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1Souhaitant aller au-delà des controverses et diatribes sur ces « événements judiciaires les plus fantasmés du débat public », dénoncés à l’envi comme autant de manifestations de l’arbitraire du pouvoir ou de sources d’erreurs judiciaires, l’ouvrage est bâti autour d’une définition à la fois générale et historicisée des « procès politiques » : « des procès affectés par des stratégies de politisation qui par leur nombre, leur nature et leur ampleur, vont déterminer leur grandeur » (p. 12). Et Vanessa Codaccioni, dans un solide prologue méthodologique, de distinguer « les affaires qui prennent », grandes ou petites, et « les affaires étouffées », soit par le pouvoir, soit par les accusés et leurs défenseurs qui redoutent un retentissement défavorable.

2Le livre est issu d’un colloque tenu en novembre 2021 organisé par Pierre Allorant, Walter Badier et Noëlline Castagnez qui avaient réuni d’abord dix-neuf chercheurs et chercheuses, historiens pour la plupart ainsi que deux juristes et une politiste.

3À travers l’étude de plusieurs dizaines de cas empruntés à l’histoire de la France (et un cas italien), les procès politiques apparaissent comme des lieux du combat politique où les adversaires, l’État qui les intente, les accusés qui les subissent et leurs avocats qui les défendent, s’affrontent sur un terrain certes non électoral mais avec des conséquences notables – souvent, pas toujours – à court ou moyen terme sur le rapport des forces au sein de la société tout entière. Au fil des pages, le lecteur découvrira ainsi une manière de « faire de la politique autrement » à travers les moyens que les opposants mettent en œuvre pour, au-dessus des juges, s’adresser à la société ; grâce aux portraits dressés de ces intellectuels, avocats et militants que leur plume ou leur éloquence propulsent sur le devant de la scène politique ; en suivant enfin les cheminements qui transforment nombre de procès politiques – pas tous – en lieux de mémoire.

4L’ouvrage est bâti en six parties qui couvrent les années allant de la Restauration jusqu’à la guerre d’indépendance de l’Algérie et abordent le sujet central sous divers angles : procès individuels ou collectifs ; devant des tribunaux ordinaires ou d’exception ; à résonance locale, nationale ou internationale ; gagnés par le pouvoir ou perdus ; restés dans les mémoires ou tombés dans l’oubli.

5La première partie (Olivier Tort, Flavien Bertran de Balanda, Estelle Berthereau) traite des procès politiques sous la monarchie censitaire, caractérisée par l’existence d’un droit de suffrage très restreint mais où la presse, bien que sa liberté fût sous surveillance, offrait un réel espace de débat politique, au moins dans les villes. Ce fut même, pourrait-on dire, à travers cette suite quasi continue de procès que se consolida la politisation de la société tout au long du premier XIX^e siècle – les cortèges funéraires et les banquets y contribuèrent bien sûr aussi : des procès contre les écrivains et publicistes libéraux ou républicains sous les règnes de Louis XVIII et Charles X, puis, sous le règne de Louis-Philippe, des procès contre des légitimistes certes battus en 1830 mais qui utilisèrent les tribunaux contre le nouveau régime.

6La deuxième partie (Matthieu Bureau, Éric Anceau, Julien Rycx, Walter Badier et Sara Trovalusci) aborde la question des procès politiques collectifs. Contre les bonapartistes traduits devant la Cour des Pairs durant la monarchie de Juillet. Contre les républicains sous le Second Empire (le retentissant « procès des Treize » parmi lesquels nombre de futurs gouvernants de la III^e République). Contre les anarchistes à la fin du XIX^e siècle (procès de « la Bande Noire » de Montceau-les-Mines en 1882 et procès dit « des boulangeries » en 1883 qui permettent d’appréhender l’émergence du courant anarchiste, encore peu différencié du socialisme et du syndicalisme). Contre les anarchistes à nouveau en 1894 avec, cette fois, une comparaison éclairante entre le procès de Palerme où furent jugés les membres des faisceaux siciliens, et, occasion de dénoncer les « lois scélérates », le procès des Trente – trente anarchistes déférés devant la Cour d’assises de la Seine… dont le jury ne suivit pas les réquisitions du procureur. Autant de moments pour les forces politiques d’opposition d’organiser leur « publicité », selon le mot d’alors, en lien avec les journaux et les avocats dont certains étaient aussi députés.

7La troisième partie (Frédéric Monier, Florent Gouven) s’intéresse aux procès intentés contre le Parti communiste français (PCF) entre les deux guerres à travers deux exemples fort différents. Le procès de dix militants communistes en février-mars 1921 – premier procès contre des membres de ce parti né deux mois plus tôt – où l’on trouvait notamment sur le banc des accusés Fernand Loriot, Pierre Monatte, Gaston Monmousseau et Boris Souvarine ; le procès de mars-avril 1940 contre les députés communistes après l’interdiction du parti en septembre 1939. Les mêmes ressorts d’affrontements, de mise en scène et de médiatisation, déjà vus précédemment, jouèrent avec une dimension nouvelle toutefois : l’internationalisation, à travers l’Internationale communiste, de la défense des prévenus. Les verdicts rendus furent quant à eux fort différents. Le premier procès, devant la Cour d’assises de la Seine, se termina par l’acquittement des accusés tandis que les députés jugés par le tribunal militaire de la Seine furent condamnés à la réclusion.

8La quatrième partie (Pierre Allorant, Jacques Duret, Fabien Lostec) s’attache aux procès politiques de la Deuxième Guerre mondiale, sous Vichy puis à la Libération. C’est là l’occasion d’analyser le recours, pas nouveau mais alors généralisé, à des cours de justice extraordinaires (contre Jean Zay en octobre 1940, contre communistes et anarchistes en 1941-1942) qui ignoraient délibérément les règles de la justice républicaine, certes davantage avant qu’après la Libération mais l’épuration n’en fut pas moins menée dans un cadre judiciaire hors norme. Une mention particulière pour l’épuration des femmes collaboratrices qui vit 651 condamnations à mort prononcées parmi lesquelles 46 furent exécutées, un nombre record d’exécutions de femmes dans l’histoire de la justice en France.

9La cinquième partie (Victor Delaporte, Olivier Dard) aborde les procès intentés par le pouvoir gaulliste contre les tenants de l’Algérie française. Des procès dans lesquels les accusés réussirent parfois à contrecarrer le pouvoir et même, disons-le, à le bafouer. L’analyse de ces procès est en fait un très bon moyen de saisir sur le vif les faiblesses du pouvoir gaulliste à ses débuts. Parvenu au pouvoir en 1958 grâce au soutien de toutes les forces « Algérie française », il se trouva en effet rapidement confronté à ses soutiens initiaux – ou une partie d’entre eux – au Parlement, dans l’armée, la police, l’administration et même la magistrature, hostiles au changement de cours politique amorcé par la déclaration du président de la République le 16 septembre 1959.

10La dernière partie (Jérémy Guedj, Noëlline Castagnez, Zoé Grumberg) s’intéresse enfin aux procès politiques au début de la guerre froide. Et d’abord, mais pas seulement, ceux devenus des « affaires », intentés par Victor Kravchenko puis par David Rousset au mensuel communiste Les Lettres françaises. Si les points de vue changeaient bien sûr selon qu’on les envisageait depuis les droites ou depuis les gauches, ces deux « camps » étant au demeurant tout sauf homogènes, force est de constater que les lignes de clivage ne se trouvèrent pas forcément bouleversées par les arguments échangés et les jugements rendus. En revanche, ces moments d’affrontement politique intense autour de ce que l’on ne nommait pas encore « le socialisme réel » devinrent des lieux de mémoire, même si cette mémoire connut diverses éclipses. En contre-point, une autre forme de mobilisation de la société, à l’échelle locale, est analysée : la solidarité active des réseaux communistes ou sympathisants en faveur des étrangers résistants et naturalisés français à la Libération puis poursuivis et tracassés par l’administration durant la guerre froide à cause de leur engagement au PCF.

11Au total, un ouvrage collectif très bien composé (sans index des noms, hélas…) et solidement problématisé qui fera date non seulement par la variété des « cas » étudiés mais aussi et surtout par la construction au fil des chapitres d’une définition précise de cet objet nommé « procès politiques » qui occupe depuis longtemps, pour le meilleur ou pour le pire, une grande place dans les sphères médiatique et éditoriale.