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Perspectives budgétaires ou comment saisir l’encastrement de l’économie, de la politique et des politiques publiques. Étude de cas sur le budget de l’Éducation nationale (1975-1985)

Budget perspectives or how to grasp the embeddedness of economics, politics and public policy. Case study on the education budget (1975-1985)
Clémence Cardon-Quint

Résumés

Cet article examine la logique et les effets de la procédure budgétaire définie par le directeur du Budget, Paul Déroche, en 1975 et appliquée jusqu’en 1984 pour l’élaboration du budget de 1985. Étroitement adossée à la comptabilité nationale et corsetée par le cadre budgétaire, la division du travail budgétaire est conçue pour ménager et dégager les marges d’action du politique, dont la légitimité est reconnue pour peu qu’elles s’inscrivent dans le cadre ainsi défini. C’est à cette frontière fragile entre travail administratif et arbitrages politiques que peuvent le mieux s’observer les effets de la mécanique budgétaire sur l’évolution des politiques publiques en général, et de l’éducation en particulier, qui sert ici de terrain d’analyse. Comme l’illustrent divers exemples, l’effort fait pour ménager un espace à la réalisation des engagements politiques du moment présent trouve sa contrepartie dans la dévalorisation mécanique des engagements passés. Fondé principalement sur des archives issues de la direction du Budget, du ministère de l’Éducation nationale, et du cabinet du Premier ministre, cette étude mobilise aussi des témoignages oraux.

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Texte intégral

  • 1 Archives nationales (AN), Archives de la direction des Affaires financières de l’Éducation national (...)
  • 2 Articles 38 et 39 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de fina (...)

1« Des milliers de décisions ponctuelles […] prises en temps voulu1. » Depuis l’ordonnance budgétaire de 19592, la préparation du budget s’inscrit, en France, dans un calendrier qui impose son tempo à l’ensemble des parties prenantes. Les milliers de décisions ponctuelles qui sous-tendent un budget ne doivent pas seulement être prises à temps : elles doivent également être matériellement cohérentes entre elles et avec l’article d’équilibre de la loi de finances qui fixe les ressources affectées au budget, les plafonds des charges et l’équilibre général. Ces considérations prosaïques sur les contraintes matérielles de la procédure budgétaire peuvent sembler bien éloignées des grands enjeux auxquels on songe en premier lieu lorsqu’on appréhende le processus budgétaire. Le propos de cet article est de montrer, au contraire, comment ces contraintes pèsent sur l’articulation des dimensions économiques, politiques et sectorielles dans la marche de l’État.

  • 3 Nathalie Carré de Malberg (dir.), La direction du budget face aux grandes mutations des années cinq (...)
  • 4 Philippe Bezes, Réinventer l’État : les réformes de l’administration française, 1962-2008, Paris, P (...)
  • 5 Exception notable, le travail de Fabien Cardoni sur la Défense : Fabien Cardoni, Le futur empêché. (...)
  • 6 Font exception à cet égard les travaux d’Ismaïl Ferhat sur la gauche et l’éducation : Ismail Ferhat (...)
  • 7 Christian Breunig, Emiliano Grossman et Tinette Schnatterer, Connecting Government Announcements an (...)
  • 8 Aaron B. Wildavsky, The politics of the budgetary process, Boston, Little, Brown, 1964.
  • 9 Pour une mise en perspective de ce champ de recherche et une application de ce cadre théorique à la (...)

2L’étude proposée ici s’attaque à un angle mort de la recherche en histoire comme en science politique. Certes, l’histoire et les transformations récentes de la gestion des finances publiques sont de mieux en mieux connues grâce aux travaux réalisés sous l’égide du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, comme à l’implication croissante des historiens, des politistes, des sociologues et des juristes sur ce terrain3. Les liens entre réforme du budget et réforme de l’État ont, eux aussi, bien été mis en lumière, en particulier dans les travaux de Florence Descamps et de Philippe Bezes4. En revanche, les travaux portant sur tel ou tel secteur de l’action publique financé par le budget de l’État négligent encore bien souvent leurs aspects budgétaires5, comme si la question des moyens et de leur adéquation aux objectifs visés n’avait qu’un impact négligeable sur la mise en œuvre des décisions. Les travaux sur les promesses électorales ont montré la fertilité du terrain budgétaire pour penser l’articulation entre le jeu politique (politics) et les politiques publiques (policy) – deux champs de recherche relativement autonomes dans le contexte académique français6 –, mais cette démarche reste encore isolée en France7. Paru en 1964, l’ouvrage séminal d’Aaron Wildawski sur le processus budgétaire s’efforçait déjà d’articuler politiques publiques, jeu politique et choix budgétaires8. Mais la postérité de ces travaux, en économie politique et en politique publique comparée, reste avant tout théorique et quantitative, et relativement circonscrite dans le contexte académique français. Les conclusions des recherches sur l’« incrémentalisme budgétaire » ou sur les « équilibres ponctués », conduites à bonne distance des archives, ne sont pas immédiatement miscibles dans une étude plus qualitative9. La juxtaposition de ces différents champs de recherche – en eux-mêmes foisonnants – laisse donc dans l’ombre la question des relations d’interdépendance entre les objets et les acteurs qu’ils étudient.

  • 10 La persona renvoie ici au masque porté par les acteurs de l’Antiquité et par extension – dans le do (...)
  • 11 Comme le relève Jean-Charles Asselain, dans sa magistrale étude quantitative sur le budget de la ju (...)

3Ce qui se joue dans ces zones frontières – ces « mondes de la rencontre » d’un autre type – reste donc bien souvent dans les marges de l’enquête et du récit. Non sans risque : une incursion trop rapide et mal informée dans les négociations budgétaires confronte immanquablement le chercheur à la persona10 de la direction du Budget, campée en interlocutrice rigide, inapte à comprendre l’importance de tel ou tel secteur auquel elle s’entête à refuser les crédits pourtant manifestement indispensables à la bonne marche des services. Ceci revient – faut-il le dire – à méconnaître la logique propre du processus budgétaire dans un monde aux ressources limitées. Au mieux, on pourra constater que parfois l’argument financier l’emporte, mais pas toujours11.

4Pourtant, ces différentes dimensions de la marche de l’État (les tactiques politiques, les choix budgétaires, l’évolution des politiques publiques) ne sont pas indépendantes les unes des autres : elles sont au contraire étroitement imbriquées, selon des modalités qui ne résultent pas seulement du hasard et de la conjoncture, mais peuvent au contraire être identifiées, décrites, jusque dans leurs effets structurants sur la marche de l’État. L’étude des promesses électorales et de leur exécution a ouvert la voie à une mise en intrigue qui tisse méthodiquement la politique, les choix budgétaires et les politiques sectorielles. Suivant une inspiration comparable, on propose ici d’appréhender la fabrique budgétaire comme l’un de ces lieux où se donnent à voir – de manière privilégiée – les modalités de cet encastrement qui est au cœur du fonctionnement des États dans les démocraties occidentales, et des défis auxquels elles sont aujourd’hui confrontées.

5Si les contraintes, le cadre juridique et la logique de la procédure budgétaire présentent une remarquable stabilité, elles n’en sont pas moins tributaires de la situation économique, de la conjoncture politique mais aussi des outils techniques à disposition de l’administration. On propose ici, sans s’interdire des rapprochements avec les périodes antérieures et postérieures, de porter plus précisément l’attention sur une séquence caractérisée par l’application de la procédure définie en 1975 par Paul Déroche, directeur du Budget de 1974 à 1979, et appliquée jusqu’à la préparation du budget de 1985.

  • 12 Sur l’inflexion précoce de la politique budgétaire des socialistes et son interprétation, voir le d (...)

6Cette phase de l’histoire budgétaire enjambe l’alternance politique majeure de 1981, qui affecte aussi bien les grands choix de politique économique que le financement des politiques publiques. En 1975, on croit encore communément que le ralentissement économique est un accident ponctuel ; une décennie plus tard prévaut l’acceptation d’un régime de croissance durablement plus lent que celui dont avait bénéficié la France jusqu’au choc pétrolier. De 1972 à 1977, le champ politique est structuré par le clivage entre partisans et adversaires du Programme commun de la gauche, caractérisé, entre autres, par son ambition sociale ; dès le début de l’année 1982, il est clair que les ressources dégagées par une croissance trop faible ne sauraient permettre de financer, à l’échelle d’une législature, les promesses de François Mitterrand12. Sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, la hausse des dépenses sociales est partiellement absorbée par l’augmentation du poids des prélèvements obligatoires dans le produit intérieur brut (PIB) ; en 1984, c’est un président de la République socialiste qui s’engage à réduire cette ponction exercée sur la richesse nationale. Enfin, au début de l’année 1977, l’élaboration du premier « modèle budgétaire » marque l’entrée de l’informatique dans la procédure budgétaire : dix ans plus tard, l’informatisation s’est étendue aux différentes phases du processus.

  • 13 Jean Choussat (1934-1998), ENA (1961-1963), inspecteur des Finances, directeur du Budget de 1981 à  (...)
  • 14 Daniel Bouton (1950-…), ENA (1972-1973), inspecteur des Finances, directeur du Budget de 1988 à 199 (...)

7Les tensions qui résultent du maintien du cadrage fixé par Paul Déroche dans des conditions politiques, économiques et matérielles renouvelées atteignent leur paroxysme en 1984 (lors de la préparation du budget de 1985) et conduisent le directeur du Budget, Jean Choussat13 à rouvrir le dossier de la procédure budgétaire en confiant à Daniel Bouton14 un groupe de travail chargé d’en identifier les dysfonctionnements et de proposer des améliorations.

  • 15 À leur arrivée, les socialistes recréent un gros ministère de l’Éducation nationale – incluant à no (...)
  • 16 Données tirées de la loi de finances pour 1980, n° 80-30 du 18 janvier 1980, JORF, 19 janvier 1980, (...)
  • 17 Ministère de la Fonction publique et des réformes administratives, « Rapport annuel sur l’État de l (...)

8Cette réflexion sur l’encastrement des logiques économiques, politiques et sectorielles est appliquée ici au cas de l’Éducation nationale, et plus précisément, au budget de l’enseignement scolaire, matériellement dissocié de celui de l’enseignement supérieur depuis la loi de finances de 197615. Ce budget, géré par le ministère de l’Éducation nationale (dit « ministère de l’Éducation » entre 1974 et 1981), offre, par l’ampleur et la diversité des crédits affectés à ce domaine, un terrain d’enquête approprié. En 1980, avec 88,3 milliards de francs, soit 22,5 % des crédits alloués aux budgets civils (dépenses ordinaires et équipement), le ministère de l’Éducation – dont le périmètre est alors restreint à l’enseignement scolaire – gère, de très loin, le plus gros des budgets civils du budget général de l’État. Pour trouver des masses comparables, il faut se tourner vers le budget annexe des Postes, télégraphes et téléphones (PTT) (90,9 milliards de francs) ou le budget du ministère de la Défense (105,4 milliards)16. En matière d’effectifs, l’Éducation n’a pas d’équivalent. Avec 851 000 agents au premier janvier 1980, ce ministère emploie 40,3 % des agents civils de l’État (en incluant les 440 600 agents des PTT)17.

  • 18 Cette réforme est une conséquence de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975, dite loi Haby. Sur cette (...)

9Postérieure à l’expansion des collèges, mais précédant le pic de croissance des lycées, la période permet de porter l’attention sur les mesures qualitatives, leur justification et leur financement. En effet, sur le plan des méthodes, des contenus, du métier d’enseignant, l’école française est alors confrontée au défi d’une « rénovation pédagogique », maintes fois annoncée depuis la fin des années 1960, mais très partiellement engagée. À la rentrée 1977, la réforme dite du « collège unique » se traduit par le brassage, dans des classes de sixième hétérogènes, de la totalité des élèves et des maîtres jusque-là affectés dans des filières séparées, que distinguaient d’une part, le niveau des élèves, d’autre part la formation et le statut des maîtres18. Le chaos qui s’ensuit confronte les élèves, les parents et les professeurs du second degré à l’ampleur des échecs à l’école primaire et à l’écart qui sépare l’ambition affichée d’égalité des chances et la réalité des trajectoires scolaires. Sur le plan budgétaire, les besoins n’ont plus la même ampleur ni la même urgence qu’à l’heure de l’explosion scolaire. Mais pour réduire le nombre d’élèves par classe, développer la scolarisation des enfants de trois ans, ou mettre en place une formation continue pour les professeurs du second degré, les syndicats réclament des moyens supplémentaires en emplois et en crédits.

  • 19 Ont été utilisées les archives orales du Comité pour l’histoire économique et financière de la Fran (...)

10L’effort consenti par le gouvernement est jaugé à la parution des « bleus » – ces annexes au projet de loi de finances qui récapitulent, pour chaque ministère, les services votés et les mesures nouvelles prévues pour le budget de l’année suivante. Pour saisir la fabrique des bleus de l’Éducation – parmi les plus volumineux –, on dispose, pour cette période, d’archives émanant de la direction du Budget, du cabinet et de la direction des Affaires financières du ministère de l’Éducation nationale, et enfin, des cabinets du Premier ministre et du président de la République. Les archives orales et entretiens offrent sur la fabrique et les usages des divers documents en jeu dans la procédure budgétaire un éclairage précieux19.

11Étroitement adossée à la comptabilité nationale, et corsetée par la nomenclature, la division du travail budgétaire est conçue pour ménager et dégager les marges d’action du politique, dont la légitimité est reconnue pour peu qu’elles s’inscrivent dans le cadre ainsi défini. C’est à cette frontière mouvante entre travail administratif et arbitrages politiques que peuvent le mieux s’observer les effets de la mécanique budgétaire sur l’évolution des politiques publiques en général, et de l’éducation en particulier.

Une procédure rigoureusement cadrée

Hypothèses économiques et grands équilibres : le soubassement des Perspectives

  • 20 Le « Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952 » est transmis par Roger (...)
  • 21 Ces dossiers de Perspectives (note de perspective et annexes par ministère) sont conservés au CAEF. (...)

12Dans la procédure budgétaire redéfinie par Paul Déroche en 1975, la première phase dite des « Perspectives », qui se déroule de janvier à début mars, s’inscrit dans une tradition bien ancrée. Si les notes des Perspectives, rédigées par Roger Goetze, directeur du Budget de 1949 à 1956, relèvent d’un calendrier et donc probablement d’une fonction un peu différente20, celles de Raymond Martinet – directeur du Budget de 1960 à 1966 – présentent déjà plusieurs caractéristiques toujours observables à l’époque de Déroche21. Au temps de la procédure Déroche, le dossier de Perspectives, résultat d’un travail interne à la direction, débouche sur les deux premières « esquisses » (numérotées 0 et 1) du budget de l’année à venir. Les esquisses ultérieures ne sont que des réajustements à la marge (additions ou soustractions) de ce schéma initial, qui revêt donc une importance particulière dans l’ensemble du dispositif.

  • 22 Sur la genèse de cet adossement de la procédure budgétaire à la comptabilité nationale, Aude Terray (...)
  • 23 À la direction du Budget, le bureau 1D est associé aux échanges. Témoignage de Didier Banquy (ENA, (...)
  • 24 CAEF, archives de la direction du Budget, B00518888/1, Paul Déroche, directeur du Budget, « Perspec (...)

13L’ensemble de l’édifice repose sur un jeu d’hypothèses économiques, sociales et budgétaires précisément détaillées en annexe, et à partir desquelles est évaluée l’évolution tendancielle des recettes et des dépenses de l’État. Les hypothèses économiques (PIB, inflation, taux d’intérêt) sont élaborées par la direction de la Prévision et reflètent le poids des chiffres de la comptabilité nationale dans une procédure budgétaire qui leur est tout entière adossée. En fin de procédure, le rapport économique et financier qui, depuis le décret de 1956, accompagne la loi de finances, scelle à nouveau cette indexation du processus budgétaire sur les grandeurs économiques. Ce qui n’était encore qu’une lointaine ambition, vingt ans plus tôt, lors de la mise en place du Service des études économiques et financières (SEEF) – ancêtre de la direction de la Prévision –, relève désormais de l’évidence22. Non que les chiffres eux-mêmes soient intangibles : les témoignages font état d’âpres négociations entre la direction de la Prévision et la direction du Budget sur ces jeux d’hypothèses, souvent réajustés en fin de procédure23, et le directeur du Budget assume parfois, dans sa note, de n’avoir pas repris les chiffres de la direction de la Prévision24.

  • 25 Sébastien Kott, « Le mythe de l’équilibre et les finances publiques », Gestion & Finances Publiques(...)

14L’évaluation tendancielle des recettes et des dépenses permet d’apprécier l’écart prévisible entre « l’équilibre » résultant de cette évolution tendancielle, et celui que souhaite obtenir le gouvernement. « Impasse » évaluée en valeur absolue, équilibre parfait entre les dépenses et les recettes courantes, déficit budgétaire évalué en pourcentage du PIB : la définition de l’équilibre budgétaire jugé politiquement et économiquement souhaitable a varié en fonction de la conjoncture économique, des savoirs économiques mobilisés par les dirigeants et de la priorité politique donnée, selon les circonstances, à la croissance et à l’emploi, ou à la lutte contre l’inflation25. Dans les notes de Perspective du directeur du Budget, cette cible se dédouble : il faut en effet distinguer l’équilibre tel qu’il pourra être affiché en loi de finances – éventuellement obtenu au prix de diverses débudgétisations, ou d’une sous-estimation délibérée de certains ajustements – et le « découvert » réel qui lui correspondrait en exécution.

  • 26 Le rapport du groupe Bouton met en lumière la complète étanchéité entre la direction du Budget et l (...)

15Dans les Perspectives du début des années 1960, l’écart entre l’équilibre résultant des évolutions tendancielles et la cible visée par le pouvoir politique dégageait une marge financière significative, susceptible d’irriguer les budgets, à la discrétion du gouvernement. En 1975, ce temps est révolu depuis longtemps et les Perspectives sont immanquablement alarmistes. L’évaluation tendancielle des recettes et des dépenses, leur écart jugé « insupportable », appelle donc une vigoureuse action de « redressement » qui donne sa tonalité à l’ensemble de la procédure budgétaire. La fiscalité n’est pas du ressort de la direction du Budget. L’évaluation des recettes – en fonction des hypothèses économiques – peut faire intervenir, au départ, quelques grandes hypothèses relatives au niveau de la pression fiscale ou à la réforme de certains impôts, mais les modifications en ce domaine restent du ressort du Service de la législation fiscale, et la tradition est celle d’un ajustement des recettes sur les dépenses en fin de procédure, plutôt que d’un ajustement simultané, en cours de procédure26. L’essentiel du travail de la direction du Budget porte donc sur les dépenses et relève, en première ligne, des bureaux sectoriels.

La division du travail budgétaire et ses effets

  • 27 Florence Descamps, « La Mission RCB aux Finances 1968‑1971 : un cas hors norme ? », dans Philippe B (...)
  • 28 L’analyse qui suit présente ainsi de fortes analogies avec ce que décrit Alexandre Siné, à partir d (...)

16La réorganisation de la direction du Budget en 1974, également pensée par Paul Déroche (qui tire ici partie des travaux de la Mission de Rationalisation des choix budgétaires27), modifie la répartition des rôles en son sein tout en renforçant sa lisibilité dans l’organigramme. La logique qui sous-tend ce nouvel organigramme reste globalement inchangée, au moins jusqu’à la mise en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)28. La première sous-direction assure le suivi du budget et la synthèse budgétaire. Le bureau 1A rédige les notes internes qui scandent et organisent la procédure budgétaire, affaire de calendrier et de minutie dans les consignes formelles dont dépend, in fine, la cohérence de tout l’édifice. La deuxième sous-direction, en charge des personnels civils et militaires, suit l’évolution des traitements, primes et indemnités. La conception et le suivi des budgets ministériels sont répartis entre les bureaux sectoriels des quatre autres sous-directions : les budgets de l’enseignement scolaire et de l’enseignement supérieur relèvent, depuis cette date, de la troisième sous-direction, et sont pris en charge, à cette époque, par le même bureau. Chacune des étapes de la procédure suppose un aller-retour entre la première sous-direction et les sous-directions trois à six. Le bureau de la synthèse (1A) est, à chaque fois, chargé de préciser les consignes (échéances et formalisme) des travaux réalisés par les bureaux sectoriels et, en aval, de collecter et d’agréger les données fournies par ces derniers pour produire une nouvelle esquisse. Ce travail de synthèse n’a pas pour finalité de questionner – sur le fond – la pertinence ou l’équilibre des différents choix sectoriels mais d’en assurer la cohérence matérielle et temporelle.

  • 29 CAEF, archives du cabinet du directeur du Budget, PH 170-94/6. « Préparation du projet de loi de fi (...)

Préparation du projet de loi de finances pour 1983

Calendrier proposé par la direction du Budget en janvier 1982

Janvier-février : Perspectives budgétaires

3 mars : Conseil des ministres, premières orientations

Mars-avril : Conférences budgétaires « de première phase »

Mai : arbitrages, débouchant sur l’envoi des lettres d’arbitrage

Juin : Conférences budgétaires « de deuxième phase »

Juillet-août : Confection des documents budgétaires

Début septembre : Dépôt du projet de loi de finances29

  • 30 Jacques Edmond-Grangé, Le budget fonctionnel en France, Paris, Librairie générale de droit et de ju (...)

17La fabrique budgétaire épouse donc étroitement les structures ministérielles. Seuls les secteurs de la recherche et de la formation professionnelle font l’objet, dès le début de la procédure, d’un traitement à part. Dans les décennies précédentes, diverses expériences ont bien eu pour but d’intégrer la logique fonctionnelle dans la procédure budgétaire : le « budget fonctionnel30 » à la fin des années 1950, ou encore, dix ans plus tard, la planification des « fonctions collectives » dans le cadre du VIe Plan. Mais ces tentatives n’ont pas eu de suite. L’enseignement du second degré, qui relève à la fois de l’Éducation nationale et de l’Agriculture, fournit un bon exemple de ces écarts entre fonctions et structures qui rendent les discordances des temps et des décisions difficilement évitables.

  • 31 Conclusions tirées de l’analyse de l’âge et de la promotion à l’ENA des administrateurs civils et c (...)
  • 32 Témoignages convergents, sur ce point, de Bernard Cieutat (ENA 1962-1964) et de Vincent Feller (ENA (...)

18Les effectifs de ces bureaux sectoriels ne sont en rien proportionnels à la masse des crédits gérés. Le Bottin administratif de 1987 mentionne la totalité de l’équipe du bureau 3B en charge de l’Éducation nationale et du Tourisme : un chef de bureau, Louis Durvye, un administrateur civil, Vincent Feller, et deux attachés principaux d’administration, Maxime Elbaz et Laurent Genuini. Administrateurs civils et chefs de bureau n’ont pas vocation à rester dans ces fonctions plus de trois ou quatre années. Ce sont des missions assumées en début de carrière (sauf exception, après une à trois années d’expérience pour les administrateurs civils ; après sept ou huit années d’expérience pour les chefs de bureau31), et qui participent à la formation, à l’apprentissage du métier de budgétaire. À leurs côtés, les attachés principaux d’administration peuvent, en revanche, rester en poste plus longtemps et initier les nouvelles recrues aux mystères de la technique budgétaire, absente du cursus de formation des énarques32.

  • 33 Les qualificatifs de « budgétaire » et « dépensier » font partie du jargon des budgétaires (J. Chou (...)
  • 34 Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées : évolutions d’une fonction, Paris, Comité pour l (...)
  • 35 À l’Éducation nationale, Jean Rosenwald exerce ces fonctions de 1960 à 1971 ; Edmond Raoux de mai 1 (...)
  • 36 Sur le fonctionnement de cette direction de 1970 à 1986, on dispose à la fois de très riches fonds (...)

19Sur quoi se fonde l’expertise des bureaux sectoriels, chevilles ouvrières de toute la procédure budgétaire ? Au sein des ministères « dépensiers33 », les contrôleurs financiers et leur service, bras armé de la direction du Budget, apportent une vue précise et chiffrée de l’engagement des dépenses, chapitre par chapitre (rythme, adéquation des montants inscrits en loi de finances aux dépenses engagées)34. Leur connaissance fine de la dépense, leur longévité dans ces fonctions35, leur indépendance hiérarchique à l’égard de leur ministère d’implantation, en font de précieux informateurs. Pour le reste, les bureaux sectoriels dépendent du ou des interlocuteurs en charge des aspects budgétaires dans le ministère dont ils suivent les crédits : l’organisation varie selon les ministères. À l’Éducation nationale, les questions budgétaires et financières sont confiées, depuis 1970, à une direction dédiée, dont les services et les prérogatives se sont étoffés au fil du temps et qui bénéficie d’un personnel stable (voir annexe). Cette direction s’appuie sur le travail des bureaux qui, au sein de chaque grande direction technique (écoles, collèges, lycées, etc.), ont en charge les aspects budgétaires et financiers de leur secteur36.

  • 37 AN, 19930646/4, rapport du groupe Bouton, note IV, « Circulation des informations », circa décembre (...)

20Malgré l’appui du contrôleur financier, le déséquilibre entre les deux parties dans l’expertise du secteur reste flagrant. Il tient à l’accès aux données de gestion, mais aussi aux moyens humains disponibles pour travailler sur les différents aspects des dynamiques budgétaires. En regard, la rétention d’information méthodiquement assumée par les budgétaires à l’égard de leurs interlocuteurs sur la procédure et son calendrier, sur les marges laissées par l’évolution tendancielle, sur les orientations retenues par le Premier ministre, ou sur les arbitrages opérés dans les autres secteurs vient rétablir l’équilibre au profit de la direction du Budget. Le groupe de travail dirigé par Daniel Bouton souligne, sans le contester, l’attachement des budgétaires à ce régime qui maintient dans l’incertitude leurs interlocuteurs et, ce faisant, « rééquilibre les rapports de force », assure « la sauvegarde du pouvoir unilatéral de décision en cas de besoin » et permet « d’éviter des remontées au créneau de la part des Ministères37 ».

Ménager un espace pour le politique : la fabrique des marges

Engagements et marges budgétaires : l’espace budgétaire du politique

21C’est dans cette machinerie administrative que viennent s’insérer les décisions politiques. Qu’est-ce qui relève concrètement de la politique gouvernementale, de l’arbitrage du Premier ministre, dans la conception du budget soumis au Parlement ? Quel est, en fin de parcours, le pouvoir budgétaire du Parlement ? Sur le plan des principes, la réponse est aisée ; la réalité est plus confuse et le détour par les archives écrites et orales permet ici de préciser le tempo, la forme et l’étendue des décisions politiques.

  • 38 Sur cette politique de la dépense, Frédéric Tristram, La politique erratique de la dépense…, op. ci (...)
  • 39  Pour une comparaison des deux plans de relance, Jean-Charles Asselain, « L’incartade socialiste de (...)

22On ne s’étendra pas sur les choix macro-économiques qui sous-tendent toute l’élaboration du budget annuel. Les arbitrages fondamentaux sur l’équilibre budgétaire, la dynamique des finances publiques, le recours à la dépense publique comme levier d’une relance, la politique fiscale, relèvent de choix politiques, précisément analysés, pour cette période, par Frédéric Tristram38. La direction du Budget doit s’y plier, au besoin dans l’urgence et à rebours de ses propres usages, comme à l’été 1975 (relance Chirac), ou en mai 1981 (relance socialiste)39. La mission première de la direction du Budget n’est pas de fixer ces orientations macro-économiques mais d’assurer la congruence entre ces dernières et le contenu des politiques publiques portées par le gouvernement.

  • 40 C’est le nœud de l’articulation entre Plan et Budget. Voir, parmi bien d’autres, le témoignage de G (...)
  • 41 CAEF, PH 170-94/46, Paul Déroche, note pour le Ministre, « Préparation du Conseil des Ministres du (...)

23Premier constat : cet enjeu, point de passage obligé des Perspectives, revient de manière récurrente dans les archives et dans les témoignages40. Comment concevoir une procédure budgétaire qui permette au chef du gouvernement d’une part, d’avoir matière à décision, ce qui suppose que l’évolution automatique des dépenses n’absorbe pas la totalité des recettes supplémentaires, d’autre part, de pouvoir prendre des décisions correctement informées, ce qui requiert que seul un nombre limité de questions soient soumises à l’arbitrage du Premier ministre ? Tel est l’argumentaire qui sous-tend, en 1975, le réaménagement de la procédure proposé par Paul Déroche41. Tout l’enjeu est de dégager « des marges budgétaires » susceptibles d’être réparties au profit « de secteurs et d’actions définies par le gouvernement ».

  • 42 CAEF, archives du bureau 1A de la direction du Budget, PH 175-95/1, Ministère de l’Économie, des Fi (...)
  • 43 Fait relevé dans le rapport du groupe Bouton et confirmé par les témoignages de Bernard Cieutat et (...)
  • 44 Sur la marginalisation du Plan dans la fabrique du budget de l’État, voir, AN, archives de la Commi (...)

24Les archives budgétaires offrent sur cet aspect un précieux aperçu. La question des priorités politiques est soulevée dès la phase des Perspectives. Chaque bureau sectoriel est invité à identifier et à chiffrer les possibles « mesures nouvelles » qui pourraient figurer au budget de l’année à venir. En 1984, la note interne du bureau 1A en précise la répartition : la liste 1 doit regrouper « les mesures déjà annoncées publiquement bien que leur financement ne soit pas prévu dans la LFI 84 ». « Engagement daté et chiffré », pris par le président de la République ou le Premier ministre, projet de loi ou de décret approuvé en Conseil des ministres, texte réglementaire « revêtu de la signature d’un responsable du département » : le périmètre des annonces susceptibles d’entrer dans cette première liste est précisément circonscrit dans la note. Relèvent de la liste 2 toutes les « autres mesures nouvelles » : il s’agit ici d’anticiper les demandes nouvelles des administrations et les arbitrages probables, compte tenu des informations en possession des responsables du budget42. Pour cette seconde liste, le bureau sectoriel est tributaire des informations obtenues de manière informelle auprès de son correspondant43. Les « Programmes prioritaires d’exécution » (PPE) du neuvième Plan font l’objet d’un traitement spécifique : ils doivent être financés prioritairement par redéploiement et l’existence d’un PPE ne justifie pas, en elle-même, de mesures nouvelles. La circulaire du bureau 1A précise qu’ils doivent faire l’objet d’une note détaillée et chiffrée, mais l’époque où les engagements du Plan entraient dans le chiffrage du budget dès la phase des Perspectives est depuis longtemps révolue44.

  • 45 Pour l’élaboration du budget de 1984, une première liste énumérait les « mesures nouvelles inélucta (...)

25Si leur forme peut varier dans le temps45, les principes de classification et la priorité donnée aux engagements publics du gouvernement sont une constante de la procédure. Matériellement, la légitimité politique de la dépense repose donc au premier chef sur l’engagement public, daté et chiffré, émanant du sommet de l’État. C’est là une parole performative sur laquelle le directeur du Budget n’a, évidemment, pas plus de prise que les membres du gouvernement.

  • 46 Jusqu’aux changements de nomenclature introduits à partir de 1959, les collèges désignent des établ (...)
  • 47 AN, correspondance de la direction chargée des affaires budgétaires et financières au ministère de (...)
  • 48 La correspondance sortante de la direction chargée des affaires budgétaires et financières du minis (...)

26La nationalisation des collèges46, mesure phare du programme de Provins présenté par Pierre Messmer le 9 janvier 1973, offre une bonne illustration de la prise en compte des engagements électoraux dans la fabrique budgétaire. En 1972, la direction chargée des affaires budgétaires et financières de l’Éducation nationale avait chiffré le coût de cette mesure étalée, sur dix, quinze ou vingt ans, hypothèses qui semblaient alors les plus probables au regard du rythme suivi par une politique amorcée en 195547. L’inscription de cette promesse dans le programme de Provins permet une accélération significative de ce calendrier désormais ramené à cinq ans48. Jusqu’à l’achèvement de ce programme en 1977, la réalisation de cet engagement est, comme les autres promesses de Provins, intégrée à la préparation du budget dès la phase des Perspectives.

  • 49 CAEF, archives du bureau 3B, PH 041-90/3, dossiers de « Perspectives », budget « Enseignement scola (...)

27La présence ou l’absence de telles mesures dans la liste des mesures « inéluctables » retenues par le directeur du Budget est un bon indicateur de la priorité accordée, sur le fond, à un secteur par le gouvernement. Dans le dossier Perspectives remis par le bureau 3B en février 1984 sur le budget de l’Éducation nationale, aucune des « mesures nouvelles » énumérées n’est classée dans la liste 149. Non que les dirigeants socialistes aient été avares d’annonces en matière d’éducation ; mais les promesses de la campagne présidentielle ont surtout guidé l’élaboration du collectif de 1981, tandis que les autres engagements ne sont ni datés, ni chiffrés, et laissent toute latitude au gouvernement pour les années suivantes.

28En sus de ce type d’engagements, qui préexistent à la procédure budgétaire et la façonnent dès la phase des Perspectives, l’arbitrage gouvernemental intervient à diverses étapes clefs de la procédure. La préparation des lettres de cadrage adressées début mars, par le Premier ministre, aux membres de son gouvernement, résulte d’un premier arbitrage, éclairé par le dossier de Perspectives. À ce stade, les décisions ne portent que sur les grands équilibres du budget et la progression des dépenses, la structure de l’esquisse et non le détail des mesures. Les décisions se précisent à l’issue des conférences de première phase, dans la préparation des lettres-plafond qui fixent conjointement le plafond des mesures nouvelles, et la liste des mesures devant être financées sous ce plafond. L’essentiel des différends ont, à ce stade, été réglés par les administrations, ou, au besoin, par les cabinets des ministres, ou par accord entre les ministres. La remontée d’une mesure à Matignon découle, techniquement, du désaccord persistant entre les Finances et le ministère dépensier sur le bien-fondé ou sur le chiffrage d’une mesure.

  • 50 AN, 19880351/9. Archives de Jean-Dominique Comolli, conseiller budgétaire de Laurent Fabius. Projet (...)

29À l’Éducation nationale, la question des créations d’emplois est immanquablement renvoyée à l’arbitrage du Premier ministre. Sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, la volonté d’éviter le licenciement des auxiliaires permet à plusieurs reprises à l’Éducation d’arracher des créations d’emplois, en loi de finances initiale, ou, en vue de la rentrée, lors de la préparation du collectif budgétaire. Sous la première législature socialiste, au moment des ultimes arbitrages sur la lettre-plafond, la sensibilité politique de ce secteur, pour un gouvernement de gauche, est opportunément rappelée par les ministres de l’Éducation nationale – Alain Savary, comme Jean-Pierre Chevènement. Elle peut à l’occasion faire vaciller le Premier ministre, éventuellement sous la pression du président de la République, y compris lorsque les créations d’emplois sont jugées, sur le fond, superflues50.

  • 51 AN, 19930646/4. Ministère de l’Éducation nationale, direction des Affaires financières, « Observati (...)

30Les conditions dans lesquelles s’effectuent ces ultimes arbitrages ne donnent pas satisfaction. Dans le rapport remis en décembre 1984, les membres du groupe présidé par Daniel Bouton pointent l’échec des tentatives visant à « organiser l’arbitrage du Premier ministre ». Le « caractère contradictoire de cet acte essentiel [serait] mal assuré ». Effectivement, la procédure est plus asymétrique qu’il n’y paraît. Le dossier d’arbitrage remis par la direction du Budget résume, pour chacune des mesures, la position du ministère dépensier et celle de la direction, mais les ministères dépensiers n’ont pas connaissance de son contenu51. Avant les réunions bilatérales entre le Premier ministre et les membres de son gouvernement, les ministères défendent leurs vues auprès des conseillers techniques ou chargés de mission sectoriels. En revanche, il n’y a pas d’échanges préalables officiels entre les ministères dépensiers et les conseillers budgétaires de Matignon, dont le rôle est décisif dans les décisions du Premier ministre – puisqu’eux seuls portent un jugement d’ensemble sur le budget. Pour le groupe Bouton, le déséquilibre de la procédure expliquerait la multiplication des démarches réalisées par les ministères, après l’envoi des lettres-plafond.

  • 52 Christian Beullac (1923-1986), X, ingénieur des Pont, numéro deux de la régie Renault en 1976, est (...)
  • 53 Il s’agit, dans le premier cas, d’entériner l’unification du statut des chefs d’établissement de co (...)
  • 54 AN, archives de Michèle Legras, 19880542/6. Après un premier arbitrage qui ne lui donne que partiel (...)
  • 55 CAEF PH080-95/17, archives de la Direction du Budget, bureau 3B, « Projet de loi de finances pour 1 (...)

31Il est courant que les conférences de deuxième phase, qui prennent place après l’envoi des lettres-plafond, requièrent de nouveaux arbitrages du Premier ministre. En principe, l’enjeu – pour l’équilibre des finances publiques – en est plus limité. En effet, la discussion, qui porte sur le détail des mesures à inscrire au budget, ne doit pas remettre en cause le montant de l’enveloppe fixé par la lettre-plafond, qui identifie également les principales mesures devant figurer au budget. La liberté des ministères n’est pas totale à l’intérieur de ce plafond, comme le révèlent les archives de Michèle Legras, directrice de cabinet de Christian Beullac, ministre de l’Éducation du gouvernement de Raymond Barre depuis 197852. On y trouve la trace des démarches insistantes de l’Éducation auprès du Premier ministre Raymond Barre, entre juin et août 1980, pour arracher deux mesures catégorielles considérées, par le ministre, comme les corollaires logiques des transformations en cours dans le système éducatif53. Ces mesures – que l’Éducation se propose de financer par redéploiement – sont alors bloquées par la direction du Budget au nom de l’exclusion de principe des dispositions d’ordre catégoriel54. En août 1984, les conférences de deuxième phase sont encore l’occasion, pour l’Éducation nationale, de présenter de nouvelles demandes, principalement catégorielles. L’arbitrage plutôt favorable obtenu en première phase, et les facilités dégagées sur les crédits d’équipement, grâce au report de la décentralisation au premier janvier 1986, permettent néanmoins au Premier ministre de donner satisfaction à plusieurs de ces demandes sans avoir à modifier le plafond55.

  • 56 Aurélien Baudu, Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires du Parlement en France : éclairage (...)
  • 57 Sur l’élaboration des questionnaires et la préparation des annexes thématiques au rapport de la Com (...)
  • 58 Sur l’usage de la réserve parlementaire dans les années 1980, voir le témoignage de Jean-Charles An (...)
  • 59 La genèse de la réserve parlementaire est une histoire assez mal connue et peu traitée par les juri (...)

32La variable politique intervient à nouveau en fin de procédure budgétaire devant le Parlement. Encore significatifs au début des années 1950, les pouvoirs budgétaires du Parlement ont été successivement corsetés par le décret de 1956, la constitution de 1958 et l’ordonnance budgétaire de 195956. Dans les années 1970 et 1980, le Parlement ne joue qu’un rôle résiduel dans l’allocation des crédits. Les copieux questionnaires parlementaires adressés aux administrations dans le courant de l’été (avant l’impression du bleu), les rapports thématiques rédigés par les commissions des Finances et les avis des autres commissions n’ont guère d’effet sur la structure d’ensemble du budget ou la hiérarchisation des priorités57. C’est par le biais de la « réserve parlementaire » que s’exerce, par excellence, mais sur de très petites sommes, le pouvoir budgétaire des parlementaires. La pratique semble avoir été introduite dès le début des années 1960. La présentation d’un projet de loi de finances en excédent permettait alors de dégager des marges dont l’usage pouvait être laissé à la discrétion des élus, sans menacer l’équilibre des finances publiques. La présentation, par le gouvernement, de projets de loi de finances en déficit a rendu plus opaque une procédure dont l’existence, au début des années 1980, n’en est pas moins confirmée par les témoignages et les archives58. Au cours de ces décennies, la procédure reste identique. Pour mettre la pratique en conformité avec le droit, les dépenses décidées à l’initiative des commissions des Finances du Parlement font l’objet – à l’issue de la deuxième lecture – d’amendements gouvernementaux59. Ce procédé a permis, par exemple, en 1970, d’abonder le chapitre dédié aux nationalisations des collèges, ou, dans les budgets de 1976 et 1978, d’augmenter les subventions destinées aux constructions du premier degré.

La reconduction : « instrument discret60 » de la contrainte budgétaire

  • 60 Sur la notion d’instrument discret, voir Philippe Bezes, « Chapitre 2 : Rationalisation salariale d (...)

33Dégager des « marges » pour financer les priorités gouvernementales et, dans une moindre mesure, pour donner du grain à moudre aux parlementaires : telle est la logique qui sous-tend la procédure budgétaire. Ceci suppose non seulement d’écarter bon nombre de mesures réclamées par les ministères, mais surtout de « redresser » un budget tendanciel qui ne laisse aucune latitude au gouvernement.

  • 61 Florence Descamps, « Du verrou au sextant. Outils de gestion, outils de pouvoir », Gestion & Financ (...)
  • 62 CAEF, PH 170-94/8. Voir par exemple, pour l’Éducation nationale, le dossier du Bureau 3B « Perspect (...)
  • 63 AN, 19930646/2, archives de la direction des Affaires financières, documents et rapports du groupe (...)
  • 64 AN, 19930646/3, archives de la direction des Affaires financières, programme d’économies de 1980. L (...)

34Pour obtenir des économies, la direction du Budget recourt traditionnellement à deux types de tactiques61. Avec les coupes forfaitaires ou « économies horizontales », les montants à économiser sont fixés a priori, à charge pour les administrations de les répercuter comme elles l’entendent sur leurs moyens. Procédé aveugle mais relativement efficace. A contrario, le réexamen des actions de l’État à la recherche de gisements d’économie produit des résultats beaucoup plus aléatoires, quelle que soit la démarche suivie. Celle-ci varie suivant les contextes et plusieurs dispositifs peuvent s’additionner. Le sous-dossier « Économies » est un passage obligé des dossiers de Perspectives élaborés par les bureaux sectoriels de la direction du Budget62. Mais le ministère dépensier peut aussi prendre l’initiative de cette réflexion. À l’Éducation, Christian Beullac met en place, en 1978, un groupe de travail pluripartite chargé de passer en revue le budget du ministère pour identifier les emplois et les crédits susceptibles d’être redéployés au profit de nouveaux objectifs et assurer ainsi le « Plein emploi des moyens63 ». Enfin, le Premier ministre peut enjoindre aux membres de son gouvernement de lui soumettre, pour leur administration, un programme d’économies, comme en 198064.

  • 65 L’idée figure déjà dans Ve plan : 1966-1970. Rapport général de la Commission de l’Équipement scola (...)
  • 66 Clémence Cardon-Quint, « L’allocation Barangé (1951-1990). Enquête historique sur la "légitimité" d (...)
  • 67 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe II, « Les économies ».

35Plusieurs des pistes explorées par Christian Beullac en 1978 continuent d’alimenter les dossiers de Perspectives de la direction du Budget tout au long des années 1980. C’est tout particulièrement le cas des propositions de transferts de charge : la suppression des bourses des collèges, envisagée, depuis le milieu des années 196065, comme la contrepartie logique de l’instauration de la gratuité des manuels ou encore, la suppression de l’allocation scolaire Barangé, qui subsiste bien après la disparition des raisons ayant motivé sa mise en place66. Propositions d’économie commodes : il faut bien alimenter la section du dossier de Perspectives. On sait cependant qu’elles sont souvent vouées à rester sans suite, sous la droite comme sous la gauche, pour des raisons « politiques » : ce qui signifie, sous la plume des budgétaires, que ces décisions sont susceptibles de contrarier les intérêts électoraux des dirigeants en place. En 1984, le groupe Bouton évalue à 45 % la proportion des propositions d’économie écartées en raison de « considérations d’opportunité politique67 », et ce, le plus souvent, dès la première phase de la procédure.

36Ces obstacles ont pour effet de reporter l’effort de « redressement » ou de « freinage » de la dépense sur des postes moins sensibles. L’érosion des moyens via une reconduction en francs courants, ou une revalorisation des crédits inférieure à l’inflation offre, dans la période étudiée, une stratégie commode et politiquement presque indolore. À l’Éducation nationale, on en mesure les effets sur les bourses et l’allocation Barangé, mais aussi sur les dépenses de fonctionnement (hors dépenses de personnel) et les dépenses d’équipement. L’étalement de la mise en œuvre de décisions antérieures permet aussi de dégager des moyens pour les nouvelles urgences politiques. Ceci revient à dévaluer les engagements politiques passés pour dégager les marges nécessaires à l’action du gouvernement en place.

37La nouveauté introduite par Paul Déroche ne tient pas à l’esprit de la procédure mais aux instruments utilisés pour maîtriser une dépense qui tend à croître mécaniquement. La progression incrémentale du budget d’une année à l’autre résulte, en partie, de règles juridiques : les mesures acquises correspondent à l’application de textes réglementaires ou à l’extension en année pleine des mesures nouvelles de l’année précédente, bloc difficilement attaquable sinon à la marge. Mais en sus des mesures acquises, les mesures nouvelles d’« ajustement » (identifiées comme telles dans les bleus) ont pour but de permettre la mise à niveau des crédits, sans action nouvelle, au regard de l’inflation, des ajustements techniques, ou des insuffisances observées sur le budget de l’année passée, etc. Tel est le facteur d’accroissement quasi automatique que vise à contrôler le dispositif, introduit par Paul Déroche, du « budget de reconduction ».

38La logique est explicite dès 1975 : il s’agit, au cours de la procédure, de découpler le chiffrage de ces mesures nouvelles d’ajustement du reste des mesures nouvelles soumises à l’arbitrage politique. Dans la procédure définie par Paul Déroche, leur chiffrage est encadré par des normes de calcul fixées par la direction du Budget, et intégré à une étape présentée comme « technique », visant à calculer le « budget minimum » ou « budget de reconduction » – services votés, mesures nouvelles d’ajustement, économies. Les résultats de cette première étape « technique » ne sauraient, à ses yeux, faire l’objet d’un recours à l’arbitrage du Premier ministre.

  • 68 CAEF, PH 170-94/46. Paul Déroche, directeur du Budget, note pour le ministre, « Perspectives budgét (...)
  • 69 CAEF, archives du cabinet du directeur du budget, PH 170-94/3. Guy Vidal, note pour le Ministre, «  (...)
  • 70 C’est ce que révèle la comparaison de trois circulaires de 1965, 1977 et 1984 correspondant chacune (...)

39L’introduction du modèle informatique PANDORE (Projection annuelle des dotations de reconduction), dès 197768, permet d’automatiser le calcul de ces dotations, à partir des hypothèses économiques et sociales, mais aussi de normes budgétaires fixées par la direction du Budget. Si le résultat de PANDORE nécessite des corrections – effectuées à la main par les bureaux sectoriels –, l’instrument « "cadre" assez bien la réalité », comme le note Guy Vidal, qui a succédé à Paul Déroche en décembre 197969. Il réduit le coût matériel et humain de l’opération, et prépare la précision croissante et le durcissement des normes de reconduction qui s’observent dans les consignes adressées en interne et en externe70.

  • 71 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton.

40Utilisée par la direction du Budget pour tenter d’imposer des économies horizontales et par les ministères pour arracher des dépenses prétendument « inéluctables » qu’ils redoutent de ne pas obtenir dans la suite du processus, la phase de reconduction n’est technique qu’en apparence. En 1984, les normes imposées sont si strictes qu’elles sont tout bonnement ignorées d’une partie des interlocuteurs. Pour le groupe Bouton, il faudrait, en définitive, « abandonner le concept de budget de reconduction en soulignant son caractère normatif intégrant des économies à réaliser71 ».

  • 72 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe II, « Les économies ».
  • 73 La charge de la dette n’est pas seulement liée au volume de la dette mais aussi taux d’intérêt réel (...)
  • 74 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe IV, « Circulation des informations ».

41La question des économies fait l’objet d’une attention particulière dans le rapport de 1984. Pour les membres du groupe, une partie des problèmes rencontrés lors de la préparation du budget de 1985 vient du fait que les conditions dans lesquelles s’effectue la recherche d’économie n’ont pas changé par rapport à l’époque où cette dernière était « une mission de simple police exercée par la Direction72 ». En 1984, le résultat attendu de cette politique d’économies est tout autre : les montants doivent être significatifs pour des raisons macro-économiques, liées à la progression rapide de la charge de la dette73, à la croissance faible, et à la volonté politique de freiner la progression des prélèvements obligatoires. Les bureaux sectoriels ne sont que très imparfaitement informés de ces contraintes. D’après le rapport Bouton, « pour la très grande majorité des agents, la presse est de loin la première source d’information générale sur la politique économique74 ». La sévérité des normes imposées – sans discussion avec les titulaires du budget – n’en paraît que plus arbitraire, au risque de démotiver les agents.

42Entre 1974 et 1985, les ressorts du jeu budgétaire ne changent pas fondamentalement : d’un bout à l’autre de la période, la direction du Budget s’emploie à rogner sur le budget passif pour dégager les marges nécessaires à l’action gouvernementale. En revanche, le poids croissant des contraintes macro-économiques rend l’exercice de plus en plus acrobatique, au point de faire dérailler l’ensemble de la procédure. Il faut tenir ensemble les dimensions politiques et administratives de la procédure budgétaire pour en apprécier l’effet sur un secteur donné. L’éducation offre un terrain d’analyse d’autant plus intéressant que l’alternance de 1981 renforce la sensibilité politique d’un secteur que le précédent gouvernement ne plaçait pas au cœur de ses priorités budgétaires.

Redressement, freinage, économies, redéploiement : quelle empreinte budgétaire sur l’éducation ?

  • 75 Laurent Schwartz (dir.), La France en mai 1981. Études et rapports de la Commission du Bilan, tome  (...)

43Insuffisance des moyens ou mauvaise gestion des moyens alloués ? Les débats relatifs au financement du système éducatif se sont longtemps résumés à cette alternative : elle traduit le constat, largement partagé à l’aube des années 1980, que le système de formation français ne fait pas assez ou pas assez bien75. L’entrée par la fabrique budgétaire offre un moyen de complexifier l’analyse en entrant dans le détail des décisions, de leurs motivations et de leurs effets.

La culture budgétaire de l’éducation

  • 76 Michel Le Clainche, « Le rôle de l’ombre des conseillers budgétaires des cabinets ministériels », G (...)
  • 77 Sept chefs de bureau, et trois administrateurs civils se succèdent au bureau 3B entre 1975 et 1985. (...)

44Cette approche permet d’abord de caractériser ce que nous appellerons ici la « culture budgétaire de l’éducation » : ce que l’on peut saisir de l’éducation lorsqu’on l’appréhende à partir de son budget. Cette culture forgée dans les bureaux sectoriels de la direction du Budget informe aussi les conseillers budgétaires de Matignon, issus le plus souvent de cette direction, et dont le poids est décisif dans les ultimes arbitrages76. Nourrie par le suivi quotidien du budget, cette culture s’exprime par excellence dans les notes de synthèse et les fiches du dossier de Perspectives. Puisqu’elles sont destinées à un usage exclusivement interne, ces notes n’ont pas pour objectif premier de faire barrage à de nouvelles dépenses. C’est même l’un des rares moments où un budgétaire peut suggérer une augmentation de moyens. La rapide succession des titulaires de ce budget77 ne rend que plus visibles les composantes stables de cette culture budgétaire.

  • 78 Pour s’en tenir à deux exemples : AN, 19930646/2, Paul Déroche, directeur du Budget, « Opportunité (...)
  • 79 Sur l’évolution du nombre d’emplois de fonctionnaires : Émilien Ruiz, Trop de fonctionnaires ? Hist (...)

45La diminution quasi continue du ratio global élèves/emplois budgétaires d’enseignants constitue, dès le début des années 1970, un sujet de préoccupation central de la direction du Budget. Les ressorts de ce phénomène sont multiples et pour partie liée à l’évolution du métier d’enseignant : suppression des classes surchargées, réduction des maxima de service pour certains corps enseignants, réduction de l’effectif moyen des classes, décharges venant compenser différentes tâches annexes, etc. Mais l’entrée par la fabrique budgétaire met aussi en évidence le poids des différents mécanismes qui tendent à accroître mécaniquement le nombre d’enseignants : priorité donnée à la réussite de la rentrée scolaire (un professeur en face de chaque classe dès le premier jour d’école), gestion des auxiliaires, difficile régulation des postes ouverts aux concours de recrutement. Il en ressort l’idée, défendue avec constance par les budgétaires, que le système éducatif dispose d’une manne d’emplois qui devrait lui suffire à réaliser les améliorations qualitatives réclamées par les syndicats et relayées par la rue de Grenelle. Le déclin de la natalité après 1974 et le difficile ajustement des emplois à cette nouvelle conjoncture vient conforter un argumentaire déjà bien enraciné. Cet argumentaire perdure sous de nouvelles formes au cours de la décennie suivante78, au moment où l’objectif de contrôle des emplois publics et des dépenses de personnel s’impose à l’ensemble du personnel politique et des hauts fonctionnaires79.

46L’examen minutieux des décisions de créations et suppressions d’emplois en loi de finances offre, pour cette raison, un bon observatoire de l’articulation entre arbitrages politiques, contraintes budgétaires et mise en œuvre des politiques éducatives, qu’il s’agisse de la lutte contre l’échec scolaire à l’école primaire ou de la prise en charge de l’hétérogénéité au collège.

Politique des emplois et stratégies de lutte contre l’échec scolaire

  • 80 Alfred Sauvy, Le niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire. Une enquête nationale dans l’ensei (...)
  • 81 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les Éd (...)
  • 82 Bertrand Ravon, L’« échec scolaire » : histoire d’un problème public, Paris, In press, 2000.

47L’incapacité de l’école primaire à amener la totalité des élèves d’une classe d’âge au niveau fixé par les programmes officiels, et la corrélation entre le niveau scolaire et l’origine sociale, sont scientifiquement documentées dès les années 195080. En proposant, en 1964, une interprétation nouvelle des liens entre origine sociale et parcours scolaire, les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron placent l’inégalité des chances au cœur du débat sur l’école81. Plus tardive, l’émergence de « l’échec scolaire » comme problème public découle de la prolongation de la scolarité obligatoire, décidée en 1959 et quasi effective quinze ans plus tard82.

  • 83 Circulaire n° IV-70-83 du 9 février 1970, « Prévention des inadaptations. Groupes d’aide psychopéda (...)
  • 84 Circulaire n°77-123 du 28 mars 1977, « Pédagogie de soutien à l’école primaire (application de l’ar (...)

48La lutte contre l’échec scolaire et la prise en charge de l’hétérogénéité des élèves dans l’école dépassent de loin la seule question des emplois. Néanmoins, plusieurs des solutions envisagées au sein de l’Éducation nationale achoppent sur ce point, comme le montre l’exemple des Groupements d’aide psycho-pédagogique (GAPP). Introduits en 1970, les GAPP sont composés d’un psychologue et de deux enseignants spécialisés, l’un en psycho-pédagogie l’autre en psycho-motricité83. Progressivement déployées sur l’ensemble du territoire, ces structures sont considérées, sous le ministère de René Haby (1974-1978), comme des instruments pertinents de prévention de l’inadaptation scolaire à l’école primaire. À compter du budget de 1975, les bleus signalent les postes créés à ce titre, et les circulaires de 1977, qui accompagnent les nouveaux programmes de l’école primaire, mentionnent leur rôle84. Les besoins sont évalués à 1 GAPP pour 1 000 élèves, soit 6 500 GAPP, et 19 500 emplois. Mais le freinage des créations d’emplois imposé à René Haby au regard de la démographie ne permet pas d’accélérer leur déploiement, bien au contraire. En 1977-1978, seules 12 % des écoles sont déjà rattachées à un GAPP. Le nombre de postes créés, à ce titre, dans le budget de 1979, atteint un étiage avec 90 emplois affichés en mesure nouvelle : à ce rythme, il aurait fallu encore quatre-vingt-cinq ans pour couvrir tout le territoire.

  • 85 Ministère de l’Éducation, « Plan de plein emploi des moyens », 28 février 1979, AN, 19930646/2.

49Christian Beullac, qui succède à René Haby au lendemain des élections législatives de 1978, voit dans l’essor des GAPP l’objectif prioritaire du redéploiement des moyens dans le premier degré. Il espère ainsi limiter les difficultés que suscite l’hétérogénéité des élèves dans le « collège unique », mis en place à la rentrée 1977 par son prédécesseur. Dans les projets de l’automne 1978, il envisage de dégager, dans ce but, 5 280 emplois en cinq ans, grâce aux fermetures de classes permises par l’évolution démographique, cible réduite à 4 400 au vu des réticences de son administration85. La couverture du territoire national serait alors envisageable à horizon de quinze ans. Les arbitrages récurrents du Premier ministre, qui limitent le nombre de classes du premier degré susceptibles d’être fermées, réduisent encore sa marge de manœuvre. Dans les budgets de 1980 et 1981, les créations d’emplois destinées aux GAPP plafonnent à 340 et 350 emplois, loin des 725 emplois annuels encore envisagés en mars 1980.

  • 86 « Mitterrand : "Ce que je ferai". Un entretien exclusif avec L’Express », L’Express, 4 avril 1981, (...)
  • 87 Philippe Bongrand, La scolarisation des mœurs : socio-histoire de deux politiques de scolarisation, (...)
  • 88 Lydie Heurdier, Vingt ans de politique d’éducation prioritaire dans trois départements français, do (...)

50En 1981, le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy rompt de façon spectaculaire, mais provisoire, avec la politique de maîtrise des emplois publics menée par son prédécesseur. Pour le collectif 1981 et le budget 1982, la priorité est donnée à la lutte contre le chômage : dans cette perspective, François Mitterrand a annoncé, au cours de sa campagne, la création de 210 000 emplois publics86. Dans l’été 1981, la direction du Budget travaille donc à front renversé pour répartir entre les différents ministères, dans le collectif de l’été 1981 et le budget 1982, l’enveloppe d’emplois fixée par le Premier ministre. L’histoire en retient le coup d’envoi de la politique d’éducation prioritaire, avec une enveloppe de 10 000 emplois, annoncée dans un télex daté du 3 juin, dans lequel le ministre Alain Savary recommande aux recteurs d’affecter prioritairement ces moyens supplémentaires aux établissements qui concentrent le plus de difficultés sociales87. Les travaux réalisés sur l’histoire des zones d'éducation prioritaire (ZEP) ont pointé l’opacité des archives sur les moyens concrètement alloués à cette politique, et sur leurs modalités de répartition88. Les dossiers budgétaires invitent à réévaluer à la baisse la portée du collectif sur le lancement des ZEP.

  • 89 AN, archives de la direction des Affaires financières, 19930646/1, division des études budgétaires, (...)
  • 90 AN, 20160541/308, « Rapport à fin de décision sur la gestion du corps des instituteurs », n° 87-636 (...)

51En effet, les créations du collectif sont d’abord motivées par une promesse de campagne de François Mitterrand. Dans les « 10 propositions pour l’école » présentées à Évry le 15 mars 1981, le candidat avait annoncé que « dès mai ou juin prochains, [il mettrait] un coup d’arrêt aux fermetures de classes et à la suppression des postes dans les collèges ». D’après une évaluation de la direction des Affaires financières, datée du printemps 1981, la mesure concernait, en primaire, 1 500 classes en zone rurale, et 4 200 en zone urbaine89. Compte tenu de la publicité donnée à cette annonce, il était peu probable que les emplois créés en collectif pour le premier degré (3 868 emplois implantés dans les écoles ; 1 900 emplois d’élèves instituteurs) profitent aux nouvelles ZEP plutôt qu’aux écoles menacées par des fermetures. En 1985-1986, le nombre de postes spécifiques ZEP dans le premier degré dépasse à peine 1 275 emplois90.

  • 91 Ibid.
  • 92 AN, 19930203/4. Archives de Christian Join-Lambert, conseiller budgétaire d’Alain Savary. Direction (...)

52De plus, le rattrapage des retards les plus criants a absorbé une bonne part des moyens nouveaux. En effet, depuis plusieurs années, la conjonction entre une politique de créations d’emplois restrictive et une prudence systématique – à la fois administrative et politique – dans la politique de fermeture des classes, a creusé les écarts inter- et intra-académiques, et accentué les déséquilibres entre zones urbaines en forte croissance et zones rurales, qu’il s’agisse des taux de scolarisation en préélémentaire, ou du nombre d’élèves par classe. Au regard de la situation dans les classes – bien loin de la fiction d’une école égalitaire –, les emplois du collectif ne peuvent suffire à créer une « inégalité » au profit des zones urbaines défavorisées. En 1982-1983, les écoles élémentaires des zones prioritaires ont encore un taux d’encadrement de 22,6 élèves par classe, supérieur au taux moyen national de 22,191. La situation se tend à nouveau lorsque la décision est prise de stabiliser (dans le budget 1984), puis de réduire (dans les budgets 1985 et 1986), le total des emplois publics. L’amélioration des taux de scolarisation à 2 et 3 ans, l’expansion des GAPP, le renforcement des moyens alloués aux zones d’éducation prioritaire sont subordonnés aux capacités internes de redéploiement de la direction des Écoles, sans que la légitimité de cette redistribution ne soit clairement assumée par le pouvoir socialiste92.

  • 93 Deppadoc, Portail statistique sur l’éducation et la formation, Pierre Fallourd, « Évolution du nomb (...)
  • 94 Nombre d’établissements concernés par un RASED sur le nombre total d’écoles publiques, par départem (...)
  • 95 Catherine Dorison, « La place de la pédagogie dans les relations entre enseignants spécialisés et e (...)

53Le devenir des GAPP offre un indicateur utile des conséquences pratiques de ce compromis. En effet, après 1981, la gauche poursuit discrètement la dynamique amorcée par Christian Beullac. Entre 1980 et 1986, le total des emplois affectés aux GAPP passe, d’après les données du budget de programme, de 6 149 à 9 35493. Après 1987, la progression ralentit puis marque le pas. Au début des années 1990, les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) – qui remplacent les GAPP– ne couvrent encore que la moitié des écoles (52,8 %), avec de très fortes disparités départementales94. Leurs modalités d’intervention et leurs objectifs restent mal définis et peu encadrés. Si cette situation résulte d’une pluralité de facteurs, elle découle aussi de la difficile systématisation d’une intervention qui ne peut être assurée, au mieux, à partir de 1986, que dans la moitié des écoles95.

Quels emplois pour la rénovation du collège ?

  • 96 Kristine Wagner et René Warck, Les déshérités de l’école : deux enquêtes sur les classes de transit (...)

54La réforme du premier cycle du second degré offre un autre exemple des interférences entre politique des emplois publics et politique éducative. En 1963, le décret relatif aux collèges d’enseignement secondaire avait posé le principe de la répartition des élèves, en fonction de leur niveau, au sein de filières différentes regroupées au sein d’un même établissement. La rigidité de cette structure, le petit nombre de réorientations, avaient conduit psychologues et sociologues à contester une solution manifestement défavorable aux enfants d’ouvriers et d’immigrés qui peuplaient les classes de la filière III destinée aux élèves les plus en difficulté96. Orchestrée par l’Institut national de recherche et documentation pédagogique sous la houlette de Louis Legrand, l’expérience des groupes de niveau-matière visait à prendre en compte l’hétérogénéité des élèves sans enfermer prématurément les plus faibles scolairement dans une voie sans issue.

  • 97 CAEF, 1A 0000270/1. Dossier de la direction du Budget sur le projet de réforme Fontanet, fiche n° 1 (...)
  • 98 Bruno Poucet, « Réforme du système éducatif ou instauration du collège unique ? Haby et Giscard : d (...)
  • 99 AN, 19770599/1. Les archives de Michel Denieul, directeur de cabinet de René Haby, incluent les chi (...)
  • 100 Arrêté du 14 mars 1977, « Horaires et effectifs des classes de sixième des collèges », JORF, 18 mar (...)

55Lorsque Joseph Fontanet met à l’étude la réforme du second degré en 1973, il s’engage dès le départ à formuler des propositions à enveloppe d’emplois constante97. La nouvelle organisation en groupes de niveau-matière, l’évolution du temps de travail enseignant (moins d’heures de cours, mais de nouvelles obligations liées au suivi des élèves) créent certes de nouveaux besoins. Mais ceux-ci doivent être couverts grâce à la réduction des horaires, et en puisant dans les marges offertes par les petits effectifs de la filière III et par les multiples dédoublements prévus, jusque-là, pour les classes de plus de 25 élèves. Si le décès de Georges Pompidou et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing ont raison du projet Fontanet, René Haby est sommé par le nouveau président de concrétiser la suppression des filières au collège98. Les premiers schémas élaborés par le ministère transposent à l’échelle de la classe certaines des solutions explorées par Fontanet : en sus des dédoublements réservés aux classes surchargées, des heures d’approfondissement et de soutien doivent permettre d’ajuster l’enseignement à l’hétérogénéité des élèves, dans un cadre plus souple que celui des filières. Le cadrage budgétaire serré de la réforme, au gré des commissions interministérielles et des conseils restreints, réduit à presque rien la marge de manœuvre du ministre : les heures d’approfondissement, tout comme la réduction du temps d’enseignement en contrepartie de nouvelles obligations, sont formellement exclues. L’équilibre entre la réduction de la taille des groupes (suppression des classes à plus de 30), la réduction des horaires, l’introduction des heures de soutien et la modulation des dédoublements pour les groupes de plus de 25 élèves, est calculé au plus juste pour éviter les créations d’emplois99. Le dispositif de la globalisation horaire, introduit à cette occasion, ménage certes une marge de manœuvre pour les établissements, mais constitue surtout un dispositif beaucoup moins coûteux en emplois que les dédoublements systématiques100. Si la réduction de la taille des classes est effective, au moins au départ, le nombre d’heures dispensées en petit groupe (12-18) diminue drastiquement avec l’entrée en vigueur de la réforme. L’absence de moyens dénoncée par les syndicats n’est pas qu’un refrain éculé mais décrit bien les conditions dans lesquelles a été mise en œuvre cette transformation majeure des conditions d’exercice du métier. Le recrutement hâtif d’auxiliaires, à la rentrée 1977, ne peut guère pallier les lacunes du dispositif initial.

  • 101 Louis Legrand, Pour un collège démocratique : rapport au ministre de l’Éducation nationale, Paris, (...)
  • 102 Ludivine Balland, « La crise de l’école comme problème public. Luttes de sens autour des transforma (...)

56Nul ne conteste les difficultés que soulève la prise en charge de ces classes de 6e et 5e hétérogènes où se côtoient pour la première fois les futurs lycéens et les élèves qui, à l’issue de la scolarité primaire, ne maîtrisent ni la lecture, ni l’écriture. La réforme du collège est donc à nouveau mise à l’ordre du jour par les socialistes. Alain Savary confie à Louis Legrand une mission de réflexion sur ce thème. Le rapport, remis à la fin de l’année 1982, détaille des propositions très proches du projet expérimenté dix ans plus tôt101. Liées à l’uniformisation des temps de service des enseignants, elles s’annoncent, à contretemps, gourmandes en emplois. Pour la direction du Budget, il n’est pas envisageable de créer les emplois requis par la réforme alors même que le creux démographique qui a fait chuter les effectifs de l’école primaire, doit atteindre le collège à partir de la rentrée 1986, dégageant alors les marges nécessaires. L’entrée en vigueur progressive de la réforme – à partir d’un noyau d’établissements volontaires – permet de contourner la difficulté que soulèvent les années 1983-1986 en limitant au strict minimum les créations d’emplois nécessaires. Les controverses sur l’école, particulièrement vives en 1983102, et la volonté de renforcer l’autonomie et la responsabilité des établissements, plaident aussi en faveur de ce déploiement progressif. Mais tout comme la globalisation des moyens en 1977, il permet au gouvernement de contourner le problème que pose le coût global en emplois des modalités proposées par le rapport Legrand.

Rémunération et revalorisation : un mythe budgétaire ?

  • 103 Dans les années 1960, l’expression est employée en ce sens par Louis Joxe, ministre chargé de la ré (...)
  • 104 AN, 19790802/3, note de la FEN, 1er mars 1960, « Reclassement indiciaire des catégories pilotes », (...)

57Les liens établis entre la rémunération, la transformation du métier et la revalorisation des enseignants ne peuvent se comprendre qu’à la lumière de la politique transversale de la fonction publique. L’adossement des rémunérations des fonctionnaires à la grille introduite en 1948 a fourni aux syndicats un redoutable outil de comparaison des parités de traitement entre les différents corps de la fonction publique. Toute revalorisation que ne justifierait pas une évolution du métier est, depuis cette date, susceptible d’entraîner des revendications en chaîne avec un effet d’entraînement sur toute la fonction publique (effet d’entraînement couramment qualifié, depuis les années 1960, de « tourbillon indiciaire103 »). En 1958, c’est le directeur général de la Fonction publique qui avait donc suggéré aux dirigeants de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) de mettre en avant les responsabilités accrues de toutes les catégories d’enseignants pour justifier leurs demandes. Georges Lauré s’en souvient deux ans plus tard, au moment de réclamer la revalorisation promise par Michel Debré lors des débats parlementaires sur le financement de l’enseignement privé104. À cette date pourtant, ces évolutions dans l’exercice du métier étaient encore trop neuves pour qu’on puisse en mesurer tous les effets sur le quotidien des enseignants.

  • 105 Marie-Thérèse Frank, « La formation initiale des instituteurs » dans Christian Beullac : un patron (...)
  • 106 Jean-François Saglio, conseiller chargé de l’Éducation auprès de Georges Pompidou, s’exprime en ce (...)

58Il n’en va plus de même au début des années 1970. On conçoit mieux, à ce moment-là, pourquoi l’ouverture du second degré requiert une évolution en profondeur des pratiques pédagogiques du primaire et du second degré. Pour le primaire, le principe d’une revalorisation adossée à un allongement de la formation initiale est officiellement accepté par Raymond Barre dès 1978105. En 1982, les socialistes font aboutir un dossier déjà bien avancé lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Dans le second degré, la légitimité d’une revalorisation des carrières qui accompagnerait les transformations pédagogiques est plus précaire. L’hypothèse est bien évoquée lors de l’examen des projets Fontanet puis Haby, trouvant même une certaine audience chez les conseillers techniques de l’Élysée106. Mais jugée trop coûteuse, et vigoureusement combattue par les directeurs du Budget, cette « politique du personnel » est laissée en suspens.

  • 107 CAEF, archives du bureau 3B de la direction du Budget, PH 170-94/13, bureau 3B, « Projet de note de (...)
  • 108 Ismaïl Ferhat, Socialistes et enseignants…, op. cit., p. 298‑304 ; Antoine Prost, Regards historiqu (...)

59Sur ce dossier, une évolution se dessine à la direction du Budget au début des années 1980. Une note, préparée par le bureau 3B en janvier 1982, esquisse, pour l’Éducation nationale, un scénario alternatif dans lequel une gestion plus serrée des emplois pourrait s’accompagner d’une augmentation de la qualité des enseignants et d’une revalorisation salariale, en contrepartie d’un accroissement de la charge de travail et d’une rénovation pédagogique qu’on pourrait ainsi arracher à des enseignants communément vus comme réfractaires au changement107. La note très fouillée retient l’attention du directeur du Budget, Jean Choussat. Ce dernier y voit ce qui pourrait être la « doctrine » de la direction du Budget en matière d’éducation, et il défend à plusieurs reprises cette piste auprès de ses ministres de tutelle notamment, jusqu’en mars 1983, Laurent Fabius. Rapporté à la situation du système éducatif, ce scénario tient du mythe. Il repose d’une part, sur une vision simpliste des déterminants de l’action pédagogique, d’autre part, sur l’idée que la « rénovation pédagogique » – abondamment débattue depuis la fin des années 1960 – recouvrirait un corpus de propositions précisément identifiées. En tout état de cause, les pistes de revalorisation du plan Fabius négocié avec la FEN avant la campagne de 1988, tout comme les annonces de campagne de François Mitterrand en 1988108, ne semblent plus aussi décalées ou aberrantes, vues du Budget, qu’elles pouvaient le sembler à l’époque du projet Fontanet.

Conclusion

  • 109 Alistair Cole, Governing and governance in France, Cambridge (GB) / New York, Cambridge University (...)
  • 110 Philippe Bezes, Réinventer l’État…, op. cit.

60Pour apprécier correctement les effets de la procédure budgétaire sur les politiques sectorielles, il faut en premier lieu souligner la robustesse d’un mode de fonctionnement qui permet, bon an mal an, d’articuler la prise en compte du contexte économique – dans une démarche solidement adossée à la croissance économique comme principale boussole –, la lourdeur des contraintes matérielles et temporelles de la préparation du budget, et la préservation d’une marge de manœuvre de l’action politique. La stabilité culturelle de l’administration française, sa capacité – soulignée par Alistair Cole109 comme par Philippe Bezes110 – à acclimater certains aspects du New Public Management sans rompre sur le fond avec des modes de fonctionnement traditionnels, tiennent sans doute pour une bonne part à la robustesse de l’ensemble des dispositifs qui permettent à la machinerie étatique d’avancer sans trop de heurts, quels que soient les inconvénients d’une procédure manifestement connus de tous les protagonistes.

  • 111 ChristopherAdolph, ChristianBreunig et ChrisKoski, « The political economy of budget trade-offs », (...)

61Dans cette décennie 1975-1985, où la société française se résout à faire le deuil des années de forte croissance, l’examen de la fabrique budgétaire permet de saisir comment ces contraintes budgétaires accrues affectent la marche d’une administration, en accentuant les distorsions et discordances des temps entre les différentes dimensions de l’action publique dans un secteur donné : la valorisation de l’engagement politique du moment s’accompagne mécaniquement de la rapide dévaluation des engagements passés, selon un schéma qui rappelle les « trade-offs », mis en lumière entre les secteurs de l’action publique dans les budgets des états américains entre 1984 et 2009111. S’il est courant de pointer l’incrémentalisme budgétaire et la stratification des moyens, il l’est beaucoup moins de questionner simultanément les effets, sur un secteur donné, des coups de frein et d’accélérateur qui creusent des fossés parfois béants entre la surface des textes (circulaires, instructions) – qui s’en tiennent à l’éternel présent de la volonté politique – et la réalité des moyens. Les GAPP, la réforme du collège ou les zones d’éducation prioritaire offrent, pour la période étudiée, trois exemples précis de l’inadéquation entre les objectifs officiellement assignés à une mesure et les moyens qui lui sont concrètement alloués. Le problème ici n’est pas – ou pas seulement – celui de l’insuffisance globale des moyens : il vient de l’opacité et du malaise que génère la distance entre la générosité des objectifs poursuivis, objectifs dont le nombre tend à s’accroître à chaque législature, et les réalités du terrain, distance qui n’est presque jamais assumée politiquement.

62La séquence 1986-1992 tranche avec celle étudiée dans cet article. Avec le transfert des dépenses d’équipement scolaire aux collectivités locales, la construction et l’entretien des bâtiments scolaires perdent leur rôle de variable d’ajustement commode en phase de rigueur budgétaire. L’expansion des effectifs des lycées et des universités remet au premier plan, pour un temps, les enjeux quantitatifs. Promesse de campagne du candidat socialiste, la revalorisation des enseignants, à défaut d’induire une transformation des pratiques, contribue, elle aussi, à accroître momentanément l’effort de l’État et le poids des dépenses d’éducation dans le PIB, dans une phase globalement marquée par l’accroissement du poids des dépenses publiques dans le PIB.

  • 112 Données tirées de Budget.gouv.fr, « La plateforme des finances publiques, du budget de l’État et de (...)
  • 113 Le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire à compter de la r (...)

63En revanche, le verrou budgétaire se resserre dès 1993. Depuis les années 1990, la place de la dette dans le débat public dessine en creux le portrait d’un État incapable de contrôler ses dépenses. En réalité, la trajectoire des dépenses des administrations publiques centrales atteste de l’efficacité de la procédure budgétaire pour encadrer les dépenses de l’État (26,2 % du PIB en 1990 ; 25,9 % en 2005 ; 24,2 % en 2019). La dégradation tendancielle du solde des administrations centrales en pourcentage de PIB ne résulte pas de l’emballement des dépenses mais de la diminution des recettes de l’État en pourcentage du PIB (24,4 % en 1990 ; 23,2 % en 2005 ; 20,6 % en 2019), une évolution rendue presque indolore par l’évolution à la baisse du taux d’intérêt réel des obligations publiques112. La question, pour l’éducation comme pour d’autres secteurs, est donc celle des modalités d’ajustement à cette contrainte budgétaire, qui indexe les progrès réalisés sur le terrain à l’évolution du PIB, ou aux aubaines démographiques113.

  • 114 Gaston Jèze, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française : man (...)

64Le caractère nécessairement insatisfaisant de la procédure budgétaire en régime démocratique est une vieille antienne des traités de finances publiques114. Ce constat est à l’arrière-plan de la transformation des modes de gestion dans laquelle s’engage l’État dans les années 1980 et qui affecte, au premier chef, l’Éducation nationale : déconcentration des décisions relatives à l’allocation des moyens, montée de l’évaluation dans les politiques publiques, déploiement des outils de gestion – conçus pour mieux arrimer le fonctionnement de l’administration à une contrainte budgétaire renforcée. En rapprochant la décision du lieu d’exécution, ces évolutions ont pu améliorer le niveau d’information des décideurs et la pertinence des décisions. Mais sur le plan politique et juridique, elles se sont contentées de reporter sur les acteurs locaux les difficultés rencontrées au plus haut niveau dans toutes les tentatives d’économies ou de redéploiement sans qu’ils soient forcément mieux armés pour y répondre. Et surtout, elles ont laissé dans l’ombre une question difficile : peut-on résoudre en gestion les incohérences générées par les modalités politiques de la prise de décision budgétaire ?

  • 115 Jean-Richard Cytermann, « Les choix budgétaires en matière d’éducation », Pouvoirs, 2008, no 122, p (...)
  • 116 Inspection générale de l’Éducation nationale, Inspection générale de l’administration de l’Éducatio (...)
  • 117 Claire Hédon, Défenseure des droits, Éric Delemar, adjoint, Défenseur des enfants, L’accompagnement (...)

65Les travaux manquent pour proposer une analyse approfondie des effets de la politique budgétaire sur la trajectoire du système éducatif dans ces dernières décennies. Le bilan dressé par Jean-Richard Cytermann en 2008, alors que la LOLF vient d’entrer en vigueur, se présente comme un appel à une remise à plat, une politique de redéploiement dans l’esprit des audits de modernisation lancés en octobre 2005115, lointain écho du plan de plein emploi des moyens de Christian Beullac. Mais il n’est pas certain que la capacité politique et administrative de l’État français à dégager des moyens par des politiques ciblées d’économies soit beaucoup mieux assurée depuis la LOLF qu’il y a quarante ans. Certains postes de dépenses, régulièrement attaqués, sont néanmoins préservés, quand d’autres subissent, dans certains contextes, une érosion aussi mécanique que politiquement indolore, à l’instar des dépenses de formation continue des enseignants du second degré entre 1999 et 2009116. On pourrait aussi questionner méthodiquement l’écart entre l’accumulation des objectifs, dictée par le tempo rapide de la vie politique, et la lente progression des moyens en valeur absolue, en période de croissance faible. La politique d’inclusion scolaire, lancée en 2005, offre parmi d’autres l’exemple d’un objectif officiel, déjà ancien, pour lequel les moyens budgétaires dégagés sont encore manifestement insuffisants117.

66L’entrée par les archives budgétaires permet d’échapper à l’abstraction des raisonnements sur les grandes masses budgétaires, ou sur des indicateurs sans lien direct avec la matière même des décisions budgétaires pour saisir l’endroit où les aspects budgétaires interfèrent concrètement avec la mise en œuvre des décisions publiques, et surtout pour cerner le type de décisions susceptibles d’être prises. Elle permet aussi de trouver une double pierre de touche pour apprécier le niveau de financement de telle ou telle politique, grâce aux chiffrages élaborés de manière contradictoire au sein même des administrations, chiffrages d’autant plus sincères et donc précieux qu’ils sont destinés à un usage interne – ce qui est le cas, à la direction du Budget, des dossiers de Perspectives. Ces archives renvoient une image beaucoup plus heurtée – presque chaotique – du déploiement de l’action publique, indexé aux processus économiques comme aux dynamiques électorales, ce qui en fait un véritable défi pour l’écriture et l’analyse. On peut penser, cependant, qu’une histoire des politiques publiques qui intègrerait plus méthodiquement cette dimension contribuerait à résorber l’écart, dangereux en démocratie, entre les espérances éveillées en période électorale et la réalité, génératrice de frustrations, du fonctionnement de l’État.

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Annexe

La structure de la direction en charge du budget au ministère de l’Éducation / Éducation nationale [1974-1985]

Créée en 1970 comme « direction chargée des affaires budgétaires et financières », cette direction prend, en juillet 1975 le titre de « direction des Affaires financières », puis, d’août 1985 à mai 1986, de « direction générale des Finances et de la modernisation ». Tout au long de cette période, elle englobe trois composantes : la sous-direction des affaires budgétaires et la sous-direction des affaires financières, dont les attributions respectives restent globalement inchangées, et la division des études budgétaires, érigée en sous-direction en 1980 et progressivement étoffée. De 1974 à 1981, l’autonomisation de l’enseignement supérieur au sein d’un secrétariat d’État puis d’un ministère à part entière entraîne la séparation des fonctions budgétaires des enseignements scolaire et supérieur. La reformation d’un grand ministère de l’Éducation nationale en 1981 ne remet pas en cause l’autonomie budgétaire relative de l’enseignement supérieur. En effet, la préparation de son budget relève directement du service administratif et financier de la direction générale des enseignements supérieurs et de la recherche.

1975

1985

Division des études budgétaires

Sous-direction des affaires budgétaires

Bureau des investissements, de la planification et des affaires générales

Bureau du budget

Bureau de la comptabilité centrale et du contrôle budgétaire

Sous-direction des affaires financières

Bureau des affaires statutaires et indemnitaires

Bureau de gestion des crédits de personnel

Bureau des transports scolaires

Sous-direction des affaires budgétaires

Bureau des affaires générales, des investissements et de la tutelle financière

Bureau du budget

Bureau de la comptabilité centrale et du contrôle budgétaire

Sous-direction des affaires financières

Bureau des affaires statutaires et indemnitaires

Bureau de gestion des crédits de personnel

Bureau des transports scolaires

Sous-direction des études, de la programmation et du contrôle de gestion

Bureau du budget de programmes et du contrôle de gestion

Bureau du contrôle des emplois

Bureau des analyses, du plan et de la programmation budgétaire

Bureau de la commande publique

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Notes

1 Archives nationales (AN), Archives de la direction des Affaires financières de l’Éducation nationale, 19930646/4. Groupe de travail sur l’évaluation de la procédure budgétaire, « Rapport de synthèse », circa décembre 1984 (référence abrégée ci-après en « rapport du groupe Bouton »). Le rapport lui-même n’est pas daté, mais sa remise était attendue pour le 10 décembre 1984 (Jean Choussat, directeur du Budget, « Note intérieure. Évaluation de la procédure budgétaire pour 1985 », 28 septembre 1984).

2 Articles 38 et 39 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, JORF, 3 janvier 1959, p. 184-185. Le durcissement du calendrier avait été amorcé par les articles 55 et 56 du décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du budget de l’État, Journal officiel de la République française (JORF), 20 juin 1956, p. 5338-5339.

3 Nathalie Carré de Malberg (dir.), La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998 ; Alexandre Siné, L’ordre budgétaire : l’économie politique des dépenses de l’État, Paris, Économica, 2006 ; Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott et Lucile Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques : du contrôle de la dépense à la gestion des services publics, 1914-1967, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2013 ; Philippe Bezes et Alexandre Siné (dir.), Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2011 ; Philippe Bezes, Florence Descamps et Sébastien Kott (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1963-1978, Vincennes, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2021 ; Philippe Bezes, Florence Descamps et Scott Viallet-Thévenin, « Bercy : empire ou constellation de principautés ? », Pouvoirs, 2019, n° 168, p. 9‑28.

4 Philippe Bezes, Réinventer l’État : les réformes de l’administration française, 1962-2008, Paris, PUF, 2009 ; Florence Descamps, Le ministère des Finances, la réforme administrative et la modernisation de l’État 1914-1974, mémoire inédit d’HDR, EHESS, Paris, 2014.

5 Exception notable, le travail de Fabien Cardoni sur la Défense : Fabien Cardoni, Le futur empêché. Une histoire financière de la défense en France, 1945-1974, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022. Voir aussi Marc Leroy, Gilbert Orsoni (dir.), Le financement des politiques publiques, Bruxelles, Bruylant, 2014.

6 Font exception à cet égard les travaux d’Ismaïl Ferhat sur la gauche et l’éducation : Ismail Ferhat, « Les gauches et les réformes éducatives : quel(s) regard(s) des sciences sociales sur un couple complexe ? », Carrefours de l’éducation, 2016, no 41, p. 183‑199 ; Ismaïl Ferhat, Socialistes et enseignants : le Parti socialiste et la Fédération de l’Éducation nationale de 1971 à 1992, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2018 ; Ismaïl Ferhat (dir.), Les gauches de gouvernement et l’école : programmes, politiques et controverses du Front populaire à 2012, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019.

7 Christian Breunig, Emiliano Grossman et Tinette Schnatterer, Connecting Government Announcements and Public Policy, Oxford, Oxford University Press, 2019 ; Isabelle Guinaudeau et Simon Persico, « Tenir promesse. Les conditions de réalisation des programmes électoraux », Revue française de science politique, 2018, vol. 68, n° 2, p. 215‑237.

8 Aaron B. Wildavsky, The politics of the budgetary process, Boston, Little, Brown, 1964.

9 Pour une mise en perspective de ce champ de recherche et une application de ce cadre théorique à la France, voir Frank R. Baumgartner, Martial Foucault et Abel François, « Chapitre 6 : L’incrémentalisme et les ponctuations budgétaires en France », dans Alexandre Siné et Philippe Bezes (dir.), Gouverner (par) les finances publiques, op. cit., p. 299‑322. Pour un aperçu des travaux conduits à l’étranger : Christian Breunig, Christine S. Lipsmeyer et Guy D. Whitten, « Introduction. Political Budgeting from a Comparative Perspective », Journal of European Public Policy, juin 2017, vol. 24, no 6, p. 789‑791 ; Christopher Adolph, Christian Breunig et Chris Koski, « The political economy of budget trade-offs », Journal of Public Policy, mars 2020, vol. 40, no 1, p. 25‑50.

10 La persona renvoie ici au masque porté par les acteurs de l’Antiquité et par extension – dans le domaine psychologique – au comportement qu’une personne adopte en contexte social. La dimension rituelle et théâtrale du processus budgétaire – amplement commentée par ses protagonistes – est trop vite oubliée dans l’analyse des sources. Pour un point de vue de budgétaire sur la dimension rituelle de ces négociations : Jean Choussat, « Le budgétaire et le dépensier. Défense et illustration de la direction du Budget », Pouvoirs, 1990, no 53, p. 55‑64.

11 Comme le relève Jean-Charles Asselain, dans sa magistrale étude quantitative sur le budget de la justice : Jean-Charles Asselain, L’argent de la justice : le budget de la justice en France de la Restauration au seuil du XXIe siècle, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, chap. 5 « Les processus de décision ».

12 Sur l’inflexion précoce de la politique budgétaire des socialistes et son interprétation, voir le dossier dirigé par Florence Descamps et Laure Quennouëlle-Corre (dir.), « 1983, un tournant libéral ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 138, 2018.

13 Jean Choussat (1934-1998), ENA (1961-1963), inspecteur des Finances, directeur du Budget de 1981 à 1985.

14 Daniel Bouton (1950-…), ENA (1972-1973), inspecteur des Finances, directeur du Budget de 1988 à 1991.

15 À leur arrivée, les socialistes recréent un gros ministère de l’Éducation nationale – incluant à nouveau l’enseignement supérieur – mais cela ne remet pas en cause la division des fascicules budgétaires.

16 Données tirées de la loi de finances pour 1980, n° 80-30 du 18 janvier 1980, JORF, 19 janvier 1980, pour les dépenses militaires et le budget annexe des PTT. Pour le total des dépenses des ministères civils (hors service de la dette) et leur répartition entre les ministères, telle que prévue en loi de finances initiale, les données sont reprises des archives de la direction du Budget, Centre des archives économiques et financières (CAEF), direction du Budget, PH 170-94/4, Projet de loi de finances pour 1981, esquisse 3, mai 1980. Le total, pour l’Éducation, diffère légèrement de celui qui figure dans le budget voté, compte tenu des modifications réglementaires qui interviennent en fin d’année et sont prises en compte lors de l’élaboration du budget voté. Le poids du budget de l’enseignement scolaire sur le budget général varie sensiblement (entre 13,5 % et 17 % environ) selon la façon dont on comptabilise les dépenses de pension et les remboursements et dégrèvements.

17 Ministère de la Fonction publique et des réformes administratives, « Rapport annuel sur l’État de la Fonction publique. Année 1980 », p. 4. Les données sont celles transmises par les directions des personnels. Rapport ronéoté, téléchargeable en ligne sur le site de la Bibliothèque numérique de la statistique publique (https://www.bnsp.insee.fr/bnsp/, lien consulté le 3 février 2023).

18 Cette réforme est une conséquence de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975, dite loi Haby. Sur cette réforme et sa genèse, Patricia Legris et Laurent Gutierrez (dir.), Le collège unique. Éclairages socio-historiques sur la loi du 11 juillet 1975, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

19 Ont été utilisées les archives orales du Comité pour l’histoire économique et financière de la France (Francis Eyraud, sous-directeur à la direction du Budget de 1974 à 1979 ; Guy Vidal, directeur du Budget de 1979 à 1981 ; Edmond Raoux et Jean-Baptiste Bigé, contrôleurs financiers près le ministre de l’Éducation (nationale) respectivement de 1971 à 1978 et de 1977 à 1986). Ont également été consultées les archives orales collectées par le Service d’histoire de l’éducation, aujourd’hui conservées aux Archives nationales (AN, 20180010) : Alain Blanchard, chargé des affaires financières et budgétaires de l’Éducation nationale de 1961 à 1981 comme sous-directeur, chef de service puis comme directeur ; Pierre Dasté, conseiller technique puis directeur adjoint de cabinet de Christian Beullac, directeur des affaires financières de l’Éducation nationale de 1981 à 1985 ; Guy Bourgeois, en fonction à la direction des affaires budgétaires et financières de l’Éducation nationale de 1973 à 1977, puis conseiller technique de Christian Beullac ; Christian Join-Lambert, chargé du budget de l’Éducation nationale à la direction du Budget de 1970 à 1973, conseiller budgétaire d’Alain Savary de 1981 à 1984 ; Bernard Cieutat, entre autres chargé du budget de l’Éducation nationale à la direction du Budget de 1973 à 1977, sous-directeur (troisième sous-direction) de 1979 à 1982, puis directeur général, en charge des finances et du budget, au ministère de l’Éducation nationale. Cette étude s’appuie aussi sur les témoignages présentés dans le cadre du séminaire du Groupe de recherche sur les affaires budgétaires (GRAB, https://grab.hypotheses.org/, lien consulté le 26/01/2023). Citons, en particulier, la séance du 23 janvier 2020, « Les dossiers “Perspectives”, ou les politiques sectorielles vues par la direction du Budget », avec les témoignages de Didier Banquy et Vincent Feller, en fonction à la direction du Budget de 1984 à 2002 pour le premier, 1984 à 1995 pour le second.

20 Le « Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952 » est transmis par Roger Goetze à Maurice Petsche le 12 juillet 1951. Sur cette période, voir Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances. Rivoli-Alger-Rivoli, 1937-1958, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, chap. 2 « Le bureau B2, les méthodes de travail et relations avec les ministères dépensiers », p. 229‑236 ; Marc Olivier Baruch, « Qui arbitre ? Les relations entre la direction du Budget, les cabinets et la présidence du Conseil », dans Nathalie Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?, op. cit., p. 59‑79.

21 Ces dossiers de Perspectives (note de perspective et annexes par ministère) sont conservés au CAEF. Ils ont pu être intégralement consultés pour la préparation des projets de loi de finances (PLF) 1963 à 1971, et à partir de l’exercice 1982 ; la série est plus lacunaire pour la préparation des PLF 1972 à 1981. Cependant, certaines archives de cette période sont encore en cours d’inventaire et le repérage des archives à partir des seuls bordereaux de versement n’a peut-être pas permis de retrouver la totalité des dossiers effectivement conservés.

22 Sur la genèse de cet adossement de la procédure budgétaire à la comptabilité nationale, Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts l’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2002, chap. 2. « Pourquoi et comment le ministère des Finances va récupérer les travaux de comptabilité nationale ? », p. 59-79.

23 À la direction du Budget, le bureau 1D est associé aux échanges. Témoignage de Didier Banquy (ENA, 1982-1984), qui a débuté au bureau 1D (recettes, exécutions statistiques) en 1984-1986, avant de rejoindre le bureau 1A (synthèses budgétaires, préparation des lois de finances, politique budgétaire, orientations générales), séminaire du GRAB, 23 janvier 2021.

24 CAEF, archives de la direction du Budget, B00518888/1, Paul Déroche, directeur du Budget, « Perspectives budgétaires pour 1976 », 6 février 1975.

25 Sébastien Kott, « Le mythe de l’équilibre et les finances publiques », Gestion & Finances Publiques, 2021/1, p. 58‑65. Voir aussi Frédéric Tristram, La politique erratique de la dépense. Croissance de la dépense publique et transformations de l’État en France (1969-1985) mémoire inédit d’HDR, histoire, université Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2018.

26 Le rapport du groupe Bouton met en lumière la complète étanchéité entre la direction du Budget et le Service de la législation fiscale et reconnaît que « toute démarche intégrant une action conjointe sur les dépenses et sur les recettes est à peu près certainement vouée à l’échec dans les structures actuelles ». AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton.

27 Florence Descamps, « La Mission RCB aux Finances 1968‑1971 : un cas hors norme ? », dans Philippe Bezes, Florence Descamps et Sébastien Kott (dir.), Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978…, op. cit., p. 598.

28 L’analyse qui suit présente ainsi de fortes analogies avec ce que décrit Alexandre Siné, à partir de documents et témoignages correspondant pour l’essentiel à la période 1988-2005, Alexandre Siné, L’ordre budgétaire…, op. cit., p. 171‑237.

29 CAEF, archives du cabinet du directeur du Budget, PH 170-94/6. « Préparation du projet de loi de finances pour 1983. Méthodes et calendrier », 20 janvier 1982.

30 Jacques Edmond-Grangé, Le budget fonctionnel en France, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1963.

31 Conclusions tirées de l’analyse de l’âge et de la promotion à l’ENA des administrateurs civils et chefs de bureau en charge du budget de l’Éducation nationale du début des années 1960 jusqu’en 1990. Sources : Bottin administratif ; notices Les biographies (Documentation biographique des quotidiens de la Société Générale de Presse) ; Who’s who.

32 Témoignages convergents, sur ce point, de Bernard Cieutat (ENA 1962-1964) et de Vincent Feller (ENA 1982-1984), qui ont tous deux été en charge du budget de l’Éducation nationale, le premier comme chef de bureau, de 1974 à 1977, le second, comme administrateur civil, de 1986 à 1988. Entretiens avec l’auteur (Bernard Cieutat, 16 mai 2019 ; Vincent Feller, 2 avril 2019).

33 Les qualificatifs de « budgétaire » et « dépensier » font partie du jargon des budgétaires (J. Choussat, « Le budgétaire et le dépensier. Défense et illustration de la direction du Budget », art. cit.). Ces expressions rendent compte avec justesse du « jeu de rôle » auquel s’apparente la fabrique budgétaire, et c’est à ce titre qu’on les emploie ici.

34 Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées : évolutions d’une fonction, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004.

35 À l’Éducation nationale, Jean Rosenwald exerce ces fonctions de 1960 à 1971 ; Edmond Raoux de mai 1971 à décembre 1978 ; Jean-Baptiste Bigé de 1977 à 1986 ; Jacques Buzet, de 1979 à 1995.

36 Sur le fonctionnement de cette direction de 1970 à 1986, on dispose à la fois de très riches fonds d’archives, conservés aux Archives nationales, et des témoignages d’Alain Blanchard, de Pierre Dasté, et de Bernard Cieutat qui ont successivement rempli les fonctions de directeur de 1970 à 1981, de 1981 à 1985, et de 1985 à 1993 (Alain Blanchard, AN, 20180010/43 ; Pierre Dasté, AN, 20180010/55 ; Bernard Cieutat, AN, 20180010/217, et entretiens avec l’auteur, 16 mai, 24 mai et 17 juin 2019).

37 AN, 19930646/4, rapport du groupe Bouton, note IV, « Circulation des informations », circa décembre 1984. Cette réflexion semble traduire une certaine familiarité avec les travaux de sociologie des organisations. Entre 1965 et 1972, le ministère de l’Économie et des Finances a joué un rôle pionnier dans le recours aux sciences sociales comme appui à la réforme administrative ; au début des années 1980, l’expérience n’a pas de postérité, mais le rapport du groupe Bouton laisse penser que les analyses de Michel Crozier sur le phénomène bureaucratique n’étaient pas étrangères aux parties prenantes. Florence Descamps, « Réformer l’administration par les sciences sociales. Les tentatives pionnières du ministère des Finances (1965-1972) », Le Mouvement Social, 2020, vol. 273, no 4, p. 35‑56.

38 Sur cette politique de la dépense, Frédéric Tristram, La politique erratique de la dépense…, op. cit. Sur les raisonnements économiques qui sous-tendent les décisions prises dans cette décennie, voir aussi Michel Hau, Félix Torres, Le virage manqué : 1974-1984, Paris, Manitoba, 2020.

39  Pour une comparaison des deux plans de relance, Jean-Charles Asselain, « L’incartade socialiste de 1981 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2018, n° 138, p. 17‑31.

40 C’est le nœud de l’articulation entre Plan et Budget. Voir, parmi bien d’autres, le témoignage de Guy Vidal, ENA (1952-1954), directeur du Budget de 1979 à 1981, archives du CHEFF/IGPDE, entretien 7 du 30 novembre 1993.

41 CAEF, PH 170-94/46, Paul Déroche, note pour le Ministre, « Préparation du Conseil des Ministres du 12 février 1975 sur le budget de 1976 », 27 janvier 1975.

42 CAEF, archives du bureau 1A de la direction du Budget, PH 175-95/1, Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, bureau 1A, « Note intérieure. Perspectives pour 1985 », 10 janvier 1984.

43 Fait relevé dans le rapport du groupe Bouton et confirmé par les témoignages de Bernard Cieutat et de Vincent Feller, qui ont tous deux été en charge du budget de l’Éducation nationale, le premier comme chef de bureau, de 1974 à 1977, le second, comme administrateur civil, de 1986 à 1988. Entretiens avec l’auteur (Bernard Cieutat, 16 mai 2019 ; Vincent Feller, 2 avril 2019).

44 Sur la marginalisation du Plan dans la fabrique du budget de l’État, voir, AN, archives de la Commission de réforme de la planification (1982), 19890617/386, Groupe de travail n° 2, « Administration et Plan », « Compte rendu de la réunion du 11 février 1982 » consacrée aux aspects budgétaires de la planification, 17 février 1981.

45 Pour l’élaboration du budget de 1984, une première liste énumérait les « mesures nouvelles inéluctables », correspondant aux ajustements sur les chapitres insuffisamment dotés. Pour l’élaboration du budget 1985, ces corrections sont intégrées aux « ajustements sur mesures nouvelles de reconduction », voir circulaire du bureau 1A, 10 janvier 1984 (doc. cit.)

46 Jusqu’aux changements de nomenclature introduits à partir de 1959, les collèges désignent des établissements secondaires municipaux, par opposition aux lycées, établissements secondaires d’État. Pour soulager les finances des communes, l’État s’engage, dès 1955, dans une politique de « nationalisation » des établissements municipaux. La nationalisation se traduit, concrètement, par la prise en charge d’un pourcentage accru des dépenses de fonctionnement, incluant notamment la rémunération des personnels de service.

47 AN, correspondance de la direction chargée des affaires budgétaires et financières au ministère de l’Éducation nationale, 19930643/4, note d’Alain Blanchard à Raymond Soubie, chargé de mission auprès du ministre de l’Éducation nationale, « Suite à donner au rapport sur la fonction enseignante dans le second degré », 10 janvier 1973.

48 La correspondance sortante de la direction chargée des affaires budgétaires et financières du ministère de l’Éducation nationale témoigne de la mobilisation de Pierre Messmer, puis de Jacques Chirac, pour tenir ce calendrier (AN, 19930643/4 à 9).

49 CAEF, archives du bureau 3B, PH 041-90/3, dossiers de « Perspectives », budget « Enseignement scolaire », février 1984.

50 AN, 19880351/9. Archives de Jean-Dominique Comolli, conseiller budgétaire de Laurent Fabius. Projet de note non daté à l’attention du Président de la République, « Projet de budget pour 1986 de l’Éducation nationale ».

51 AN, 19930646/4. Ministère de l’Éducation nationale, direction des Affaires financières, « Observations sur les instructions de la direction du Budget en vue de la préparation du Budget », 27 novembre 1984.

52 Christian Beullac (1923-1986), X, ingénieur des Pont, numéro deux de la régie Renault en 1976, est appelé au gouvernement par Raymond Barre en 1976, d’abord comme ministre du Travail, puis comme ministre de l’Éducation.

53 Il s’agit, dans le premier cas, d’entériner l’unification du statut des chefs d’établissement de collège (anciennement collèges d’enseignement secondaire et collèges d’enseignement général), dans le second cas, de rémunérer l’intervention des inspecteurs départementaux de l’Éducation nationale dans la formation initiale des instituteurs.

54 AN, archives de Michèle Legras, 19880542/6. Après un premier arbitrage qui ne lui donne que partiellement satisfaction fin juillet, Christian Beullac revient à la charge et obtient, début août, une décision plus favorable. On peut suivre le détail de ces négociations grâce, d’une part, aux notes adressées à Christian Beullac par le directeur des affaires financières et le directeur adjoint de cabinet, et d’autre part, à la copie des courriers adressés par l’Éducation nationale à Matignon et à la direction du Budget.

55 CAEF PH080-95/17, archives de la Direction du Budget, bureau 3B, « Projet de loi de finances pour 1985. Budget de l’Éducation nationale. Compte rendu de la conférence de 2e phase du 2 août 1984 », 8 août 1984. Les archives de Jean-Dominique Comolli, conseiller budgétaire à Matignon, gardent la trace des démarches et débats qui ont précédé les ultimes arbitrages en juillet et en août, AN, 19880351/6.

56 Aurélien Baudu, Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires du Parlement en France : éclairage historique et perspectives d’évolution, thèse de doctorat en droit, sous la direction d'Henry Roussillon et Vincent Dussart, Université Toulouse 1 Capitole, 2010, p. 307-466.

57 Sur l’élaboration des questionnaires et la préparation des annexes thématiques au rapport de la Commission des Finances sur le projet de loi de finances, voir le témoignage de Jean-Charles André, administrateur du Sénat, qui a rejoint le service de la Commission des Finances en 1982, et y a exercé, de 1990 à 1992 la responsabilité de l’équipe du rapporteur général, séance du GRAB, 20 janvier 2022. Pour une comparaison avec les années 1950, Nathalie Carré de Malberg, « Les fonctionnaires du Budget, le Parlement et la commission des finances de l’Assemblée nationale à travers les archives orales » dans Nathalie Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 81-125

58 Sur l’usage de la réserve parlementaire dans les années 1980, voir le témoignage de Jean-Charles André, cité supra. Les archives du bureau 1A de la direction du Budget relatives aux projets de lois de finances gardent la trace des modifications apportées aux bleus suite aux débats parlementaires. Le terme de « réserve parlementaire » apparaît même explicitement dans le bordereau de versement pour le budget de l’année 1991 (CAEF, PH 169/99 carton 33, 1990). L’enquête détaillée reste à faire.

59 La genèse de la réserve parlementaire est une histoire assez mal connue et peu traitée par les juristes. La communication présentée par Étienne Douat, « La réserve parlementaire sous la Ve République », dans Le financement des Parlements, colloque organisé à l’Université de Lille 3, GERAP / SFFP / AFDC, en 1997, a longtemps été consultable en ligne, mais elle n’est aujourd’hui plus disponible (courriel de l’auteur, 28 octobre 2022).

60 Sur la notion d’instrument discret, voir Philippe Bezes, « Chapitre 2 : Rationalisation salariale dans l’administration française. Un instrument indiscret », dans Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 71‑122.

61 Florence Descamps, « Du verrou au sextant. Outils de gestion, outils de pouvoir », Gestion & Finances Publiques, janvier 2019, no 1, p. 116‑123.

62 CAEF, PH 170-94/8. Voir par exemple, pour l’Éducation nationale, le dossier du Bureau 3B « Perspectives 1983. Éducation nationale », 4 février 1982, qui présente une liste d’économies possibles.

63 AN, 19930646/2, archives de la direction des Affaires financières, documents et rapports du groupe de réflexion sur le Plein emploi des moyens » – qui associe Éducation et Budget (décembre 1978 – printemps 1980).

64 AN, 19930646/3, archives de la direction des Affaires financières, programme d’économies de 1980. Les archives mentionnent la lettre n° 1 354/SG du 1er février 1980 du Premier ministre, qui donne instruction aux ministres et secrétaires d’État de présenter les mesures d’économies envisageables au cours des prochaines années.

65 L’idée figure déjà dans Ve plan : 1966-1970. Rapport général de la Commission de l’Équipement scolaire, universitaire et sportif, Paris, La Documentation française, 1966, p. 164.

66 Clémence Cardon-Quint, « L’allocation Barangé (1951-1990). Enquête historique sur la "légitimité" d’une dépense publique », dans Céline Husson-Rochcongar (dir.), La légitimité en finances publiques. Contribution à une étude de l’objet finances publiques, Paris, Mare & Martin, 2022, p. 579‑598.

67 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe II, « Les économies ».

68 CAEF, PH 170-94/46. Paul Déroche, directeur du Budget, note pour le ministre, « Perspectives budgétaires pour 1978 », 4 février 1977.

69 CAEF, archives du cabinet du directeur du budget, PH 170-94/3. Guy Vidal, note pour le Ministre, « Actualisation de l’exercice de reconduction budgétaire pour 1981 », 12 décembre 1979.

70 C’est ce que révèle la comparaison de trois circulaires de 1965, 1977 et 1984 correspondant chacune au lancement de la phase contradictoire de la procédure budgétaire, à l’issue des Perspectives. CAEF, B008544/1, circulaire B1-B2 n° 15 du 7 avril 1965, « Préparation du projet de budget de 1966. Dépenses ordinaires (mesures nouvelles) et dépenses en capital (services votés et mesures nouvelles) ; AN, 19910534/16, circulaire n° 39 1-A.1 du 25 février 1977, « Préparation du projet de budget de 1978 (1ère phase) Dépenses ordinaires et dépenses en capital » ; CAEF, PH 175-95/5, circulaire n°1.A-48 du 30 mars 1984, « Préparation du projet de budget de 1985. Dépenses ordinaires et dépenses en capital ».

71 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton.

72 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe II, « Les économies ».

73 La charge de la dette n’est pas seulement liée au volume de la dette mais aussi taux d’intérêt réel des obligations publiques, qui connaît une croissance rapide entre 1974 et 1986, avant de décliner progressivement, Vivien Levy-Garboua et Éric Monnet, « Les taux d’intérêt en France : une perspective historique », Revue d’économie financière, 11 mai 2016, no 121, graphique 17, p. 52.

74 AN, 19930646/4. Rapport du groupe Bouton, annexe IV, « Circulation des informations ».

75 Laurent Schwartz (dir.), La France en mai 1981. Études et rapports de la Commission du Bilan, tome 4 : L’enseignement et le développement scientifique, Paris, La Documentation française, 1981.

76 Michel Le Clainche, « Le rôle de l’ombre des conseillers budgétaires des cabinets ministériels », Gestion Finances Publiques, 2020, n° 1, p. 70‑78.

77 Sept chefs de bureau, et trois administrateurs civils se succèdent au bureau 3B entre 1975 et 1985. Cette instabilité fait évoluer le partage des tâches entre le chef de bureau et l’administrateur civil dans le suivi de ce budget. Sources : archives du directeur du Budget ; Bottin administratif ; Documentation biographique des quotidiens de la Société générale de presse, LesBiographies.com.

78 Pour s’en tenir à deux exemples : AN, 19930646/2, Paul Déroche, directeur du Budget, « Opportunité d’une politique de freinage très accentué des créations d’emplois d’agents de l’Éducation », 6 avril 1978 ; CAEF, archives de de la direction du Budget, PH 080-95/7, Bureau 3B, « Évolution du budget de l’Éducation nationale sur longue période (1953-1989) et sur moyenne période (1980-1989) », 25 janvier 1989.

79 Sur l’évolution du nombre d’emplois de fonctionnaires : Émilien Ruiz, Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (XIXe-XXIe siècle), Paris, Fayard, 2021, p. 79‑82. Sur le contrôle des dépenses de personnel, Philippe Bezes, « Chapitre 2 : Rationalisation salariale dans l’administration française », art. cit.

80 Alfred Sauvy, Le niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire. Une enquête nationale dans l’enseignement primaire, Paris, Presses universitaires de France/INED, 1950 ; Le niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire. 2 La détermination des aptitudes. L’influence des facteurs constitutionnels, familiaux et sociaux, Paris, Presses universitaires de France/INED, 1954.

81 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964, 189 p ; Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970.

82 Bertrand Ravon, L’« échec scolaire » : histoire d’un problème public, Paris, In press, 2000.

83 Circulaire n° IV-70-83 du 9 février 1970, « Prévention des inadaptations. Groupes d’aide psychopédagogique. Sections et classes d’adaptation », BOEN, n° 8 du 19 février 1970, p. 689-695.

84 Circulaire n°77-123 du 28 mars 1977, « Pédagogie de soutien à l’école primaire (application de l’arrêté du 28 mars 1977) », BO, n° 13, 7 avril 1977, p. 945-953.

85 Ministère de l’Éducation, « Plan de plein emploi des moyens », 28 février 1979, AN, 19930646/2.

86 « Mitterrand : "Ce que je ferai". Un entretien exclusif avec L’Express », L’Express, 4 avril 1981, p. 87-92.

87 Philippe Bongrand, La scolarisation des mœurs : socio-histoire de deux politiques de scolarisation, en France, depuis la Libération, doctorat de science politique sous la dir. de Pascale Laborier, Université de Picardie, 2009, p. 201.

88 Lydie Heurdier, Vingt ans de politique d’éducation prioritaire dans trois départements français, doctorat de sciences de l’éducation sous la dir. de Claude Lelièvre, Paris 5, 2008 ; Philippe Bongrand, La scolarisation des mœurs, op. cit.

89 AN, archives de la direction des Affaires financières, 19930646/1, division des études budgétaires, « Chiffrage des "10 propositions pour l’école". Note de méthode », 24 mars 1981. La direction précise qu’il s’agirait d’éviter les suppressions brutes, puisque le gouvernement a déjà exclu toute suppression « nette » d’emploi dans le premier degré.

90 AN, 20160541/308, « Rapport à fin de décision sur la gestion du corps des instituteurs », n° 87-636, 10 juillet 1987 ; « Rapport à fin de décision sur la gestion du corps des instituteurs (enseignement du premier degré) », n° 87-697, 24 septembre 1987.

91 Ibid.

92 AN, 19930203/4. Archives de Christian Join-Lambert, conseiller budgétaire d’Alain Savary. Direction des écoles, sous-direction de l’organisation administrative et financière, « Quels objectifs permettent d’atteindre 5 400 postes d’instituteurs et 1 200 postes d’élèves-instituteurs sur la durée du IXe Plan ? », 1er février 1983 ; Mission de la planification, « Projet de loi de programme. 1984-1988. Direction des écoles », 21 février 1983. Pour un point de vue extérieur à l’Éducation nationale, voir les rapports de la Cour des comptes. AN, 20160541/293, Cour des Comptes, « Rapport à fin de décision sur la gestion des emplois d’instituteurs (enquête sur l’enseignement du premier degré) », n° 86-867, 21 novembre 1986 ; AN, 20160541/308, « Rapport à fin de décision sur la gestion du corps des instituteurs », n° 87-636, 10 juillet 1987 ; « Rapport à fin de décision sur la gestion du corps des instituteurs (enseignement du premier degré) », n° 87-697, 24 septembre 1987.

93 Deppadoc, Portail statistique sur l’éducation et la formation, Pierre Fallourd, « Évolution du nombre d’emplois enseignants et non-enseignants : public, privé, 1980-1998 », tableau excel, cote VMS A41, 2000.

94 Nombre d’établissements concernés par un RASED sur le nombre total d’écoles publiques, par département, Ministère de l’Éducation nationale, « Enquête dans les écoles préélémentaires, élémentaires et spéciales. Organisation et équipement des écoles. Public 1992-1993 », Tableau statistique, n° 6210, septembre 1993.

95 Catherine Dorison, « La place de la pédagogie dans les relations entre enseignants spécialisés et enseignants des classes ordinaires : du tabou à la collaboration », Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, 2006, vol. 39, no 4, p. 63‑79 ; Catherine Dorison, « Éthique et identité collective d’un groupe professionnel », Recherche et formation, 1 juin 2006, no 52, p. 43‑54.

96 Kristine Wagner et René Warck, Les déshérités de l’école : deux enquêtes sur les classes de transition et les terminales pratiques, Paris, F. Maspero, 1973.

97 CAEF, 1A 0000270/1. Dossier de la direction du Budget sur le projet de réforme Fontanet, fiche n° 1, « Coût des réformes pédagogiques », fiche jointe à la note de Renaud de la Genière au ministre de l’Économie et des Finances, « Réforme des enseignements du second degré », 3 décembre 1973.

98 Bruno Poucet, « Réforme du système éducatif ou instauration du collège unique ? Haby et Giscard : deux visions différentes de la réforme », dans Patricia Legris et Laurent Gutierrez (dir.), Le collège unique. Éclairages socio-historiques sur la loi du 11 juillet 1975, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 143‑160.

99 AN, 19770599/1. Les archives de Michel Denieul, directeur de cabinet de René Haby, incluent les chiffrages successifs du coût de la réforme, ainsi que les comptes rendus des comités et des conseils restreints qui lui sont consacrés.

100 Arrêté du 14 mars 1977, « Horaires et effectifs des classes de sixième des collèges », JORF, 18 mars 1977, p. 1471.

101 Louis Legrand, Pour un collège démocratique : rapport au ministre de l’Éducation nationale, Paris, La Documentation française, 1983, 375 p.

102 Ludivine Balland, « La crise de l’école comme problème public. Luttes de sens autour des transformations scolaires et mise en scène des écarts culturels », Idées économiques et sociales, 2017, no 190, p. 37‑45.

103 Dans les années 1960, l’expression est employée en ce sens par Louis Joxe, ministre chargé de la réforme administrative de 1962 à 1967. Voir aussi Victor Silvera, « Réflexions sur le jargon et le tourbillon indiciaires de la fonction publique », La Revue administrative, 1968, vol. 21, no 126, p. 729‑732.

104 AN, 19790802/3, note de la FEN, 1er mars 1960, « Reclassement indiciaire des catégories pilotes », adressée par Georges Lauré au ministre de l’Éducation nationale (Louis Joxe).

105 Marie-Thérèse Frank, « La formation initiale des instituteurs » dans Christian Beullac : un patron dans l’Éducation, 1978-1981. Témoins et historiens : regards croisés, Paris, INRP, 1998, p. 61‑70.

106 Jean-François Saglio, conseiller chargé de l’Éducation auprès de Georges Pompidou, s’exprime en ce sens en 1973. 5 AG (2)/100, note de Jean François Saglio à l’attention du Président de la République, « Au sujet de l’audience de M. Fontanet le 8 mai. Préparation du débat parlementaire du 29 mai », 6 mai 1973. Jean-Daniel Camus lui fait écho cinq ans plus tard. AN, 5 AG (3) 1696, note de Jean-Daniel Camus, 3 mars 1978, à l’attention du Président de la République, « Politique des personnels de l’Éducation nationale ».

107 CAEF, archives du bureau 3B de la direction du Budget, PH 170-94/13, bureau 3B, « Projet de note de doctrine sur l’éducation », janvier 1982.

108 Ismaïl Ferhat, Socialistes et enseignants…, op. cit., p. 298‑304 ; Antoine Prost, Regards historiques sur l’éducation en France : XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 2007, p. 261‑266.

109 Alistair Cole, Governing and governance in France, Cambridge (GB) / New York, Cambridge University Press, 2008.

110 Philippe Bezes, Réinventer l’État…, op. cit.

111 ChristopherAdolph, ChristianBreunig et ChrisKoski, « The political economy of budget trade-offs », art. cit.

112 Données tirées de Budget.gouv.fr, « La plateforme des finances publiques, du budget de l’État et de la performance publique », onglet « Vue d’ensemble », (https://www.budget.gouv.fr/panorama-finances-publiques, lien consulté le 5 janvier 2023).

113 Le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire à compter de la rentrée 2017 a ainsi tiré parti de la chute quasi continue de la natalité depuis le pic de 2010 (de 832 799 naissances en 2010 à 735 196 en 2020).

114 Gaston Jèze, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française : manuel à l’usage des étudiants des facultés de droit et des candidats au ministère des finances à la Cour des comptes, à l’Inspection des finances, etc., Paris, Ed. La Mémoire du droit, 2013 [1931], p. 92‑93.

115 Jean-Richard Cytermann, « Les choix budgétaires en matière d’éducation », Pouvoirs, 2008, no 122, p. 31‑44.

116 Inspection générale de l’Éducation nationale, Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, Évaluation de la politique de formation continue des enseignants des premier et second degrés (sur la période 1998-2009), n° 2010-111, octobre 2010, p. 61-62.

117 Claire Hédon, Défenseure des droits, Éric Delemar, adjoint, Défenseur des enfants, L’accompagnement humain des élèves en situation de handicap, rapport, août 2022, (https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2022/08/rapport-accompagnement-humain-des-eleves-en-situation-de-handicap, lien consulté le 26/01/2023).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clémence Cardon-Quint, « Perspectives budgétaires ou comment saisir l’encastrement de l’économie, de la politique et des politiques publiques. Étude de cas sur le budget de l’Éducation nationale (1975-1985) »Histoire Politique [En ligne], 48 | 2022, mis en ligne le 01 octobre 2022, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoirepolitique/8841 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.8841

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Auteur

Clémence Cardon-Quint

Clémence Cardon-Quint est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’INSPE/Université de Bordeaux, membre du Centre d’études des mondes moderne et contemporain (EA 2958) et membre junior de l’Institut universitaire de France. Sa thèse sur l’enseignement du français croisait l’histoire des disciplines, la socio-histoire du corps enseignant et l’étude des politiques éducatives (Des lettres au français. Une discipline à l’heure de la démocratisation. 1945-1981¸ Rennes, PUR, 2015). Elle travaille depuis 2016 sur la fabrique du budget de l’Éducation nationale, de l’explosion scolaire au début du XXIe siècle. Elle est co-rédactrice en chef de la revue Histoire de l’éducation et anime, avec Thomas Hélie, le Groupe de recherche sur les affaires budgétaires (XIXe-XXIe siècles).

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