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2022

Exposer les artistes femmes. Quelques réflexions autour de l’exposition Elles font l’abstraction (19 mai – 23 août 2021) et de la programmation du Centre Pompidou

Paris, Centre Pompidou, 19 mai – 23 août 2021
Anastasia Simoniello
Bibliographical reference

Elles font l’abstraction [exposition], Paris, Centre Pompidou, 19 mai – 23 août 2021

Full text

  • 1 Ce texte a été rédigé en octobre 2021.
  • 2 Voir à ce sujet : Séverine Sofio, Artistes femmes, la parenthèse enchantée XVIIIe-XIXe siècles, Par (...)

1En 2021, les expositions dédiées aux artistes femmes ont été nombreuses en France. Ce sont surtout les innombrables peintres et sculptrices du XXe siècle qui ont été mises à l’honneur avec She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du Pop (Mamac, Nice), The Power of My Hands Afrique(s) : artistes femmes (Mam, Paris), Suzanne Valadon et ses contemporaines (1880-1940) (musée des Beaux-Arts, Limoges) ou encore Elles font l’abstraction (Centre Pompidou, Paris)1. Ce type d’expositions entièrement consacrées au « Deuxième sexe » est une pratique initiée par les artistes elles-mêmes pour palier leur manque de visibilité. En France, elles avaient pourtant connu une « parenthèse enchantée » à la fin du XVIIIe siècle qui leur avait permis, durant quelques décennies, d’être mieux acceptées et exposées dans les cercles culturels2. Après de nouvelles évolutions historiques, institutionnelles et sociétales, cette parenthèse s’est peu à peu refermée. Face au creusement des inégalités entre les deux sexes, certaines femmes ont décidé d’agir en appliquant l’adage selon lequel « l’union fait la force ». Ainsi, Hélène Bertaux fonda en 1881 l’Union des femmes peintres et sculpteurs qui s’est dotée de son propre Salon.

  • 3 Gayatri Spivak est à l’origine de cette notion.
  • 4 D’autres raisons pourraient être aussi mentionnées comme la défense d’une approche universaliste ou (...)
  • 5 Nous pouvons par exemple citer Feminie-Dialogue (1975). Voir notamment : Fabienne Dumont, Des sorci (...)
  • 6 Ce dénombrement a été opéré avant le décrochage qu’ont réalisé certains artistes pour des raisons d (...)
  • 7 François Mathey, Six femmes peintres : Berthe Morisot, Eva Gonzalès, Séraphine Louis, Suzanne Valad (...)

2Cette pratique, reposant sur l’auto-exposition et la non-mixité, peut être interprétée comme une forme d’essentialisme stratégique3, puisqu’il s’agit d’un détournement volontaire à des fins pratiques, voire politiques, de ce principe de catégorisation restrictive fondée sur le seul sexe biologique. Si certaines artistes, comme Bridget Riley, n’ont pas voulu participer à ce type d’expositions redoutant d’être assimilées à un discours réducteur et uniformisant ou de glisser vers une forme de ghettoïsation4, d’autres ont trouvé plus dangereux de voir se maintenir l’invisibilisation dont elles souffraient. C’est la raison pour laquelle cette pratique s’est perpétuée au fil du temps et au gré de l’intégration, non linéaire, des femmes dans les cercles culturels. Elle s’est particulièrement renforcée dans des contextes de revendications politiques et sociales intenses. En attestent les nombreux événements organisés dans le sillage de Mai 685, à une époque où les femmes avaient tendance à être écartées des grandes expositions générant une forte attention ; ainsi, en 1972, « Douze ans d’art contemporain en France, 1960-1972, […] qui entend montrer l’intérêt de Georges Pompidou pour l’art moderne, ne compte que 4 femmes sur 106 artistes6 ». Le commissaire était François Mathey à qui nous devons ces quelques lignes rédigées vingt ans plus tôt : « Chez la plupart des hommes, l’évolution normale de leur talent suit une courbe progressivement ascendante. » Chez les femmes dont « la vocation est de séduire et de plaire », « c’est d’emblée un éclatant feu d’artifice mais il semble que cet accouchement spontané de leur génie soit sans lendemain. […] Leur art se borne à se maintenir quand il ne décline pas rapidement7 ».

  • 8 Les galeries ont parfois accueilli des expositions organisées par des artistes femmes. Il en est ai (...)
  • 9 Artcurial-Paris a organisé en 1983 L’avant-garde au féminin : Moscou, Saint-Pétersbourg, Paris (190 (...)
  • 10 Évoquons également Femmes au présent : Exposition internationale itinérante d’art contemporain mont (...)
  • 11 Nous détournons ici le titre de l’exposition historique Old mistresses : women artists of the past (...)

3Malgré les nombreux préjugés, certaines institutions muséales ont fini par reprendre ce principe de présentation centrée sur des artistes femmes (comme ce fut le cas de quelques galeries8 et, plus rarement, de maisons de vente9). Pour la France, citons l’une des premières du genre organisée en 1937 : Les femmes artistes d’Europe exposent au musée du Jeu de Paume. Mais les expositions d’envergure sont restées rares10 et il fallut attendre Vraiment. Féminisme et art organisée par Françoise Collin et Laura Cottingham au Magasin de Grenoble en 1997 pour que soit abordé l’art proprement féministe et les questions politiques qu’il soulève. Le Centre Pompidou, quant à lui, s’est emparé de ces problématiques tardivement et avec réticence. Nous devons à la conservatrice Camille Morineau, formée aux gender studies, l’accrochage non mixte des collections permanentes du musée intitulé elles@centrepompidou (2009-2011), après que son projet d’exposer l’art féministe a été rejeté. Malgré le succès de cette présentation temporaire, Morineau s’est vu refuser la fondation d’un centre de recherche dédié aux artistes femmes, le musée préférant lui confier les rétrospectives consacrées à Gerhard Richter et Roy Lichtenstein. La lumière fut ainsi redirigée vers les « vieux maîtres » au détriment des « vieilles maîtresses » de l’art11. Morineau finit par quitter le Centre Pompidou pour créer en 2014 l’association Archives of Women Artists, Research and Exhibitions (Aware).

  • 12 Ainsi, Camille Morineau déclarait-elle au Journal des arts le 5 janvier 2021 : « Aujourd’hui, plus (...)
  • 13 Roxana Azimi, Magali Lesauvage et Marine Vazzoler : « Faut-il (encore) des expositions 100 % "artis (...)

4Au cours de ces dix dernières années, le travail acharné de commissaires et de chercheurs (ou de chercheuses, le plus souvent) ainsi que l’éveil croissant des consciences qui se reflète actuellement dans la nouvelle vague féministe ont significativement fait évoluer les choses12. Nous pouvons alors être tentés de nous demander, comme l’ont fait Roxana Azimi, Magali Lesauvage et Marine Vazzoler : « Faut-il (encore) des expositions 100 % "artistes femmes"13 ? » L’exposition Elles font l’abstraction – qui s’est achevée au Centre Pompidou au mois d’août 2021 et qui est actuellement visible au Guggenheim de Bilbao jusqu’au 27 février 2022 – nous rappelle cependant que nombre de créatrices sont encore largement méconnues et qu’il est nécessaire de réaliser un travail spécifique pour les sortir de l’ombre.

  • 14 Arnauld Pierre et Stéphane Rousseau, L’abstraction, Paris, Citadelles et Mazenod, 2021.
  • 15 Nous reprenons ici l’expression du titre de l’ouvrage historique : Léa Vergine, L’autre moitié de l (...)
  • 16 Nous pouvons citer : Sense and Sensibility Sense and Sensibility : Women Artists and Minimalism in (...)

5Dans les ouvrages d’histoire de l’art, les artistes femmes ont en effet peiné à trouver leur place aux côtés de Vassily Kandinsky ou de Jackson Pollock. D’un côté, leur abstraction inspirée du spiritualisme, s’épanouissant dans les arts décoratifs ou jugée redevable à leur génie de mari, s’intégrait mal au récit formaliste dominant qui a longtemps valorisé les peintures et les sculptures autoréflexives produites par des figures masculines héroïsées. D’un autre côté, cet art de lignes, de formes et de couleurs a pu être délaissé par les premières historiennes de l’art féministes qui cherchaient plutôt à faire résonner les discours formulés dans des œuvres clairement critiques et politiques. Cependant, les choses évoluent. Ainsi, dans leur ouvrage publié chez Citadelles & Mazenod au printemps 2021, Arnauld Pierre et Stéphane Rousseau ne font plus de l’abstraction une simple affaire d’hommes14, contrairement à Charles Estienne, Jean Cassou ou d’autres de leurs prédécesseurs. En outre, l’exposition du Centre Pompidou et son imposant catalogue ne sont pas les premiers à mettre spécifiquement en avant l’« autre moitié15 » de l’art abstrait16. L’approche de Christine Macel et de Karolina Ziebinska-Lewandowska se voulait néanmoins singulière en embrassant toute l’histoire de l’abstraction, depuis ses balbutiements jusqu’aux années 1980. Il s’agissait assurément d’une manière de valoriser les artistes femmes en cessant de faire d’elles de simples épigones. De surcroît, les multiples médiums et arts convoqués ainsi que l’absence de limites géographiques ont transformé l’exposition en démonstration de force qui contribue à bousculer les récits antérieurs, pour affirmer : « Elles font l’abstraction », et ce, dès les origines, dans tous les domaines de la création et jusqu’aux quatre coins du monde.

  • 17 Eva Belgherbi, « Expositions de femmes artistes en France : stop ou encore ? », Un carnet genre et (...)
  • 18 Concernant Marcelle Cahn, nous pouvons mentionner la thèse qui a été soutenue en 1995 à l’Universit (...)

6Dans la version parisienne de l’exposition, la démonstration était sans équivoque. Elle reposait sur un peu plus de 110 artistes et près de 500 œuvres qui ont conjointement fait triompher l’abstraction dans toute sa diversité. Bien que la communication du musée insistât avant tout sur le fait que cette sélection offrait « l’occasion de découvrir des artistes qui constituent des découvertes tant pour les spécialistes que pour le grand public », les amateurs ont cependant pu reconnaître certains noms parmi ceux que lesdits spécialistes ont parfois eux-mêmes contribué à sortir de l’oubli. Eva Belgherbi dénonce ce qui s’apparente à un « argument marketing » qui « [invisibilise] des travaux de recherche menés en France et ailleurs depuis des décennies sur ces sujets » et qui « sous-entend que seuls les musées sont à même de "réparer ces injustices" […] pour correspondre à une sorte "d’esprit du temps"17 ». Injustices dont ces musées sont en partie responsables, rappelons-le… Il est difficile de donner tort à Eva Belgherbi, lorsque l’on constate avec surprise l’absence de bibliographie dans le catalogue ! Si les quelques notes de bas de pages accompagnant les notices consacrées aux artistes peuvent mentionner des ouvrages de référence, elles ne sont pas systématiques. Ces choix tendent à accréditer l’idée selon laquelle personne ne se serait intéressé à ces femmes avant l’exposition en question. Pourtant une Marcelle Cahn ou une Valentine de Saint-Point ont bien fait l’objet d’études antérieures18.

  • 19 Il faut cependant préciser que cette admiratrice de Seurat nourrit une certaine ambiguïté quant au (...)
  • 20 Elitza Dulguerova, « Les femmes au sein de l’avant-garde russe », Christine Macel et Karolina Ziebi (...)
  • 21 Lekha Hileman Waitoller, « Au-delà des limites : l’art noir en Amérique, 1960-1980 », ibid., p. 272 (...)

7Elles font l’abstraction a tout de même contribué à révéler des artistes oubliées ou méconnues, telles qu’Olga Fröbe-Kapteyn et Ida Lansky. Leur découverte se faisait au fil des quarante-trois salles dédiées à une créatrice (Mary Ellen Bute), à un mouvement (« Expressionnismes abstraits ») ou à une thématique (« Danse et abstraction, la géométrisation du corps »). Au sein de cette exposition fleuve, les commissaires ont tenté d’engager des réflexions pour éviter tout effet de « catalogage ». L’impression dominante fut pourtant celle-ci. Un sujet était parfois à peine effleuré qu’un autre s’imposait à nous, exemplifié par des artistes chaque fois différentes. Malgré les remarquables efforts pédagogiques déployés tout au long du parcours, les quantités d’informations pouvaient les rendre difficiles à intégrer tout en restant paradoxalement superficielles, à certains moments. Les contextes historiques et les réseaux artistiques ont souvent été au mieux effleurés. Le traitement de l’« Abstraction politique ? » était particulièrement frustrant. Il commençait par la confrontation de déclarations de Harmony Hammond (« Je souhaite me consacrer à l’art abstrait et prouver qu’il peut avoir une dimension féministe et donc être politique », 1977) avec celles d’Ann Berg et Monica Sjöö (« L’art abstrait est inoffensif, il ne dérange pas. […] C’EST CE QUE NOUS REFUSONS », 1973). Leurs mots se déployaient sur les murs d’une salle traitant un autre sujet : l’histoire de l’art féministe. Ce n’est que deux salles plus loin que la question de l’abstraction politique était abordée à travers l’œuvre de deux militantes américaines, Harmony Hammond et Howardena Pindell, datant des années 1970. Dans les cartels de l’exposition, les Floorpieces de Hammond étaient assimilées à une « métaphore des femmes liées les unes aux autres comme dans les groupes de prise de conscience que [l’artiste] fréquente dès le début des luttes féministes ». Les multiples petites formes circulaires obtenues par Pindell pour réaliser sa peinture à l’aide d’une perforatrice étaient reliées, quant à elles, « à un de ses souvenirs d’enfance : celui des cercles rouges marquant les verres destinés aux personnes noires dans les bars ségrégationnistes du Kentucky19 ». Ainsi réduit à une décennie et à une aire géographique, le rapport existant entre abstraction et politique semblait bien léger, voire forcé, alors qu’à d’autres moments de l’exposition nous retrouvions l’œuvre majeure de Sophie Taeuber-Arp, qui a contribué avec ses décors de l’Aubette (1926-1928) à concrétiser l’utopie d’une harmonie sociale générée par la création abstraite, ou quelques artistes russes qui ont mis leur art au service du nouvel ordre politique soviétique. D’ailleurs, parmi les salles les plus réussies, nous pouvons citer celle dédiée aux « Russes de l’avant-garde » qui montrait avec pertinence combien certaines femmes ont réussi à imposer leur nom et à enrichir l’abstraction à travers les exemples d’Exter, Gontcharova, Popova, Rozanova et Stepanova, que le Guggenheim de Bilbao avait mises à l’honneur en 2000 aux côtés d’Oudaltsova. Ce portrait de la scène russe qui se dessinait dans les salles du Centre Pompidou était complété par le texte d’Elitza Dulguerova20 publié dans le catalogue, dont les articles plus ou moins approfondis venaient appuyer le propos de l’exposition. Rappelons cependant que les visiteurs n’ont pas tous les moyens de dépenser près de 50 euros pour accéder à ces informations, dont certaines auraient largement mérité de trouver leur place dans l’exposition, comme celles sur « l’abstraction noire » en Amérique21.

  • 22 Notons cependant l’organisation d’un colloque par le Centre Pompidou et l’association Aware qui a p (...)

8Un même travail aurait d’ailleurs pu être effectué sur les spécificités des autres scènes artistiques extra-européennes, moins connues en France22. Nous avions été accueillis dans la première salle par une déclaration d’intention spécifiant qu’une « attention toute particulière » serait apportée à ces différents contextes. Si cela n’a pas toujours été suffisamment le cas au cœur même de l’exposition, c’est peut-être parce que les commissaires ont tenu à ce que les œuvres soient également mises en avant pour leur valeur esthétique propre, qui ferait de leurs autrices des créatrices au même titre que leurs homologues masculins. Dans ce cas, n’aurait-il pas été intéressant de convier ces derniers ? Car l’un des intérêts majeurs de ce type d’exposition non mixte est de mettre en lumière les rapports de genre, les politiques culturelles, les éventuels circuits alternatifs et tous les mécanismes qui ont pu favoriser ou entraver la visibilité des « artistes femmes », comme les commissaires ont su le faire lorsqu’il s’est agi d’évoquer les inégalités de traitements qui régnaient au Bauhaus ou le machisme auquel ont été confrontées « Mesdames » de Kooning et Pollock au sein de la si « virile » École de New York. C’est ainsi que nous comprenons que si nous devons accoler à ces artistes un terme qui les renvoie constamment à leur sexe biologique, c’est parce que celui-ci leur a justement valu d’être bien trop souvent traitées différemment de leurs homologues masculins.

  • 23 Nous pouvons évoquer les rétrospectives de Mona Hatoum en 2015 et de Dora Maar en 2019.

9C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces créatrices sont toujours aussi peu exposées dans les salles des collections permanentes du Centre Pompidou. Au moment d’Elles font l’abstraction, les espaces consacrés aux avant-gardes historiques ne contenaient que quelques œuvres de Sonia Delaunay, Natalia Gontcharova ou Charlotte Rudolph. Du fait de l’absence d’Emmy Hennings, Hannah Höch, Angelika Hoerle ou Sophie Taeuber-Arp, le dadaïsme faisait partie de ces mouvements présentés au public comme exclusivement masculins. Si les budgets réduits des musées peuvent expliquer la difficulté de rétablir un certain équilibre dans ces collections permanentes, les œuvres des artistes femmes qui y sont conservées mériteraient de sortir plus souvent des réserves. Ainsi, la lampe Kandem de Marianne Brandt pourrait compléter la salle consacrée au Bauhaus, tandis que les photographies de Claude Cahun pourraient enrichir celle dédiée au surréalisme. En outre, les emprunts réalisés durant les expositions temporaires mériteraient d’être plus paritaires pour favoriser une inscription des artistes femmes dans l’histoire de l’art aux côtés de leurs homologues masculins et au cœur des réseaux artistiques existants, tout en permettant une valorisation de leurs apports et de leurs singularités. Cette inscription et cette valorisation compléteraient celles qu’ont opérées avec conviction et détermination les expositions non mixtes, dont Elles font l’abstraction est une digne représentante. En outre, il faut que les expositions monographiques dédiées à des artistes femmes soient plus nombreuses. Le Centre Pompidou a récemment proposé une rétrospective de l’Américaine Georgia O’Keefe (8 septembre – 6 décembre 2021). Malgré sa scénographie confuse, elle permet de découvrir les différents aspects de son œuvre, que l’on réduit trop souvent à ses fleurs supposément sulfureuses. Même après qu’elles@centrepompidou a mis un coup de pied dans la fourmilière au tournant des années 2010, ces grandes rétrospectives prenant place dans les plus importantes salles du musée étaient encore restées l’apanage des artistes masculins, à quelques exceptions près23.

  • 24 Cela signifierait alors que ce type d’exposition servirait à masquer une politique d’acquisition et (...)

10Finalement, la programmation de ces prochaines années nous permettra de déterminer si cette « féminisation » des expositions, visible au Centre Pompidou comme ailleurs, est le résultat d’une prise de conscience profonde qui engendrera sur le long terme une meilleure politique d’inclusion des femmes, comme de toutes les minorités, ou s’il s’agit d’un simple opportunisme répondant à un effet de mode, voire d’un woke-washing24. Il semble cependant difficile de faire marche arrière, même si rien n’est jamais acquis, surtout lorsque les avancées concernent les femmes.

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Notes

1 Ce texte a été rédigé en octobre 2021.

2 Voir à ce sujet : Séverine Sofio, Artistes femmes, la parenthèse enchantée XVIIIe-XIXe siècles, Paris, CNRS Éditions, 2016.

3 Gayatri Spivak est à l’origine de cette notion.

4 D’autres raisons pourraient être aussi mentionnées comme la défense d’une approche universaliste ou le désir de ne pas « faire de vagues ».

5 Nous pouvons par exemple citer Feminie-Dialogue (1975). Voir notamment : Fabienne Dumont, Des sorcières comme les autres. Artistes et féministes dans la France des années 1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

6 Ce dénombrement a été opéré avant le décrochage qu’ont réalisé certains artistes pour des raisons diverses.

7 François Mathey, Six femmes peintres : Berthe Morisot, Eva Gonzalès, Séraphine Louis, Suzanne Valadon, Maria Blanchard, Marie Laurencin, Paris, Éditions du Chêne, 1951. S’intéresser aux artistes femmes n’empêche donc pas de véhiculer une pensée pleine de préjugés.

8 Les galeries ont parfois accueilli des expositions organisées par des artistes femmes. Il en est ainsi de la Galerie Bernheim-Jeune qui présente en 1935 Les Femmes artistes modernes organisée par la Société du même nom. Certaines galeries ont pu, par ailleurs, initier elles-mêmes ce type de regroupement, à l’instar de la Galerie Charpentier à Paris à l’origine de Femmes peintres du XVIIIe siècle en 1926.

9 Artcurial-Paris a organisé en 1983 L’avant-garde au féminin : Moscou, Saint-Pétersbourg, Paris (1907-1930).

10 Évoquons également Femmes au présent : Exposition internationale itinérante d’art contemporain montée à l’occasion de l’« année internationale de la Femme » en 1975 ou Femmes créatrices des années 20 qui a eu lieu à Granville en 1988. Le catalogue d’Elles font l’abstraction contient une chronologie non exhaustive des expositions consacrées aux artistes femmes.

11 Nous détournons ici le titre de l’exposition historique Old mistresses : women artists of the past qui s’est tenue à la Walters Art Gallery de Baltimore en 1972 et qu’interprétera ainsi Griselda Pollock : « Les mots révèlent tout. Lorsqu’on veut rendre hommage, on parle des vieux maîtres. Or, il n’existe pas d’équivalent féminin à cette expression. Si l’on dit vieille maîtresse, les connotations sont d’un tout autre genre. […]. L’asymétrie entre le maître […] et la maîtresse […] a pour conséquence immédiate l’absence apparente des femmes peintres dans les grands textes d’histoire de l’art, et plus grave encore, l’impossibilité de les y inscrire ».

12 Ainsi, Camille Morineau déclarait-elle au Journal des arts le 5 janvier 2021 : « Aujourd’hui, plus personne ne se fait attaquer pour une exposition sur une artiste femme. Comme plus personne n’oserait critiquer quelqu’un qui travaillerait sur le sujet… »

13 Roxana Azimi, Magali Lesauvage et Marine Vazzoler : « Faut-il (encore) des expositions 100 % "artistes femmes" ? », Le Quotidien de l’art, n° 2188, 11 juin 2021.

14 Arnauld Pierre et Stéphane Rousseau, L’abstraction, Paris, Citadelles et Mazenod, 2021.

15 Nous reprenons ici l’expression du titre de l’ouvrage historique : Léa Vergine, L’autre moitié de l’avant-garde, 1910/1940, Paris, Des Femmes, 1982.

16 Nous pouvons citer : Sense and Sensibility Sense and Sensibility : Women Artists and Minimalism in the Nineties du MoMA de New York (1994), Karo Dame : Konstruktive Konkrete und Radikale Kunst von Frauen von 1914 bis heute de l’Aargauer Kunsthaus de Aarau (1995) ou Femmes, années 50 : au fil de l’abstraction, peinture et sculpture au Musée Soulages de Rodez (2019).

17 Eva Belgherbi, « Expositions de femmes artistes en France : stop ou encore ? », Un carnet genre et histoire de l’art, 6 avril 2021 : https://ghda.hypotheses.org/1447 [lien consulté le 18 octobre 2021].

18 Concernant Marcelle Cahn, nous pouvons mentionner la thèse qui a été soutenue en 1995 à l’Université de Strasbourg, sous la direction d’Albert Châtelet, par Mireille Cordonnier-Kraft : Marcelle Cahn (1895-1981) : sa vie, son œuvre, catalogue raisonné. Concernant Valentine de Saint-Point, les études ont été plus nombreuses depuis la thèse que Fawzia Zouari a soutenue en 1983. Nous pouvons notamment citer : Adrien Sina (dir.), Feminine Futures. Valentine de Saint-Point : performance, danse, guerre, politique et érotisme, Dijon, Les Presses du Réel, 2011.

19 Il faut cependant préciser que cette admiratrice de Seurat nourrit une certaine ambiguïté quant au symbolisme de ces tiny dots qu’elle dit aussi aimer fabriquer, tout simplement.

20 Elitza Dulguerova, « Les femmes au sein de l’avant-garde russe », Christine Macel et Karolina Ziebinska-Lewandowska (dir.), Elles font l’abstraction, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2021, p. 76-77.

21 Lekha Hileman Waitoller, « Au-delà des limites : l’art noir en Amérique, 1960-1980 », ibid., p. 272-273.

22 Notons cependant l’organisation d’un colloque par le Centre Pompidou et l’association Aware qui a pu, là aussi, compléter le propos de l’exposition : Elles font l’abstraction, une autre histoire de l’abstraction au 20e siècle, 19-21 mai 2021.

23 Nous pouvons évoquer les rétrospectives de Mona Hatoum en 2015 et de Dora Maar en 2019.

24 Cela signifierait alors que ce type d’exposition servirait à masquer une politique d’acquisition et de mise en vue des œuvres non inclusive.

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References

Electronic reference

Anastasia Simoniello, “Exposer les artistes femmes. Quelques réflexions autour de l’exposition Elles font l’abstraction (19 mai – 23 août 2021) et de la programmation du Centre Pompidou”Histoire Politique [Online], Books reviews, Online since 24 January 2022, connection on 18 March 2025. URL: http://journals.openedition.org/histoirepolitique/2369; DOI: https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.2369

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