine géographique. Or, on le sait, l’engagement de l’État français en faveur des réfugiés ukrainiens, à nos yeux représentatif de la solidarité nationale qui s’est alors déployée, n’a pas toujours été bien perçu dans les milieux engagés en faveur de l’ensemble des réfugiés (intellectuels, associations, etc.). En 2022, François Gemenne et Hélène Thiollet, politologues et spécialistes des migrations et de l’asile, écrivaient ainsi que « la différence de traitement entre les réfugiés ukrainiens et ceux provenant d’autres régions du monde n’est pas seulement choquante moralement : elle mine durablement le sens politique de l’engagement des démocraties occidentales en faveur des libertés fondamentales et du droit humanitaire29 ». La même année, Sabine Corneloup, professeur en droit privé, spécialiste en droit de la nationalité et des étrangers, évoquait quant à elle l’incrédulité puis le malaise qui l’a saisie face à cette « inhabituelle hospitalité » des autorités françaises et européennes et elle dénonçait « la conception qu’a l’UE de l’accueil : tapis rouge pour les un.es, barbelés pour les autres30 ».

• 31 Michael Lipsky, Street-Level Bureaucracy, Dilemnas of the Individual in Public Services, New York, (...)
• 32 Alexis Spire, « Comment étudier la politique des guichets ? Méthodes pour enquêter sur le pouvoir d (...)
• 33 Aline Angoustures, Dzovinar Kévonian, Claire Mouradian, (dir.), Réfugiés et apatrides. Administrer (...)

8S’intéresser au rôle de l’État français dans l’accueil et l’intégration des réfugiés en provenance d’Ukraine revient à s’inscrire dans le champ de l’histoire de l’administration publique et dans celui de l’histoire de l’administration de l’asile en France. En effet, il nous est apparu que les représentants de l’État rencontrés dans les directions décisionnaires concernées s’étaient véritablement impliqués, à l’image d’une partie notable de la population, dans la mise en œuvre de la directive de la protection temporaire en France. En ce sens, ils ont joué un rôle important qui fait écho aux pratiques de street-level bureaucracy théorisées par le sociologue américain Mickael Lipsky dans les années 1980 et qu’il a actualisées en 201031. Ils ont probablement fait évoluer la politique des guichets, telle que le sociologue Alexis Spire a pu l’évoquer dans ses travaux, notamment lorsqu’il a relaté une expérience très intéressante d’« observation objectivante » qu’il a menée en juillet 2003 en tant que guichetier dans un service préfectoral chargé de recevoir les demandeurs d’asile32. Par ailleurs, dans la mesure où cet article évoque la politique menée par l’État français en matière d’accueil des réfugiés depuis le début du XX^e siècle et qu’il a pour objet, entre autres, la première application de la protection temporaire à partir de 2022, il s’inscrit clairement dans le champ de l’histoire de l’administration de l’asile, encore peu investi. Comme le notent Aline Angoustures et Dzovinar Kévonian, dans l’excellente synthèse Entre décolonisation et guerre froide. Administrer l’asile (1960-1990), parue en mai 2024 et deuxième volume des travaux du comité d’histoire de l’Ofpra mis en place en 2010 « afin de faciliter l’écriture de l’histoire et de la protection des réfugiés et apatrides en France33 » :

• 35 Jean-Pierre Dubois, « Le "passeport Nansen", première protection des réfugiés dans l’histoire du dr (...)
• 36 Pour une vision globale de la politique française de l’asile en France entre 1920 et 1960, consulte (...)
• 37 Le statut de protection subsidiaire est attribué à l’étranger qui ne remplit pas les conditions d’o (...)

11Depuis le début du XX^e siècle, la France a mis progressivement en place une politique d’accueil et d’intégration des réfugiés. En 1922, un arrangement relatif à la délivrance des certificats d’identité aux réfugiés russes est adopté. En 1924, la France reconnaît, avec trente-huit autres pays, le « passeport Nansen », un document d’identité, rédigé en français et dans la langue du pays d’accueil, qui permet aux réfugiés apatrides de passer les frontières35. En 1925, l’Office central des réfugiés russes et l’Office des réfugiés arméniens sont créés. Ces dispositions seront complétées, modifiées ou annulées au fil des années en lien avec les évènements géopolitiques. Le 28 juillet 1951, la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés est adoptée à Genève. Elle définit le terme « réfugié » et précise les droits des personnes déracinées ainsi que les obligations juridiques des États pour assurer leur protection. Dès 1952, l’État français crée des institutions de l’Asile, l’Ofpra et la Commission des recours des réfugiés, renommée en 2007 la Cour nationale du droit d’asile36. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est créé en 2009 pour assurer l’organisation de l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en France. Deux formes de protection par l’asile ont été créées : le statut de réfugié et la protection subsidiaire37. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la France a accueilli à trois reprises des réfugiés en nombre important.

• 38 Karine Meslin, « De l’obtention du statut à l’incarnation de la figure sociale du réfugié : l’exemp (...)
• 39 Rapport d’activité de l’Ofpra 2023, pp. 50-51, https://www.ofpra.gouv.fr/actualites/rapport-dactivi (...)
• 40 Rapport d’activité de l’Ofpra 2023, op. cit., p. 53.

12L’épisode le plus marquant, en nombre de personnes exilées accueillies, a eu lieu entre 1975 et 1992. La France a accueilli près de 130 000 réfugiés du Sud-Est asiatique, dont 47 356 Cambodgiens arrivés de 1975 à 199238. Dans des proportions plus modestes, entre 2015 et 2018, la France a accueilli environ 30 000 réfugiés de la guerre civile syrienne. Notons qu’en 2023, l’Ofpra a enregistré 4 467 demandes d’asile de la part de Syriens alors même que, depuis 2020, un nombre croissant de demandeurs d’asile a quitté la Syrie pour la France, ce qui fait état d’une dégradation récente de la situation sécuritaire en Syrie39. Par ailleurs, la réinstauration de l’Émirat islamique et le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en aout 2021 ont entraîné une arrivée importante d’exilés afghans en France. Pour la sixième année consécutive, l’Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d’asile dans le pays, avec 19 211 demandes en 2023, dont 20,8 % de femmes. Comme le signale l’institution, « le taux de protection à l’Ofpra s’est maintenu à un haut niveau, quasiment stable, à 69,3 % (contre 69,1 % en 2022) » alors même que le taux de protection, toutes nationalités confondues, s’est établi à près de 33 % en 202340.

• 41 Manon-Nour Tannous, « Les réfugiés syriens envahissent l’Europe », dans Manon-Nour Tannous, (dir.), (...)

13Selon Manon-Nour Tannous, la France accueille environ 200 000 migrants non européens par an, dont 10 % de réfugiés, un chiffre qui reste stable indépendamment des crises41. Dans ce contexte, l’accueil par l’État et la population en France d’environ 110 000 réfugiés en provenance d’Ukraine, même si ce chiffre est très modeste à l’échelle européenne comparativement aux 6 millions de réfugiés recensés par le UNHCR en juillet 2024, fait figure d’exception, tant dans le nombre de réfugiés que par l’accueil très favorable qui leur a été réservé, même s’il fut loin d’être parfait.

• 42 Ainsi, la Task Force Ukraine des ministères sociaux favorise les relations et les coopérations avec (...)
• 43 Paola Gueze, « La création de la Cellule Ukraine au sein de la direction générale des étrangers en (...)

14La réaction de l’État français à l’agression militaire par la Russie de l’Ukraine, le 24 février 2022, a été immédiate. Le jour même, à 9 heures du matin, le président de la République française a convoqué un conseil de défense à l’Élysée. Dans un communiqué, il a condamné « fermement la décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine » et appelé Moscou à mettre « immédiatement fin à ses opérations militaires ». Dès lors, l’État français s’est entièrement mobilisé, de façon inédite, tant pour aider l’Ukraine à faire face à la guerre sur son territoire42 que pour accueillir sur le territoire français les réfugiés en provenance d’Ukraine. Le rôle de l’État français a été décisif dans l’attribution de la protection temporaire au niveau de l’Union européenne. C’est en effet à l’initiative de la France, qui assurait alors la présidence de l’Union européenne (1^er janvier – 30 juin 2022), que les pays de l’Union européenne se sont unanimement accordés pour activer le 4 mars 2022 un dispositif européen de protection temporaire, prévu à l’article 5 de la directive 2001/55CE du 20 juillet 2001, pour répondre à l’afflux de personnes en provenance d’Ukraine43. Ce dispositif, dont c’est la première application, a permis aux personnes éligibles de bénéficier d’une protection internationale immédiate, dans tous les pays de l’Union européenne, pour une durée d’un an renouvelable. En France, il ouvre principalement un droit au séjour (autorisation provisoire de séjour), l’accès au marché du travail (droit essentiel qui n’est pas accordé aux demandeurs d’asile mais uniquement aux réfugiés) et au logement, l’assistance médicale, l’accès des mineurs à l’éducation, le droit d’ouvrir un compte bancaire de base, une aide personnalisée au logement, une aide financière (allocation de demandeur d’asile, identique pour les demandeurs d’asile), etc. Cette protection ne préjuge pas de la reconnaissance du statut de réfugié et ne fait pas obstacle à l’introduction d’une demande d’asile. L’Union européenne a prolongé à plusieurs reprises ce dispositif, valable désormais jusqu’au 4 mars 2026, date butoir de la protection temporaire.

• 44 Rapport de la Cour des Comptes sur l’accueil et la prise en charge par l’État des réfugiés d’Ukrain (...)
• 45 Ibid., p. 13.
• 46 https://www.haute-corse.gouv.fr/Actualites/Grands-dossiers/Accueil-des-refugies-ukrainiens [lien co (...)
• 47 https://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/actualites-et-presse/actualites/demarches/ukraine- (...)
• 48 France Terre d’Asile, « Déplacés d’Ukraine, quel bilan un an après ? », La lettre de l’asile et de (...)
• 49 https://paca.dreets.gouv.fr/Accueil-des-refugies-ukrainiens-en-PACA-retour-sur-un-dispositif-d-urge (...)

17Sur le plan opérationnel, la mise en œuvre des directives étatiques a été confiée aux préfectures et aux services déconcentrés de l’État, qui ont mis très rapidement en place des cellules de crise régionales et départementales. Il a été également créé des comités départementaux de suivi composés de représentants des services de l’État et des opérateurs impliqués dans la gestion territoriale de la politique d’accueil des réfugiés en provenance d’Ukraine. La Cour des comptes, qui a loué la réactivité de l’État dans son rapport44, a constaté que dans les neuf départements observés, tous avaient mis en place une cellule de crise moins de huit jours après le début de la guerre. Elle a aussi constaté que c’est aux préfectures qu’a été confiée « la dimension opérationnelle de la gestion de la crise, ce qui a conduit à la création d’un pôle territorial au sein de la CIC, destiné à décliner des outils au profit des services déconcentrés de l’État et des partenaires locaux (boite fonctionnelle, questionnaire en ligne, FAQ)45 ». Les préfectures ont été chargées de toutes les démarches administratives concernant les réfugiés en provenance d’Ukraine, de l’accueil, l’enregistrement officiel, l’accès aux droits et l’hébergement dans les territoires. Des informations destinées aux Ukrainiens, dans leur langue et en langue française, sont disponibles sur tous les sites internet des préfectures, en Haute-Corse46 comme à Paris47. En lien étroit avec les associations humanitaires comme France Terre d’Asile, elles ont mis en place plus de quatre-vingts sas d’accueil, entre mars et août 2022, où l’organisation a été encadrée. Dans ces sas d’accueil (« hubs »), il était proposé un premier accueil, un diagnostic social et de santé, l’émission de titres de séjour, les formalités pour l’obtention des droits, de premières aides ainsi que des solutions de logement et d’hébergement. Il est néanmoins à noter, comme le relate la Cour des comptes et France Terre d’Asile, que des disparités ont été constatées selon les territoires et les préfets48. Prenons, par exemple, les Alpes-Maritimes, où dès le début du conflit, de nombreux réfugiés en provenance d’Ukraine sont arrivés. Selon L’OFII, la PACA est la deuxième région d’accueil de ce public en France, plus de 20 000 personnes depuis le 24 février 2022 y ont été comptabilisées. Pour faire face à cette situation, la préfecture a doublé le nombre de ses agents d’accueil (25 à 50) pour délivrer les autorisations temporaires de séjour (APS). Le 1^er mars 2022, l’agence de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques Métropole Nice Côte d’Azur a mis en place un guichet unique, très rapidement suivi d’un hub, inauguré le 24 mars. Le hub regroupait alors de nombreux équipements destinés à l’accueil d’urgence, en particulier un espace d’hébergement temporaire de cent-soixante-cinq lits, avec douches et sanitaires, une cantine, un centre médical avec une prise en charge psychologique des arrivants. Une distribution des biens de première nécessité y a été organisée et il était possible de consulter les hébergements disponibles dans les autres départements et d’y être transféré par véhicule. 4 493 personnes ont été admises pour un hébergement dans le Hub Ukraine de Nice entre février 2022 et octobre 2023, dont 2 400 ont été réorientées vers d’autres territoires en France49. Cette politique de desserrement, pilotée sur le plan national par la DIHAL, a consisté à réorienter des personnes d’un territoire à l’autre pour leur permettre d’une part de mener leurs démarches d’accueil et d’intégration dans des territoires moins tendus, d’autre part de soulager les espaces les plus sollicités, essentiellement Paris et l’Île-de-France, la PACA et les grandes métropoles. Le hub fonctionnait toujours en octobre 2023 et reposait sur la mobilisation des services de l’État en région pour accueillir et prendre en charge les ressortissants ukrainiens, en matière d’hébergement, d’emploi et de protection.

• 50 https://www.lacimade.org/schemas-regionaux-daccueil-des-demandeurs-dasile-quel-etat-des-lieux-2024/ (...)
• 51 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/La-Direction-generale/Presentation [lien consulté le 31/1 (...)
• 52 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046113331 [lien consulté le 31/12/2023].

19Le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, traditionnellement chargé de la sécurité intérieure, de l’administration du territoire et des libertés publiques, a un rôle fondamental et pivot dans l’accueil et l’intégration des réfugiés en provenance d’Ukraine, rôle qui a été souligné à maintes reprises par les différents interlocuteurs lors des entretiens menés lors de cette recherche. Tout d’abord, le ministère a sous son autorité la Direction générale des étrangers en France (DGEF), qui conçoit et pilote les politiques d’immigration en France. La DGEF comprend deux directions essentielles ainsi qu’un secrétariat général également concerné dans ce contexte. La Direction de l’Asile (DA) est chargée des questions relatives à la politique de l’asile et d’accueil de bénéficiaires de la protection internationales. Dans cette direction, le département de l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés assure le pilotage du dispositif national d’accueil (DNA) des demandeurs d’asile et des réfugiés, mis en place en 1973 et qui comptait près de 120 000 places en juillet 202450. La Direction de l’intégration et de l’accès à la nationalité (DIAN) a pour mission de concevoir et de mettre en œuvre la politique publique d’intégration des étrangers primo-arrivants en France et d’accès à la nationalité française51. Le secrétariat d’État auprès du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, chargé de la citoyenneté, créé le 6 juillet 2020, s’occupe entre autres, de veiller au respect du droit d’asile, de préparer et de mettre en œuvre les actions en matière de politique d’intégration des étrangers en France52. Par ailleurs, le ministère est en liaison permanente avec la DIAIR et la DIHAL, les délégations interministérielles ayant en charge l’accueil, l’intégration, l’hébergement et le logement des réfugiés, lesquelles sont généralement dirigées par des hauts fonctionnaires d’État appartenant au corps préfectoral. De plus, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), opérateur principal de la DGEF, est comme l’OFPRA, depuis 2010 sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, de même que la DIAIR depuis sa création en 2018. Enfin, c’est également le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer qui préside la CIC Ukraine.

• 53 Pierre Journoud, « Un âge d’or politico-humanitaire ?… », op. cit., p. 123.
• 54 Entretien le 27 juin 2023 avec l’équipe de la Task Force Ukraine, la Task Force Ukraine des ministè (...)

20Les ministères sociaux ont été en première ligne pour l’accueil et l’intégration des réfugiés en France jusqu’à la tutelle prise en 2010 par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer sur l’OFII et l’OFPRA. Rappelons, par exemple, que c’est le ministère de la Santé qui fut chargé de la coordination de l’accueil des réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens entre 1975 et 1979, en étroite collaboration avec six associations dont la Croix-Rouge française, la Cimade, France Terre d’Asile, lesquelles avaient déjà joué un rôle important dans l’accueil des réfugiés chiliens à partir de 197353. L’antériorité et la multiplicité des actions entreprises dans ce domaine expliquent le savoir-faire et l’implication des personnels des ministères sociaux dans l’accueil des réfugiés en provenance d’Ukraine. De fait, le ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, le ministère de la Santé et de la Prévention, le ministère des Solidarités et des Familles et leurs principaux opérateurs ont tous contribué de façon transversale à l’accueil de réfugiés en provenance d’Ukraine. Ils ont notamment organisé les évacuations sanitaires, l’accès à la santé et à l’assurance maladie, la garde des jeunes enfants et l’accès aux prestations familiales, l’accès à l’emploi. Ils ont veillé au respect du droit des femmes et à l’égalité, au respect de la réglementation du travail et à la lutte contre le travail illégal, à l’accompagnement des personnes vulnérables, notamment celles en situation de handicap ou de perte d’autonomie. C’est également dans le cadre de la Délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI) et de la Task Force Ukraine qu’ont été principalement menés le suivi et les échanges de pratiques avec l’Union européenne et les autres états membres54.

• 55 Rapport de la Cour des Comptes sur l’accueil et la prise en charge par l’État des réfugiés d’Ukrain (...)
• 56 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-scolarisation-des-eleves-allophones [lien consulté le 31 (...)

21Sans pouvoir signaler l’ensemble des actions selon les ministères, signalons que celui de l’Éducation nationale a accueilli très rapidement des élèves en provenance d’Ukraine en écoles, collèges et lycées. En 2022-2023, 19 236 élèves bénéficiaires de la protection temporaire ont été inscrits dans les établissements de l’Éducation nationale, majoritairement en écoles élémentaires et primaires (54 %), 33 % au collège et 9 % au lycée55. La Cour des comptes a publié en mars 2023 un rapport sur la scolarisation des élèves allophones dont un chapitre est consacré à la scolarisation des réfugiés en provenance d’Ukraine et détaille les actions de l’État en matière d’enseignement scolaire et secondaire, en coordination avec les ministres européens de l’éducation. Ce rapport montre l’intérêt d’un dispositif spécifique de scolarisation pour les élèves allophones, qui a pour objectif de permettre aux enfants réfugiés d’acquérir les bases nécessaires en langue française pour permettre une inclusion progressive dans une classe ordinaire. Il en pointe également les défauts, comme un suivi insuffisant tout au long de la scolarité, un nombre trop réduit d’enseignants certifiés en français « langue seconde »56.

• 57 https://reseau-mens.org/wp-content/uploads/2023/04/Bilan-accueil-des-etudiants-deplaces-dUkraine-Re (...)

22Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a mis en place un dispositif important pour accueillir les réfugiés en provenance d’Ukraine qui souhaitaient poursuivre leurs études universitaires en France. Dans un premier temps, la protection temporaire a été uniquement accordée aux étudiants ukrainiens, et non aux étudiants étrangers poursuivant leurs études en Ukraine, ce qui a provoqué l’ire des universités et des associations engagées en faveur de tous les étudiants en exil, une disposition rectifiée par la suite par les autorités françaises. De fait, la situation a été diverse dans l’enseignement supérieur et a, entre autres, dépendu du niveau d’engagement des établissements en faveur des étudiants réfugiés avant le conflit en Ukraine et de leurs ressources financières. Le réseau MEnS qui rassemble, en 2024, cinquante-six établissements, douze associations et onze partenaires institutionnels qui œuvrent pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur des personnes en exil57, a été particulièrement engagé. Environ 2 000 étudiants ont pu être aidés de février 2022 à février 2023. Les difficultés n’ont toutefois pas manqué pour le public étudiant accueilli. Elles ont été signalées par le réseau MEnS mais également par l’Union des étudiants exilés (UEE) qui note en mars 2023 que des étudiants étrangers (par exemple la Côte d’Ivoire) en provenance d’Ukraine ont cherché à poursuivre leurs études supérieures en France et ont rencontré de nombreux obstacles :

• 61 Par le biais incitatifs, le programme Pause permet l’accueil de scientifiques et d’artistes en exil (...)
• 62 https://www.programmepause.fr/guerre-en-ukraine-laide-internationale-aux-scientifiques-sorganise/ [ (...)
• 63 https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/fichedeposte_0003007492_redacteur_reformes_et_reconstruction (...)

24Par ailleurs, le MESRI a également mobilisé le programme Pause61, avec un fonds spécial d’aide en urgence, pour financer l’accueil de chercheurs et de doctorants en provenance d’Ukraine, parfois accompagnés de leur famille62. Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, dont dépend notamment la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), ont également été très engagés, tout comme le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui a recruté, par exemple, en octobre 2023, un rédacteur réformes et reconstruction pour sa Task Force Ukraine63.

• 64 https://www.info.gouv.fr/organisation/delegation-interministerielle-a-l-hebergement-et-a-l-acces-au (...)

25La DIHAL, instituée en 2010, a pour objectif la mise en œuvre de la politique publique en matière d’hébergement, d’accès au logement et de maintien dans le logement des personnes mal logées ou sans abri. Dans ce contexte, un pôle Migrants a été créé de facto au moment de la crise syrienne en 2015, pour laquelle la DIHAL avait été fortement sollicitée, comme elle l’a été ensuite à partir de 2021, dans une moindre mesure, pour les réfugiés afghans. Ce pôle « pilote le volet logement de la politique d’intégration des bénéficiaires de la protection internationale (BPI) et coordonne les acteurs du logement et de l’intégration en aval de la procédure d’asile afin de trouver des solutions de logement aux personnes64 ». En rapport étroit avec le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, le pôle assure le suivi des dispositifs d’asile, la fluidité en sortie du Dispositif national d’accueil (DNA) et de l’hébergement généraliste ainsi que l’accès au logement des réfugiés. La DIHAL est placée sous l’autorité du Premier ministre.

• 65 Dans un entretien mené dans les locaux de la DIHAL, avec deux personnes de la délégation, le 21 jui (...)

26Comme il nous a été expliqué en juin 202365 :

• 66 https://www.unhcr.org/fr-fr/media/hebergement-citoyen-des-refugies-ukrainiens, rapport de 94 pages, (...)

27De fait, un décret publié le 22 novembre 2022 a mis en place une mesure destinée à dédommager symboliquement les hébergeurs à hauteur de 5 euros par jour pour un minimum d’hébergement de 90 jours entre le 1ᵉʳ avril 2022 et le 31 décembre 2022. De fait, comme le HCR l’a signalé dans un rapport paru en février 2024, Hébergement citoyen des réfugiés ukrainiens. Tirer les enseignements d’une solidarité exceptionnelle⁶⁶ :

• 71 https://www.manche.gouv.fr/contenu/telechargement/51762/358530/file/Instruction-.pdf [lien consulté (...)
• 72 https://parrainage.refugies.info [lien consulté le 31/12/2023].

33Plusieurs autres délégations interministérielles viennent en appui de l’État et des différents ministères. Ainsi, la délégation générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle (DGEFP), placée sous l’autorité du ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et créée en 1997, a eu pour objectif, dans ce contexte, de favoriser l’insertion professionnelle des bénéficiaires de la protection temporaire en déployant une démarche dite « d’aller vers » et en mettant en place un accueil dédié de la part des acteurs du service public de l’emploi71. En 2018, une stratégie nationale pour l’intégration des personnes réfugiées a été définie et la DIAIR a été créée pour apporter son concours à la définition, à l’animation et à l’évaluation de la politique d’accueil et d’intégration des réfugiés. Dirigée par un préfet, elle est sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Pour l’exercice de ses missions, la DIAIR dispose de personnel mis à disposition par l’État et peut faire appel aux administrations centrales, aux corps d’inspection et aux services déconcentrés des ministères intéressés. Le site internet de la DIAIR abrite le portail Pour l’Ukraine qui permet aux Ukrainiens de se documenter sur l’accueil en France et aux citoyens de se mobiliser à leurs côtés72.

• 74 Rapport de la Cour des Comptes sur l’accueil et la prise en charge par l’État des réfugiés d’Ukrain (...)

37La CIC Ukraine a été placée sous l’autorité de Joseph Zimet, historien chargé d’organiser les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, spécialiste des organisations non gouvernementales et des fondations philanthropiques. La cellule interministérielle de crise s’est appuyée sur plusieurs collaborateurs permanents, des renforts de courte durée et sur un réseau d’experts mobilisés ponctuellement par les ministères partenaires. Un comité de suivi de la politique d’accueil des réfugiés en provenance d’Ukraine se réunit chaque mois en présence de représentants des services de l’État, des associations d’élus et de représentants de l’ambassade d’Ukraine en France. Comme le signale la Cour des comptes, « la CIC a contribué à faciliter le partage d’information menées par les services de l’État et l’ensemble des acteurs : elle a organisé des points de situation réguliers ainsi que des tableaux de bord diffusés à l’ensemble des parties prenantes centrales et territoriales, permettant de consolider à un rythme soutenu (quotidien jusqu’au 14 juillet 2022) les données disponibles74 ».

• 75 Entretien le 27 juin 2023 avec l’équipe de la Task Force Ukraine des ministères sociaux.

39Cette cellule de crise a été créée le 3 mars 2022, à l’initiative du délégué aux Affaires européennes et internationales des ministères sociaux, Antoine Saint-Denis. Constituée de deux personnes en mars 2022 puis d’une troisième en 2023, elle est toujours en activité en février 2024 et a élargi son spectre d’action par rapport à ses débuts en 2022. La Task Force Ukraine a plusieurs missions. Tout d’abord, produire et diffuser des informations fiables sur l’intégration en France des réfugiés en provenance d’Ukraine, en lien avec les différents ministères, principalement à destination des services de l’État mais également de l’Union européenne. Une fiche a été établie mensuellement sur les différentes actions menées par les ministères sociaux pour l’intégration des réfugiés en provenance d’Ukraine, auxquelles toutes leurs composantes, de même que leurs principaux opérateurs, ont participé. Ensuite, comme nous l’avons vu plus haut, cette cellule favorise les relations et les coopérations avec l’État ukrainien. Enfin, il s’agit pour la Task Force Ukraine de favoriser une articulation positive entre la déclinaison des politiques européennes et la déclinaison de politiques en France au sujet de l’accueil des bénéficiaires de la protection temporaire75.

• 77 https://paca.dreets.gouv.fr/sites/paca.dreets.gouv.fr/IMG/pdf/actes_se_minaire_ukraine_19_de_cembre (...)

42Comme l’a dit Catherine Wihtol de Wenden à l’ouverture d’un « séminaire de retour et de capitalisation relatif à l’accueil et l’intégration des déplacés ukrainiens en PACA », organisé par la DREETS PACA le 19 octobre 2023 et publié en avril 2024, « cet accueil est en effet exceptionnel, multiniveaux, car tous les niveaux de responsabilité concernant l’accueil ont été mobilisés, de Bruxelles jusqu’au simple citoyen ». La chercheuse a également rappelé qu’il y a eu « d’autres expériences heureuses dans le passé, notamment l’accueil à 95 % de réfugiés qui a été accordé aux Vietnamiens, un accueil à 99 % des Chiliens après la prise de pouvoir du général Pinochet77 ». À sa suite, nous considérons que cet accueil a été largement réussi, même s’il n’est pas parfait, loin de là. L’État en a été un acteur majeur en France, qui s’est appuyé sur sa puissance administrative, humaine et financière pour réagir à l’urgence de la situation, en déployant simultanément trois niveaux d’intervention. Tout d’abord, l’engagement en faveur des réfugiés en provenance d’Ukraine est parti du sommet de l’État et a été porté sur le territoire français par les préfectures, qui ont relayé les instructions officielles mais ont également fait remonter les informations du terrain vers le sommet de l’exécutif. L’État a également compté sur le savoir-faire des ministères, en particulier du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer qui a joué un rôle pivot, des ministères sociaux, en charge de l’accueil des réfugiés avant 2010, et des délégations interministérielles spécialisées, la DIAIR et la DIHAL. Enfin, la création de la CIC Ukraine, avec à sa tête le préfet Joseph Zimet, a été l’organe essentiel et reconnu par les différents acteurs, de la coordination des actions en faveur des réfugiés sur le territoire français.

• 78 Marianne Amar, Aline Angoustures, Dzovinar Kévonian, Anouche Kunth (dir.), Entre décolonisation et (...)
• 79 Pierre Journoud, « Un âge d’or politico-humanitaire ?… », op. cit., p. 115.
• 80 Karen Akoka, L’asile et l’exil, une histoire de la distinction réfugiés/migrants, Paris, La Découve (...)
• 81 https://accueil-integration-refugies.fr/operation-apagan-accueillir-les-refugies-menaces-par-les-ta (...)

43Plusieurs facteurs peuvent expliquer la réactivité et la réussite relative de l’État dans ce contexte. Tout d’abord, une antériorité de près d’un siècle dans l’engagement en faveur de populations réfugiées, en particulier à partir de la création de l’Ofpra en 1952, même s’il a pu être observé dès le début des années 1980 un durcissement du droit d’asile face à l’accroissement des demandes (142 649 en 2023)78. Ensuite, de 1975 à 1992, l’État français a accueilli près de 130 000 exilés du Sud-Est asiatique (dont 49 924 entre le 15 mai 1975 et le 1^er avril 197979) leur proposant, comme l’explique la sociologue Karen Akoka, « un accueil sur mesure » qui était demeuré unique jusque-là80 et qui a donc créé un précédent. Signalons que les 15 000 à 25 000 réfugiés en provenance d’ex-Yougoslavie n’ont bénéficié que d’un droit de séjour provisoire dans le cadre d’un dispositif d’accueil exceptionnel (circulaires du 3 août 1992 et du 8 février 1993) et rappelons que c’est pour faire face à cette insuffisance ressentie au niveau européen qu’a été adoptée la directive européenne du 20 juillet 2001 sur la protection temporaire. Par ailleurs, l’État français a expérimenté plusieurs fois en moins de dix ans la gestion de crises importantes, tant lors de l’arrivée de réfugiés syriens à partir de 2015 que de réfugiés afghans en août 2021 (opération Apagan81), ou encore lors de la crise sanitaire. Cela lui a permis de capitaliser sur son expérience, de mettre en place rapidement des structures adéquates et de communiquer avec les collectivités locales, désormais rompues à la communication de crise, notamment aux réunions en visioconférence. Enfin, l’État français a bénéficié de l’exceptionnelle vague de solidarité de la population en faveur des réfugiés en provenance d’Ukraine, qui en multipliant les acteurs, a facilité l’engagement de l’État.

• 82 Le HCR, les associations, les fondations, les entreprises, etc.
• 83 Pierre Journoud, « Un âge d’or politico-humanitaire ?... », op. cit., p. 123.
• 84 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-12/20231220-Le-guichet-unique-electronique-des-for (...)
• 85 https://www.culture.gouv.fr/regions/DRAC-Centre-Val-de-Loire/Nos-secteurs-d-activite/Livre-et-lectu (...)
• 86 Article L554-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. https://www.legi (...)

44Dans ce contexte, plusieurs innovations intéressantes sont à relever. Tout d’abord, l’application, dans le contexte de l’UE, de la directive du 20 juillet 2001 sur la protection temporaire, a indubitablement mené à une prise en charge rapide et assez complète des réfugiés en provenance d’Ukraine. Activée pour la première fois en France en mars 2022 alors même que la population se mobilisait fortement en faveur de ces nouveaux exilés, elle a été prorogée à plusieurs reprises jusqu’au 4 mars 2026, et a été délivrée sur tout le territoire dans les structures adéquates. Autre innovation positive à nos yeux, la création de hubs mis en place par les DREETS en partenariat avec les autres acteurs de l’accueil (les collectivités territoriales et les EPCI, les acteurs institutionnels en rapport étroit avec l’État français, les acteurs structurés de façon formelle en dehors de l’État français82, la diaspora ukrainienne, les citoyens). Ces hubs, qui offrent une prise en charge plus complète que celle offerte de 1975 à 1979 à 35 700 réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens qui furent accueillis dans 122 centres d’hébergement en France dès mai 197583, ont permis une prise en charge dans les premiers temps (nourriture, hébergement, soins d’urgence, etc.) ainsi qu’une simplification des démarches pour les réfugiés et une rapidité accrue dans le traitement des demandes. Celles-ci sont sans commune mesure avec les délais très longs auxquels se heurtent les demandeurs d’asile et les BPI pour la prise en compte et le renouvellement de leurs papiers. De fait, nous voyons dans la création de ces hubs la logique de guichets uniques mise en œuvre par l’État depuis plusieurs années, avec plus ou moins de succès, que ce soit pour simplifier les démarches pour les entreprises84 ou dans la culture85. Plus généralement, les réfugiés en provenance d’Ukraine ont eu très vite un accès aux droits sociaux, au logement, à des cours de français, à la scolarisation et à l’enseignement supérieur et ont pu bénéficier d’aides financières, d’une prise en charge médicale et administrative. Intrinsèquement liée au statut de la protection temporaire, l’autorisation d’accès immédiat au marché du travail nous paraît être une innovation particulièrement importante, parce qu’elle permet une meilleure autonomisation et intégration dans la société des individus. Rappelons que cette possibilité n’est pas ouverte telle quelle aux demandeurs d’asile en France, qui ne peuvent être autorisés à accéder au marché du travail que lorsque l’OFPRA n’a pas statué sur la demande d’asile dans un délai de six mois à compter de l’introduction de la demande86.

• 87 Le séminaire a rassemblé le secrétaire général pour les affaires régionales, le conseiller des affa (...)
• 88 Synthèse des propositions du séminaire de retour et de capitalisation relatif à l’accueil et l’inté (...)
• 89 https://paca.dreets.gouv.fr/Accueil-des-refugies-ukrainiens-en-PACA-retour-sur-un-dispositif-d-urge (...)

45Même si les cellules interministérielles de crises préexistaient à la création de la CIC Ukraine le 9 mars 2022, le fonctionnement de celle-ci, ainsi que des task forces des ministères, nous apparait également comme une innovation intéressante. Sans revenir sur le fonctionnement et la réactivité de ces structures, notons qu’une des originalités de la CIC Ukraine aura été de mettre en place une véritable collaboration interministérielle, d’intensifier les échanges avec les partenaires classiques hors État comme le HCR et les organisations humanitaires, d’inviter à la réflexion les autorités consulaires d’Ukraine et de faire ponctuellement appel à un chercheur spécialisé comme Thomas Lacroix pour bénéficier de son éclairage scientifique. Le séminaire organisé par la DREETS PACA en octobre 2023 apparaît comme un autre exemple de ces bonnes pratiques de coopération multi acteurs87 organisée sous le pilotage de l’État. La synthèse des propositions issues des tables rondes et des ateliers témoigne d’une journée intense de bilans et pourrait servir de modèle au niveau national88. Quatre propositions ont été, entre autres, formulées : créer une plate-forme unique facilitant l’accès aux droits, favoriser l’autonomisation en se donnant les moyens de passer de l’hébergement temporaire au logement tout en accélérant le parcours vers l’emploi, partager les données entre administrations et accompagner les pratiques de solidarité citoyenne89.

• 90 https://www.unhcr.org/fr/actualites/communiques-de-presse/les-besoins-specifiques-des-refugies-ukra (...)

46Ce ne sont pas tant les manques de la prise en charge des réfugiés en provenance d’Ukraine par l’État français dans ce contexte qui interrogent véritablement, même si leur disparition est bien entendu souhaitée. Ils sont a priori peu nombreux au regard de l’ensemble des actions menées et concernent, par exemple, la différence de traitement qui a pu être faite entre les réfugiés en provenance d’Ukraine de nationalité ukrainienne et ceux d’une autre nationalité. De même, la prise en charge des personnes âgées et handicapées a vocation à être améliorée, de l’avis des autorités consulaires et des associations en France, tout comme en Europe comme le souligne le HCR90.

• 91 Sabine Corneloup, « Sur la protection temporaire des personnes déplacées… », art. cit., p. 11.

47Plusieurs questions essentielles se posent, alors même que la guerre continue en Ukraine depuis le 22 février 2022, à commencer par la pérennité du statut. Jusqu’à quand va-t-on proroger une protection qui n’est plus temporaire ? Faut-il à la place définir un statut de protection humanitaire ? S’il semble préférable que la question du statut soit gérée à l’échelle européenne, ce qui a jusqu’à maintenant donné de bons résultats dans la mesure où la protection temporaire a d’une part facilité les déplacements à grande échelle en Europe et d’autre part, comme l’écrit Sabine Corneloup, « les États membres de premier accueil ont bénéficié d’une solidarité des autres États membres, qui ne caractérise pas le droit commun de l’asile91 », est-il néanmoins souhaitable de prévoir des statuts nationaux, au risque de créer des disparités dans l’UE ? Quel peut être le rôle de l’État français dans ce contexte ?

• 92 Rapport d’activité de l’Ofpra 2023, op. cit., p. 2.
• 93 Rapport d’activité de l’Ofpra 2022, Le rapport note « que la part des demandes de réexamen dépose (...)
• 94 Rapport d’activité de l’Ofpra 2023, op. cit., p. 59.

48Par ailleurs, est-ce qu’obtenir l’asile serait une solution préférable pour les bénéficiaires de la protection temporaire, lesquels ont la possibilité d’en faire la demande à tout moment ? Si des demandes en nombre sont déposées (rappelons qu’il y a plus de 107 000 réfugiés en provenance d’Ukraine en France et 6 millions en Europe en juillet 2024), le risque pour les États de l’UE serait que les services administratifs se retrouvent rapidement dépassés par le nombre de procédures. Au vu de la forte augmentation des demandes d’asile enregistrées en France par l’OFPRA en 2023 (73 % d’augmentation92, soit 3 250 demandes contre 1882 en 202293, majoritairement des femmes bénéficiant quasiment exclusivement de la protection temporaire94), nous pouvons penser que c’est une hypothèse prise au sérieux par les réfugiés en provenance d’Ukraine. Une solution pourrait être de mettre en place une procédure spécifique pour ces réfugiés, ce qui aurait pour conséquence d’être probablement plus rapide mais induirait un traitement à nouveau plus favorisé de cette population par rapport aux demandeurs d’asile classiques.