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2023

Salvatore Vassallo, Rinaldo Vignati, Fratelli di Giorgia. Il partito della destra nazional-conservatrice

Bologne, Il Mulino, 2023, 291 p.
Marc Lazar
Référence(s) :

Salvatore Vassallo, Rinaldo Vignati, Fratelli di Giorgia. Il partito della destra nazional-conservatrice, Bologne, Il Mulino, 2023, 291 p.

Texte intégral

1La victoire de la coalition dite de centre droit en Italie, le 25 septembre 2022, avec, au sein de celle-ci, le spectaculaire résultat du parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) qui a obtenu plus de 26 % des suffrages dans la partie proportionnelle du scrutin, puis, un mois plus tard, l’accession de sa dirigeante, Giorgia Meloni, à la présidence du Conseil ont suscité de vives polémiques politiques et médiatiques. De multiples questions furent posées, au demeurant davantage à l’étranger que dans la péninsule : comment caractériser cette femme âgée de 46 ans ? Est-elle une fasciste, une néo-fasciste, une postfasciste, une populiste, une représentante de l’extrême droite, une figure de la droite radicale ? Menace-t-elle la démocratie et l’Union européenne ?

  • 1 Par exemple, Gianfranco Baldini, Filippo Tenconi, Davide Angelucci, « Yet Another Populist Party? U (...)
  • 2 Voir Valérie Igounet, Pauline Picco, « Histoire des logos de deux "partis frères" entre France et I (...)
  • 3 Les citations, en italique dans le livre, proviennent de la page 11.

2Fondé en 2012 et demeuré assez marginal jusqu’ici – il suffit de rappeler qu’aux précédentes élections politiques de 2018 il n’avait obtenu que 4 % des suffrages –, Frères d’Italie n’avait guère suscité la curiosité des chercheurs. Sa progression amorcée dès 2019 incita à la publication de quelques articles de science politique dans des revues scientifiques1. Les politistes Salvatore Vassallo et Rinaldo Vignati livrent maintenant un ouvrage précieux, fondé sur une recherche de qualité et écrit à destination d’un large public. Il résulte d’une enquête commencée à la fin de l’année 2021 et qui s’est donc étalée sur plusieurs mois. Celle-ci se fonde sur le dépouillement de nombreuses sources, comme l’ensemble de la documentation du parti et ses propositions de loi au Parlement, l’étude des discours de Giorgia Meloni et de sa très intense communication sur les réseaux sociaux, l’analyse détaillée des résultats électoraux, la réalisation de longs entretiens avec plusieurs dirigeants du parti (à l’exception toutefois de Giorgia Meloni) ou encore la prise en compte de la production journalistique et de la littérature scientifique. L’originalité de ce travail tient à l’approche choisie. Les auteurs entendent repérer les continuités et les changements de ce parti récent mais héritier d’une longue histoire, celle du fascisme (1919-1945) puis du Mouvement social italien (MSI, 1946-1994) et d’Alliance nationale (AN, 1994-2008). Parallèlement, ils mettent en lumière la sociologie de cette formation et surtout du groupe constitué autour de sa leader qui joue un rôle déterminant (d’où le titre du livre, Frères de Giorgia). Leur thèse fondamentale est que Fratelli d’Italia constitue « le 3e parti de la flamme », allusion au symbole de la flamme tricolore du MSI, après donc ce parti puis son successeur AN2. En même temps, selon nos deux chercheurs, Fratelli d’Italia constitue historiquement la quatrième tentative de la droite italienne pour fonder « un parti national-conservateur » respectueux de la démocratie libérale et capable de s’adresser à un électorat plus ample que celui des partis antérieurs, après les deux engagées à l’époque du Mouvement social italien et celle déployée par Alliance nationale. Une entreprise en voie de réalisation, voire quasi réalisée à en croire les auteurs, par un petit groupe de personnes qualifié de « génération d’Atreju », du nom des rassemblements annuels organisés depuis 1998, généralement au mois de septembre, par le mouvement de jeunesse d’AN, Azione giovani, dont Giorgia Meloni assura la présidence à partir de 20043. Atreju est le héros du roman L’histoire sans fin de l’écrivain allemand Michael Ende, qui connut un grand succès auprès des jeunes dans les années 1980, celles justement de la jeunesse de Giorgia Meloni née en 1977.

3Pour étayer leur propos, les auteurs commencent par un chapitre qui aborde frontalement les interrogations soulevées par l’existence et l’ascension de Frères d’Italie, en particulier avec les vifs débats historiques, politologiques et politiques sur le fascisme et l’antifascisme, des thèmes étudiés de manière approfondie sur près d’une vingtaine de pages. Puis suivent deux longs et solides chapitres de synthèse historique qui restituent de manière précise le parti néofasciste MSI puis Alliance nationale qui, sous l’impulsion de son chef, Gianfranco Fini, devient postfasciste et s’efforce en vain de créer un parti de droite conservatrice et nationale. Au-delà de son aspect strictement informatif et descriptif, cette mise en perspective permet de comprendre d’où viennent les dirigeants de Frères d’Italie qui ont fait leurs premières armes militantes dans ces partis et acquis ainsi les bases de leur culture politique. Suivent ensuite six chapitres consacrés à Frères d’Italie, créé en 2012, dans lesquels les auteurs ont à cœur de montrer de manière systématique les invariants de ce parti par rapport à ses prédécesseurs mais également les ruptures introduites, ou encore les évolutions très rapides qu’il connaît en une petite décennie. Ils restituent avec une grande abondance de données sa création, son organisation et son fonctionnement, son positionnement national-conservateur, ses positions internationales et par rapport à l’Union européenne, ses messages sur les réseaux sociaux en procédant à une comparaison éclairante avec celle du leader de la Ligue, Matteo Salvini, enfin son électorat. Le dernier chapitre est prospectif, les deux auteurs cherchant à comprendre ce que Giorgia Meloni et son parti ont commencé à faire et surtout ce qu’ils pourraient faire maintenant qu’ils sont au pouvoir, en coalition avec la Ligue et Forza Italia de Silvio Berlusconi.

  • 4 Giorgia Meloni, Io sono Giorgia, Milan, Rizzoli, 2021. Traduction française : Mon itinéraire. Autob (...)

4La lecture de ce livre apprend énormément. On retiendra en particulier que Frères d’Italie est un petit parti de 55 000 adhérents (chiffres de 2018) hyper centralisé, peu démocratique et placé sous le contrôle complet de la cheffe. Les auteurs montrent comment celle-ci et ses proches construisent progressivement une identité nationale-conservatrice autour du triptyque, « Dieu, famille et patrie ». À cet égard, expliquent-ils, la fameuse autobiographie de Giorgia Meloni, devenue un bestseller, acquiert le statut d’une « biographie collective de la génération d’Atreju » (p. 137, souligné dans le texte)4. Frères d’Italie s’oppose frontalement à la théorie du genre comme à la promotion des minorités, fustige les migrants et l’immigration, valorise la nation définie sur des bases ethno-culturelles, ce à quoi adhère une partie de son électorat. Frères d’Italie est résolument pro-atlantiste, dans la lignée du MSI qui approuvait l’OTAN par anticommunisme. Il a connu diverses évolutions par rapport à l’Union européenne, les critiques que lui adressait avec virulence Giorgia Meloni ayant eu tendance à s’atténuer sans pour autant qu’elle renonce à son objectif de redonner du poids à la souveraineté nationale. Laquelle oriente toute sa politique comme son programme économique, mélange détonnant de libéralisme, de protectionnisme et de volonté de promouvoir le Made in Italy. Ce qui la conduit de manière régulière à rompre des lances avec l’Allemagne et surtout la France, accusées d’orienter les politiques européennes en fonction de leurs propres intérêts et au détriment de l’Italie, ce à quoi elle entend vouloir mettre fin. Les auteurs consacrent des pages très instructives sur le groupe des dirigeants, plutôt jeunes, tous passés à deux exceptions près par le MSI, l’Azione giovani, Alliance nationale, socialisés dans et par ces partis et durant les rencontres d’Atreju qui ont servi de vraie école de formation. Ils forment une communauté politique et humaine soudée, y compris par des alliances matrimoniales, qui se vivait un peu comme une forteresse assiégée par leurs adversaires mais qui progressivement a affiché de grandes ambitions, en particulier celle d’accéder au pouvoir. De la sorte, par petites touches, les auteurs retracent le parcours de Giorgia Meloni et en brossent un portrait complet. Entrée en politique dès sa prime jeunesse à 15 ans, n’ayant pas fait d’études avancées, elle se forme dans l’activisme politique. Elle réalise une carrière assez fulgurante, militant activement, lisant beaucoup, participant aux batailles de courants au sein d’Azione giovani et à Alliance nationale puis fondant avec d’autres de ses proches le parti Frères d’Italie dont elle devient la présidente en 2014. Quatre ans plus tard, elle accède à la présidence du Parti des conservateurs et des réformistes européens, auquel appartient Frères d’Italie qui ne siège donc pas dans le même groupe – Identité et Démocratie – que le Rassemblement national de Marine Le Pen au Parlement européen. Cela lui permet de multiplier les contacts avec les dirigeants de partis frères, à l’instar du Fidesz de Viktor Orbán, du parti polonais Droit et Justice (PiS) ou encore du parti espagnol Vox. De même, elle qui parle français, anglais et espagnol, tisse des liens avec le Likoud et le Parti républicain américain, participant à des rencontres avec des regroupements de conservateurs aux États-Unis. De la sorte, elle se dote d’une stature internationale dans ces milieux politiques et nourrit sa réflexion. Parallèlement, en 2006, elle est élue à 29 ans à la Chambre des députés, en devient vice-présidente avant d’être nommée, deux ans plus tard, ministre de la Jeunesse dans le gouvernement de Silvio Berlusconi, ce qui en fait la plus jeune ministre de l’histoire de la République italienne. Tout cela contribue à expliquer l’ascendant que cette femme exerce assez rapidement sur ses camarades formant pourtant un milieu très masculin, souvent machiste, et au respect qu’elle impose à ses aînés.

  • 5 La continuité avec le fascisme historique, le MSI et AN, est bien mise en exergue dans les travaux (...)

5Fratelli d’Italia peut représenter un certain danger pour la démocratie italienne, reconnaissent Salvatore Vassallo et Rinaldo Vignati, car il n’est pas immunisé contre certaines dérives : un style populiste qui perdure, la prégnance de l’idéologie nativiste qui exacerbe la dénonciation récurrente des migrants et de l’immigration, la tentation de passer en force sur les réformes institutionnelles pour instaurer l’élection au suffrage universel du président de la République au nom du mandat donné par le peuple souverain. Toutefois, selon eux, il ne sert à rien de présenter Giorgia Meloni comme une fasciste, une néofasciste ou une postfasciste : les membres de Frères d’Italie sont des « démocrates afascistes » avancent-ils (p. 37, souligné dans le livre). Une formule assez contestable car tout au long de leur ouvrage, les deux auteurs expliquent à juste raison que Meloni et Frères d’Italie ont ouvert « un chantier en cours » selon leur heureuse formule (p. 165). Or, dans ce parti, l’identité nationale-conservatrice de plus en plus prééminente correspond à une stratégie de moyen et long terme visant à former et enraciner durablement un grand parti de droite radicale adaptée à la démocratie libérale et représentative. Mais cette identité coexiste avec la persistance d’un héritage fasciste chez certains militants à la base, la grande fidélité affichée par les dirigeants, à commencer par Giorgia Meloni, au MSI et à AN, et la récurrence d’un certain style populiste5. Quoi qu’il en soit, le livre de Salvatore Vassallo et Rinaldo Vignati contribue à l’intelligence de ce parti et de sa dirigeante.

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Notes

1 Par exemple, Gianfranco Baldini, Filippo Tenconi, Davide Angelucci, « Yet Another Populist Party? Understanding the Rise of Brothers of Italy », South European Society and Politics, 2023, https://doi.org/10.1080/13608746.2022.2159625 [lien consulté le 21/03/2023] ; Leonardo Puleo, Gianluca Piccolino,« Back to the Post-Fascist or Landing in the Populist Right? The Brothers of Italy Between Continuity and Past », South European Society and Politics, 2022, https://doi.org/10.1080/13608746.2022.2126247 [lien consulté le 21/03/2023].

2 Voir Valérie Igounet, Pauline Picco, « Histoire des logos de deux "partis frères" entre France et Italie », Histoire@Politique, 2016/2, n° 29, p. 220-235, https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2016-2-page-220.htm [lien consulté le 21/03/2023].

3 Les citations, en italique dans le livre, proviennent de la page 11.

4 Giorgia Meloni, Io sono Giorgia, Milan, Rizzoli, 2021. Traduction française : Mon itinéraire. Autobiographie d’une leader politique. Préface de Marie d’Armagnac, Paris, Cora, 2022.

5 La continuité avec le fascisme historique, le MSI et AN, est bien mise en exergue dans les travaux de Luciano Cheles sur les affiches de Frères d’Italie et certaines photos de Giorgia Meloni. Voir, par exemple, Luciano Cheles, « L’image reconstruite de la cheffe de Frères d’Italie », Le Monde, 23 septembre 2022. Un livre en italien de cet auteur est en voie de publication.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marc Lazar, « Salvatore Vassallo, Rinaldo Vignati, Fratelli di Giorgia. Il partito della destra nazional-conservatrice »Histoire Politique [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 28 mars 2023, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoirepolitique/9871 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.9871

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Marc Lazar

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